Promesses enchaînées

Jean-Vincent Bacquart

Le 4 février 1794, la République abolissait l’esclavage dans ses colonies. Huit ans plus tard, Bonaparte le réinstaurait.

 

En politique, s’il est assez aisé de proclamer des grands principes, il est parfois plus dur de les mettre en œuvre sans restriction. Alors que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose en 1789 que les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits, dans les années suivantes, des centaines de milliers d’êtres humains connaissent encore le joug de l’esclavage dans les colonies françaises. Jusque-là, malgré le militantisme des sociétés anti-esclavagistes et l’engagement de femmes et d’hommes éclairés comme Olympe de Gouges ou l’abbé Grégoire, rien n’y a fait. Non. Il faudra qu’une révolte armée éclate à Saint-Domingue pour qu’enfin, la Convention proclame, il y a 230 ans, un décret abrogeant l’esclavage dans les colonies françaises.

En 1791, il faut croire que le souffle révolutionnaire n’a pas la même intensité outre-mer qu’en métropole. À Saint-Domingue, colonie la plus prospère des Antilles, où les mulâtres se sont vu refuser par les colons le droit de vote pourtant accordé aux hommes libres, plusieurs dizaines de milliers d’esclaves prennent les armes en août. La situation est explosive, d’autant plus que les colons tentent d’obtenir l’aide des Britanniques, ennemis de la France. La patrie des droits de l’homme se doit de réagir. En théorie… Car l’Assemblée législative ne trouve pas d’autre parade que de promulguer un décret dit «égalitaire». Dorénavant, les hommes de couleur libres de l’île sont considérés comme égaux en droits. Avec l’espoir qu’ils se mobiliseront contre les esclaves. Accorder des avantages à un groupe pour le retourner contre un autre… Les politiques médiocres finissent toujours par être sanctionnées. Et la situation sur place de continuer de dégénérer.

Après la proclamation de la République en 1792, les commissaires civils Sonthonax, Polverel et Ailhaud sont dépêchés sur place pour rétablir l’ordre. Au milieu des factions irréconciliables, subissant l’opposition farouche des colons et la pression des Anglais et des Espagnols, qui veulent faire main basse sur Saint-Domingue, les envoyés de la Convention font le choix de s’allier aux esclaves insurgés. À l’été 1793, de leur propre chef, les commissaires décident d’abolir l’esclavage sur l’île, tant par opportunisme stratégique que par conviction. Dans la foulée, ils organisent l’élection de trois députés, dont l’ancien esclave Jean-Baptiste Belley. Bientôt, les témoignages édifiants de ces élus sur la condition des esclaves emportent l’adhésion de la Convention. Le 16 pluviôse an II (4 février 1794), l’Assemblée vote le décret d’abolition de l’esclavage dans les colonies. Tous les affranchis pourront obtenir la nationalité française. Alors que les oppositions resteront farouches à la Réunion et sur l’île Maurice, le décret ne touchera vraiment que Saint-Domingue, la Guadeloupe et la Guyane.

Mais hier comme aujourd’hui, toute avancée sociétale qu’un régime éclairé a mis en œuvre après d’âpres combats, un autre, moins ouvert, peut le réduire à néant d’un trait de plume. Ainsi, la loi relative à la traite des noirs et au régime des colonies est promulguée le 20 mai 1802 à l’initiative du Premier consul, Bonaparte. À l’origine, il ne s’agit «que» de maintenir l’esclavage dans des territoires pris aux Anglais (Martinique, Sainte-Lucie et Tobago). Mais les forces conservatrices sont vite tentées de rétablir l’ancienne situation en Guadeloupe et en Guyane. Les citoyens de Saint-Domingue reprennent les armes. Ils chassent les Français et proclament la création d’Haïti en 1804. Quant à la France, elle attendra 1848 pour abolir définitivement un système contraire aux droits fondamentaux. 

 

Historien et éditeur, Jean-Vincent Bacquart est doctorant à Sorbonne Université.

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Le 4 février 1794, la République abolissait l’esclavage dans ses colonies. Huit ans plus tard, Bonaparte le réinstaurait.   En politique, s’il est assez aisé de proclamer des grands principes, il est parfois plus dur de les mettre en œuvre sans restriction. Alors que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose en 1789 que les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits, dans les années suivantes, des centaines de milliers d’êtres humains connaissent encore le joug de l’esclavage dans les colonies françaises. Jusque-là, malgré le militantisme des sociétés anti-esclavagistes et l’engagement de femmes et d’hommes éclairés comme Olympe de Gouges ou l’abbé Grégoire, rien n’y a fait. Non. Il faudra qu’une révolte armée éclate à Saint-Domingue pour qu’enfin, la Convention proclame, il y a 230 ans, un décret abrogeant l’esclavage dans les colonies françaises. En 1791, il faut croire que le souffle révolutionnaire n’a pas la même intensité outre-mer qu’en métropole. À Saint-Domingue, colonie la plus prospère des Antilles, où les mulâtres se sont vu refuser par les colons le droit de vote pourtant accordé aux hommes libres, plusieurs dizaines de milliers d’esclaves prennent les armes en août. La situation est explosive, d’autant plus que les colons tentent d’obtenir l’aide des Britanniques, ennemis de la France. La patrie des droits de l’homme se doit de réagir. En théorie… Car l’Assemblée législative ne trouve pas d’autre parade que de promulguer un décret dit «égalitaire». Dorénavant, les hommes de couleur libres de l’île sont considérés comme égaux en droits.…

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