Projet européen : un besoin de révolution

Thomas Pellerin-Carlin

Avec le scrutin des 6 au 9 juin, les citoyens de l’UE ont l’occasion de donner aux Vingt-sept les moyens de lancer des changements de fond sur les questions de l’énergie, de l’écologie et de l’économie.

« Être ou ne pas être ». À chaque élection européenne, cette question se pose à nouveau. En 2019, les citoyens ont créé un sursaut historique. Portés par la mobilisation des jeunes pour le climat, des millions d’Européens avaient demandé à l’Europe d’être. D’être une Europe qui lutte contre le changement climatique. Ce 9 juin 2024, ces mêmes citoyens doivent à nouveau répondre à la question de Hamlet. L’Europe doit-elle renoncer à toute ambition écologique? Ou peut-elle enfin devenir une véritable puissance qui se donne les moyens de prendre la tête de la révolution énergétique, écologique et industrielle mondiale ?

Il y a cinq ans, beaucoup craignaient que l’Union européenne n’aille trop vite. Elle était en effet le premier continent à se fixer l’objectif de neutralité carbone d’ici à 2050. Le «Pacte vert européen» (European Green Deal), porté alors par le socialiste néerlandais Frans Timmermans, a jeté les bases d’une révolution législative européenne pour modifier en profondeur la manière dont l’on produit, consomme, se déplace en Europe. Ces dernières années, beaucoup d’autres pays, Chine et États-Unis en tête, ont compris que l’histoire basculait. Ils ont eux aussi adopté leurs propres objectifs de neutralité carbone, soutenus par des plans d’investissements massifs dans la révolution énergétique et industrielle.

La Chine déploie depuis plus d’une décennie une véritable planification industrielle et écologique, qui lui a permis de devenir le leader mondial de presque toutes les technologies vertes. Grâce à des plans d’investissements massifs, inscrits dans la durée, la Chine assure aujourd’hui plus des trois quarts de la production mondiale de batteries et de panneaux solaires. Pourtant, ces technologies ne sont pas nées en Chine, mais chez nous, en Europe.

L’Europe est un terreau fertile où les jeunes pousses naissent. Mais pour qu’elles croissent, elles ont besoin d’investissements. Or l’investissement reste le parent pauvre des politiques climatiques européennes: budget européen atrophié, gouvernements nationaux qui naviguent à vue, détricotant en février le budget qu’ils avaient voté deux mois auparavant. Au lieu de planifier sur le long terme les investissements publics nécessaires à la croissance des jeunes pousses, elles assèchent les flux. Privées d’eau, la plupart des jeunes pousses se meurent, comme en atteste la récente fermeture de l’usine nantaise du fabricant de panneaux solaires Systovi. D’autres trouvent que l’herbe est plus verte ailleurs, et partent aux États-Unis, où les investissements publics coulent désormais à flot. Systovi faisait face à la concurrence déloyale de la Chine, qui recourt au travail forcé des Ouïghours pour fabriquer les panneaux solaires chinois. La Commission et le Parlement européen ont souhaité mettre fin aux importations en Europe de produits issus de l’esclavage – dont ces panneaux-là. Malheureusement, certains États, dont la France, ont poussé pour l’exclusion des panneaux solaires du champ d’application de ce règlement européen.

En France, le gouvernement a décrété une hausse des taxes sur l’électricité. La facture des Français a donc augmenté de 10%. Il a ensuite choisi de sabrer le budget de MaPrimeRénov, le principal dispositif destiné à aider les Français à se doter d’une pompe à chaleur pour consommer moins de fioul et de gaz de chauffage. Pris entre le marteau de la hausse des taxes sur l’électricité et l’enclume des coupes de MaPrimeRénov, l’industrie française des pompes à chaleur est fragilisée. À Nantes, l’avenir des ouvriers de l’usine de pompes à chaleur Saunier-Duval est incertain. Pendant ce temps-là, ses concurrents chinois se frottent les mains, et la Russie de Vladimir Poutine constate avec une joie mauvaise que les importations françaises de gaz naturel liquéfié russe sont reparties à la hausse.

