Immersion à l’hôpital d’Argenteuil

États d’urgence

Sophie Cousin

Avec 250 passages par jour en moyenne, le service des urgences d’Argenteuil est l’un des plus fréquentés de la région parisienne. La cheffe de service et son équipe gèrent la pénurie de personnel soignant et de lits d’aval avec une méthode et une détermination sans failles.

 

« C’était une journée horrible. On a eu du monde non-stop et il y a encore 18 patients sur des brancards dans le couloir. » La fatigue et la tension se lisent sur le visage des infirmières d’accueil et d’orientation (IAO), celles qui reçoivent tous les patients et évaluent en quelques minutes le degré réel d’urgence. Il est 19 h 30 au service des urgences d’Argenteuil (Val-d’Oise), en ce lundi de début octobre et c’est l’heure des transmissions entre l’équipe de jour et celle de nuit. Les infirmières tout juste arrivées souhaitent un bon repos à leurs collègues et reprennent le flambeau avec, d’emblée, un niveau de stress assez élevé. Avec 250 passages, la journée a été tellement chargée que le service est encore engorgé, alors que ce n’est que le début du coup de feu habituel, entre 19 et 21 heures. Le couloir est rempli de patients allongés sur des brancards car les box sont tous occupés. Parmi les motifs d’entrée aux urgences du jour, beaucoup d’accidents de trottinette électrique, des enfants malades, une colique néphrétique, deux pneumopathies sévères prises en charge en réanimation, notamment.

Elles ne sont que deux, mais forment une armée. Les infirmières d’accueil poussent les brancards (faute de brancardier), prennent les constantes, remplissent les dossiers d’admission, font les transmissions, calment les hommes alcoolisés, rassurent un enfant et sa maman, accompagnent une vieille dame vers son brancard, reviennent faire les entrées au box d’accueil. Elles ne s’arrêtent jamais. 

Un jeune homme très agité, les yeux injectés d’alcool, est escorté par les policiers, le visage en sang, le tshirt maculé d’auréoles rouges. Il se débat, insulte les infirmières qui tentent de s’occuper de lui. « Il a volé un téléphone portable dans la rue, mais sa victime ne s’est pas laissé faire », explique un infirmier. Installé dans un box pour dégriser, il s’endort quelque temps puis se réveille en donnant des coups de pied dans la porte. Les « gros bras » de l’équipe sont appelés en renfort. Insultes, cris, refus d’être approché, le ton et l’exaspération montent du côté de l’équipe soignante. Ses nombreuses plaies au visage nécessitent d’être suturées, mais tout geste est impossible, vu son degré d’agitation. « Tant pis pour lui, on n’a pas envie de se prendre des coups », déplore une infirmière sénior qui rappelle la police pour qu’il soit embarqué en garde à vue. Les entrées de patients en état d’ébriété avancé ou en pleine décompensation psychiatrique sont un fléau pour les urgences. Une vitre de sécurité en plexiglas a bien été installée à l’accueil et un agent de sécurité recruté depuis plusieurs années déjà. Mais cela ne suffit pas toujours à protéger le personnel. « Un homme alcoolisé a déjà explosé la vitre de sécurité avec une pierre, j’avais des débris de verre partout sur moi », raconte une agente d’accueil.
 

Une vitre a été installée à l’accueil et un agent de sécurité recruté. Mais cela ne suffit pas toujours à protéger le personnel.
 

Quelques semaines plus tôt, fin juillet, alors que le service était étonnamment calme, une infirmière surgit au poste soins (le bureau des infirmiers, au centre du service) vers 15 heures : « On a une iso [mise à l’isolement dans un box fermé], vous venez nous aider les gros bras ?! » Cinq infirmiers se dirigent vers le box, entre lassitude et tension. Dans cette pièce fermée à l’entrée des urgences psychiatriques, un homme grand et musclé se débat, donne des coups de pied et refuse de s’allonger. Ils ne sont pas trop de cinq pour le maîtriser. Une fois allongé et maintenu par des bracelets de contention, il devient fou furieux. « Qu’est-ce que j’ai fait pour être attaché ? Je vais appeler la police ! », vocifère-t-il. Et quand l’infirmière lui tend un verre d’eau et un comprimé : « Arrête de te foutre de ma gueule ! » Au bout de dix minutes, le sédatif fait son effet et il se calme un peu. « C’est un psychotique chronique en rupture de traitement et en plein délire de persécution. On ne sait pas depuis quand il ne prend plus ses médicaments. Il va être hospitalisé en psychiatrie », explique la psychiatre.

