Femme-orchestre

Les jeux de la dame

Nicolas Roux-Chaykine

Parfaite touche-à-tout, Zabou Breitman peut adapter Topor et Dorothy Parker au théâtre, réaliser des films césarisés et promener son humour, grinçant de préférence, chez Coline Serreau. Son nouveau projet : faire de Zazie dans le métro une comédie musicale.

 

Sur la scène du Théâtre du Petit Saint-Martin, Zabou Breitman est nombreuse. Dans Dorothy, elle est à la fois elle-même, narratrice passionnée retraçant l’histoire rocambolesque des cendres perdues puis retrouvées de Dorothy Parker – auteure aiguisée, nouvelliste précise et critique redoutée du New Yorker au siècle dernier –, mais aussi une foule de personnages présents dans les nouvelles de l’écrivaine, qui jaillissent au hasard de cette performance époustouflante. 

Ce spectacle, elle l’avait déjà monté il y a deux ans, dans la grande salle du même lieu. Les théâtres redevenaient essentiels après une succession de confinements et de couvre-feux, et Dorothy n’avait pas rencontré son public. Peu importe. La comédienne a retravaillé la pièce, avec obstination, poussée par son fils, Antonin Chalon, comédien et metteur en scène, qui a joué les directeurs d’actrice sur ce projet. Elle l’a faite tourner partout où elle pouvait. Elle l’a ciselée, coupée, sacrifiant certains passages le cœur serré pour un résultat sans équivoque : « C’est dix fois mieux qu’au début. Ce n’est même pas comparable », reconnaît-elle. Puis elle a joué la pièce pour la dernière fois. Enfin, normalement, ce devait être la dernière, mais c’était sans compter sur sa détermination. 

Un après-midi, alors qu’elle était en plein tournage, elle est venue faire une lecture chez Jean Robert-Charrier, le directeur audacieux qui lui avait déjà ouvert ses portes pour une première version. Conscient de s’être trompé initialement en la mettant à l’affiche de la grande salle, il la reprogramme avec enthousiasme dans la petite. « De toute manière, c’est une interprète merveilleuse et, je ne devrais pas le dire, elle peut me proposer ce qu’elle veut, j’irai », confie-t-il en affirmant que cet écrin plus intime convient effectivement beaucoup mieux à ce spectacle. Ils ont eu raison tous les deux. Aujourd’hui, dans une forme aboutie et réjouissante, cette pièce ne ressemble à rien de ce qu’on a pu voir ailleurs. Sauf peut-être à celle qui la porte.

« La situation est désespérée mais elle n’est pas grave. » C’est avec ce mantra, en forme d’optimisme forcené, que Zabou Breitman a construit sa carrière et sa vie. Une devise, héritée de son père, qui raconte son chemin, quelque part entre poésie et déni (parce que l’un ne va sans doute pas sans l’autre) mais qui n’aide pas à tracer une ligne claire à défaut d’être droite. Comment expliquer, en quelques pages, pourquoi il faut aller voir, les yeux fermés et le cœur ouvert, le moindre projet qu’elle propose ? Essayons. S’il faut lui faire systématiquement confiance, c’est parce qu’on sera systématiquement surpris, ému, touché par tout ce qu’elle inventera. On a beau chercher une espèce de ligne directrice, un fil rouge, pour dire Zabou Breitman, on ne le trouve pas. On se demande comment représenterait son parcours celle qui, quand elle n’arrive pas à se faire comprendre, passe parfois par le dessin pour donner une direction à ses comédiens ou à ses équipes de tournage.L’image montrerait sans doute quelque chose comme une forêt primaire. Un paysage foisonnant, à la fois étonnant et rassurant. Un lieu féérique où l’imagination rendrait le fantastique possible. Un monde qui n’existe pas… tant qu’on ne l’a pas inventé. 
 

En 1993, Zabou obtient une nomination aux César et… ne tournera plus au cinéma pendant quatre ans.
 

