Sur l’autoroute des grandes vacances

Olivier Liron

Je n’éprouvais rien du grand chamboulement qui aurait dû s’emparer de moi en apprenant la nouvelle de sa mort.

Je n’éprouvais rien. Absolument rien. Il n’y avait plus qu’un trou noir en moi. Pas de place pour l’émotion. J’ai simplement eu le réflexe de téléphoner à Vediani.

Je me souviens très bien de ce que m’avait dit Virgile, deux jours avant de recevoir la lettre. Oui, mon ami d’enfance Vediani s’appelle Virgile, mais il veut qu’on l’appelle par son nom de famille pour qu’on se rappelle qu’il est italien. On prenait une Leffe à Belleville, assis en face d’un écran de télévision affichant l’image d’une cheminée virtuelle qui dégageait de fausses flammes. Vediani était triste de n’avoir pas la garde de Zoé pour les vacances d’hiver. Zoé serait avec sa mère et la belle-famille de mon ami, dans le sud de la France, vers Manosque.

Virgile partait en Normandie pour préparer un film documentaire qu’il avait en tête depuis longtemps. Vediani rêvait de faire un film pour montrer ce qui se passait à l’intérieur de nous. Tu comprends, disait-il, l’essentiel de ce qui se passe d’important dans nos vies se passe à l’intérieur de nous. Dans un espace à l’intérieur de nous qui est invisible à toutes les caméras du monde. Je voudrais, me disait Vediani, que ce film soit la voix de cet espace intérieur. Je voudrais qu’il y ait dedans toutes les voix à l’intérieur de nous, toutes les voix qui ne peuvent plus s’exprimer, toutes les voix que l’on bâillonne. Je voudrais que ce soit une immersion dans l’espace du dedans.

Si je voulais, je pouvais l’accompagner. J’avais répondu évasivement. Et puis ce coup de téléphone m’avait fait changer d’avis.

À de très rares reprises, jusqu’alors, j’avais laissé deviner à Vediani la présence d’une femme dans ma vie au cours des précédents mois et, quand je l’avais fait, quoique nous fussions très intimes, cela avait toujours été de façon discrètement allusive et certainement trop mystérieuse à ses yeux pour qu’il pût en inférer quoi que ce soit de concret à propos de cette relation. Je parlais de Loren par petites touches, sans toutefois révéler l’histoire de notre amour, comme si parler d’un être aimé à un tiers rompait la fine barrière qui semble imaginairement, quand on aime, nous séparer du monde.

Vediani s’était montré attentif et j’avais compris que je pouvais lui faire confiance, qu’il respecterait ma pudeur.

C’était vraiment un drôle de mec, Virgile Vediani. Mais ce drôle de mec, c’était mon ami d’enfance. Et j’avais besoin de lui. Et puis j’avais envie d’une longue promenade, d’une balade, de foncer dans les dunes, de sentir encore l’éperon de la vie et du vent sur mon visage, de longer la confidence des vagues.

J’avais envie de comprendre pourquoi tu avais fait ça.

Le soleil commençait à décliner quand nous sommes arrivés à proximité de Caen. Virgile Vediani conduisait très vite sur l’autoroute, il poussait la petite Citroën de location jusqu’à 160, 170 parfois. Je regardais les bornes kilométriques qui passaient à toute allure dans le cadre de la vitre. La lumière d’hiver était belle, diaphane et pure tel un cristal de glace. Moins quatre degrés sous zéro, annonçait le thermomètre du cadran de bord. Jusqu’à Caen, nous étions restés silencieux. Je pensais à Loren et Vediani réfléchissait à son film, certainement, ou peut-être à Marie et Zoé.

Au niveau de la sortie vers Évreux il reçut un coup de fil de Zoé avec qui il eut une conversation assez longue. Non, Zoé. Non, les moutons ne faisaient pas meuh. Et la chèvre, dit Vediani, elle fait quoi, elle fait quoi, elle fait quoi? Elle fait quoi la chèvre ? Elle fait comment ? Elle fait quoi, la chèvre ? dit Vediani. Non, elle ne fait pas hi han, la chèvre, elle ne fait pas hi han.

