Philologie de l'avenir

Vous prendrez bien un petit monachostiche ?

Octave Lechauve

Les lecteurs d’Apollinaire connaissent sans doute le monostiche « Chantre », ce poème formé d’un seul vers que son auteur appelait son « vers solitaire ». Mais peu d’entre eux ont sans doute entendu parler du monachostiche, cette curieuse épigramme grecque antimoine, qui eut son heure de gloire dans les années 1550 à 1570 : intitulée « Contre les prêtres de l’Église romaine », datée de 1548, accompagnée d’une traduction latine et attribuée au réformateur calviniste Théodore de Bèze (1519-1605) au f. 194 du Paris, BnF, Dupuy 837, […]

Les lecteurs d’Apollinaire connaissent sans doute le monostiche « Chantre », ce poème formé d’un seul vers que son auteur appelait son « vers solitaire ». Mais peu d’entre eux ont sans doute entendu parler du monachostiche, cette curieuse épigramme grecque antimoine, qui eut son heure de gloire dans les années 1550 à 1570 : intitulée « Contre les prêtres de l’Église romaine », datée de 1548, accompagnée d’une traduction latine et attribuée au réformateur calviniste Théodore de Bèze (1519-1605) au f. 194 du Paris, BnF, Dupuy 837, elle conspue les moines catholiques du xvie siècle dans douze vers presque tous constitués de deux très longs adjectifs composés (des néologismes), tout comme dans un poème antique cité dans les Deipnosophistes d’Athénée de Naucratis (iie-iiie s.). Or ce monachostiche grécolatin, qui n’est nullement l’œuvre de Th. de Bèze, a été le héros d’une histoire fort instructive. C’est sa version latine anonyme qui, en 1556, a tout d’abord été imprimée, aux côtés d’une épigramme de Philipp Schwarzerdt [dit Melanchthon] (1497-1560), l’un des plus érudits réformateurs luthériens, sur un placard anticatholique, au--dessous d’une gravure colorée de Lucas Cranach (1472-1553) représentant les « Géants dispersés par le cri d’un âne » de la fable de Martin Luther (1483-1546). Le lecteur pouvait y découvrir 24 injures exprimées en de savants néologismes latins, telles que « marchandiseurs-de-messes, quotidiens-crucificateurs-du-Christ, adorateurs-d’idoles, déserteurs-du-saint-mariage, secrets-saillisseurs-de-putains », et l’unique mot inouï (« disputeurs-à-canons-glaives-cordes-lances-flammes ») de son neuvième vers (Bombardagladio-funhastaflammiloquentes). Or, dès l’automne 1556, cette traduction a été rééditée dans l’annuaire officiel de la (toute luthérienne) université de Wittenberg (Witebergæ, 1556, f. 168v), mais avec l’original grec (anonyme) et son non moins extraordinaire Βομβαρδοξιφεσισχοινεγχεσιπυρδιαλέκται. Assurément, les luthériens…

Pas encore abonné(e) ?

Voir nos offres

La suite est reservée aux abonné(e)s


Déjà abonné(e) ? connectez-vous !



Zeen is a next generation WordPress theme. It’s powerful, beautifully designed and comes with everything you need to engage your visitors and increase conversions.

Top Reviews