1001 chambres à Paris

Joffrinne Donnadieu

Quand on a grandi entre Pau et Saverne, la capitale constitue un inépuisable catalogue d’émerveillements.

 
« Être parisien, ce n’est pas être né à Paris, c’est y renaître. » Sacha Guitry
 

Fille de militaire, je m’y connais en déménagements. Toute mon enfance, j’ai vécu au milieu des cartons Demeco. Je ne supporte plus la vue du logo de la boîte: un cheval au galop. Il en a fait, des kilomètres sur les autoroutes pour gagner Saverne, Pau, faire une halte à Bourges, repartir à Phalsbourg pour terminer à Toul. J’aurais aimé que ce pur-sang noir arrête son périple à Pau, la ville où je me suis inscrite à un cours de théâtre. Mon premier rôle: la fée étoile de mer et je n’étais pas peu fière. Puis un jour, les cartons, le gros feutre noir et le scotch. Poupées, peluches, livres et carnets, vêtements: en boîtes. J’ai vu ma mère tant de fois faire, défaire, refaire les cartons, mettre toute son énergie et son temps à aménager les lieux, comme si la famille s’installait là pour toujours, que j’ai fait le choix de ne posséder qu’une valise, et de faire de la rue ma maison.

Ce toit à ciel ouvert ne pouvait être qu’à Paris. Depuis mes 5 ans, ma mère imposait à mon père un séjour à la capitale entre deux adresses. Une escapade pour faire passer la pilule du transfert. Nous arpentions les grandes avenues haussmanniennes, partions à la conquête des monuments, déambulions dans les musées. Ma mère mettait un point d’honneur à lire les encarts de chaque tableau et de chaque sculpture. Il ne fallait pas mourir idiot. Elle s’inquiétait que mon frère et moi manquions de références culturelles, au fin fond de l’Alsace-Lorraine. Avec dévotion, elle nous gavait de connaissances à nous en faire vomir. Nous devions apprendre par cœur l’histoire du Louvre, de Versailles, d’Orsay.
 

Je me souviens des odeurs de sueur, de nourriture, de pisse, qui pour moi incarnaient la vie brute et sauvage de Paris.
 

Je présente mes excuses à Monet, Degas, Rodin, Morisot, Pissarro, Toutânkhamon, Claudel, la Joconde, Aphrodite, Olympia de ne pas les avoir contemplés autant que les couloirs du métro et les stations aériennes, les ruelles de Montmartre, les vitrines des grands magasins, les transsexuels de Pigalle, les réverbères et les néons, les musiciens et les danseurs de rue, les femmes dans leurs djellabas colorées et celles à la mode, les étals d’épices, Mimie Mathy et Zinédine Zidane au musée Grévin, le funiculaire, les ponts, les fleurs de macadam, les théâtres, les bars en zinc, les sex-shops, les titis parisiens, les bouquinistes, les tournages à tous les coins de rues, les rats, les danseurs, les cafés et leurs terrasses, les manifestations, l’opéra Garnier et la Comédie-Française, les kiosques, les colonnes Morris et les fontaines Wallace, les tags, les drogués en bas des tours, les restaurants japonais, chinois, italiens, coréens, libanais, les cimetières, les squares, les grands hôtels, les gargouilles, la veste en jean achetée à Châtelet, les exilés sur le parvis de la gare du Nord.

Je me souviens des odeurs de sueur, de nourriture, de pisse, qui pour moi incarnaient la vie brute et sauvage de Paris. Je me souviens d’avoir collectionné les sons: les langues et les accents gouailleurs, les klaxons, les cris, les rires, les chanteurs sur le trottoir. Je me souviens de la chambre de l’hôtel gare de l’Est où mon frère et moi dormions sur des lits de camp, et aussi nos soirées McDo. Et surtout, je me souviens des comédiens qui déclamaient une tirade dans le métro, ceux dont le nom était gravé sur la plaque d’un immeuble, ceux qui régnaient alors sur la capitale : Marion Cotillard, Guillaume Canet, Audrey Tautou. Je me rêvais en Amélie Poulain.

