Inflation, piège abscons

Bastien Drut

Les hausses de prix répondent à des logiques économiques qu’il convient de décrypter pour éviter la spirale anxiogène.

 

Inscrite aux abonnés absents pendant près d’une décennie, l’inflation a fait son grand retour dans les pays développés en 2022 et 2023 et elle est désormais omniprésente dans les médias. Chacun y est confronté, tous en parlent. Mais pas toujours facile de comprendre ce phénomène protéiforme. 

Tout le monde a en tête que l’inflation correspond à la hausse des prix. Mais on sait rarement comment elle est calculée. Les instituts de statistiques (l’Insee en France) ont créé pour cela des indices de prix à la consommation, censés refléter l’évolution des prix des biens et services consommés par les ménages. Évidemment, tous ne consomment pas de la même façon. Les instituts déterminent donc un «panier moyen» des dépenses, qui reflète la moyenne de ce que les ménages consomment.

En 2023, ce panier était composé en France de 16,2% d’alimentation, de 8,6% d’énergie, de 3,4% d’habillement, de 1,8% de tabac, etc. Et c’est le taux de variation de l’indice des prix à la consommation sur douze mois que l’on appelle inflation. Toutes les dépenses ne sont pas prises en compte et les méthodologies diffèrent selon les pays. Les mesures du phénomène inflationniste sont donc imparfaites. En outre, il existe une confusion entre inflation et prix élevés: récemment, celle-ci a baissé en Europe, ce qui veut dire que les prix augmentent moins vite mais ils restent bien plus élevés par rapport aux années pré-covid. 

On peut ensuite se demander pourquoi les prix montent. Il existe trois principales théories des causes de l’inflation: par la monnaie, par la demande et par les coûts. La première indique que l’excès de création monétaire par rapport à la production fait monter les prix. La deuxième que le fait que la demande excède trop l’offre engendre des tensions sur les prix. Enfin, la troisième que la hausse du prix d’inputs à la production (par exemple l’énergie) fait monter les prix. 

Dans la réalité, aucune de ces trois théories ne suffit pour expliquer les fluctuations de l’inflation, mais elles se complètent et sont tour à tour pertinentes en fonction du contexte. Certaines périodes historiques de hausse ou de baisse des prix peuvent s’expliquer par ces théories. Dans le cas particulier de la poussée inflationniste de 2022 et 2023, les trois jouent un rôle.

Lorsqu’elle est trop faible ou trop élevée, c’est aux banques centrales qu’il revient d’agir. Dans cette mission de maintien de la stabilité des prix, leur principal levier est le pilotage des taux directeurs. De façon schématique, elles les relèvent lorsqu’elles veulent freiner l’inflation, et elles les baissent lorsqu’elles veulent la stimuler. Elles retiennent généralement quatre ou cinq grands canaux via lesquels la politique de taux affecte l’économie. Parmi eux, celui des taux d’intérêt: les variations des taux directeurs influent directement sur les taux d’intérêt auxquels les banques commerciales prêtent et rémunèrent les dépôts, ce qui modifie les décisions d’investissement et d’épargne des entreprises et des ménages. Une baisse des taux d’intérêt est donc souvent associée à plus de consommation des ménages et d’investissement des entreprises. Au contraire, une hausse des taux est associée à moins de consommation et d’investissement.

De juillet 2022 à septembre 2023, la Banque centrale européenne (BCE) a fait passer son principal taux directeur, de -0,50% à 4%. Jamais les taux d’intérêt n’avaient été aussi élevés depuis la création de la zone euro. Cela a fait fortement ralentir l’activité dans l’immobilier par exemple. 

L’époque actuelle évoque un peu la stagflation, une phase prolongée d’inflation élevée et de croissance déprimée, voire de récession, associée à un chômage important. Cette configuration est atypique car il est peu courant que l’inflation et le chômage soient élevés en même temps. Le terme stagflation est surtout associé aux années 1970 et au début des années 1980, marquées par les chocs pétroliers de 1973 et 1979. À l’époque, la vive hausse du prix de l’essence avait fait sérieusement augmenter les prix dans les pays développés tout en pénalisant l’activité économique, avec une forte hausse du chômage. Pour les banques centrales, c’était le dilemme: fallait-il monter les taux directeurs pour juguler une inflation élevée ou les baisser pour soulager le marché du travail?