La symphonie fermière s’est poursuivie de cette manière jusqu’à l’échangeur routier de l’A13 avec la D321. À hauteur de la localité de Criquebeuf, j’ai aperçu une sculpture étrange sur le bas-côté, qui figurait un grand navire renversé. Un panneau indiquait en caractères bouton d’or qu’il s’agissait de l’œuvre Sur la trace des Vikings de Georges Saulterre. J’ai ri à part moi et j’ai montré la sculpture à Vediani. Depuis quelques années en effet, Virgile était dévoré par une folie enfantine, les Vikings. Les Vikings et puis les drakkars, les navires aux proues de monstres tournées vers l’inconnu. Depuis quelque temps, Vediani n’arrêtait pas de m’en parler. Au point que, malgré sa gueule de rital, il avait acquis peu à peu dans le regard une expression dure, quelque chose de bleu et froid comme la glace.

Vediani a saisi l’occasion au vol et m’a parlé de la très vieille Saga d’Erik le Rouge, et de la Saga des Groenlandais, et de Leif Erikson, fils d’Erik le Rouge et petit-fils de Thorvald Asvaldsson, que l’on appela Leif le Veinard. Leif le Veinard découvrit un soir de brume une terre lointaine et fabuleuse, le Vinland, avant de sombrer mystérieusement dans la folie. La terre inconnue que Leif le Veinard avait découverte s’appellerait, plus tard, l’Amérique. Je l’écoutais d’une oreille distraite, m’enfonçant voluptueusement dans mon siège, éprouvant une sensation d’anesthésie de tout mon être. L’intérieur de la voiture était tapissé d’une moquette vermillon qu’un ingénieur psychédélique avait bariolée de rayures horizontales violettes. Dans la lumière des phares le capot de notre Citroën de location se moirait de beaux reflets orangés et blancs. J’allumai l’autoradio. Sur Nostalgie quelqu’un chantait qu’il n’était pas un héros.

Sur l’aire d’autoroute, Vediani a foncé vers le McDo. En entrant, nous nous dirigeâmes vers le comptoir. Il était seize heures et le fast-food était presque désert. Des rangées de tables avec des tabourets rouge et jaune. Un type d’une quarantaine d’années avec un perfecto de cuir noir dans un coin contemplait la géométrie du parking en sirotant un Sprite mélancolique.

— Bienvenue dans le premier cercle de l’enfer, dit Virgile en rigolant.

Un serveur qui trimballait des poubelles nous indiqua avec lassitude la borne de commande automatique.

Vediani se dirigea vers la borne et pianota sur l’immense écran de deux mètres de haut.

— J’ai une faim d’ogre ! J’adore ces petits restaurants écossais traditionnels.

On a récupéré la commande et on s’est assis à une table d’angle. Des sets de table en papier sur les plateaux représentaient des vaches à l’ombre de pommiers en fleurs.

— C’est typique, ça ! Typique du McDo. Quand je suis allé en Espagne il y a quelques années, ils offraient du gazpacho avec les frites. Et en Normandie des vaches et des pommiers. Il ne manque plus que les photos du Débarquement.

J’essayai de le faire redescendre sur terre en évoquant ses projets artistiques. Je savais qu’il n’était jamais à court d’idées.

— J’ai un nouveau film que je brûle de réaliser.

— Dis toujours.

Il porta à sa bouche une énorme poignée de frites.

— C’est un conte initiatique pour enfants. En dessin animé. Une petite fille part à la recherche du Pancake mystérieux qui la rendra au Royaume enchanté d’où elle vient.

— Un Pancake mystérieux ?

— Oui. On ne voit pas assez de pancakes au cinéma. C’est un remake de La Petite Sirène, si tu veux, mais avec des pancakes.

Je haussai les épaules, je n’aimais pas cet humour absurde. Il sursauta.

— Infect ! Ils vont me le changer !

Il se leva et se dirigea vers la caisse. Je le vis parlementer avec l’employé puis il revint vers moi, furieux.

— Ce connard ne veut pas faire l’échange sous prétexte que j’ai mordu dedans. De toute façon ils moisissent depuis des heures, leurs sandwichs !

— Mais calme-toi. Tu n’en sais rien.