Loin de concerner seulement Argenteuil, l’insécurité aux urgences n’est pas une nouveauté. En mars 2019, suite à des agressions répétées, les urgences de l’hôpital Saint-Antoine, à Paris, entraient en grève illimitée. Une « crise des urgences » alors imputée à ces incivilités par Agnès Buzyn, à l’époque ministre de la Santé, qui déclarait sur Public Sénat : « C’est une grève qui a lieu dans quelques hôpitaux qui est en fait liée à des problèmes de sécurité. […] Beaucoup de patients sont parfois agressifs, ne supportent pas d’attendre. Or l’attente résulte de la gravité de l’état des patients qui précèdent, elle n’est évidemment pas liée à une volonté d’embêter les usagers. »

Selon le rapport 2022 de l’Observatoire national des violences en milieu de santé (ONVS), les urgences sont le troisième type de service le plus concerné, après la psychiatrie et les EHPAD. En 2021, 12,2 % des signalements provenaient des services d’urgence, soit 2 276 signalements d’atteintes envers les personnels y travaillant. Signe particulièrement inquiétant : le type de violences enregistré est classé au niveau 3 sur une échelle de gravité graduée de 1 à 4 ; les violences physiques et menaces avec arme représentent 47 % de ces agressions, les insultes et injures 32 %. Depuis 2005, pour tenter de limiter ces agressions, les services d’urgence sont surveillés par les forces de l’ordre, et un système d’alerte privilégié relie l’hôpital au commissariat. Par ailleurs, une procédure de dépôt de plainte simplifiée a été instaurée pour les personnels hospitaliers victimes de violences.

Mais ces mesures préventives n’ont pas d’effet sur l’un des déclencheurs de ces incivilités : le temps d’attente. La sociologue Déborah Ridel – qui a passé plusieurs mois en observation dans un service d’urgence d’un centre hospitalier du nord de la France entre juin 2016 et janvier 2018 – conclut que l’attente aux urgences est la principale cause de la violence aux urgences. « La fermeture des portes aux familles des patients, la plaque de plexiglas installée à la borne d’accueil ou la présence d’un vigile à l’entrée n’ont pas protégé les soignants puisque la violence ne diminue pas. En somme, qu’elles soient exogènes ou endogènes, les violences aux urgences sont les symptômes d’une crise de l’institution hospitalière qui s’inscrit dans la durée », écrit-elle dans un article paru en 2021 dans la revue Anthropologie et Santé.

Comment les urgences en sont-elles arrivées à une telle submersion et de tels temps d’attente ? À Argenteuil, 250 passages en ce lundi, c’est « un lundi normal », selon la Dr Catherine Le Gall, cheffe d’un service qui en enregistre chaque année environ 110 000, sur un bassin de vie de près de 300 000 habitants. Un chiffre très supérieur à la moyenne observée en Île-de-France, où seule la moitié des services d’urgence accueille plus de 40 000 patients par an. Partout en France, le nombre de consultations aux urgences croît à un rythme soutenu, « en hausse quasi-constante depuis 1996. On comptait alors 10,1 millions de passages au plan national, contre 21,2 millions en 2019, soit une augmentation moyenne de 3,3 % par an », soulignait un rapport sénatorial de mars 2022.