Il ne faut pas compter sur elle pour nous aider dans notre entreprise de portrait. « Moi, évidemment, je n’arrive pas à savoir ce qui me définit. Je suis la plus mal placée pour ça », confie-t-elle lors d’un entretien téléphonique qui devait durer vingt minutes mais qui en comptera le double, tant il y a de choses à dire. Tout juste consent-elle à reconnaître ce que les autres disent souvent : ce qui la caractérise, c’est la liberté à tout prix. « Ça doit-être un peu vrai. » 

Hors de question donc de l’enfermer dans un rôle ou dans une case. De la limiter, de la cantonner. Le champ est large et, pour la comprendre, il faut peut-être se concentrer sur les détails. La dessiner en pointillé. On pourrait commencer par son nom. Enfin, celui sous lequel on la connaît aujourd’hui : Zabou Breitman. C’est déjà toute une aventure. 

Elle est née Isabelle, mais au début des années 1980, alors qu’elle accompagne Dorothée, l’animatrice préférée des enfants, dans une émission diffusée alors sur Antenne 2, il lui faut choisir un autre nom. Il y a déjà une Isabelle dans l’équipe et deux femmes qui portent le même prénom, c’était visiblement une de trop. Dorothée lance alors, des années avant « Loft Story », la téléréalité et les SMS payants. Invité à voter, le public a le choix entre « Cécile », le deuxième prénom d’Isabelle, et « Zabou », surnom attitré depuis qu’elle est toute petite. Sans ambiguïté, le résultat lui vaudra de conserver à jamais ce petit bout d’enfance, comme une marque indélébile, une destinée. 

Pendant près de vingt ans, elle n’y accolera pas son nom de famille. Elle se contentera de ces cinq lettres, de ce prénom qui n’en est pas un mais qui sonne comme une signature. Puis, en 1998, elle décide de ne plus se réduire. On tente une explication : était-ce pour échapper à la gueule qu’on lui avait faite ? Pour se réinventer ? « C’était devenu nécessaire. Avant, ça ne l’était pas. Puis je me suis dit “ça me fait chier, moi j’ai envie d’avoir mon nom de famille !” C’est un super joli nom. Je trouve que dans l’équilibre nom-prénom, dans mon équilibre, dans l’équilibre de la personne que j’étais devenue, c’est-à-dire moi, c’était cohérent. Zabou ne me ressemblait plus. » Alors elle reprend le nom de Breitman que son père, Jean-Claude Deret, avait, lui, abandonné pour faire carrière. 

Dans ces premières années de comédiennes, Zabou était abonnée aux comédies qu’elle jouait comme des drames. Des films plus ou moins oubliables, où cette brune au charme irrévocable promenait son côté borderline. Au début des années 1990, elle joue dans deux films au succès public et critique. La Crise de Coline Serreau (1992), aux côtés de Vincent Lindon et Patrick Timsit, et Cuisine et Dépendances de Philippe Muyl (1993), premier film adapté d’une pièce de théâtre du duo Bacri-Jaoui. Dans le premier, elle campe une femme libre, indépendante, terriblement en avance sur son temps. La tirade où elle explique à son amoureux, qui vient la demander en mariage à 3 heures du matin, qu’elle n’entend pas vivre avec lui ni avec personne, qu’elle veut vivre seule, péter dans ses draps tranquille, rentrer à n’importe quelle heure, bouffer sur un coin de table, faire le ménage une fois par an si ça la chante (et la liste, encore longue, est à voir et à revoir sur YouTube), est encore reprise régulièrement dans les cours d’apprentis comédiens. Dans le second, elle reprend le rôle qu’elle tenait sur scène, maîtresse de maison stressée, engoncée dans une robe à fleurs rococo, qui se plie en quatre pour recevoir une vieille connaissance devenue star de la télé. Qu’elle joue les indépendantes ou la femme dépassée, elle explose et s’impose. En 1993, elle obtient une nomination aux César et… ne tournera plus au cinéma pendant quatre ans. 

