Bandar-e Anzali (province du Guilan), mars 2018. Il y a souvent plus de passerelles que de rejet entre des groupesaux codes vestimentaires opposés. Par exemple, les opposantes a` la discrimination contre les femmes se recrutent aussi bien parmi les laïques que parmi les pratiquantes. Nombreuses sont les femmes très religieuses opposées au port obligatoire du voile qui ne permet pas de distinguer celles qui le portent par choix. Enfin, la pénétration numérique dans 90 % des foyers tend à lisser les lignes d’opposition sociales et culturelles.
Après cette tragédie fondatrice que fut la guerre contre l’Irak (de 1980 à 1988), la société iranienne est devenue schizophrène. Les divisions n’ont cessé de se creuser entre l’espace public et la sphère privée, et plus largement entre les Iraniens et les Iraniennes. Certains perpétuent des traditions anciennes, comme les processions doloristes lors desquelles les croyants commémorent le martyre de leur 3e imam, Husayn, tandis que d’autres attendent la sortie de l’iPhone 5 plus que le retour du 12e imam, censé rétablir la paix et la justice sur le monde. Cette dichotomie fait écho au vers du poète persan Omar Khayyam, « la nuit n’est peut-être que la paupière du jour ».
Je suis arrivé pour la première fois en Iran en 2017, en plein mois sacré de Muharram au cours duquel des milliers de hezbollahi se retrouvent tous les soirs dans la rue dans une atmosphère de carnaval chiite. Les hezbollahi, la frange la plus conservatrice du pays, représentent environ 25 à 30 % de la population. Ils sont le véritable soutien du régime depuis 1979, tandis qu’une autre partie des Iraniens, largement majoritaire mais plus passive et moins démonstrative, est agnostique et aspire à une forme laïcisée de gouvernement.
Cependant, au cours de mes différents déplacements j’ai pu quadriller l’ensemble des provinces, apprenant progressivement à me méfier d’apparences souvent trompeuses, à résister à la tentation de segmentations binaires comme femmes en tchador = pas cool versus femmes en jean moulant = cool, pour caricaturer. L’Iran est un vaste pays, grand comme presque trois fois la France, dont la mosaïque ethnique ne permet pas de synthèse rapide et schématique : il faudrait aussi pouvoir évoquer les provinces à majorité sunnites, la variété des paysages et la chaleur de ses habitants. Nuances que les médias occidentaux, focalisés sur les aspects géopolitiques, tendent à ignorer. C’est la réalité contrastée de cette société multiple que j’ai voulu voir et montrer.
Le livre de Nicolas Boyer Iran. Portrait of an Islamic Democrazy paraîtra en 2024 aux édtions de Juillet.
Bandar-e Anzali (province du Guilan), mars 2018. Il y a souvent plus de passerelles que de rejet entre des groupesaux codes vestimentaires opposés. Par exemple, les opposantes a` la discrimination contre les femmes se recrutent aussi bien parmi les laïques que parmi les pratiquantes. Nombreuses sont les femmes très religieuses opposées au port obligatoire du voile qui ne permet pas de distinguer celles qui le portent par choix. Enfin, la pénétration numérique dans 90 % des foyers tend à lisser les lignes d’opposition sociales et culturelles.
Téhéran, août 2022. Fête d’Achoura dans le grand bazar. Les chiites commémorent le massacre de l’imam Hossein et de ses partisans par les omeyyades (sunnite) en 680. Depuis, Achoura symbolise la lutte contre l’oppression et les injustices. Les marchands conservateurs du bazar ont toujours été un soutien important du clergé comme le rappelle l’écrivain Kapuscinski : « L’union entre la mosquée et le bazar est la force la plus redoutable pour le pouvoir. […] Lorsque le bazar prononça sa sentence contre le [shah], son destin fut scellé. » Des indices suggèrent qu’il y a un ras-le-bol de la mauvaise gouvernance du régime actuel et de ses effets dans le bazar.
Kashan (province d’Ispahan), septembre 2017. À la sortie d’une école d’art dans une banlieue aisée. Du temps du shah, les pères ou époux convaincus de la corruption de la société retenaient les femmes au foyer. Actuellement, elles représentent deux tiers de certains cursus (médecine, sciences…). Malgré cela, le taux de chômage des femmes est deux fois supérieur à celui des hommes. On note toutefois un accroissement du nombre de femmes célibataires et du taux de divorce. Les diplômées préfèrent vivre seules que de subir la pression d’un modèle traditionaliste patriarcal.