Et encore, les urgences d’Argenteuil peuvent s’enorgueillir d’un délai de prise en charge médical – après triage infirmier – d’une heure vingt en moyenne pour une durée totale de trois heures cinq, en moyenne toujours, pour les cas les moins graves. À titre de comparaison, le temps médian de passage était de trois heures vingt-six dans les services d’urgence publics de la région Île-de-France en 2021, selon le rapport 2022 de l’Observatoire régional des soins non programmés. Mais ces médianes cachent des disparités insupportables, en période épidémique notamment. « J’ai des amis qui travaillent aux urgences de Versailles. Là-bas, le temps de passage atteint souvent huit heures ! Lorsque je serai docteur junior, je voudrais revenir travailler à Argenteuil car je trouve le service bien organisé », témoigne Zaccharia, interne.

Ces dernières années, le profil des patients admis aux urgences a changé. L’engagement des médecins aussi. « La vraie question est : comment les services publics s’adaptent-ils à ce monde en pleine mutation ? On ne reçoit plus du tout les mêmes malades qu’il y a vingt-cinq ans aux urgences. Comme ils ne trouvent plus de réponses suffisantes en médecine de ville, ils se précipitent ici. Tant qu’on ne régulera pas l’installation des médecins, les difficultés des urgences ne pourront être résolues. Tous les politiques renoncent à faire cette régulation, les uns après les autres. Par ailleurs, il faut que tout médecin inscrit à l’Ordre reprenne sa part dans la permanence des soins, que ce soit en ville ou à l’hôpital », analyse la Dr Le Gall. Depuis 2002, date de la suppression de l’obligation pour les médecins généralistes de participer à la permanence des soins, leur participation volontaire est en chute libre. Et la bobologie ne cesse de déferler sur les urgences. Un exemple emblématique en ce lundi soir à Argenteuil : une mère pousse son garçon de 8 ans en avant dans le box d’accueil. « C’est très grave, vous voyez l’écharde ? Elle a fait un trou dans la veine », explique-t-elle à l’infirmière. Pourtant, cette dernière, malgré toute sa bonne volonté, n’arrive même pas à voir la soi-disant indésirable… L’infirmière explique gentiment à la maman que c’est sans gravité et l’adresse vers la maison médicale située sur le parking, à l’extérieur des urgences. Au poste médecins, Farida, 38 ans, médecin urgentiste, donne le même éclairage. « Aujourd’hui, en douze heures de travail, combien de vraies urgences ai-je prises en charge ? J’ai eu deux patients en réanimation seulement, alors que c’est notre cœur de métier. Je n’exerce pas le métier pour lequel j’ai été formée », déplore-t-elle. À la place, un flux ininterrompu de patients loin d’être en situation d’urgence vitale… « Nous devons gérer tellement de patients en même temps que nous avons à peine le temps de faire quelques pauses sur nos vingt-quatre heures de garde. Aujourd’hui, nous avons pris une pause déjeuner de quinze minutes à 16 heures », témoigne-t-elle.

Leur vocation initiale, prendre en charge les urgences vraiment urgentes, n’est-elle donc plus qu’un lointain souvenir ? Jusqu’aux années 1960, les services d’urgence en tant que tels n’existent pas. Il s’agit de « lits portes » accolés aux services de chirurgie, où les médecins prennent en charge les patients qui se présentent spontanément à l’hôpital pour un problème urgent. Le premier SAMU (pour Service d’aide médicale urgente) voit le jour en 1968, une création liée à l’augmentation massive de l’usage de la voiture et des accidents de la route. Deux lois majeures organisent l’accueil et l’admission aux urgences en 1970 et 1975. En 1995 sont créés les services d’accueil et de traitement des urgences (SAU) tels que nous les connaissons aujourd’hui. Mais progressivement, en raison des difficultés croissantes à consulter en médecine de ville et face à une pénurie de médecins traitants – un Français sur dix se retrouve aujourd’hui sans, selon l’Assurance maladie –, les urgences font face à de nombreuses demandes de consultations relevant en fait de la médecine générale. La preuve : seuls 20 % des passages aux urgences donnent lieu à une hospitalisation.

