Littérature et cinéma, rétrospective printanière

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Ma préférence pour les œuvres en langue originale aurait bien pu m’en détourner. Pourtant, les conseils avisés d’un libraire, l’insistance enthousiaste de mon frère et un brin de regret à l’idée de quitter l’Italie finirent par me convaincre d’entamer Le dernier été en ville de Gianfranco Calligarich. 

A Rome, au début des années soixante-dix, Leo Gazzara, un jeune homme cynique et contemplatif vit de petits emplois journalistiques. Ce milanais d’origine, amateur de Proust, Fitzgerald et Shakespeare oscille à la veille de ses trente ans entre une bohème souvent misérable et les salons de l’intelligentsia culturelle où il rencontre un soir Arianna, une jeune femme volage et désinvolte.

Avec elle, ce personnage brumeux et mélancolique, digne d’une nouvelle de Cesare Pavese, semble entrevoir un échappatoire à l’absurdité de son quotidien en découvrant le tourment amoureux. S’engage alors entre eux une relation tumultueuse ponctuée d’introspections, d’impossibilités et de silences dans une capitale italienne où l’heure semble plutôt consacrée à la frénésie libertaire post-soixante-huit.

Dans ce récit factuel et esthétique écrit à la première personne, Calligarich séduit dès les premières pages, entraînant ses lecteurs dans la recherche d’incarnation et dans le trouble d’un homme que rien semblait destiner à l’amour…

Ce classique de la littérature transalpine rappela curieusement à mon souvenir un film français, sorti lui aussi en 1973 : La maman et la putain de Jean Eustache. Ce chef-d’œuvre du septième art dépeint les déboires et les hésitations sentimentales d’Alexandre, un jeune homme désœuvré, vaguement intellectuel, vivant à Paris d’alcools forts et de beaux discours. 

Ce personnage, sorte d’alter-ego bavard de Gazzara, se trouvant pris dans un triangle amoureux, cherche lui aussi sa place dans un monde en pleine révolution culturelle où les rapports sociaux restent à inventer. Derrière l’illusion d’une frénésie sexuelle apparente, ce long-métrage dépeint la recherche intérieure d’un homme écrivant à coup de dialogues exigeants le destin de sa vie et de son époque.

Du propre aveu de Jean Eustache, le personnage d’Alexandre, quoi que partiellement autobiographique emprunte beaucoup à l’écrivain dadaïste Jacques Rigaut, proche ami d’André Breton qui l’évoqua dans son Anthologie de l’humour noir (1940).

Si cet “auteur sans œuvre” au style moderne et lapidaire n’a laissé qu’une poignée d’aphorismes, de nouvelles et de poèmes en prose à la postérité, il symbolise sans doute mieux que quiconque le malaise anthropologique des Années folles qui inspira grandement la génération d’Eustache et de Calligarich. 

Suicidé en 1929, Rigaut mérite d’être relu en cette période de commémoration surréaliste (groupe auquel il ne prêta d’ailleurs jamais allégeance) tant il incarna l’état d’esprit d’une décennie et d’une avant-garde. Ses textes les plus fameux, Je serai sérieux comme le plaisir, Roman d’un jeune homme pauvre ou Lord Patchogue demeurent disponibles dans l’édition complète de ses Écrits chez Gallimard…