Du labo à l'asso

Tête chercheuse

Sylvie Ramir

Il y a quarante ans, la découverte du VIH, le virus du sida, a fait basculer sa vie. Récit du parcours d’une scientifique engagée, Françoise Barré-Sinoussi, et de sa philosophie contagieuse du « construire ensemble ».

 

6 octobre 2008. Son mobile sonne avec insistance et, bien qu’elle soit en réunion de travail au Cambodge, elle répond : « On vient de vous décerner le prix Nobel de médecine, vous êtes colauréate avec le professeur Montagnier ! » lui dit la voix enthousiaste d’un journaliste. Françoise Barré-Sinoussi pense à un canular et met fin à l’appel. Mais son mobile se remet à sonner et les participants à la réunion finissent de la convaincre. Sa surprise est totale.

Quinze ans plus tard, dans son petit bureau de l’Institut Pasteur, la scientifique ravive ses souvenirs : « Mon mari, décédé en février de la même année, avait raison : contrairement à moi, il me pensait nobélisable. » Distinguée, elle se défend aussitôt. « Mon premier réflexe a été de me dire : ce n’est pas mon Nobel, c’est celui de toute la communauté VIH/sida. »

En route pour Stockholm. Dans sa valise, une robe signée Saint Laurent et des chaussures aux talons vertigineusement hauts pour son style pragmatique. Elle descend les marches au bras du roi de Suède avec une seule idée en tête : ne pas trébucher. En contrebas, dans la foule des invités, il y a la dizaine de collaborateurs qu’elle a embarqués avec elle pour partager les honneurs. La semaine des festivités se déroule comme dans un rêve, un quart de siècle après sa découverte et loin de la jeune chercheuse qu’elle était alors, timide et solitaire, qui n’aimait pas la lumière.

Née en juillet 1947, à Paris, dans une famille modeste, la jeune fille s’imprègne des valeurs altruistes d’une mère catholique : tolérance, générosité, respect de l’autre. Intéressée par le vivant, elle choisit des études de biologie à la faculté des sciences, obtient un diplôme de chimie et une maîtrise de biochimie. Elle veut faire de la recherche. Pour s’assurer que son choix est le bon, elle se met en quête d’un stage – ce qui ne se fait pas encore chez les étudiants. Elle est prise comme stagiaire bénévole au laboratoire du virologue Jean-Claude Chermann, rattaché à l’Institut Pasteur. « Je comprends alors ce qu’est la recherche : s’interroger sur le pourquoi, le comment, poser des hypothèses et surtout se remettre en permanence en question. Ça a été le coup de foudre ! »

Elle travaille d’arrache-pied, passe son DEA puis son doctorat d’État. « Les horaires, les week-ends, je m’en fichais royalement ; je ne considérais pas que c’était un travail. J’étais passionnée, c’était dans mon tempérament. » Au programme des recherches : les rétrovirus liés au cancer, en particulier à la leucémie.

En ce début des années 1970, le rétrovirus quitte en douceur la scène de la recherche dans les grands labos américains. Il a eu le vent en poupe jusqu’à la découverte des oncogènes, reliant le rétrovirus au cancer. La plupart des labos se lancent dans cette nouvelle direction. Seuls quelques-uns gardent continuent de se pencher sur le rétrovirus dont Chermann en France et, outre-Atlantique, Gallo, Essex, Gardner, Martin. Une petite communauté de rétrovirologues qui se connaissent bien. L’Américain Howard Temin vient de faire une découverte qui va s’avérer déterminante : celle de la reverse transcriptase, une enzyme utilisée par les rétrovirus pour se répliquer, qui diffuse le virus en imposant au génome bactérien (ADN) une information provenant d’un ARN (acide ribonucléique).

Son post-doctorat conduit la jeune chercheuse dans la banlieue de Washington, au labo de Bob Bassin. Elle développe ses connaissances sur le rétrovirus de la souris et les mécanismes génétiques. Le premier rétrovirus humain (HTLV-1) n’a pas encore été découvert – Bob Gallo l’identifiera en 1979, dans son laboratoire situé à l’étage au-dessous. À Washington, la Parisienne s’ennuie. Moins d’une année plus tard, écœurée tant par la posture en surplomb des chercheurs américains que par le mauvais goût du café, elle réintègre l’Institut Pasteur, indifférente à l’avertissement misogyne d’un collègue : « Vous ne songez tout de même pas, madame, à accéder à des responsabilités ici ? Aucune femme n’y a fait de brillante carrière ; vous feriez mieux de réviser vos ambitions ! »