En 2001, elle réalise son premier film. Et le fait donc sous son nom complet. Ce sera le très poétique Se souvenir des belles choses. L’histoire d’amour entre une jeune femme frappée de troubles de la mémoire et un quadragénaire qui a perdu sa femme et son fils dans un accident de voiture mais n’en garde ni souvenir ni douleur. L’héroïne, c’est Isabelle Carré, formidable comme toujours, césarisée pour l’occasion, évidemment. L’homme, c’est Bernard Campan, connu alors exclusivement pour sa participation au trio comique Les Inconnus. On le découvre touchant, subtil, mélancolique. Ce film est un tournant dans la carrière de l’acteur et ce n’est sans doute pas un hasard si c’est elle, la comédienne que l’on a voulu réduire à un seul registre, qui lui a offert son premier rôle dramatique. Le film décrochera trois César, dont celui de la meilleure première œuvre de fiction. 

Deux ans plus tard, Zabou, désormais définitivement Breitman, signe sa première mise en scène de théâtre. L’Hiver sous la table, fable féroce signé Roland Topor, raconte la cohabitation d’une traductrice fauchée et d’un cordonnier immigré d’un pays de l’Est, encore plus fauché qu’elle, à qui elle sous-loue le dessous de sa table de bureau. Sur scène, c’est une tornade de liberté. Pour leur performance, Isabelle Carré, encore elle, et Dominique Pinon, fascinant, décrocheront les Molière de la meilleure comédienne et du meilleur comédien. Palmarès complété par celui de la meilleure mise en scène, du meilleur spectacle dans le théâtre privé, du meilleur décorateur-scénographe (Jacques Gabel et son astucieuse table, invisiblement penchée) et du meilleur créateur de lumières (André Diot). 

On aurait pu croire qu’après ces succès critiques et publics, cette volte-face réussie, cette capacité à s’imposer, tout serait plus simple pour elle. Qu’elle ferait un peu ce qu’elle voudrait. Que les choses seraient plus évidentes. On aurait pu penser qu’après toutes ces années où elle s’est installée comme une figure incontournable du cinéma français, elle pourrait imposer ses idées. Raté. 

Elle a beau multiplier les projets – elle a écrit et réalisé quatre longs métrages, dont un film d’animation, créé une série pour Canal+, animé une émission étourdissante et absurde avec Laurent Lafitte sur France Inter, mis en scène huit pièces de théâtre, allant d’une adaptation de Depardon à un Feydeau, et même un opéra –, rien n’est simple. « Je me bats pour travailler, tout le temps. Et c’est épuisant parce qu’à un moment, j’ai l’impression que je ne peux pas prouver ce que j’ai déjà prouvé plein de fois. Je voudrais qu’on me fasse confiance. Parfois je fais lire des choses et on me dit “ah mais non, mais là c’est trop bavard” et je réponds “non, là c’est drôle”, mais on ne me croit pas. Les gens ne savent plus lire », confesse celle qui dit avoir toujours cinq projets simultanément, pour qu’au moins l’un d’eux se fasse. « J’en souffre un peu. Comme je ne fais partie d’aucune famille, aucune chapelle, je reste un peu à l’écart. » Résultat, le scénario sur lequel elle travaillait depuis des mois ne verra pas le jour. « Une petite moitié au CNC l’a mis en haut de la pile en disant “ça, c’est extraordinaire”, et une autre, plus grosse, l’a mis en bas de la pile en disant “c’est épouvantable”. C’était une comédie très noire sur la mère et ça, ça ne passe pas. » 
 

“Molière c’est génial, féministe, intelligent, mais je préfère Shakespeare.”
 