Parc de Belleville

Au fond, je ne sais pas si j’ai fait du théâtre à Pau parce que j’aimais me déguiser ou si l’unique but de cet atelier était d’accéder à une école d’art dramatique à Paris. Ville du flamboiement, de l’étrange, de la découverte, des rêves, de l’effervescence, des rencontres singulières, des caricatures, des émeutes, de tous les possibles, des clichés, de la débauche, de la haute couture, des amours et des ruptures tellement plus classes au bord de la Seine la nuit, mais avant tout, de la liberté.

 
Je suis tombée amoureuse du canal Saint-Martin et de ses quais où j’ai ri, pleuré, couru, bu des verres, rencontré des amis.
 

J’ai rêvé de ma vie à Paris dans mes chambres de fillette et d’adolescente aux murs placardés de portraits de comédiennes : Romy Schneider, Brigitte Bardot, Marilyn Monroe, Audrey Hepburn. Je me suis abonnée aux revues de cinéma Casting et Première pour répondre aux rares annonces destinées aux enfants. J’envoyais des portraits réalisés avec mon appareil photo jetable Kodak. Hélas, je n’habitais ni à la capitale ni en région parisienne et c’était une condition primordiale pour jouer dans un film. La réussite n’appartient pas à ceux qui se lèvent tôt, contrairement à ce que disait ma mère, mais aux Parisiens. Il fallait que je m’inscrive dans une école de théâtre. Signe du destin, un reportage sur le cours Florent a été diffusé à la télévision. J’ai contacté l’école dans la minute. La secrétaire, je ne la remercierai jamais assez de sa patience, m’envoyait tous les trois mois la brochure des cours afin de me faire patienter jusqu’à ma majorité. Dix ans à attendre ? Impossible. À 16 ans, j’ai demandé et obtenu mon émancipation auprès d’un juge pour enfants, et j’ai pu entrer au cours Florent grâce à une dérogation. Gare de l’Est. À moi Paname. Première chambre passage Saint-Pierre-Amelot, face à l’entrée des artistes du Bataclan. N’ayant aucun sens de l’orientation, je passais mon temps à rechercher mon logement quand je me trompais de sortie de métro. Heureusement Dame Marianne place de la République finissait toujours par me montrer la bonne direction.

Crazy Horse

Je suis tombée amoureuse du canal Saint-Martin et de ses quais où j’ai ri, pleuré, couru, bu des verres, rencontré des amis: Moussa, avec qui j’ai passé de nombreuses heures à Paris-Plage, Biro, qui m’a fait découvrir le gwoka au parc de la Villette, et Laura des Orgues de Flandre, danseuse hors pair du Point éphémère. J’y ai aussi fait la connaissance de Tennessee Williams, Carlo Goldoni, Eugène Ionesco, Jean Giraudoux, Bertolt Brecht. J’ai répété des heures et des heures sur ses pavés que j’arpentais pour me rendre dans les salles du cours Florent baptisées Huster, Adjani, Auteuil, situées à Jaurès et Crimée. Là-bas, je retrouvais mes camarades venus du monde entier : Japon, Chine, Afrique, Belgique, Suisse. Plus tard, j’irais à Rio de Janeiro chez une amie du cours, Tania, une Brésilienne qui peinait à gommer son accent solaire. Toutes les nationalités se réunissaient pour l’amour du théâtre et, ensemble, nous le célébrions sur les quais de l’Ourcq et de Jaurès.
 

Pour terminer, j’ai trouvé une chambre dans le 5e arrondissement que j’aime tant.