Téhéran, septembre 2017. Visite scolaire presque obligatoire pour ces lycéennes : le Musée national de la révolution islamique et de la défense sacrée de Téhéran. Au premier rang, des professeurs s’endorment devant cet exposé de cartes d’état-major montrant les champs de bataille de la guerre Iran-Irak. Peu visible ici, la scénographie est impressionnante ; elle a été conçue par des équipes européennes et des décorateurs de cinéma au début des années 2010 pour présenter une « version officielle » de la guerre, par exemple à travers la reconstitution de rues ou de salles de classes bombardées lors de la prise de la ville de Khorramshahr par les Irakiens.
Téhéran, septembre 2017. Cette femme a enlevé son tchador en entrant dans cet immeuble situé près de Towhid Square. Towhid signifie « unicité divine ». Dans les années 1970, l’intellectuel Ali Shariati a tenté de rapprocher ce concept d’unicité divine de celui d’une société sans classe, islam et marxisme. Or, l’Iran est un pays très fragmenté socialement et derrière la façade d’un code vestimentaire imposé par un régime théocratique se cachent des comportements très variés, allant du plus austère au plus occidentalisé. Comme l’écrivait Shakespeare dans Comme il vous plaira : « Le monde entier est un théâtre, Et tous, hommes et femmes, n’en sont que les acteurs. Et notre vie durant nous jouons plusieurs rôles. »
Téhéran, mars 2018. « De ses doigts elle serrait fortement son foulard / À ses mollets les miens s’affairaient sans retard / Retiens fort, lui dis-je, ton voile d’un poing de fer / Pendant que par en bas je ferai mon affaire. », écrit Reza Afchar Nadéri. Dans une société parfois obsédée par la virginité prémaritale des filles, la chasteté a une puissance d’attraction particulière. Selon la théologie classique, les hommes vertueux pourront trouver au paradis leurs épouses mais aussi 72 créatures vierges, au chaste regard et néanmoins toujours disponibles. Selon les théologiens médiévaux, ces vierges retrouvent leur virginité après chaque rapport.
Ispahan, octobre 2017. « Une meilleure vie avec moins d’enfants », telle était l’idée du régime pahlavi qui déboucha sur les premières mesures pour la contraception. La République islamique a d’abord poursuivi cette phase : légalisation de la contraception en 1980 par Khomeyni, suivie en 1988 d’une campagne de contrôle des naissances. 11 % des femmes mariées avaient eu recourt dans l’année à un moyen contraceptif en 1978, 80 % en 2010. Le taux de fécondité est ainsi passé de 7 à 1,8 enfants par femme en quarante ans. Mais, en 2012, Ali Khamenei a relancé une politique nataliste. À partir de 2014, vasectomie et ligature sont réservées à des cas précis ; les plannings familiaux ont été mis à l’arrêt ; la contraception rendue compliquée et onéreuse.
...
Après cette tragédie fondatrice que fut la guerre contre l’Irak (de 1980 à 1988), la société iranienne est devenue schizophrène. Les divisions n’ont cessé de se creuser entre l’espace public et la sphère privée, et plus largement entre les Iraniens et les Iraniennes. Certains perpétuent des traditions anciennes, comme les processions doloristes lors desquelles les croyants commémorent le martyre de leur 3e imam, Husayn, tandis que d’autres attendent la sortie de l’iPhone 5 plus que le retour du 12e imam, censé rétablir la paix et la justice sur le monde. Cette dichotomie fait écho au vers du poète persan Omar Khayyam, « la nuit n’est peut-être que la paupière du jour ». Je suis arrivé pour la première fois en Iran en 2017, en plein mois sacré de Muharram au cours duquel des milliers de hezbollahi se retrouvent tous les soirs dans la rue dans une atmosphère de carnaval chiite. Les hezbollahi, la frange la plus conservatrice du pays, représentent environ 25 à 30 % de la population. Ils sont le véritable soutien du régime depuis 1979, tandis qu’une autre partie des Iraniens, largement majoritaire mais plus passive et moins démonstrative, est agnostique et aspire à une forme laïcisée de gouvernement. Cependant, au cours de mes différents déplacements j’ai pu quadriller l’ensemble des provinces, apprenant progressivement à me méfier d’apparences souvent trompeuses, à résister à la tentation de segmentations binaires comme femmes en tchador = pas cool versus femmes en jean moulant = cool, pour caricaturer. L’Iran est un vaste pays, grand comme presque trois fois la France, dont la mosaïque ethnique ne permet…
Zeen is a next generation WordPress theme. It’s powerful, beautifully designed and comes with everything you need to engage your visitors and increase conversions.
Top Reviews
Commencez à taper pour voir les résultats ou appuyez sur ESC pour fermer