Elle épouse un ingénieur du son de Radio France, Jean-Claude Barré. « Quelques heures avant la cérémonie, je travaillais au labo. L’heure approchant, mon futur mari m’a appelée pour me demander si je comptais venir… Sachant très bien que s’il ne me faisait pas un petit rappel, je risquais d’arriver en retard à mon mariage. Il savait à quoi il s’engageait ! »

En 1981, en Californie, apparaît une maladie inconnue baptisée gay symdrom ou gay cancer. La pathologie qui associe pneumonie grave et cancer de la peau (sarcome de Kaposi) touche des hommes, jeunes, en majorité homosexuels. Des cas apparaissent aussi chez les toxicomanes et les hémophiles transfusés. La même année, Willy Rozenbaum, chef de clinique assistant à l’hôpital Claude-Bernard, reçoit ses premiers patients atteints du virus inconnu. Il est l’un des rares à s’intéresser à ce syndrome qui frappe une minorité discriminée. À cette époque, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) considère encore l’homosexualité comme une maladie mentale et ne la retirera de sa liste qu’en 1990. 

Rozenbaum constitue un petit groupe de médecins, d’experts et d’aides-soignants pour réfléchir à ces cas cliniques. Le groupe trouve l’hypothèse du HTLV séduisante. Avec la virologue Françoise Brun-Vézinet, il se met en quête d’un rétrovirologue. Suite au refus de deux labos français, fin 1982, ils se tourne vers l’Institut Pasteur. Brun-Vézinet appelle le labo de Chermann, on lui passe le Pr Montagnier, directeur de toute l’unité de recherche. La réponse de Montagnier est positive. Rendez-vous est pris pour que Rozenbaum et Brun-Vézinet viennent faire une présentation détaillée devant l’équipe de Pasteur, qui ignore tout de la maladie. Le rétrovirus HTLV trouvé par Gallo pose question : comme le virus inconnu, il infecte les lymphocytes T. Mais à l’inverse du virus inconnu, le HTLV ne tue pas les cellules.  

« La proposition que nous faisons, explique la scientifique est de ne pas se focaliser sur le HTLV, mais de rester ouvert sur l’hypothèse large et globale d’un rétrovirus. » Le petit groupe se met d’accord pour travailler sur un ganglion prélevé sur un malade à un stade précoce – le virus s’attaquant à ses cellules. Il est prévu de surveiller la culture sans attendre le délai de trois semaines comme le faisait Gallo dans son labo, puisque la mort des cellules survient rapidement. En janvier 1983 à Pasteur, F. Barré-Sinoussi se prépare à observer l’activité de la reverse transcriptase, l’enzyme révélatrice d’un rétrovirus. « Je regarde dans les milieux de culture tous les deux ou trois jours. Au bout de deux semaines, je perçois un balbutiement d’activité enzymatique, renforcé deux jours plus tard et bientôt confirmé. Et puis là : mort des cellules, et l’angoisse qui monte de perdre la culture et l’éventuel virus produit ; il faut réagir vite. » Grâce à la banque de sang de l’autre côté de la rue, un échantillon de globules blancs d’un donneur de sang est ajouté tout de suite à la culture en train de mourir. Le même phénomène réapparaît. « Nous voyons bien que l’introduction de virus et la mort des cellules sont liés ». 

« Observer les cultures sans attendre a été un critère déterminant », explique la chercheuse. En fait, le labo de Gallo le tenait, ce virus ! Mais il ne le voyait pas car il regardait trop tard : le virus était passé, les cellules déjà mortes. S’il ne regardait qu’à trois semaines, c’est parce que c’était le délai adapté au HTLV, qu’il pressentait coupable et dont il avait été le découvreur. Son hypothèse de départ était trop proche de son intime conviction ». Cet apprentissage, elle l’a transmis à tous les jeunes chercheurs qu’elle a croisés : « Gardez votre esprit ouvert ! Acceptez qu’une hypothèse ne soit pas la bonne, de tout remettre à plat. On peut, on doit avoir des idées nouvelles qui sortent des dogmes. »

À l’hiver 1983, les protagonistes se retrouvent chaque samedi matin pour faire un point dans le bureau du Pr Montagnier. Le cercle va bientôt s’élargir : Rouzioux, Gluckman, Klatzmann, Dormont, Spire, Leibowitch, du groupe d’origine ; Francoise Rey et Marie-Thérèse Nugeyre de l’équipe de Chermann ; et des chercheurs du labo de Montagnier. Le 20 mai 1983, le magazine Science publie la découverte du virus par les pasteuriens, appelé LAV – renommé VIH trois ans plus tard. L’article est rédigé en partie par F. Barré-Sinoussi. La publication des Français côtoie celle de Gallo qui affirme quant à lui que le HTLV-3, variante de son premier HTLV, serait à l’origine de la maladie. La publication est une première étape. Chacun doit encore apporter la preuve du lien entre le virus et la maladie – ce que feront les Français quelques mois plus tard – et obtenir la validation de la communauté scientifique. Deux équipes sont donc en lice pour la découverte.