Le problème selon elle, pour ce projet comme pour d’autres, c’est que c’était une comédie. En France, affirme-t-elle, on ne serait pas prêt à rire de tout. Le rire noir, grinçant, trash, ne passerait pas ou plus. Elle le regrette, citant Ricky Gervais, humoriste anglais dont la spécialité et le génie sont de ne pas avoir de limites. Après avoir mimé, sous les rires mi-horrifiés, mi-satisfaits de son public, un violent coup de pied dans la chaise de son fils handicapé, il rappelle comme une évidence : « C’est ce que j’imagine. Ce n’est pas vrai. C’est uniquement dans ma tête. Je ne mets pas vraiment de coup de pied dans la chaise de mon enfant handicapé. Il n’y a personne, là ! Je mets un coup de pied pour de faux ! » Et comme elle refuse l’autocensure, qui est la pire des censures, elle se heurte souvent à des murs. 

Elle avance quand même, et crée avec une sensibilité anglo-saxonne. « Ils ont Shakespeare et on a Molière. Molière c’est génial, féministe, intelligent, mais je préfère Shakespeare. D’abord, c’était un siècle plus tôt, mais ce qui me touche chez lui, c’est le mélange des genres. On pleure de rire en même temps qu’il y a des drames épouvantables. Et, surtout, il y a le sens de l’abstraction. Quand un héros vient raconter : “imaginez, il y a 20 000 morts derrière moi”, c’est extraordinaire ! Je crois que les Anglo-Saxons ont un imaginaire beaucoup plus puissant que le nôtre. C’est culturel. » 

C’est un travers que pointent souvent les artistes français qui portent plusieurs casquettes. Dans l’Hexagone, on aime ranger les gens dans des cases. Zabou Breitman ne s’en plaint pas vraiment. Elle s’en amuse autant qu’elle s’en étonne. « Même dans le métier, ils ne savent pas très bien qui je suis. C’est normal puisque je fais plein de trucs en même temps. Il y a des gens qui ne savent pas que je fais du théâtre, et d’autres qui ignorent que je fais du cinéma. Certains n’imaginent pas que je réalise, et quelques-uns pensent que je suis chanteuse… » De l’autre côté de la Manche, on admire les gens qui savent tout faire. C’est une liberté, un besoin de liberté, qu’ils tirent sans doute de leur éducation, très stricte. De la contrainte naît le besoin d’évasion. Élevée par des parents artistes, soixante-huitards, sans aucune injonction de genre, elle n’a peut-être pas eu assez de limites contre lesquelles se révolter. Aujourd’hui encore, elle se trouve « peut-être un peu trop polie ». On sourit à l’idée de ce que ça aurait pu être sans cela. 
 

“Jouer, c’est tout ce qui m’intéresse finalement.”
 

Car les conventions, Zabou Breitman ne s’appuie dessus que pour les faire tomber. Dans Dorothy, elle ne respecte aucune règle tacite du théâtre. Elle s’adresse parfois directement au public, brisant le fameux quatrième mur, elle se change sur scène, à vue, comme on dit, déplace elle-même le décor. On a l’impression que rien ne l’empêche, que tout est fluide et simple. Il se dégage une telle évidence, un tel naturel que ça semble n’avoir pas été décidé, pas travaillé. Comme si, chaque soir, autour d’un canevas, d’une histoire et de quelques repères, elle improvisait en fonction du public présent. « C’est un spectacle qui a demandé une hyper précision, dément au contraire son fils Antonin, qui l’a accompagnée pour cette expérience. Précision des adresses à l’audience, pour que ça ait l’air libre et détaché pour le spectateur. Précision des intentions aussi, pour pouvoir passer d’un personnage à l’autre très rapidement, et précision du dialogue pour essayer d’avoir une continuité, comme dans une vraie discussion à deux, sauf que là elle est toute seule. » Et ça fonctionne à merveille. 

