Aux urnes, citoyennes !

Mélanie Sadler

Le 21 avril 1944, les Françaises obtenaient le droit de vote, non pas grâce à une loi mais par ordonnance, après des décennies d’opposition ad absurdum des parlementaires des deux chambres.

 

À la fin du xixe siècle, la journaliste Hubertine Auclert milite pour le suffrage féminin. Mais pour beaucoup de féministes, l’obtention des droits civils (dont le droit au travail) prime sur le reste; certaines y sont même réticentes en raison du manque d’instruction féminine.

Par ailleurs, le militantisme féministe est mal vu, et pas qu’à droite. Les socialistes estiment qu’il menace l’unité du prolétariat, taxant le féminisme de bourgeois (un reproche jamais adressé aux cadres masculins du parti). Mais au début du xxe siècle, les revendications des droits civiques se font plus fortes. À la veille de la guerre, le droit de vote est à portée de main, et d’urne: deux propositions de lois sont déposées, en 1901 puis 1909, et 300 députés sont conquis à la cause.
 

Maria Vérone le martèle : “La femme paie l’impôt, elle doit voter.”
 

Le conflit enterre cependant les espoirs et ravivra la suspicion (certains attribueront volontiers la victoire d’Hitler ou de la droite espagnole au vote des femmes). Des députés et, surtout, des sénateurs ressortent les vieilles rengaines. « Qu’elles nous gardent la paix et le refuge du foyer, de la famille. Voilà […] leur mission. », argue le sénateur des Deux-Sèvres René Héry, qui trouve les femmes « trop nombreuses », suite à la guerre. Son collègue de Seine-et-Marne Paul Régismanset renchérit: «L’immense majorité des femmes se soucient plus de savoir ce qui se portera cet hiver que […] de la péréquation des impôts... Lorsque trois femmes sont réunies, elles se mettent aussitôt à parler chiffons.» L’avocate Maria Vérone en aurait mangé son chapeau. Héritière d’Hubertine Auclert, elle martèle: « La femme paie l’impôt, elle doit voter. »

Entre les deux guerres mondiales, plusieurs propositions de loi sont votées par les députés, mais le Sénat s’y oppose systématiquement. Les suffragettes ne veulent pour la plupart pas mener d’actions aussi radicales que leurs consœurs anglaises pour ne pas braquer les esprits. Mais, pas dénuées d’humour, elles multiplient les interventions. Elles cherchent ainsi à «rassurer» les bons messieurs qui voient déjà le soin de leur foyer partir à vau-l’eau si le droit au suffrage était octroyé à leurs épouses. Avec ses acolytes, la journaliste Louise Weiss va donc dare-dare distribuer des chaussettes reprisées aux élus. Nos pieds resteront au chaud, mais qu’en sera-t-il de nos estomacs? Ni une ni deux, elles font mijoter de la blanquette de veau sous les fenêtres du palais du Luxembourg.

En 1936, trois femmes sont nommées dans le gouvernement Blum. La situation est paradoxale car les femmes n’ont toujours le droit ni de suffrage ni d’éligibilité. C’est la fameuse ordonnance de 1944 – et non une loi – qui changera la donne (cinquante-et-un ans après la Nouvelle-Zélande). Ce texte porte d’ailleurs sur l’organisation des pouvoirs publics en France après la Libération et pas uniquement sur le suffrage féminin. Et ceci nous permet de noter, en passant, que le Sénat n’aura donc jamais voté en faveur du droit de vote féminin.

Alors, aujourd’hui, j’ai une pensée émue pour toutes ces suffragettes. Je songe aussi aux prochaines élections, les européennes. On ne changera sans doute pas grand-chose, mais on pourrait, peut-être – en allant voter pendant qu’accroche la blanquette de veau – peser un peu dans la balance. Pour lutter contre les populismes xénophobes qui minent nos démocraties et, du même coup, honorer nos aînées.

 

Normalienne et docteure en civilisation latino-américaine, Mélanie Sadler est également auteure et enseignante. Elle a publié trois romans chez Flammarion.

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Le 21 avril 1944, les Françaises obtenaient le droit de vote, non pas grâce à une loi mais par ordonnance, après des décennies d’opposition ad absurdum des parlementaires des deux chambres.   À la fin du xixe siècle, la journaliste Hubertine Auclert milite pour le suffrage féminin. Mais pour beaucoup de féministes, l’obtention des droits civils (dont le droit au travail) prime sur le reste; certaines y sont même réticentes en raison du manque d’instruction féminine. Par ailleurs, le militantisme féministe est mal vu, et pas qu’à droite. Les socialistes estiment qu’il menace l’unité du prolétariat, taxant le féminisme de bourgeois (un reproche jamais adressé aux cadres masculins du parti). Mais au début du xxe siècle, les revendications des droits civiques se font plus fortes. À la veille de la guerre, le droit de vote est à portée de main, et d’urne: deux propositions de lois sont déposées, en 1901 puis 1909, et 300 députés sont conquis à la cause.   Maria Vérone le martèle : “La femme paie l’impôt, elle doit voter.”   Le conflit enterre cependant les espoirs et ravivra la suspicion (certains attribueront volontiers la victoire d’Hitler ou de la droite espagnole au vote des femmes). Des députés et, surtout, des sénateurs ressortent les vieilles rengaines. « Qu’elles nous gardent la paix et le refuge du foyer, de la famille. Voilà […] leur mission. », argue le sénateur des Deux-Sèvres René Héry, qui trouve les femmes « trop nombreuses », suite à la guerre. Son collègue de Seine-et-Marne Paul Régismanset renchérit:…

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