C’est notamment parce qu’elle a été provoquée par une hausse des prix de l’énergie que la poussée inflationniste de 2022-2023 a été comparée à la stagflation des années 1970. Cependant, il s’agit actuellement d’une forme édulcorée puisqu’en dépit de la morosité économique, le chômage n’a pas augmenté significativement. Que le marché du travail ait si bien tenu le choc s’explique vraisemblablement par le vieillissement de la population et les pénuries de main-d’œuvre qu’elle crée.

En outre, il faut souligner que l’évolution de l’inflation est intimement liée à de grandes questions de société: le changement climatique, la transition énergétique, la mondialisation et les questions de souveraineté économique, les évolutions démographiques, la santé publique, ou encore la digitalisation.

Prenons la mondialisation. Qu’on la voie d’un bon œil ou non, elle est omniprésente. Une grande partie des biens que nous consommons sont fabriqués soit à l’étranger, soit à partir de composants importés. Les mutations de la mondialisation ont donc des répercussion importantes sur les prix. Elle a clairement pesé sur l’inflation à la fin du XXe siècle et jusqu’à la crise du covid.

La mondialisation a souvent été pointée par les banques centrales pour expliquer la (trop) faible inflation lors des années 2010. En réalité, elle l’a rendue bien moins volatile en jouant un rôle d’absorbeur de chocs: la main-d’œuvre disponible est devenue si abondante, les capacités de production si larges que même les périodes de forte augmentation de la demande n’ont pas conduit à des hausses pour les prix et les salaires.

Depuis la crise du covid, le lien entre la mondialisation et les prix n’est plus aussi clair et les bouleversements des échanges commerciaux ont parfois mené à des hausses de prix notables. Nombre d’industries ont pâti dans la durée de pénuries de composants. Un exemple frappant, celui de l’automobile, qui a souffert du manque de semi-conducteurs et d’autres pièces. La production d’autos s’est effondrée dans de nombreux pays et les prix se sont envolés. C’est notamment ce qui a amené la présidente de la BCE, Christine Lagarde, à déclarer en mars dernier: «Il y a des signes que l’économie mondiale devienne de plus en plus une source de chocs pour l’Europe, plutôt qu’un stabilisateur contre la volatilité. […] À l’avenir, la volatilité importée devrait augmenter, pas baisser.»

Pour en revenir aux perspectives de hausse de prix, il est important de distinguer les horizons. À court terme, il est probable que l’inflation continue à baisser, à cause de la faiblesse de l’activité, provoquée par les hausses de taux directeurs, mais aussi en raison du léger reflux des prix de l’énergie. En revanche, à plus long terme, il est vraisemblable qu’elle soit plus élevée que lors de la décennie 2010, pour plusieurs raisons: persistance voire aggravation des pénuries de main-d’œuvre, atteintes à la biodiversité, raréfaction des ressources, transition énergétique, tendance à la démondialisation, etc. Bref, nous n’avons pas fini de parler d’inflation. 

 

Bastien Drut est responsable des études économiques chez CPR Asset Management et professeur associé au CNAM. Il est aussi l’auteur de plusieurs ouvrages, dont L’Inflation, c’est quoi ?, qui vient de paraître.

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Les hausses de prix répondent à des logiques économiques qu’il convient de décrypter pour éviter la spirale anxiogène.   Inscrite aux abonnés absents pendant près d’une décennie, l’inflation a fait son grand retour dans les pays développés en 2022 et 2023 et elle est désormais omniprésente dans les médias. Chacun y est confronté, tous en parlent. Mais pas toujours facile de comprendre ce phénomène protéiforme.  Tout le monde a en tête que l’inflation correspond à la hausse des prix. Mais on sait rarement comment elle est calculée. Les instituts de statistiques (l’Insee en France) ont créé pour cela des indices de prix à la consommation, censés refléter l’évolution des prix des biens et services consommés par les ménages. Évidemment, tous ne consomment pas de la même façon. Les instituts déterminent donc un «panier moyen» des dépenses, qui reflète la moyenne de ce que les ménages consomment. En 2023, ce panier était composé en France de 16,2% d’alimentation, de 8,6% d’énergie, de 3,4% d’habillement, de 1,8% de tabac, etc. Et c’est le taux de variation de l’indice des prix à la consommation sur douze mois que l’on appelle inflation. Toutes les dépenses ne sont pas prises en compte et les méthodologies diffèrent selon les pays. Les mesures du phénomène inflationniste sont donc imparfaites. En outre, il existe une confusion entre inflation et prix élevés: récemment, celle-ci a baissé en Europe, ce qui veut dire que les prix augmentent moins vite mais ils restent bien plus élevés par rapport aux années pré-covid.  On…

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