Pendant que l’Europe tergiverse, les États-Unis nous dépassent. Adopté il y a deux ans, le fameux Inflation Reduction Act (IRA) flèche des centaines de milliards de dollars dans les batteries, pompes à chaleur et panneaux solaires «made in USA». Cette réponse américaine au Pacte vert européen et à la planification chinoise présente deux avantages: il est simple à mettre en œuvre et son budget est déplafonné. L’aide est par exemple de 35 dollars (environ 33 euros) par kilowattheure de capacité pour chaque cellule de batterie produite aux États-Unis durant les dix prochaines années. « Whatever it takes », cela coûtera ce que ça coûtera. Les estimations vont de 400 à 1 200 milliards de dollars.

Comment a réagi l’Europe? La promesse d’un fonds de souveraineté a fait long feu. Un temps sensé donner 5 milliards supplémentaires au Fonds européen d’innovation, soit 0,03% du PIB européen, le compromis se fit autour d’un accord concernant une hausse de … zéro centime. Et pour financer d’autres dépenses, les Vingt-Sept se sont même accordés sur une coupe de 2,1 milliards d’euros sur le budget européen de recherche et d’innovation. Soyons clair, cette Europe-là se révèle incapable de se hisser à la hauteur des enjeux pour l’économie européenne.

Les élections du 9 juin sont l’occasion pour les peuples européens de trancher le nœud gordien. Devant eux, trois options: la régression prônée par ceux qui veulent enterrer cette transition écologique qu’ils ont toujours combattue; l’abandon à huis clos des ambitions écologiques européennes, prônée par les adeptes de la « pause réglementaire européenne » ; enfin, la révolution énergétique, écologique et industrielle, permise par un plan européen d’investissements financé par un emprunt commun et la mise à contribution des très grandes fortunes.

La révolution énergétique, écologique et industrielle est en cours. Elle se fera avec ou sans nous. Dans cette course, la Chine et les États-Unis ont pris les devants. Le scrutin du 9 juin sera l’occasion de prendre notre destin entre nos mains et de répondre au rapport de force instauré par les puissances économiques. Il est temps de réveiller l’Europe. Il est temps d’être.

 

Thomas Pellerin-Carlin est chercheur en politique européenne énergie-climat. Il est aussi candidat aux élections européennes sur la liste Place Publique-Parti Socialiste, portée par Raphaël Glucksmann....

Avec le scrutin des 6 au 9 juin, les citoyens de l’UE ont l’occasion de donner aux Vingt-sept les moyens de lancer des changements de fond sur les questions de l’énergie, de l’écologie et de l’économie. « Être ou ne pas être ». À chaque élection européenne, cette question se pose à nouveau. En 2019, les citoyens ont créé un sursaut historique. Portés par la mobilisation des jeunes pour le climat, des millions d’Européens avaient demandé à l’Europe d’être. D’être une Europe qui lutte contre le changement climatique. Ce 9 juin 2024, ces mêmes citoyens doivent à nouveau répondre à la question de Hamlet. L’Europe doit-elle renoncer à toute ambition écologique? Ou peut-elle enfin devenir une véritable puissance qui se donne les moyens de prendre la tête de la révolution énergétique, écologique et industrielle mondiale ? Il y a cinq ans, beaucoup craignaient que l’Union européenne n’aille trop vite. Elle était en effet le premier continent à se fixer l’objectif de neutralité carbone d’ici à 2050. Le «Pacte vert européen» (European Green Deal), porté alors par le socialiste néerlandais Frans Timmermans, a jeté les bases d’une révolution législative européenne pour modifier en profondeur la manière dont l’on produit, consomme, se déplace en Europe. Ces dernières années, beaucoup d’autres pays, Chine et États-Unis en tête, ont compris que l’histoire basculait. Ils ont eux aussi adopté leurs propres objectifs de neutralité carbone, soutenus par des plans d’investissements massifs dans la révolution énergétique et industrielle. La Chine déploie depuis plus d’une décennie une véritable planification industrielle…

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