David Foenkinos : “Je n’ai pas grandi au milieu des livres”

Charles-Alexandre Haddad

L’auteur de La Délicatesse évoque sa rencontre avec la lecture à l’âge de 16 ans, presque par hasard, lors d’un long séjour à l’hôpital. Un tournant pour celui qui est désormais une figure incontournable de la littérature française.

Cinéma, bande dessinée, théâtre... On croise son nom sur bien des supports, mais c'est sur la couverture de livres qu'il s'étale encore le plus régulièrement: David Foenkinos. Une vingtaine de romans à son actif, sans compter les nouvelles, dont certains ont été traduits dans une quarantaine de langues. Et de nombreux prix, dont le Renaudot, pour couronner le tout. À l'orée de ses 50 ans, l'auteur, réalisateur, acteur, scénariste revient sur sa carrière littéraire et sa relation au cinquième art pour Bastille Magazine.

 

Comment avez-vous découvert la littérature ?

C’est assez particulier, je n’ai pas du tout grandi au milieu des livres, il n’y en avait pas chez moi. Je ne lisais pas du tout, comme mes parents d’ailleurs, je viens d’un milieu assez modeste dans lequel on ne m’y a jamais incité. Mais il y a eu un moment de bascule dans ma vie : une maladie très grave que j’ai contractée à l’âge de 16 ans et qui m’a valu un séjour de plusieurs mois à l’hôpital. Pendant cette période, en 1991, je me suis mis à lire énormément. Il faut dire que c’était mon seul moyen de rester connecté au monde extérieur: il n’y avait pas Internet ni de portable à l’époque !

Puis cette expérience m’a fait prendre conscience de ma sensibilité pour l’art, pour la littérature. Je me suis mis à adorer les livres, ils m’ont fait voyager, ils m’ont consolé, m’ont apaisé. Je me suis ensuite mis à fréquenter les bouquinistes, à partir à la recherche de livres rares... enfin à faire tout ce que font les gens qui aiment les livres.

 

Quels sont vos auteurs phares ?

Quand je me suis mis à lire d’une manière boulimique à l’âge de 16 ans, je suis allé dans tous les sens, d’Albert Cohen à Nabokov, de Gary à Dostoïevski. Pendant les mois à l’hôpital, je n’ai cessé de lire. La littérature russe a été majeure pour moi à ce moment-là. Je me souviens de la fièvre qui s’est emparé de moi en lisant Les Démons, et je suis même parti après voir la maison de Dostoïevski à Saint-Pétersbourg. Puis, j’ai découvert mon écrivain préféré: Philip Roth. Je conseille d’ailleurs sa biographie autorisée, qui offre un éclairage très puissant sur son œuvre.

 

Qu’est-ce qui vous a décidé à devenir écrivain ?

J’ai commencé à écrire des lettres, des nouvelles, pour moi-même, par goût de mes mots. J’ai découvert que j’aimais raconter des histoires, que j’avais cette sensibilité. Sans jamais penser que je deviendrai un jour écrivain. J’ai même mis beaucoup de temps à envoyer un premier manuscrit à des éditeurs, en ne m’attendant d’ailleurs à rien. J’avais 25 ans, et il a été refusé partout, avant qu’au dernier moment je ne reçoive un appel des éditions Gallimard. Je ne m’y attendais absolument pas, j’avais même cru dans un premier temps à une blague quand j’ai reçu ce coup de fil. Jean-Marie Laclavetine avait décidé de faire confiance à un jeune comme moi (ce qui serait peut-être moins simple aujourd’hui), et mon premier roman, Inversion de l’idiotie : De l’influence de deux Polonais, a été publié. J’ai découvert plus tard la fiche de lecture qu’il avait écrite au sujet de mon livre: « C’est foutraque, c’est bordélique, mais ça vaut le coup d’essayer. » Puis ce livre a reçu le prix François-Mauriac, tout en lançant ma carrière d’écrivain.

 

Vous avez rencontré Milan Kundera, qui apparaît dans votre premier roman. À quel point a-t-il été déterminant pour vous ?

Comme beaucoup, j’ai été profondément marqué par L’Insoutenable légèreté de l’être. Quand j’ai écrit mon premier roman, j’ai fait de Kundera un personnage, sans imaginer une seule seconde que je serai publié chez le même éditeur que lui, et que je le rencontrerai. Je me souviens avoir bégayé devant lui le jour de notre rencontre. Ensuite nous avons échangé souvent au téléphone. Il était très bienveillant avec les jeunes écrivains. Quand j’ai publié La Délicatesse, il m’a envoyé des dessins, que je viens de mettre sur Instagram.

 

Votre relation avec Bernard Pivot semble également avoir un caractère spécial à vos yeux.