La petite histoire veut que Gallo et Montagnier décident un jour de comparer les virus trouvés dans leurs labos respectifs. Début 1984, l’équipe Montagnier envoie le virus LAV de Pasteur chez Gallo, aux États-Unis. Les deux virus sont séquencés, l’un en France l’autre outre-Atlantique, et surprise : la séquence du HTLV-3 se trouve être identique à celle du LAV. Les virus seraient les mêmes ? Ce « tour de magie » brouille les cartes. Montagnier rompt ses relations avec Gallo et l’affaire fait grand bruit. Une grande partie de la communauté scientifique soupçonne le chercheur américain d’avoir répliqué le virus de l’équipe française, rompant avec l’éthique de la profession. Largement médiatisée, la bataille juridique va durer des années avant que les Français en sortent vainqueurs. En 2008, le Nobel consacrera la paternité pasteurienne de la découverte.

« Cette histoire m’a un peu déprimée, confie F. Barré-Sinoussi. Elle jette le discrédit sur la communauté scientifique. Des patients ne veulent même plus voir leur médecin. Je me souviens d’une conférence où je suis brusquement interrompue par de jeunes gens touchés par le virus : “On ne vous croit plus, vous les scientifiques ! Vous ne pensez qu’à vous battre entre vous. Vous vous en foutez royalement de nous qui sommes en train de mourir !” » Après une nuit blanche, la scientifique se promet de ne plus jamais évoquer le sujet. Pour l’heure, début 1984, jetée dans le grand bain de l’épidémie, la jeune chercheuse prend peu à peu conscience de la tragédie qui s’annonce. La direction de Pasteur décide enfin de s’engager dans l’aventure. Une épopée où vont se mêler le partage des savoirs, la coconstruction et la pluridisciplinarité. « On a tous bossé comme des fous, en impliquant des gens qui acceptaient de nous donner du temps – des biologistes moléculaires, des immunologistes. Cette période de mise en commun des connaissances était très stimulante. Comme un puzzle, il fallait qu’on se débrouille, tous, pour en assembler les pièces. »

La Pr Barré-Sinoussi puise encore dans ses souvenirs. « On se répartit un travail devenu lourd, qui nécessite ses compétences diverses. Je produis des virus en quantité pour le développement des premiers tests diagnostic Elisa que les virologues connaissent bien, ce qui n’était pas mon cas. Je mets à contribution des jeunes chercheurs de Pasteur, comme Bruno Spire, qui s’investira plus tard dans la communauté VIH/sida. »

Tout ça résonne avec les valeurs pasteuriennes d’ouverture et de solidarité. Travailler le plus possible en réseau est encore un message pour les générations suivantes : « Cet état d’esprit est palpable jusque dans le quotidien du labo : il n’y a pas de place réservée, chacun s’arrange de façon spontanée pour intégrer et respecter le travail des autres », commente un chercheur issu de son équipe. Les médias relaient les avancées des recherches de Pasteur. Des malades, venus parfois de loin, viennent frapper à sa porte : « Certains arrivent avec leurs valises et sans le sou ; tout a été dépensé dans leur voyage. Ils me posent plein de questions sur le virus. Ils ne cherchent pas à rencontrer des médecins, ils ont le leur. Pour eux, nous sommes un espoir de vie ».

Une épée de Damoclès au-dessus de la tête, ils ont surtout besoin de parler. Leur moyenne d’âge est de 30 ans, le même âge ou presque, que celui de la jeune femme. La plupart ne se confient pas de peur d’être rejetés par leur famille. Françoise Barré-Sinoussi ajoute, après une pause. « C’était vraiment dur. Parce que je savais très bien que dans leur état, ils n’auraient pas le temps d’être traités et qu’ils allaient mourir. J’ai su plus tard que nos échanges leur faisaient du bien. Mais parfois c’était hyper dur, je me demandais s’ils n’allaient pas se jeter sous une voiture en sortant ». Bouleversée, elle essaie de trouver à ses visiteurs des raisons de continuer de vivre, de rejoindre une association ou un groupe de discussion.

