Naissance d'un best-seller

Thomas Römer : Aux sources de la Bible

Propos recueillis par William Emmanuel et Michel Palmieri

Objet d’étude inépuisable, la Bible est au centre des recherches de Thomas Römer. Le professeur du Collège de France revient sur l’histoire de ce récit millénaire, modelé au fil des générations et des évolutions politiques et religieuses.

 

Docteur en théologie, spécialisé en philologie biblique, Thomas Römer a eu une longue carrière dans l’enseignement et la recherche avant de devenir, en 2007, professeur au Collège de France, titulaire de la chaire Milieux bibliques. Il est l’auteur de plus de 350 publications, dont L’Invention de Dieu (éd. Seuil) et Aux origines de la Torah : nouvelles rencontres, nouvelles perspectives (en collaboration avec Israël Finkelstein, éd. Bayard). Ses travaux portent sur la naissance de la Bible et il se livre à une analyse philologique et littéraire des textes, en dialogue avec l’histoire et l’archéologie du Proche-Orient ancien. Ce qui permet de se pencher sur la fonction des textes dans leurs milieux d’origine.

 

De nouveaux éléments sont-ils apparus récemment sur l’origine des textes bibliques ?

Une avancée importante pour la recherche remonte à plus de soixante-dix ans, lorsqu’on a mis au jour, à Qumran, en Cisjordanie, les manuscrits de la mer Morte, des documents des iiie, iie et ier siècles avant notre ère. Avant cette découverte, l’étude des textes bibliques ne reposait que sur des écrits datant du Moyen Âge. On pouvait donc imaginer que la Bible avait commencé à être rédigée à une époque plus récente.

En dehors du livre d’Esther, on y a trouvé des fragments de manuscrits de tous les livres de l’Ancien Testament, de la Bible hébraïque. Entre les Anciens Testaments des catholiques, des protestants, des orthodoxes et la Bible juive, l’organisation est différente. La Bible chrétienne s’est constituée à partir de la Septante, c’est-à-dire une traduction grecque réalisée progressivement à partir du iiie ou iie siècle avant l’ère chrétienne et jusqu’aux ier et iie siècles de notre ère. Ce n’est pas seulement une traduction en grec de la Bible juive, le Tanakh, écrit essentiellement en hébreu, avec quelques passages en araméen et qui contient trois parties – la Torah, les Prophètes, les Écrits. La Septante intègre d’autres livres.

 

Pourquoi a-t-on continué à écrire en hébreu alors qu’au moment où ces textes sont devenus canoniques, on parlait araméen ?

L’hébreu avait acquis le statut de langue sacrée. Très vite, on s’est rendu compte que les gens ne comprenaient pas bien et est apparu le targoum. C’est une traduction libre de l’hébreu en araméen. Par exemple, dans une synagogue, quelqu’un lisait un texte en hébreu et un autre résumait, traduisait, ajoutait des commentaires. Plus tard, ces commentaires ont été mis par écrit.

 

Comment revenir au texte original ?

Un travail philologique est nécessaire. Ainsi, pour le Deutéronome – cinquième livre de la Torah – il existe nombre de variations. Érasme et les humanistes de Rotterdam ont très tôt voulu revenir au texte hébreu, à partir des manuscrits du Moyen Âge dont ils disposaient. Compte tenu des différences constatées, un travail critique était nécessaire, comme aujourd’hui avec les manuscrits de Qumran. Ou comme celui que mon collègue François Déroche fait avec le Coran – ce qui déplaît à beaucoup, évidemment. Moi-même, j’ai esquissé une discussion avec un chauffeur de taxi, scandalisé qu’on questionne la parole divine. J’ai commencé par arguer qu’il fallait bien tenter d’expliquer les différences entre les versions avant de comprendre qu’il valait mieux renoncer si je voulais arriver à destination.

 

Les auteurs des manuscrits de Qumran ont-ils été identifiés ?