Au centre hospitalier d’Argenteuil, pour limiter le flux de patients et l’attente, les patients dits « non urgents et ambulatoires » (c’est-à-dire capables de se déplacer et sans problème de santé aigu) sont redirigés après triage à l’accueil des urgences vers la maison médicale de garde (soir et week-end) ou au centre de consultations non programmées (journée et première partie de nuit), un préfabriqué ouvert en octobre 2022 sur le parking de l’hôpital. « Nous avions tellement de malades sur le territoire que nous avons ouvert un centre de soins non programmés public. Je fais tourner ce centre avec des médecins de mon service car aucun médecin libéral du territoire ne veut y travailler… Cela nous a permis de remettre ce qui est urgent dans les urgences et ce qui ne l’est pas en dehors. Le tri des patients est effectué à l’accueil des urgences par les IAO : la moitié des patients y sont envoyés. Le résultat est une nette diminution de la pression à l’intérieur des urgences avec une salle d’attente moins remplie, des patients qui s’énervent moins et des personnels soignants un peu moins sous l’eau », expose la Dr Le Gall. 

Une autre cause majeure de l’engorgement des urgences et de la dégradation des conditions de travail est le vieillissement de la population. Nombreuses sont les personnes âgées qui « atterrissent » aux urgences suite à une chute ou à l’aggravation brutale d’une pathologie chronique. Ce paramètre démographique, pourtant bien connu, pèse très lourd dans la désorganisation des services et n’a pas été suffisamment anticipé, selon les professionnels des urgences. 

À Argenteuil, Catherine Le Gall a pris cette question à bras le corps. En 2018, après avoir bataillé ferme avec la direction de l’hôpital et les autres chefs de service, elle a obtenu la gestion d’une unité de 24 lits d’aval, l’UMEDO (Unité de médecine et d’orientation). « Aux urgences, nous recevons énormément de personnes âgées polypathologiques qui ne peuvent plus rester seules à leur domicile. Ces patients, aucun médecin ne veut les hospitaliser dans son service car ils risquent d’occuper des lits pendant longtemps. J’ai dit à ma direction : nous, on sait quoi faire de ces patients, donnez-nous des lits d’aval ! » Résultat : ces personnes âgées de 80 ans en moyenne, nécessitant une orientation complexe mais pas de soins médicaux lourds, sont aiguillées vers des solutions plus pérennes. « Typiquement, ce sont des patients en perte d’autonomie suite à une chute ou à des séquelles d’AVC. Les deux assistants sociaux du service font un gros travail de liaison avec les familles – qui habitent souvent en province – et cherchent les meilleures solutions. Tous les jours, nous arrivons ainsi à libérer 12 à 14 lits parce que les patients âgés regagnent leur domicile ou partent dans un service de Soins de suite (SSR) ou un EHPAD », explique la Dr Le Gall. Cette unité tourne avec 2 médecins, 3 infirmières et 4 aides-soignantes. Pour l’heure, elle est unique en son genre.

Pour la Dr Le Gall, comme pour tous les chefs de service d’urgence actuellement, le principal défi pour faire tourner son service est de recruter des médecins et des internes, et surtout… de les garder. Actuellement, le service compte 16 médecins séniors (pour un effectif cible de 23 à 25 médecins), 10 internes et 5 stagiaires associés. « Aujourd’hui par exemple, je suis seule médecin pour 28 lits, c’est beaucoup ! En temps normal, nous sommes deux mais j’ai trente ans d’expérience et je vais prendre mon temps. Je n’envisage pas de partir à 18 h 30 pile ! Pour que le service tourne bien, je travaille entre soixante-dix et quatre-vingt-dix heures par semaine. On me dit souvent que je travaille trop mais moi j’aime être avec les patients, c’est ma vie, et ça ne m’a pas empêchée d’avoir une vie privée à côté », raconte la cheffe de service.