Lui aussi, comme Milan Kundera, a été très bienveillant avec de nombreux jeunes écrivains. Son premier article sur un de mes livres, c’était Nos séparations. Ensuite, il a écrit sur chacun de mes livres. Grâce à lui, j’ai été plusieurs fois sur la liste du prix Goncourt. Bref, il a été un soutien très important. Je ne le connaissais pas vraiment, mais à chaque fois que je l’ai croisé, j’en ai été très intimidé. Être lu par lui est pour tout écrivain une consécration.

 

La Délicatesse, paru en 2009, a connu un immense succès. Sa publication marque un tournant dans votre carrière…

Ça a été davantage qu’un tournant. Pendant une dizaine d’années, j’avais un nombre assez limité de lecteurs. Je ne m’en portais pas plus mal, d’ailleurs ! Cette publication a changé ma vie, puisque le livre a été numéro un des ventes pendant un an et demi. Je me suis mis à voir mon livre entre les mains de lecteurs sur la plage, dans le métro. Il a obtenu une multitude de prix littéraires. Cette situation m’a permis de me consacrer entièrement à l’écriture. Le succès m’a aussi donné une plus grande liberté. Je pouvais enfin me consacrer à l’écriture. Ce livre raconte l’histoire d’une femme, Nathalie, qui doute de sa capacité à retrouver une vie sentimentale après la mort de son premier mari. Et elle finit par rencontrer un Suédois dépressif. Avec mon frère, Stéphane, nous avons réalisé le film avec Audrey Tautou et François Damiens.

 

 

Quels souvenirs gardez-vous de cette expérience dans le cinéma ?

Cela a déjà été fou de convaincre Audrey Tautou. À ce moment-là, elle ne faisait qu’un film par an et recevait des centaines de scénarios. Elle venait de tourner Da Vinci Code. On est peut-être arrivés au bon moment. Elle a aimé le personnage de Nathalie et, plus encore, le fait de faire un duo avec François Damiens. Ce tournage était à la fois merveilleux et très stressant. C’était notre premier film. Puis il y a eu une rencontre très forte aussi avec Émilie Simon, qui a composé la musique. Par la suite, je n’ai plus voulu adapter mes romans. Nos films suivants, Jalouse et Les Fantasmes, ne sont pas issus de mes livres.

 

En 2014 sort Charlotte, la biographie romancée de Charlotte Salomon, peintre expressionniste allemande assassinée à 26 ans à Auschwitz. Quel est votre regard sur elle ?

Ce roman peut paraître différent de mes précédents, notamment de La Délicatesse. Après le succès de ce dernier, j’ai aussitôt pensé que je ne voulais pas écrire le même type de livre. Pendant des années, j’ai été fasciné par Charlotte Salomon, un peu désespéré de voir à quel point elle était oubliée. Je l’ai découverte en 2006, lors d’une petite exposition à Paris. J’ai été ébloui par son œuvre, par cette femme très cultivée qui, en plus d’être artiste, écrivait sublimement bien. Je me suis tout de suite senti dans un environnement de confiance devant son travail très largement autobiographique, il y avait une vraie familiarité. Depuis que je suis tombé sur elle, je n’ai pas arrêté de me demander comment j’allais écrire à son sujet. Avant Charlotte, elle avait déjà été évoquée dans plusieurs de mes livres. C’est devenu une véritable obsession. J’ai fait plusieurs aller-retours en Allemagne pour y approfondir mes recherches. Il y avait très peu de documents mais je n’ai pas renoncé, en dépit de la difficulté.

Mon livre raconte également ce travail, cette quête. Pourtant, j’avais une certaine appréhension quant au style que j’ai décidé d’employer, je me suis dit qu’il pourrait rebuter les lecteurs, avec ce texte quasiment écrit en vers, ces retours à la ligne incessants, à la fin de chaque phrase. Mais j’ai ressenti profondément ce besoin de respirer, d’espacer mon récit, de ne pas me laisser étouffer par cette histoire tragique. La forme s’est imposée à moi, je n’avais pas le choix, elle était ma seule manière d’écrire ce texte… c’était mon seul moyen de me sentir proche de Charlotte.

Pourtant, malgré le style, ce n’est pas un exercice de poésie. Le livre est largement biographique. C’est une exploration de la vie de cette femme qui ne m’a jamais quitté. Et j’ai beaucoup souffert du fait que très peu de monde la connaisse à notre époque. Il y avait certes quelques expositions, mais elle commençait à tomber dans l’oubli. C’est probablement l’émotion la plus forte de ma vie littéraire: avoir pu mettre en lumière cette artiste. Elle est un exemple de courage face à l’adversité. En 2015, il y a eu une grande exposition à Nice. C’était si puissant que Charlotte puisse revenir ainsi, par son œuvre, dans la ville où elle avait été arrachée à la vie. Le prix Goncourt des lycéens m’a aussi rendu très heureux. Je me réjouis que Charlotte soit ainsi découverte par les nouvelles générations. En janvier, j’ai monté un spectacle à La Seine musicale, où j’ai convaincu Audrey Tautou de remonter sur scène pour incarner l’histoire de Charlotte Salomon. Les années passent et mon obsession demeure.