Non, contrairement aux vestiges de la civilisation mésopotamienne, les écrits bibliques sont tous anonymes. Les traditions juive ou chrétienne désignent Moïse comme auteur du Pentateuque, mais, s’il a vraiment existé, il n’était pas l’auteur des cinq livres de la Torah.

 

Il est peu probable en effet qu’il ait pu raconter sa propre mort…

Pas plus qu’il n’était là lors de la création du monde. Au-delà des hypothèses, une certitude est que les rouleaux découverts à Qumran ont été écrits et modifiés à plusieurs époques par des copistes différents. Détecter les révisions et corruptions successives pour tenter de retrouver le texte original est un travail d’enquête qui requiert une longue patience. Pour un amateur de romans policiers comme moi, c’est passionnant !  

 

Sait-on au moins où ces textes ont été écrits ?

On évoque souvent Babylone, un centre intellectuel très important jusqu’à l’arrivée de l’islam. Le Talmud, ce recueil des discussions, interprétations et enseignements des rabbins à partir du iie siècle avant notre ère, en offre une illustration. Le Talmud de Babylone est de fait plus important que le Talmud de Jérusalem. On peut donc spéculer que c’est à Babylone qu’ont été écrits certains textes bibliques. D’une certaine manière, la Bible le suggère puisqu’on y raconte comment Esdras, prêtre et scribe, a été envoyé par le roi perse de Babylone pour introduire la Torah à Jérusalem.

 

Pourquoi la Torah a-t-elle été traduite en grec ?

À partir du ive ou iiie siècle, la diaspora juive d’Égypte était hellénophone. C’est une spécificité du judaïsme de s’être constitué comme une religion de diaspora, contrairement au christianisme ou à l’islam qui, très vite, sont devenus des religions légitimées par un empereur ou un sultan. Un poète juif allemand, Heinrich Heine, a dit que la Torah, c’était « la patrie portative ». Même aujourd’hui en Israël, le judaïsme n’est officiellement pas une religion d’État, on l’oublie souvent.

 

Justement, quand le mot Israël apparaît-il ?

La première occurrence du nom Israël apparaît vers la fin du xiiie siècle avant l’ère chrétienne, sur une stèle de victoire d’un pharaon égyptien qui se vante d’avoir mis fin à Israël lors d’une campagne à travers le Levant qui lui a permis de soumettre nombre de peuples dans le noble but d’établir la paix. Preuve que rien ne change : selon l’idéologie des envahisseurs, pour parvenir à la paix, il faut faire la guerre !

 

Où se situe alors ce pays ?

Ce n’est pas encore un pays, c’est un groupe humain, localisé en Samarie, dans le nord de l’actuel État juif, qui va s’autodésigner Israël, un nom théophore qui signifie « Que El (la principale divinité cananéenne) l’emporte » ou « Que El règne ». Bien plus tard, au viiie siècle avant Jésus-Christ, le roi de Moab, la Jordanie actuelle, se vantera lui aussi d’avoir mis fin à la domination du royaume d’Israël.

 

Géographiquement, ses frontières sont peu ou prou celle de l’Israël d’aujourd’hui ?