Le manque d’attractivité de certains territoires – ruraux, mais aussi, de plus en plus souvent, urbains – est à l’origine de l’augmentation des zones sous-dotées médicalement. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, 62 % de la population francilienne vit dans un désert médical, selon l’Agence régionale de santé. Dans ces zones défavorisées, un seul généraliste a la charge de plus de 1 500 patients, ce qui entrave l’accès aux soins. « Le Val-d’Oise n’est pas attractif. On propose depuis fin septembre aux internes qui acceptent de faire un de leurs stages en grande couronne ou Seine-Saint-Denis une nouvelle prime de 1 500 €. Ces dernières années, il y a eu beaucoup d’avancées : revalorisation des gardes, application stricte du repos compensateur, indemnités de nuit… mais ça ne suffit jamais ! On ne sait plus quoi faire… pourquoi on ne régulerait pas les postes juste cette année-là ? C’est quoi un an dans une carrière ? », lâche Dr Le Gall, lasse. 
 

“Le gros problème est la rémunération : on a tous du mal à boucler les fins de mois. Après autant d’années d’études et de responsabilités, ça ne va pas !”
 

Parmi les médecins qu’elle parvient à recruter, très rares sont ceux qui feront leur carrière complète dans son service. « Ceux qui restent à l’hôpital public le font par conviction et parce qu’ils ont une fibre sociale. Pour les jeunes médecins, le problème de l’hôpital est la rémunération. Certains voudraient gagner 8 à 10 000 € par mois en début de carrière, ce n’est pas raisonnable ! La Sécurité sociale ne peut pas payer ces rémunérations. Moi qui ai un peu de bouteille, je pense que le salaire actuel des PH [praticiens hospitaliers] est acceptable », estime la cheffe de service. En conséquence, les médecins étrangers sont très nombreux dans son service. Pour eux, le salaire est attractif au départ. « Les médecins formés en France ne veulent plus travailler à l’hôpital mais en revanche, ma boîte mail croule sous les demandes de médecins en cours de formation au Maghreb notamment. Le tableau n’est pas si sombre », témoigne-t-elle. 

Parmi ces médecins qui ont démarré leurs études à l’étranger, certains veulent rester, malgré des conditions de travail qu’ils décrivent eux aussi comme pénibles au quotidien. Comme Amine, 37 ans, praticien attaché au centre hospitalier d’Argenteuil depuis cinq ans, en attente de sa régularisation : « Ici l’organisation est efficace et j’apprécie l’esprit d’une équipe soudée. Mais nous travaillons très souvent en sous-effectif, comme dans tous les services d’urgence. Et au bout de plusieurs années passées en France, a fortiori avec une famille à charge, le gros problème est la rémunération : on a tous du mal à boucler les fins de mois, on les arrondit avec 5 à 7 gardes mensuelles en moyenne. Autant d’années d’études et de responsabilités pour ne pas avoir de confort financier à la fin, ça ne va pas ! »

Problème : après leur régularisation, certains de ces médecins à diplôme étranger quittent aussi le service… pour le privé ! « L’été dernier, j’ai perdu cinq médecins à diplôme étranger qui attendaient leur régularisation. J’avais passé du temps à mettre à niveau ceux qui en avaient besoin et à superviser leurs gardes au début. Ils ont obtenu leurs papiers et sont tous partis dans le privé pour faire de l’intérim. Ils vont alimenter la surenchère et faire un travail qui n’est pas dans la continuité des soins », déplore la Dr Le Gall.

Au niveau national, la France comptait encore près de 7 000 médecins spécialisés en médecine d’urgence avant 2015 contre seulement 4 400 à temps plein aujourd’hui, avec une explosion des temps partiels. Chiffre aussi alarmant pour l’avenir que décourageant pour ceux qui restent à l’hôpital : 25 % de postes de médecins urgentistes sont vacants sur l’ensemble des hôpitaux français. Ce constat dressé en février 2022 par un ancien médecin du SAMU donne un aperçu de l’ampleur du sous-effectif médical dans les services d’urgence. En 2021, plus de 600 services d’urgence publics ont été contraints de fermer la nuit, faute de médecins présents pour prendre les lignes de garde. Et au cours de l’été 2023, au moins 160 services d’urgence ont été contraints de fermer ponctuellement, selon une enquête de SAMU-Urgences de France.