Son empathie la rend de plus en plus anxieuse. « Quand mon mari et moi dînions au restaurant, j’observais les visages autour de nous, presque sûre de repérer les malades atteints du VIH. Mon mari ne me croyait pas. Il me disait que ce n’était plus possible, qu’il fallait que je déconnecte. » Mais comment faire ? « Pour moi ça devient très compliqué. Je me retrouve coincée entre le constat du chercheur – il va falloir des années pour développer quelque chose – et un profond sentiment d’urgence – si on ne développe rien, ils vont mourir. » Ce sentiment d’impuissance va l’accompagner pendant une décennie, jusqu’en 1996, année de l’arrivée des ARV, les antirétroviraux. Ce sera le temps de la décompression et, sans surprise, d’une dépression qui va durer deux ans.

Pour l’heure, le travail au labo est intense. Le soir, elle se rend aux réunions de l’association AIDES fondée par Daniel Defert, sociologue, dont le compagnon, Michel Foucault, vient de mourir du sida. L’atmosphère est anxiogène : l’épidémie se développe à grande vitesse. Des discussions s’engagent avec les patients-bénévoles et elle écoute avec stupéfaction le récit des discriminations dont ils font l’objet, y compris dans l’institution hospitalière. Bien que le mode de transmission du virus soit connu, ils sont souvent ostracisés. À l’hôpital, il n’est pas rare que les repas soient déposés à l’entrée des chambres, dans des assiettes en carton. Des malades meurent dans une solitude totale.

Daniel Defert conceptualise le principe d’une « place au centre » pour le malade. Le point de vue de celui qui expérimente la maladie est sans cesse mis en avant comme un enjeu majeur : respect, information, soutien. Dans l’écosystème VIH/sida, on apprend à traverser les frontières. Des chercheurs investissent le champ associatif, et les associations de patients s’informent sur la recherche, se professionnalisent. Pour F. Barré-Sinoussi, c’est une évidence : la dimension humaine était le chaînon manquant de sa profession. « Plus le temps passait, plus je me sentais concernée. Pour moi, la relation s’établissait naturellement avec les malades et cette idée du patient au centre allait de soi. C’est très stimulant de travailler pour et en même temps avec… » Entre le corps médical et le milieu associatif, c’est plus compliqué, comme le confirme Christophe Martet, président d’Act Up de 1994 à 1996. « Les premiers temps c’était choquant : les médecins ne parlaient pas et certains nous jugeaient. La population qui arrivait à l’hôpital avec ces symptômes était éduquée, elle ne voulait pas jouer les cobayes. Ça a contribué à notre colère et notre frénésie de collecte d’informations. Au début des années 1990, à Act Up, on en savait plus que les médecins ».

Derrière la bannière d’AIDES, Arcat ou Act Up, les malades et leurs représentants se retrouvent aux avant-postes de la lutte contre le VIH. Les die-in d’Act Up sont impressionnants : les militants manifestent, étendus à terre comme des cadavres. Ils mènent un combat parfois violent pour interpeller la classe politique et dénoncer l’inertie des labos. F. Barré-Sinoussi est catégorique : « Nous les chercheurs, seuls, ne serions jamais arrivés à ce que les militants ont obtenu : faire baisser le coût des médicaments dans les pays pauvres, permettre la production de génériques. Leur combat face aux labos était légitime ! Heureusement que les associations étaient là. D’ailleurs aujourd’hui, il faut qu’elles se remobilisent. »

Le choc ultime sera son voyage en Afrique subsaharienne. En 1985, elle remplace Luc Montagnier à une réunion de l’OMS sur le sida à Bangui, en République centrafricaine. C’est la première fois qu’elle met les pieds sur le continent. Avec quelques collaborateurs et des pionniers de la communauté internationale VIH, comme Jonathan Mann et Peter Piot, elle visite des hôpitaux et en sort horrifiée. Pas d’hygiène, des pharmacies vides, des instruments rouillés dans les salles d’opération, pas de soins, pas de matériel. C’est le résultat d’années de déni du VIH, le virus tabou. Personne n’osait en parler de peur de se voir accusé d’être homosexuel, prostituée ou drogué. La réaction de la jeune femme est immédiate. Et ce n’est plus la scientifique qui parle. « Très vite, je me dis qu’il est hors de question de venir ici pour prélever des échantillons, les rapporter en France et publier. L’urgence est absolue. Nous allons construire des partenariats et de la collaboration entre les pays. » Elle met en place des formations pour l’apprentissage du diagnostic et l’isolement du virus à l’Institut Pasteur de Bangui. Les guerres civiles n’empêcheront pas son réseau de travailler. Puis ce sera au tour de l’Asie du sud-est.