Vers les xe-ixe siècles av. J.-C., « Israël » se scindera en deux minuscules royaumes qui entretiendront une relation complexe, même s’il semble qu’ils vénèrent la même divinité, qui n’est pas encore Yahvé. Le royaume d’Israël (qui a existé du xe siècle jusqu’à 722 avant notre ère) comporte la partie nord de l’Israël actuel, en gros, des sources du Jourdain jusqu’à Tel-Aviv. Jérusalem n’en fait pas partie, c’est la capitale du petit royaume de Juda. En 722, les choses changent avec l’arrivée des Assyriens qui, à partir du viiie siècle, contrôlent tout le Levant. Ils rasent Samarie, et déportent – déjà ! – la population vers d’autres pays qu’ils contrôlent. Les réfugiés du Nord participeront au développement de Jérusalem dont le roi Josias fera le lieu du sanctuaire unique – on appelle souvent ça la centralisation du culte. En mettant fin à la multitude de sanctuaires, Josias porte un coup à l’indépendance des campagnes, cela facilite le contrôle du clergé local mais aussi la collecte des impôts. Vingt-et-un ans après la destruction de Samarie, un événement va conforter le choix de Josias : venus faire le siège de Jérusalem en 701, les Assyriens se retirent brutalement. Certains historiens diront qu’ils n’avaient jamais eu l’intention de prendre la ville, ou encore qu’ils avaient d’autres soucis avec les Babyloniens mais, sur le moment, Josias et les auteurs bibliques interprètent très différemment cette volte-face : c’est l’intervention de Yahvé qui a permis de repousser les Assyriens, preuve que Jérusalem est bien Sa ville. Josias rassemble un certain nombre de rouleaux dans une bibliothèque royale, des textes de loi réaffirmant que la ville est un lieu unique, mais aussi des récits héroïques, comme celui qui présente Jacob comme le petit-fils d’Abraham alors qu’ils n’ont aucun lien généalogique. Dans un sens très, très large, c’est un peu le début du sionisme (Sion étant le nom de la montagne du temple).

 

Si c’est bien Josias qui a fait rédiger les premiers textes, peut-on imaginer qu’il essaie de se doter d’une lignée prestigieuse qui remonte jusqu’au premier homme ?

Il y a évidemment l’idée de légitimer son règne. Rédiger des textes, ériger une bibliothèque, participe aussi sans doute du désir, ordinaire chez les monarques, de laisser une trace. Les livres des Rois parlent de Josias en termes très élogieux mais, surtout, le Deutéronome reprend les traités de vassalité assyriens qui insistent sur l’importance de la loyauté au roi d’Assyrie. Les auteurs du Deutéronome remplacent cette demande de loyauté envers le roi par une exigence identique vis-à-vis de Yahvé, le dieu d’Israël…

 

Dans les textes égyptiens, on ne trouve aucune mention d’épisodes contés dans la Bible hébraïque, l’exode notamment. S’agit-il de légendes inventées ou les scribes ont-ils puisé dans les récits locaux ?

Je crois qu’aucune légende n’est totalement inventée. Lorsque vous forgez une légende, il faut des points d’accroche où les gens peuvent se retrouver. Bien sûr, cette migration d’un peuple qui, en une seule nuit, traverse la mer à pied, ce ne peut être qu’allégorique. La mer qui s’ouvre, ça renvoie à la création du monde : au commencement, il n’y a que de l’eau, qui va se séparer pour que la vie devienne possible. Mais, sur le plan historique, il y a toujours eu des mouvements de populations entre le pays de Canaan et l’Égypte, lors de crises économiques notamment. 1 600 ans avant notre ère, le pouvoir égyptien donne déjà à ses gardes-frontière les mêmes consignes qu’aujourd’hui : laisser passer ceux qui sont bien habillés, qui ont de l’argent, et bloquer les autres. L’histoire tend à se répéter.

 

 En 587 av. J.-C., après la destruction de Jérusalem par les Babyloniens, une partie des habitants ont pourtant trouvé refuge en Égypte.

Oui, mille ans plus tard… L’épisode marque le début de la forte présence judaïque sur les bords du Nil, attestée par des documents de l’époque perse et hellénistique. Et la glorieuse histoire de Joseph, Hébreu apprécié du pharaon, peut être lue comme une sorte de légitimation de la diaspora égyptienne. Dans cette communauté, deux tendances s’affrontent : les uns prônent l’assimilation et le mariage mixte, comme Joseph qui épousa la fille d’un prêtre égyptien ; quand les autres refusent tout métissage, voire tout contact, avec les autres peuples. Ce qui n’a rien de très original. Dans toutes les religions coexistent un courant très libéral et un courant conservateur qui prône que, pour garder son identité collective, il ne faut surtout pas se mélanger.

 

D’où viennent les personnages héroïques du récit biblique ? Ont-ils réellement existé ? 