 
Pendant de nombreuses années, je me suis débrouillée pour trouver des chambres jamais très loin du canal et de ses loupiotes. Puis le hasard m’a poussée à Montreuil, à Boulogne, à Pigalle chez Monique, 90 ans. J’ai écrit une partie de mon deuxième roman chez elle. Elle aura connu le plaisir de tester la colocation avec une romancière avant de mourir. Elle avait hébergé des peintres, des musiciens, des comédiens. Sa conclusion : les écrivains sont les plus fous. J’ai aussi passé de nombreuses nuits à la Butte-aux-Cailles lorsque j’ai créé ma première école d’art pour les enfants. J’adorais les bistrots de la rue de l’Espérance, flâner dans les rues du 13e arrondissement, regarder l’art urbain évoluer au fil des jours. Dans la journée, je passais mon temps dans des chambres d’hôpitaux pédiatriques et psychiatriques. Je proposais des ateliers d’expression aux enfants malades venus de cultures, de traditions, de religions diverses. Dans ces couloirs interminables, je me suis liée d’amitié avec Antigone, la Grecque communiste qui ne cessait de me parler du Parti et des camarades, et avec Marine, la Parisienne dont j’entends encore le rire résonner dans la cafétéria. Par la suite, j’ai logé plusieurs mois chez Françoise, descendante du peintre Henri Rouart. Cette femme aimait les artistes et les encourageait à se révéler. J’ai mis le point final de mon premier roman chez elle dans le 15e arrondissement. Dans ce quartier, j’ai pris plaisir à courir sur la Petite Ceinture pour rejoindre le parc André-Citroën, à accompagner Françoise sur le marché, à déjeuner en famille le dimanche avec Marie et Gabriel, ma sœur et mon frère d’adoption.

Pour terminer, j’ai trouvé une chambre dans le 5e arrondissement que j’aime tant. Boire un café avec Barbara place de la Contrescarpe, rire avec le gang des Italiens, Jean-Jacques, Cristina et Chiara, boire un thé à la menthe à la Mosquée, admirer les fleurs du Jardin des plantes, lire Duras, Woolf, Gogol, Quiroga, Plath, attablée à une terrasse de la Mouffe, rejoindre à mi-chemin Zineb la Marocaine pour un verre ou Roula la Syrienne pour parler littérature, ou encore débattre de tout et de rien au Verre à Pied avec les habitués du quartier, enfiler une perruque sans occasion particulière, juste pour rire, écouter du jazz dans les bistrots, prendre des cours de danse avec les filles du Crazy Horse, me rendre à pied chez Gallimard pour parler avec mon éditeur dans son bureau aussi grand qu’une chambre de bonne.

Pour tous ces souvenirs et ceux à venir, Paris est ma maison, j’y ai toutes mes familles. Je serai toujours la fille de l’Est qui regarde la grande ville avec des yeux émerveillés.

 

 ...

Quand on a grandi entre Pau et Saverne, la capitale constitue un inépuisable catalogue d’émerveillements.   « Être parisien, ce n’est pas être né à Paris, c’est y renaître. » Sacha Guitry   Fille de militaire, je m’y connais en déménagements. Toute mon enfance, j’ai vécu au milieu des cartons Demeco. Je ne supporte plus la vue du logo de la boîte: un cheval au galop. Il en a fait, des kilomètres sur les autoroutes pour gagner Saverne, Pau, faire une halte à Bourges, repartir à Phalsbourg pour terminer à Toul. J’aurais aimé que ce pur-sang noir arrête son périple à Pau, la ville où je me suis inscrite à un cours de théâtre. Mon premier rôle: la fée étoile de mer et je n’étais pas peu fière. Puis un jour, les cartons, le gros feutre noir et le scotch. Poupées, peluches, livres et carnets, vêtements: en boîtes. J’ai vu ma mère tant de fois faire, défaire, refaire les cartons, mettre toute son énergie et son temps à aménager les lieux, comme si la famille s’installait là pour toujours, que j’ai fait le choix de ne posséder qu’une valise, et de faire de la rue ma maison. Ce toit à ciel ouvert ne pouvait être qu’à Paris. Depuis mes 5 ans, ma mère imposait à mon père un séjour à la capitale entre deux adresses. Une escapade pour faire passer la pilule du transfert. Nous arpentions les grandes avenues haussmanniennes, partions à la conquête des monuments, déambulions dans les musées. Ma mère mettait…

Pas encore abonné(e) ?

Voir nos offres

La suite est reservée aux abonné(e)s


Déjà abonné(e) ? connectez-vous !



Zeen is a next generation WordPress theme. It’s powerful, beautifully designed and comes with everything you need to engage your visitors and increase conversions.

Top Reviews