Pour tenter de faire face, une « mission flash » sur les urgences, pilotée par le Dr François Braun, alors président de SAMU-Urgences de France et ministre de la Santé, a remis ses conclusions en juin 2022. Une liste de 41 mesures, dont un certain nombre relèvent du simple bon sens et font l’objet d’un consensus : « informer la population avec une campagne nationale et locale sur le bon usage des services d’urgence », « encourager l’activité des médecins retraités », « prolonger l’autorisation des PADHUE [praticiens à diplômes hors UE] », « favoriser le recrutement de professionnels de santé libéraux qui acceptent de participer à l’activité hospitalière en plus de leur activité libérale ». Un faible degré d’innovation et de prise de risque, donc. En revanche, la recommandation no23 a fait bondir l’Association des médecins urgentistes de France (AMUF) dont le président est le Dr Patrick Pelloux. Elle préconise de « mieux réguler les admissions en service d’urgence, soit à l’entrée du service, soit par la régulation médicale préalable par le SAMU/Service d’accès aux soins ». Loin d’être la solution, selon l’urgentiste qui s’en expliquait dans les colonnes du Quotidien du médecin, le 30 juin 2022 : « Ils ont écrit un communiqué commun pour dire : “c’est formidable, il faut casser les urgences ! Il faut réguler, fermer la nuit ! La solution est d’arrêter les choses !” Mais on n’arrête pas les urgences […]. La réalité, c’est qu’on est en train de détruire le service public. C’est gravissime. Quand une personne décédera d’un infarctus car il n’a pas réussi à joindre le SAMU ou qu’il y aura des erreurs d’orientation, il faudra réinterroger les signataires de ce communiqué qui ont appelé à la fermeture des services d’urgence. »

L’été dernier, la moitié des lits de psychiatrie (22 sur 44) ont dû être fermés à l’hôpital d’Argenteuil, en raison d’un sous-effectif en médecins et infirmiers. L’équipe redoutait ce cap difficile, mais l’été s’est passé sans catastrophe. Comme d’habitude, tous se sont se sont serrés les coudes, avec une conscience aigüe d’un accès aux soins de plus en plus fragilisé. Comme le résume Amine, « pour les patients, nous sommes la dernière lumière allumée quand tout est fermé ». 

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Avec 250 passages par jour en moyenne, le service des urgences d’Argenteuil est l’un des plus fréquentés de la région parisienne. La cheffe de service et son équipe gèrent la pénurie de personnel soignant et de lits d’aval avec une méthode et une détermination sans failles.   « C’était une journée horrible. On a eu du monde non-stop et il y a encore 18 patients sur des brancards dans le couloir. » La fatigue et la tension se lisent sur le visage des infirmières d’accueil et d’orientation (IAO), celles qui reçoivent tous les patients et évaluent en quelques minutes le degré réel d’urgence. Il est 19 h 30 au service des urgences d’Argenteuil (Val-d’Oise), en ce lundi de début octobre et c’est l’heure des transmissions entre l’équipe de jour et celle de nuit. Les infirmières tout juste arrivées souhaitent un bon repos à leurs collègues et reprennent le flambeau avec, d’emblée, un niveau de stress assez élevé. Avec 250 passages, la journée a été tellement chargée que le service est encore engorgé, alors que ce n’est que le début du coup de feu habituel, entre 19 et 21 heures. Le couloir est rempli de patients allongés sur des brancards car les box sont tous occupés. Parmi les motifs d’entrée aux urgences du jour, beaucoup d’accidents de trottinette électrique, des enfants malades, une colique néphrétique, deux pneumopathies sévères prises en charge en réanimation, notamment. Elles ne sont que deux, mais forment une armée. Les infirmières d’accueil poussent les brancards (faute de brancardier), prennent les constantes, remplissent les dossiers d’admission, font…

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