Tous, sans doute pas, certains sont probablement inventés, mais la plupart sont des figures légendaires. Le cas de David, le fondateur de la dynastie davidique qui a régné sur Juda, est intéressant. A-t-il existé ? Je le crois. L’un des arguments les plus convaincants, c’est que, en contrepoint du récit apologétique, sont mentionnés des actes moins glorieux : ses activités de mercenaire lorsqu’il se réfugie chez les Philistins où il rackette ses compatriotes ; une histoire d’adultère aussi, lorsqu’il envoie un général étranger à la guerre pour s’emparer de son épouse, Bethsabée. Aux yeux des plus suspicieux, un doute persiste sur la réalité de l’existence des trois premiers rois, Saül, David et Salomon. Pour un certain nombre des rois suivants, nous disposons aujourd’hui de documents, principalement assyriens, qui attestent leur existence. 

Pour les hauts faits qu’on leur attribue, on peut se montrer plus sceptique. Par exemple, le jugement de Salomon n’a certainement pas été prononcé par le roi Salomon. D’ailleurs, si l’on relit le chapitre III du premier livre des Rois, on s’aperçoit que le nom de Salomon n’est pas mentionné. Il est écrit que deux prostituées se présentent devant le roi pour lui raconter l’histoire que vous connaissez. Et que le roi prend cette magnifique décision. Quel roi ? Ce n’est pas dit.

 

En va-t-il de même des temples ?

Le premier temple de Jérusalem a très certainement existé mais la vraie question c’est plutôt : qui l’a construit ? Salomon ? Ne serait-ce pas plutôt David ? D’abord parce qu’il est logique et habituel qu’un roi fondateur construise un temple. Ensuite, la lecture des textes nous apprend que la liaison adultère entre David et Bethsabée a donné naissance à un premier fils que Yahvé, furieux, fait mourir. David, est-il écrit, se rend alors à la « maison de Yahvé ». Et la maison de Yahvé, c’est un temple ! Ce qui veut dire qu’il existait un temple, cananéen, à Jérusalem, que Salomon a sans doute fait rénover.

Les écrits grecs sur la construction du temple – très différents du texte hébreu – suggèrent en effet que si Salomon n’a pas posé la première pierre du temple, il l’a rénové et agrandi. Des fouilles ont été menées au cours de ces cinq dernières années – pas dans le temple même mais dans un parking au-dessous de la cité de David – qui ont permis de mettre au jour des sceaux de personnages mentionnés dans l’histoire de Josias. Il semble donc bien qu’il y avait là, préexistant, un petit temple ou au moins un sanctuaire.

 

Les dimensions du temple de Salomon mentionnées dans la Bible sont impressionnantes.

Il me semble raisonnable de penser qu’il faut les réduire un peu. Après tout, il n’y a que deux à trois mille habitants dans la Jérusalem de l’époque. Le premier temple n’était sans doute pas aussi impressionnant qu’il a été dit, mais il a bien existé. Sinon, on comprend très mal les textes parce que la destruction de Jérusalem en 587, c’est quand même un choc national, surtout après le miracle de 701 qui suggérait que la ville, ou au moins le mont du temple, était indestructible. Comment comprendre que Yahvé ait abandonné son peuple ? Était-il fâché ? Aurait-il été vaincu par les Babyloniens ? Cette dernière hypothèse a été rejetée avec insistance – trois à quatre fois dans les textes ajoutés au livre d’Isaïe, on lit que « le bras de Yahvé n’est pas trop court » – au profit de l’idée d’un châtiment divin : si Yahvé s’est détourné de son peuple, c’est parce qu’il ne se conformait pas au Deutéronome. Quand sa divine colère retombe, il organise le retour des exilés à Babylone, libérés par le roi Cyrus.

 

Reconstruit, le deuxième temple va être à nouveau détruit par les Romains. 