N’allez pas penser pour autant qu’il s’agit d’une recette. C’est vrai qu’ils sont nombreux, les auteurs, les metteurs en scène, les comédiens qui semblent reproduire systématiquement la même chose. Ils apportent des variations, des nuances, mais ne donnent finalement que ce qu’ils savent faire et, pire encore, ce que le public attend d’eux. Les chiffres semblent leur donner raison puisque souvent leur salle affiche complet. Zabou Breitman, elle, s’en déclare incapable. À chaque fois qu’on essaie de figer son image, elle bouge. Ses spectacles et ses films en sont la preuve. Sa page Instagram aussi. Là où la majorité des gens, a fortiori des acteurs et actrices, profitent de cette vitrine pour se mettre en valeur, pour faire leur propre publicité, elle s’amuse à jouer avec des filtres. Son visage déformé lui inspire des personnages à qui elle offre une visibilité inespérée. Cette complotiste aux yeux hallucinés ou cet influenceur muscu qui se surprend à avoir du vernis à ongle n’auront sans doute pas d’existence ailleurs que dans ces vidéos de deux minutes à peine. Ils n’apporteront rien à leur créatrice mais ils existent parce que ça l’amuse. « Jouer. Dans tous les sens du terme. Jouer, c’est tout ce qui m’intéresse finalement. » 

Jouer, mais toujours avec sérieux. Jouer mais sans tricher. « Ce qui lui importe, c’est d’être toujours sincère, ancrée dans la véracité du sentiment éprouvé. Chercher toujours plus loin l’expression juste d’une émotion », précise Antonin Chalon. Dans une pièce comme celle qu’elle défend actuellement, on parle d’une dizaine de personnages chez qui il faut aller dénicher l’exactitude. Pour ne jamais être dans la caricature, pour ne jamais sombrer dans la facilité. On pense par exemple à cette femme qui houspille gentiment un jeune homme, sans doute est-il le fils d’une de ses amies, parti deux ans en voyage en Arabie sans donner de nouvelles. Cette bourgeoise qui le noie de questions mais n’écoute pas les réponses, qui parle toute seule, alignant les préjugés et les inepties. Sans le talent de la comédienne, on ne percevrait pas sa détresse. On n’entendrait pas l’ombre de ce mari qui la surveille et qui l’empêche. On ne devinerait pas, tapi dans un coin, ce Freddy qui lui fait les gros yeux. Bref, on ne saurait rien de sa profondeur. 

Sans fausse modestie, Zabou se défendrait presque d’y être pour quelque chose. « Toutes ces scènes ont été écrites par Dorothy Parker il y a presque un siècle. C’est fou, non ? Et pourtant on a l’impression que ce sont des personnages qu’on pourrait rencontrer maintenant. Pourquoi ? Mais juste parce que les gens n’ont pas changé. Les sentiments, les tensions, les inquiétudes profondes sont les mêmes chez les êtres humains. La technologie a changé, pas le reste. Le monde est identique à ce qu’il était. » C’est pour ça aussi qu’elle s’est emparée de ces nouvelles-là et qu’elle en a fait un spectacle. Pour raconter le contexte, l’entre-deux-guerres aux États-Unis, la prohibition et les suffragettes, et le confronter à son intemporalité. Avec l’ambition incidente de faire connaître cette Dorothy Parker, si mal traduite en France et si mal comprise aux États-Unis. 

Il faut dire que les écrits de l’auteure new-yorkaise poursuivent Zabou Breitman depuis ses débuts. Le premier spectacle qu’elle a joué était inspiré de plusieurs de ses nouvelles. Et c’est en la voyant dans ce projet que Roger Planchon, un pilier du Théâtre national populaire, a découvert Zabou et lui a offert ses premiers vrais rôles. Elle lui doit donc beaucoup. D’ailleurs, Jean Robert-Charrier leur voit quelques ressemblances. « Dans l’humour grinçant et dans l’auto-dérision. » L’humour c’est, chez Dorothy Parker, une manière de rendre le réel plus acceptable. Si elle ne blague pas, elle tombe par terre et elle pleure. « Il y a cette histoire où un journaliste va la voir parce qu’elle venait de recevoir un prix. C’était au bar d’un hôtel où elle avait une chambre à l’étage qui lui servait de bureau. Et le journaliste s’étonne de la retrouver en train de boire un verre et pas en train de travailler. Alors il lui demande : “ah, vous n’êtes pas en train d’écrire ?” Et elle répond “non, le crayon est déjà pris”. Ça va très vite. Elle ne dit pas “ah non vous me faites chier”. Elle a tout de suite une formule qui frappe. Si elle n’est pas rapide comme ça, elle meurt de chagrin. » Chez Zabou Breitman, l’humour est une arme de défense obligatoire, nécessaire. « Je ne supporterais pas le monde sans ça, ce n’est pas possible. » 

