Jean-Vincent Bacquart
Indochine, printemps 1954 : la France fonce vers un désastre déshonorant, abandonnant 11 000 prisonniers dans les mains du Viêt Minh.
Le 7 mai 1954, aux alentours de 17h30, les soldats du Viêt Minh s’élancent une nouvelle fois à l’assaut des positions françaises. Mais ce soir, quelque chose a changé. Aucun tir ne leur répond. Rien. C’est fini.
Après 55 jours de combats, les défenseurs ont reçu l’ordre de cesser le feu. Dernier épisode d’une guerre coloniale injuste pour les uns, sacrifice des troupes françaises sur l’autel de la politique pour les autres, soixante-dix ans après son épilogue, la bataille de Diên Biên Phu continue de diviser. Elle illustre surtout l’idée qu’il est plus facile d’entrer en guerre que d’en sortir.
Alors que le Japon, vaincu, abandonne l’Indochine, qu’il occupait depuis 1940, la France se lance en 1945 à la reconquête de ce territoire intégré à l’empire colonial en 1887. Reconquête, car le Parti communiste vietnamien, dirigé par Hô Chi Minh (1890-1969), a profité de l’instabilité du moment pour proclamer l’indépendance du pays. Paris a beau mobiliser d’énormes moyens militaires, rien n’y fait. Mois après mois, le corps expéditionnaire français en Extrême-Orient ne parvient pas à briser les reins du Viêt Minh, qui bénéficie du soutien de la Chine après 1949.
Tandis que les revers se multiplient, le gouvernement français envisage une sortie de crise. Il faut dire que ce conflit suscite une faible adhésion en métropole, lorsque ce n’est pas un profond rejet. En mai 1953, le général Henri Navarre reçoit même l’instruction de créer les conditions d’une solution politique «honorable». Pour que la France reste en position de force, il faut affaiblir l’adversaire, qui menace alors le Laos voisin. Pour cela, les militaires décident de reproduire une tactique déjà éprouvée avec succès fin 1952 à Na San, celle du « camp hérisson ».
On ne juge pas nécessaire de bien fortifier les installations, l’ennemi sera incapable de les menacer avec son artillerie… Arrogance ?
L’idée est de créer ainsi une enclave puissamment défendue, sur laquelle les troupes du Viêt Minh viendront s’épuiser. Et les stratèges français de jeter leur dévolu sur la plaine de Diên Biên Phu, dans le nord du pays, à proximité du Laos et de la Chine. Une piste d’aviation permettra le ravitaillement du camp tandis que les collines environnantes serviront de points d’appui défensifs. On ne juge pas nécessaire de réellement fortifier les installations, l’ennemi sera incapable de les menacer avec son artillerie… Arrogance ?
Le Viêt Minh, commandé par le général Giáp, attaque le 13 mars 1954. Stupeur, il dispose de canons de gros calibre qui crachent une pluie d’obus de 105 mm. La première colline est immédiatement prise, la piste d’aviation rendue impraticable quelques jours plus tard. À peine entamée, la bataille est perdue, d’autant que les États-Unis refusent de mobiliser leurs bombardiers pour desserrer l’étau.
On continue pourtant de parachuter hommes et munitions en avril et mai. Pas vraiment pour renverser le cours des événements. Non. Sans doute pour éviter à la France d’être en position de grande faiblesse à la conférence qui s’ouvre à Genève pour organiser l’avenir du Vietnam. Baroud d’honneur…
Genève, justement, où les négociations s’accélèrent après la défaite du 7 mai et la capture de plus de 11000 soldats de l’Union française. Bientôt, avec la signature des accords du 20 juillet 1954, la France accepte de quitter le Viêtnam, partagé en deux États. Elle est loin d’imaginer qu’un nouveau brasier s’enflammera à peine quelques mois plus tard. En Algérie.
Historien et éditeur, Jean-Vincent Bacquart est doctorant à Sorbonne Université. Ses recherches portent sur les ordres religieux et militaires....
Déjà abonné(e) ? connectez-vous !