Oui, en l’an 70 de notre ère. C’est anecdotique mais certains historiens préfèrent parler du troisième temple, le deuxième aurait été l’œuvre d’Hérode, souverain détesté par son peuple, qui pour se faire bien voir a décidé d’agrandir et d’aménager le temple de Jérusalem. Toujours est-il que, en 70, les Romains détruisent ce temple. Le judaïsme devient alors davantage un pharisianisme qu’un sadducéanisme. Les sadducéens sont en fait les prêtres qui trouvaient leur légitimité à travers les sacrifices pratiqués au sein du temple. Plus de temple, plus de rites sacrificiels ! Les pharisiens, eux, sont dans la stricte observance de la Torah, mais au niveau du comportement, ils ne dépendent pas du temple. Le judaïsme va dès lors se développer comme une religion gérée par le texte et par les discussions rabbiniques sur le texte, qui vont donner naissance au Talmud. Officiellement, les sacrifices ne sont pas abolis, mais ils sont suspendus, parce qu’il y a quand même toujours quelques personnages illuminés qui pensent qu’il faut reconstruire le troisième temple.

 

Peut-on dire que les efforts engagés pour rédiger la Bible hébraïque marquent le début du monothéisme ?

C’est un lent processus, entamé lors du choc causé par la destruction du premier temple, en 587 avant notre ère. Les Israéliens emmenés en captivité à Babylone vont moquer la fabrication en série de statues des divinités locales, pour lesquelles les plus riches utilisent des matériaux précieux alors que le peuple peine à se nourrir. De cette critique va naître l’aniconisme, l’idée qu’on ne peut pas représenter Yahvé qui devient donc unique et invisible. Mais s’il est le seul dieu, pourquoi aurait-il un nom propre ? Le prononcer devient alors tabou ; on se contentera de dire le Seigneur, Adonaï. Mais si le seul dieu est le nôtre, comment expliquer notre spécificité, la relation particulière que nous avons avec Lui ? De cette question, va naître l’idée de peuple élu. Il a choisi un peuple parmi tous ceux de la Terre. Ce monothéisme va se développer de deux manières très différentes : un monothéisme exclusiviste – le peuple élu ne doit pas se mélanger avec tout autre – et un monothéisme très inclusif, tolérant, qui ne critique pas les autres dieux, présentés plutôt comme des représentations locales de Yahvé, et ne cherche donc pas à convertir.

 

Il y a pourtant dans la Bible hébraïque des passages très violents : « Tu iras dans le village d’à côté, passeras par le fil de l’épée, les femmes, les enfants. Parce que je suis ton Dieu, je te demande de le faire. »

C’est vrai mais on y trouve aussi un tout autre discours : dans la Genèse, il n’est jamais dit qu’il faut tuer tous les Cananéens, on trouve cette idée notamment dans le récit de conquête dans le livre de Josué. Cette divergence profonde est présente dans toutes les religions. Dans chacune, il y a un potentiel de violence et un potentiel de paix. La grande question c’est : « Que doit faire un peuple pour préserver son identité ? Jusqu’où peut-on aller dans l’intégration tout en préservant sa différence ? » Ce n’est pas parce qu’on s’intègre que tout va bien. On l’a vu en Allemagne où, avant la Shoah, le judaïsme était extraordinairement intégré. On voulait supprimer le shabbat, affirmer qu’il était tout à fait possible d’aller à la synagogue le dimanche et y reprendre des cantiques protestants. Et pourtant…

 

La connaissance de l’histoire biblique peut-elle permettre de comprendre certains événements contemporains ? 

Il faut d’abord rappeler qu’il n’y a aucun accès direct aux textes bibliques, ni au texte coranique d’ailleurs. Il est donc impossible d’affirmer « Dieu nous a dit de faire ceci ou cela. » Il y a toutes sortes de raisons de légitimer un État d’Israël, mais invoquer la Bible pour dire qu’il doit être débarrassé des Philistins, des Cananéens, donc des Palestiniens, c’est faire abstraction du contexte. Et d’autres textes affirment le contraire. Juste avant d’être assassiné, Yitzhak Rabin a dit que la Bible n’était pas un document foncier.