— J’en suis sûr. J’ai bossé au McDo quand j’étais étudiant et je t’assure, il y a un système de numéros.

Il me désigna un moniteur électronique au-dessus de la caisse.

— Tu vois l’écran avec les chiffres qui s’affichent? J’ai oublié de regarder en entrant. Parce qu’on est passés par la borne… Le numéro t’indique depuis combien de temps le sandwich moisit dans le bac.

— Et depuis combien de temps il pourrit, ton bout de bacon ?

— Trois heures.

J’éclatai de rire. Je commençais à me laisser gagner par une douce sensation d’indifférence au chagrin, d’euphorie légère. Avec la fatigue accumulée ces derniers jours, les contours des objets sur la table devenaient moins nets, des cassures douces remplaçaient les angles, la réalité du fast-food se décomposait tout entière en gros aplats fauves et tourmentés de couleur.

— Mais regarde ça !

Vediani souleva un bout de tomate en piteux état. Je le regardais faire. Il avait le regard fou de Buster Keaton.

— Putain mais c’est dégueulasse ! On va se venger. Ouvre tes yeux mon lapin! Leçon de sadisme citoyen. Numéro 1.

Vediani prit la mayonnaise et le ketchup sur la table et commença à barbouiller les vaches normandes et les pommiers du plateau avec un art consommé du gore. Une vraie porcherie. Il termina l’opération avec un mélange infâme de salade verte et de nappage au caramel en veillant à ce que le résultat soit le plus poisseux et dégoûtant possible. Puis il laissa le plateau en évidence en jetant un œil vengeur en direction des caisses.

— Ils devront tout nettoyer à la main. Ils sont obligés de le faire. On m’a fait la même vacherie quand j’étais employé.

— C’est ça que tu proposes, comme sadisme citoyen ?

— Non, tout à l’heure j’ai pourri aussi leurs toilettes, comme ça ils l’ont bien profond. Voilà ce que c’était avant tout, Virgile. Un poète.

On est remontés dans la Citroën et on est repartis à toute allure. En maniaque du septième art, Vediani a tout de suite commencé à tourner. Quand je dis qu’il a commencé à tourner, je veux dire qu’il a commencé à tourner autour des ronds-points. Des ronds-points de Caen.

— S’il y a bien quelque chose dont j’aimerais convaincre les gens, commenta Vediani en arrivant à la hauteur d’un sens giratoire majestueusement décoré par la municipalité, c’est que la beauté n’est pas absente des ronds-points.

Je n’ai pas voulu le vexer. On a continué à rouler sur ce qui me paraissait être maintenant, sans que je n’en eusse aucune certitude, le périphérique de Caen, mais aucune sortie ne s’affichait vers les grandes villes du littoral. C’était une bizarrerie de notre itinéraire. Nous aurions dû normalement, pour nous rendre au village indiqué par Jo, prendre la sortie vers Bayeux. Et, avant Bayeux, bifurquer vers Arromanches-les-Bains. Mais aucune signalisation routière n’apparaissait, à l’exception de quelques panneaux avertissant d’un danger, toujours les mêmes, chaussée glissante ou passage de mouflons (qu’est-ce que peuvent bien foutre des mouflons en Normandie, pensai-je).

— Qu’est-ce qui se passe? demanda Vediani au bout d’un long moment.

— Rien. Je crois qu’on tourne. Je crois qu’on tourne en rond.

— Regarde sur la carte.

— Comment ça ?

— Regarde où nous sommes. Regarde où nous sommes sur la carte.

— Comment ça ?

— Sur la carte. Regarde où nous sommes sur la carte, patate. Ça nous aidera à nous repérer.

— Tu dis vraiment n’importe quoi. Comment veux-tu que je regarde sur la carte ? Je ne peux pas regarder la carte puisque je ne sais pas où nous sommes.

— Oui, dit Vediani. Très juste. Je vois où est le problème. Le problème, c’est que nous ne savons pas où nous sommes.

— Oui. Voilà exactement le problème.

— Mais alors. Mais alors à quoi sert une carte, si nous ne pouvons pas savoir où nous sommes quand nous sommes perdus ? Si elle ne sert pas à savoir où nous sommes quand nous ne savons pas où nous sommes ?