 

Ce livre a visiblement une place particulière au sein de votre œuvre.

Forcément. Cela a été un projet littéraire intense. J’ai mis huit ans à l’écrire, j’ai abandonné tant de fois… Et quand je suis enfin parvenu à l’écrire, d’une manière si particulière, je n’imaginais pas un tel accueil. C’est très important pour moi de travailler encore et toujours à la mémoire de Charlotte. Au-delà de son destin tragique, c’est un génie de la peinture. Je voudrais sans cesse qu’on découvre son œuvre.

 

 

Quel est votre rapport à sa quête de la beauté et de l’art comme remède à la fatalité ?

Quand on est autant fasciné par une artiste, on y voit des points de résonance. Ce qui me bouleverse chez elle, c’est la façon dont elle va se sauver de la folie et du désastre par la création. Cela me parle. Et il y a le rapport incessant à sa mort, l’idée qu’il faut rencontrer la mort pour pouvoir enfin aimer. Ce sont des thèmes qui m’obsèdent.

 

Le titre de votre roman Vers la beauté, paru en 2018, est intriguant.

Le personnage principal, Antoine Duris, est un professeur émérite des Beaux-Arts de Lyon qui prend une décision assez étrange et incompréhensible à première vue: celle de devenir gardien de salle au musée d’Orsay. Cette décision lui permet de se plonger au milieu de la beauté, notamment celle de l’œuvre d’Amedeo Modigliani, dont il est spécialiste. Il passe ses journées devant un célèbre tableau de Jeanne Hébuterne. On sent qu’il a traversé une expérience extrêmement douloureuse, qui va se révéler progressivement dans le livre, et qu’il va tenter de soigner par la beauté à laquelle il est désormais quotidiennement confronté dans ce nouveau travail. Le véritable personnage du roman est celui de Camille, une jeune fille qui a été victime d’une agression sexuelle. C’est un roman écrit quelques mois avant la vague #MeToo. C’est le livre dont on parle le plus actuellement, notamment au sein de la plus jeune génération.

 

Le thème de la beauté rédemptrice est récurrent dans votre œuvre, notamment dans La Vie heureuse.

Dans ce livre, Éric, le personnage principal, un homme assez ordinaire, directeur commercial, divorcé, ayant une vie assez monotone, va s’essayer à un rituel coréen bien réel: simuler sa propre mort et son enterrement. On lui demande d’écrire son épitaphe, de s’allonger dans un cercueil et de réfléchir à sa propre vie. En Corée, cette expérience est devenue un phénomène de société très important. C’est un pays où le taux de suicide est élevé, et ces simulations de funérailles attirent de nombreux volontaires. Les résultats valent le coup: cette expérience provoque généralement une sorte de déclic chez les participants. En expérimentant leur propre mort, ils reconsidèrent leur existence et prennent un nouveau départ, en ayant le sentiment d’une renaissance. Moi qui ai connu une expérience de mort à 16 ans, cela m’a parlé.

 

Sur quel projet littéraire travaillez-vous actuellement ?

Je viens de finir un nouveau livre, qui sera sûrement publié début 2025. Un roman qui parle, entre autres, d’astrologie et de voyance. C’est un thème qui me fascine depuis toujours.

 

La Vie heureuse, éd. Gallimard, 2024

Vers la beauté, éd. Folio, 2018

Charlotte éd. Folio, 2014

La Délicatesse éd. Folio, 2009

 

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L’auteur de La Délicatesse évoque sa rencontre avec la lecture à l’âge de 16 ans, presque par hasard, lors d’un long séjour à l’hôpital. Un tournant pour celui qui est désormais une figure incontournable de la littérature française. Cinéma, bande dessinée, théâtre... On croise son nom sur bien des supports, mais c'est sur la couverture de livres qu'il s'étale encore le plus régulièrement: David Foenkinos. Une vingtaine de romans à son actif, sans compter les nouvelles, dont certains ont été traduits dans une quarantaine de langues. Et de nombreux prix, dont le Renaudot, pour couronner le tout. À l'orée de ses 50 ans, l'auteur, réalisateur, acteur, scénariste revient sur sa carrière littéraire et sa relation au cinquième art pour Bastille Magazine.   Comment avez-vous découvert la littérature ? C’est assez particulier, je n’ai pas du tout grandi au milieu des livres, il n’y en avait pas chez moi. Je ne lisais pas du tout, comme mes parents d’ailleurs, je viens d’un milieu assez modeste dans lequel on ne m’y a jamais incité. Mais il y a eu un moment de bascule dans ma vie : une maladie très grave que j’ai contractée à l’âge de 16 ans et qui m’a valu un séjour de plusieurs mois à l’hôpital. Pendant cette période, en 1991, je me suis mis à lire énormément. Il faut dire que c’était mon seul moyen de rester connecté au monde extérieur: il n’y avait pas Internet ni de portable à l’époque ! Puis cette expérience m’a fait prendre conscience…

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