Le dé à découdre

Xavier Couture

Il nous faut redéfinir un projet : celui d’une humanité à la hauteur de l’ambition de chaque être humain.

 

C’est toujours sur une démission collective que les tyrans fondent leur puissance. » Cet aphorisme de Jules Renard trouve toute sa pertinence dans les vertiges d’une société séduite par l’abandon de ce qui nous a construits. Lire la presse, écouter une plage d’information sur une radio, regarder sa télévision à la recherche d’un magazine d’actualité conduit à contempler un paysage médiatique envahi par le dé. Le dé ? Petit lexique à l’intention du citoyen : la grande démission est la conséquence de la volonté de détravail, néologisme découvert par les nouveaux explorateurs de la société de la déprime. Il ne faut donc pas s’étonner de la dénatalité. Pour décarboner notre industrie, elle-même frappée par la désindustrialisation, il faudrait accélérer la démondialisation. Une planète trop petite engendre des échanges commerciaux ne pouvant que déliter les piliers de notre environnement. Dans ces conditions, comment voudriez-vous que nous ne soyons pas démoralisés. Il reste une solution : le dépeuplement. 

Les études de société le montrent : les individus sont plutôt optimistes quant à leur devenir personnel et d’un pessimisme aux relents morbides quant au futur du monde. Lorsque Ernst Haeckel, biologiste et philosophe allemand de la fin du xixe siècle, annonce que « l’ontogenèse récapitule la phylogénèse », il ne se doute pas qu’un siècle plus tard s’installerait une dérivée de l’axiome pouvant presque déboucher sur son inversion. « Puisque chacun doit mourir un jour, alors autant tous disparaître en même temps ! » pourrait être le mantra des prophètes de la désolation. L’angoisse collective se dissout dans la sphère intime.

Cette dualité pourrait s’analyser à l’aune de la pensée des philosophes qui ont opposé le monisme à la dualité, voire au pluralisme. Formalisé au xviiie siècle par le mathématicien et philosophe Christian Wolff, ce système de pensée explique le monde par un principe unique échappant au divin, faisant du corps et de l’âme un être indivisible. Cela prend sa source dans la philosophie antique chez Parménide, Aristote ou Épicure. Nous aurions bien besoin de retourner à cette pensée de la substance première. Cela nous éviterait de nous fragmenter en une multiplicité d’individus tentant d’entrer comme des clones dans les alvéoles de la ruche digitale.

Le ou plutôt les pouvoirs se sont emparés de ce nouveau culte de la personne en morceaux. Les politiques se dotent des yeux de la mouche pour regarder toutes nos facettes et répondre à notre appétit supposé du détail par une démagogie minuscule. La Corée du Sud, pays prospère, devrait se mobiliser pour des lendemains de progrès. Las, la voilà confrontée à un taux de natalité si bas que ses écoles se vident et que son armée se dépeuple. Sur ce terreau aride, les discours populistes prennent racine. Seules l’autorité et la force semblent capables de créer le consensus. 

S’il reste un dernier carré de la raison, il doit lutter. Les huit milliards d’êtres humains qui vivent sur la Terre méritent mieux que cette dérive stupide dont personne ne veut vraiment mais que nous subissons tous. La solution passe par un projet, et par le désir, moteur de toute chose. Cessons d’opposer nos égoïsmes à notre destin, comme des passagers dansant sur un Titanic dont le naufrage serait incontournable, un verre de champagne à la main. Hans Rosling est un médecin, philosophe et statisticien suédois. Disparu en 2017, il nous a laissé une œuvre majeure, Factfulness (paru en français chez Flammarion en 2019 et sous-titré dans sa version originale « Dix raisons qui montrent que nous avons tort à propos du monde et pourquoi les choses vont mieux que vous ne le pensez »). C’est un regard simple, d’un scientifique sans a priori sur ce siècle bourré d’espoirs à la recherche de son espérance. Un projet politique passe par une vision du monde et de l’insertion de l’individu dans ce grand tout. Le monisme aujourd’hui consiste à prendre l’humanité pour un corps unique et tous les humains pour l’expression de son âme, et il faut se convaincre que l’ensemble ne fait qu’un. Rêve de fou ? Vœu pieu ? Utopie ? Peut-être, mais si l’on a l’ambition de stopper le dé à découdre, il faut un dé décisif, un début. 

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Il nous faut redéfinir un projet : celui d’une humanité à la hauteur de l’ambition de chaque être humain.   C’est toujours sur une démission collective que les tyrans fondent leur puissance. » Cet aphorisme de Jules Renard trouve toute sa pertinence dans les vertiges d’une société séduite par l’abandon de ce qui nous a construits. Lire la presse, écouter une plage d’information sur une radio, regarder sa télévision à la recherche d’un magazine d’actualité conduit à contempler un paysage médiatique envahi par le dé. Le dé ? Petit lexique à l’intention du citoyen : la grande démission est la conséquence de la volonté de détravail, néologisme découvert par les nouveaux explorateurs de la société de la déprime. Il ne faut donc pas s’étonner de la dénatalité. Pour décarboner notre industrie, elle-même frappée par la désindustrialisation, il faudrait accélérer la démondialisation. Une planète trop petite engendre des échanges commerciaux ne pouvant que déliter les piliers de notre environnement. Dans ces conditions, comment voudriez-vous que nous ne soyons pas démoralisés. Il reste une solution : le dépeuplement.  Les études de société le montrent : les individus sont plutôt optimistes quant à leur devenir personnel et d’un pessimisme aux relents morbides quant au futur du monde. Lorsque Ernst Haeckel, biologiste et philosophe allemand de la fin du xixe siècle, annonce que « l’ontogenèse récapitule la phylogénèse », il ne se doute pas qu’un siècle plus tard s’installerait une dérivée de l’axiome pouvant presque déboucher sur son inversion. « Puisque chacun doit mourir un jour, alors autant tous disparaître en même temps ! » pourrait…

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