 

La Bible hébraïque, qui a inspiré aussi bien le Nouveau Testament que le Coran, a connu un succès extraordinaire. Qu’est-ce qui explique cette influence ?

Le texte. Les récits sont à la fois très puissants et, souvent, d’une grande beauté. Ils offrent une réflexion sur la condition humaine, interrogent notre origine, notre destinée. La spécificité de l’Ancien Testament, c’est qu’il découple le religieux du politique. Dans le judaïsme, la Loi divine est révélée non pas au roi comme c’est le cas jusqu’alors, chez le Babylonien Hammourabi par exemple, mais à Moïse et dans un no man’s land, un désert où il n’y a ni temple, ni palais.

 

Moïse n’est-il pas un roi sans couronne ?

On peut dire qu’il a des traits royaux, mais il n’a ni pays ni trône. Il a un peuple dont il est le responsable, mais il va mourir avant l’entrée à Canaan. Moïse, le premier prophète, est un intermédiaire entre Yahvé et le peuple, destinataire final des tables de la Loi. La loi n’est donc pas liée à un territoire ni à la royauté.

Créé à l’image de Dieu, l’homme acquiert des droits, une dignité indiscutable et irrévocable. La religion n’est pas seulement au service du pouvoir, elle contient les outils d’une libération du pouvoir. Dans la tradition juive, vous n’avez jamais vraiment épuisé tous les sens du texte. C’est ce qu’on appelle la lecture infinie. D’autant qu’il ne faut pas oublier qu’il a d’abord a été écrit en hébreu, sans les voyelles ! Comme le Coran. Ensuite, pour le judaïsme comme pour l’islam, des savants se sont succédés pour vocaliser et stabiliser le texte. Mais il est toujours resté, surtout dans le judaïsme, cette idée qu’on peut jouer un peu avec le texte. On peut même dire que la Bible est moins importante que l’interprétation de la Bible. D’ailleurs, dans les yeshivot, l’éducation dispensée s’appuie d’abord sur le Talmud, ce recueil de discussions entre rabbins sur les lois et leur application. Ce n’est qu’ensuite que l’on étudie le texte biblique. Dans cette tradition, le fondamentalisme, que l’on rencontre aujourd’hui parfois dans certains milieux juifs ou chrétiens, n’existe pas.  

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Objet d’étude inépuisable, la Bible est au centre des recherches de Thomas Römer. Le professeur du Collège de France revient sur l’histoire de ce récit millénaire, modelé au fil des générations et des évolutions politiques et religieuses.   Docteur en théologie, spécialisé en philologie biblique, Thomas Römer a eu une longue carrière dans l’enseignement et la recherche avant de devenir, en 2007, professeur au Collège de France, titulaire de la chaire Milieux bibliques. Il est l’auteur de plus de 350 publications, dont L’Invention de Dieu (éd. Seuil) et Aux origines de la Torah : nouvelles rencontres, nouvelles perspectives (en collaboration avec Israël Finkelstein, éd. Bayard). Ses travaux portent sur la naissance de la Bible et il se livre à une analyse philologique et littéraire des textes, en dialogue avec l’histoire et l’archéologie du Proche-Orient ancien. Ce qui permet de se pencher sur la fonction des textes dans leurs milieux d’origine.   De nouveaux éléments sont-ils apparus récemment sur l’origine des textes bibliques ? Une avancée importante pour la recherche remonte à plus de soixante-dix ans, lorsqu’on a mis au jour, à Qumran, en Cisjordanie, les manuscrits de la mer Morte, des documents des iiie, iie et ier siècles avant notre ère. Avant cette découverte, l’étude des textes bibliques ne reposait que sur des écrits datant du Moyen Âge. On pouvait donc imaginer que la Bible avait commencé à être rédigée à une époque plus récente. En dehors du livre d’Esther, on y a trouvé des fragments de manuscrits de tous les livres de l’Ancien Testament, de la Bible hébraïque.…

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