Autant dire qu’on attend son prochain projet avec une certaine impatience. Ce sera une comédie musicale tirée de Zazie dans le métro de Raymond Queneau. « L’avantage du théâtre sur le film, c’est que ça me permet de montrer des choses qui sont écrites mais pas encore dialoguées. Si on ne prend que les dialogues, on passe au-dessus de la gravité de Zazie. C’est philosophique, c’est terrible ce récit. C’est quand même l’histoire d’une petite fille abusée qui voit des satires partout ! Mais ça restera hyper drôle. Il y aura des transgenres, avec Marceline qui devient Marcel, avec Gabriel qui est Gabriela, transformiste à Pigalle, avec Trouscaillon qui n’a pas de nom comme si l’auteur avait mal bossé, il ne sait pas très bien qui il est, ni ce qu’il fait comme métier, avec la veuve noire qui est une vieille dame que tout le monde appelle le vieux débris. Et enfin, avec Zazie qui veut tuer tout le monde et qui dit “politesse mon cul”. On a fait une chanson d’ailleurs qui s’appelle Politesse mon cul. J’ai pris tous les gros mots et on a fait une chanson avec. Il y aura six musiciens sur scène. Ça va être un gros truc. Je crois que les gens vont être surpris. » Alors oui, c’est sans doute impossible de comprendre qui est Zabou Breitman mais c’est tant mieux puisque, comme elle dit elle-même, « il n’y a que dans le malentendu que les choses existent. Dans l’entre-deux. C’est là où se créent les jolies choses ». 

 

Dorothy, de et avec Zabou Breitman. Au Théâtre du Petit Saint-Martin, Paris 10e, jusqu’au 30 décembre....

Parfaite touche-à-tout, Zabou Breitman peut adapter Topor et Dorothy Parker au théâtre, réaliser des films césarisés et promener son humour, grinçant de préférence, chez Coline Serreau. Son nouveau projet : faire de Zazie dans le métro une comédie musicale.   Sur la scène du Théâtre du Petit Saint-Martin, Zabou Breitman est nombreuse. Dans Dorothy, elle est à la fois elle-même, narratrice passionnée retraçant l’histoire rocambolesque des cendres perdues puis retrouvées de Dorothy Parker – auteure aiguisée, nouvelliste précise et critique redoutée du New Yorker au siècle dernier –, mais aussi une foule de personnages présents dans les nouvelles de l’écrivaine, qui jaillissent au hasard de cette performance époustouflante.  Ce spectacle, elle l’avait déjà monté il y a deux ans, dans la grande salle du même lieu. Les théâtres redevenaient essentiels après une succession de confinements et de couvre-feux, et Dorothy n’avait pas rencontré son public. Peu importe. La comédienne a retravaillé la pièce, avec obstination, poussée par son fils, Antonin Chalon, comédien et metteur en scène, qui a joué les directeurs d’actrice sur ce projet. Elle l’a faite tourner partout où elle pouvait. Elle l’a ciselée, coupée, sacrifiant certains passages le cœur serré pour un résultat sans équivoque : « C’est dix fois mieux qu’au début. Ce n’est même pas comparable », reconnaît-elle. Puis elle a joué la pièce pour la dernière fois. Enfin, normalement, ce devait être la dernière, mais c’était sans compter sur sa détermination.  Un après-midi, alors qu’elle était en plein tournage, elle est venue faire une lecture chez Jean Robert-Charrier, le…

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