Dans son sillage, nombreux sont ceux qui ont concrétisé l’idée de rapprocher, relier, construire ensemble : Jean-François Delfraissy à la direction de l’ANRS ou Bruno Spire, passeur entre les sciences dures et les sciences humaines. Ils partagent les combats de la pasteurienne face à la précarité et aux inégalités sociales exacerbées par le VIH. Tous sont témoins de son engagement humain et de son intuition du collectif. 

Le HPA-23, premier antirétroviral sorti du labo de Chermann est aussi un premier espoir pour les patients, vite déçu par manque d’efficacité. Il attirera à Paris beaucoup d’Américains – dont des stars comme Rock Hudson – venus pour bénéficier du traitement. Deux ans plus tard, en 1986, les résultats de l’AZT (commercialisé sous le nom de Retrovir) en monothérapie sortent aux États-Unis. Seul traitement proposé, le médicament a des effets secondaires sévères et induit des formes virales résistantes. C’est le début d’une décennie noire. En 1996, le sida a déjà tué plus de 30 000 personnes en France. Mais ce sera l’année charnière, l’année de la victoire avec l’arrivée des trithérapies : une combinaison de médicaments antirétroviraux qui permet une rémission, rendant la charge virale du patient indétectable. Les mères séropositives ne risquent plus la transmission à leur enfant. Enfin, on peut vivre avec le VIH.

D’un côté, le bilan du travail de la communauté VIH/sida est très positif. De l’autre, tout n’est pas résolu. Sur 10 personnes décédées du sida dans le monde, 7 sont africaines. En France, 170 000 personnes porteuses du virus gardent une espérance de vie normale ; pris correctement, le traitement élimine tout risque de transmission. La contamination passe donc par ceux qui ignorent être infectés ; plus de 5 000 personnes en France découvrent chaque année leur séropositivité. L’information demeure un enjeu majeur. Le danger est à la fois l’omerta sur la maladie, qui perdure dans certains pays et milieux sociaux, et la désinformation chez les jeunes, victimes d’idées fausses ou préconçues.

Aujourd’hui retraitée de l’Institut Pasteur, la Pr Barré-Sinoussi est toujours à la présidence de Sidaction, finançant à la fois la recherche et le milieu associatif. Pour la scientifique humaniste de 76 ans, ce n’est pas le moment de baisser les bras : « Il faut poursuivre le travail sur un vaccin tant thérapeutique que préventif. La recherche souffre d’une terrible méconnaissance en immunologie fondamentale, mais la génétique est une nouvelle orientation prometteuse. » Bref, elle continue à faire sien le mot qui l’a accompagnée pendant toute sa carrière, et qui la fait encore vibrer : Action !  

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Il y a quarante ans, la découverte du VIH, le virus du sida, a fait basculer sa vie. Récit du parcours d’une scientifique engagée, Françoise Barré-Sinoussi, et de sa philosophie contagieuse du « construire ensemble ».   6 octobre 2008. Son mobile sonne avec insistance et, bien qu’elle soit en réunion de travail au Cambodge, elle répond : « On vient de vous décerner le prix Nobel de médecine, vous êtes colauréate avec le professeur Montagnier ! » lui dit la voix enthousiaste d’un journaliste. Françoise Barré-Sinoussi pense à un canular et met fin à l’appel. Mais son mobile se remet à sonner et les participants à la réunion finissent de la convaincre. Sa surprise est totale. Quinze ans plus tard, dans son petit bureau de l’Institut Pasteur, la scientifique ravive ses souvenirs : « Mon mari, décédé en février de la même année, avait raison : contrairement à moi, il me pensait nobélisable. » Distinguée, elle se défend aussitôt. « Mon premier réflexe a été de me dire : ce n’est pas mon Nobel, c’est celui de toute la communauté VIH/sida. » En route pour Stockholm. Dans sa valise, une robe signée Saint Laurent et des chaussures aux talons vertigineusement hauts pour son style pragmatique. Elle descend les marches au bras du roi de Suède avec une seule idée en tête : ne pas trébucher. En contrebas, dans la foule des invités, il y a la dizaine de collaborateurs qu’elle a embarqués avec elle pour partager les honneurs. La semaine des festivités se déroule comme dans un rêve, un quart de siècle après sa…

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