— Je ne sais pas. C’est pour ça qu’on a inventé le GPS.

— Bon, de toute façon, avec un peu de chance, nous mettrons prochainement le cap sur un rond-point, ce qui nous permettra d’y voir clair.

Il s’esclaffa.

Bientôt nous trouvâmes la sortie vers Bayeux, et la Citroën roulait maintenant sur une route de campagne. Je notai seulement que Vediani conduisait avec un style bien à lui, le volant confié au seul menton, tandis qu’il configurait régulièrement sa caméra de la main gauche et pianotait sur son téléphone de la main droite. L’habitacle tanguait légèrement comme si nous étions sur une barque en train de descendre des rapides. Nous arrivions à la hauteur d’un petit boqueteau de peupliers qui se détachait sur le ciel sombre. Vediani me regarda soudain, mélancolique.

— Je t’emmène dans ton village mystérieux. Mais promets-moi une chose.

— Tout ce que tu veux.

— N’oublie pas la forme du soleil. Tu dois aller de l’avant. Quoi qu’il arrive.

La nuit tombait quand nous arrivâmes à Tombelaine.

Depuis quelques minutes, une métamorphose s’opérait autour de nous dans le paysage. L’espace était de plus en plus clairsemé, s’ouvrait, les clôtures s’effaçaient, laissaient place au bâillement aéré et paresseux des champs; une plaine nue piquetée çà et là par la silhouette décharnée et noire d’un arbre ou la mince tache blanche d’un bosquet d’éoliennes. D’abord une ferme de temps à autre. Puis il n’y eut plus une maison. Personne.

Et puis, un peu avant Arromanches, nous sommes arrivés à l’entrée d’un hameau minuscule. J’ai eu le temps d’apercevoir un écriteau rectangulaire au bord de la chaussée, avec un nom en lettres rouges (Arial Narrow, ou une police de caractères proche, je ne suis jamais parvenu à savoir quelle est cette police de caractères si particulière qui sert à écrire les noms de lieux. Le secret doit être bien gardé.). Vediani recula sur une dizaine de mètres et freina à la hauteur de l’écriteau. Je dus passer la tête par la vitre pour lire le nom du village. Le grand égyptologue Champollion a dû avoir la même émotion quand il a découvert la pierre de Rosette. J’ai passé la tête et j’ai déchiffré les hiéroglyphes.

Tombelaine.

Nous étions à Tombelaine. Il n’y avait pas de mystère. Il suffisait de nommer le monde, d’épeler les choses par leur nom. Tombelaine, cela commençait comme une sarabande lente et funèbre, tombe tombe tombe, comme une défaite et un abandon de vivre, Tombelaine, et cela s’achevait comme un balbutiement de bébé, belaine belaine, cela s’achevait comme un babil de petits chatons fous qui se roulent dans la laine chaude. Tombelaine c’était comme cette curieuse promenade normande, j’avais presque oublié cette lettre menaçante, j’avais oublié un instant les siècles de nuit où m’avait jeté l’absence opaque de cette femme, la disparition de la femme que j’aimais ou que j’avais cru aimer, je ne savais plus vraiment ce que j’étais venu chercher, au fond. On était au diable. Au diable Vauvert. On voulait juste ébrécher un peu le vitrail du ciel. On voulait faire la liste de toutes les choses qui font battre le cœur.

Et moi j’avais au cœur un pays fragile, j’étais pour toujours l’habitant de ton pays, mon amour, j’avais ta voix au cœur, le petit tintinnabulement de ton rire que j’entends toujours aux heures de grande pitié pour ne pas en perdre le vivre, mon acrobate aux cheveux de châtaigne et de pluie de printemps, ma petite morte de vingt-huit ans, ma toujours vive, je t’appelle en songe en haute mer sur la soie verte des icebergs, sous le couvercle sans issue des étoiles, je te revois dans cette ville inconnue où nous avions passé quelques jours au bord de la mer, fin mai début juin, avant que tu ne disparaisses, tu étais nue dans la lumière cendre olive du petit matin, tu contemplais tes seins dans la glace de la salle de bains, tu contemplais l’éternité de ton corps dans une grande psyché d’acajou posée dans la salle de bains, et puis tu as ouvert les fenêtres de notre chambre d’hôtel sur la noce sombre des toits, et tu dansais, Loren danse, tu danses quelque part, tu danses sous le grand lustre de la chambre et sur le tarmac éternellement blond d’un aéroport, tu virevoltes dans la vie avide, légère et trompeuse de la neige, nous sommes tous les deux au bord du fleuve dans l’odeur du fleuve et le tremblement d’un soir, dans le sel des extases qui meurent avec les parfums, tu dansais quand tu étais triste, et je veux croire alors que ta tristesse devenait autre chose ou que notre tristesse et cette danse et cette joie étaient la même chose. On s’aimait. On dansait et on s’aimait.

