© Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française

Sur scène en juin

Nino Suchwalko

  • Les Démons à la Comédie-Française : Dostoïevski ressuscité

 

En 1871, est publié dans le périodique Le Messager russe le premier épisode de ce qui deviendra ensuite Les Démons, ce grand roman consacré par Dostoïevski à l’histoire de jeunes révolutionnaires prêts à tout pour renverser l’ordre aristocratique de la fin de l’Empire russe. L’histoire de Nikolaï Vsévolodovitch Stavroguine, aristocrate aussi fascinant que débauché, était pour l’auteur l’occasion de formuler une critique clairvoyante de toutes les idéologies, conservatrices comme nihilistes – brillante d’impartialité.

C’est cette impartialité fondamentale que Guy Cassiers place au cœur d’une mise en scène riche et inventive, où les moyens techniques sont mis au service non d’une relecture plus ou moins infidèle de l’œuvre, mais, au contraire, d’une illustration de ses enjeux. Fidélité n’est pas imitation et, à ce titre, les jeux de correspondances complexes entre la scène et trois grands écrans qui la réfléchissent – deux médias pour deux visions distinctes d’une même réalité –, sous-tendent une profonde intelligence narrative et une volonté de faire du théâtre plus qu’un simple roman animé.

Cette ambition se traduit par la grande densité du spectacle, sur le fond comme sur la forme, de sorte que l’attention du spectateur, sans cesse partagée entre la richesse du contenu et la subtilité de sa mise en scène, peut parfois fatiguer un peu. Mais ces rares longueurs sont compensées par la grande finesse du jeu des comédiens –  au premier chef desquels Christophe Montenez, et, bien sûr, une Dominique Blanc exceptionnelle. Un très beau moment de théâtre, donc, qui ne laisse pas indifférent.

 

Spectacle créé en 2021, jusqu’au 21 juillet 2024 en salle Richelieu.

© Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française

 

  • Le Médecin malgré lui : du rire grossier à la satire acerbe

 

Après plusieurs « comédies sérieuses » comme L’École des femmes, Dom Juan ou encore un Misanthrope en alexandrins, Molière revient en août 1666 à un théâtre plus léger, qui emprunte à la fois aux Italiens – qui, on le sait, furent pour lui une source d’inspiration majeure –, et aux grands classiques français de la farce et des fabliaux. Pourtant, derrière le grossier et le ridicule, le dramaturge dissimule, comme souvent, une satire récurrente – celle du charlatanisme, de la crédulité, voire de la religion.

La pièce s’ouvre sur les chapeaux de roue : Géronte, un riche bourgeois, est en recherche désespérée d’un remède pour sa fille Lucinde, devenue muette. À la suite d’une dispute, le bûcheron Sganarelle est trompé par sa femme Martine, qui le présente aux valets de Géronte comme un médecin exceptionnel. Il n’en faut pas plus à Molière pour entraîner le spectateur dans un tourbillon de scènes tantôt grivoises et tantôt délirantes – Jacqueline prônant le sexe comme un remède à tous les maux, ou Sganarelle prescrivant, lui, un régime à base de pain trempé dans du vin.

Mais, derrière la farce burlesque à la mode médiévale, Molière fait la part belle à la critique des faux médecins de l’époque, ces charlatans qui se cachaient derrière des diagnostics tautologiques et des solutions improbables. Or, à travers ce topos hérité de la comédie italienne, c’est plus généralement la crédulité qu’il fustige, cette foi aveugle en des institutions qui ne tiennent leur autorité que d’elles-mêmes. Et, chez Molière, la critique de la foi n’est que le premier stade d’une critique de la religion, et de l’hypocrisie des faux-dévots – qui, trois ans plus tard, dans Le Tartuffe, éclatera au grand jour.

 

Molière, Le Médecin malgré lui, à voir à la Comédie Saint-Michel jusqu’au 29 juin 2024.





Zeen is a next generation WordPress theme. It’s powerful, beautifully designed and comes with everything you need to engage your visitors and increase conversions.

Top Reviews