Et voici que j’étais arrivé dans ce lieu superbe où je venais chercher un signe de toi, dans ce hameau gelé au cœur de nulle part, Tombelaine, et certainement j’attendais, comme un fou ou comme un imbécile, j’attendais un miracle, j’attendais une réponse à la question de la vie et de la mort parmi les nuées d’étourneaux.

Et puis il y avait toi. Et je pensais à toi. Je pensais à ta joie, à ta beauté, à ces moments que tu m’avais offerts. Et il faudrait pouvoir dire la grâce, trouver une image, mais la grâce est trop pauvre pour se lover dans une image, trop légère pour cela, trop brûlante pour cela, la grâce se peut éprouver, à peine, elle se ressent parfois seulement comme une légère commotion au centre des paupières qui vous ouvre une volupté inimaginable au dedans de vous et une sensation de fraîcheur à vos tempes, et alors c’est l’amour vrai et c’est comme si toute la douleur, toute la douleur, toute la douleur du monde s’en allait de vous et qu’une petite vague, une toute petite vague sortie de la mer, depuis des milliers d’années la même petite vague qui se reforme toutes les huit secondes pour mourir encore, venait vous manger dans la main.

J’en étais là de mes pensées. C’est ici que l’on peut, si l’on veut, faire intervenir le banal parallèle entre l’amour et l’enfance, avec leur même allégresse naïve et désespérée, leur même lucidité tendue qui ne connaît pas de baume, avec les interminables jours d’été qui n’en finissent pas de se consumer lentement, et la minable éternité, qui bâille, sur l’autoroute des grandes vacances.

 

Olivier Liron est écrivain et poète. Il a écrit quatre romans et récits, dont Einstein, le sexe et moi (Alma éditeur) et Le Livre de Neige (éd. Gallimard). Son dernier livre en date, La Stratégie de la sardine, est paru chez Robert Laffont en 2023....

Je n’éprouvais rien du grand chamboulement qui aurait dû s’emparer de moi en apprenant la nouvelle de sa mort. Je n’éprouvais rien. Absolument rien. Il n’y avait plus qu’un trou noir en moi. Pas de place pour l’émotion. J’ai simplement eu le réflexe de téléphoner à Vediani. Je me souviens très bien de ce que m’avait dit Virgile, deux jours avant de recevoir la lettre. Oui, mon ami d’enfance Vediani s’appelle Virgile, mais il veut qu’on l’appelle par son nom de famille pour qu’on se rappelle qu’il est italien. On prenait une Leffe à Belleville, assis en face d’un écran de télévision affichant l’image d’une cheminée virtuelle qui dégageait de fausses flammes. Vediani était triste de n’avoir pas la garde de Zoé pour les vacances d’hiver. Zoé serait avec sa mère et la belle-famille de mon ami, dans le sud de la France, vers Manosque. Virgile partait en Normandie pour préparer un film documentaire qu’il avait en tête depuis longtemps. Vediani rêvait de faire un film pour montrer ce qui se passait à l’intérieur de nous. Tu comprends, disait-il, l’essentiel de ce qui se passe d’important dans nos vies se passe à l’intérieur de nous. Dans un espace à l’intérieur de nous qui est invisible à toutes les caméras du monde. Je voudrais, me disait Vediani, que ce film soit la voix de cet espace intérieur. Je voudrais qu’il y ait dedans toutes les voix à l’intérieur de nous, toutes les voix qui ne peuvent plus s’exprimer, toutes les voix…

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