La verticale des fous

Xavier Couture

À l’heure où échanger n’a jamais été aussi facile, une profusion cacophonique s’est installée empêchant le dialogue, véritable socle de la démocratie.
Les mots seraient-ils devenus le poison de la démocratie? La France traverse une période de sidération politique. Cela devrait appeler à la réflexion, au silence indispensable pour réinventer la vie en commun. C’est à l’inverse que nous assistons: le bruit, la fureur, et surtout le babillage incessant de politiques, de spécialistes et de sachants se bousculant pour gaver les médias insatiables. Et la panse sans fond des réseaux sociaux. «Des mots, encore des mots, toujours des mots» disait la chanson. Chaque prise de parole vient enfler le brouhaha, illustrant la tirade de Chrysale sur Trissotin dans Les Femmes savantes: «on cherche ce qu’il dit après qu’il a parlé».

Dans la Grèce du ive siècle avant notre ère, la démocratie était pourtant fondée sur un nouveau modèle de prise de parole. Elle en formait le socle, il fallait garantir la liberté d’expression, organiser le débat par l’opposition des arguments, la parole devenant un acquit libérateur. Depuis, la technologie est apparue comme un accélérateur de l’échange, une opportunité pour la vie démocratique. Et patatras! le constat est sans appel: la technologie se moque de nos attentes. Elle vit sa vie, produit son destin, laisse les humains en définir son usage, sans fil directeur, au petit bonheur la chance. Ainsi est né l’infini cacophonique. Des mots pour ne rien dire, des mots pour s’enfermer dans les anathèmes, les obsessions idéologiques. Avec autant de moyens d’expression la démocratie voudrait se faire entendre. Mais pour l’écouter, encore faudrait-il se taire. Le paradoxe de la liberté d’expression est là: il faut le silence pour que le débat puisse s’instaurer.

Il est temps de renverser notre vision de la verticale des pouvoirs. Dans notre culte archaïque d’une monarchie républicaine nous avons transformé les élections en téléréalité. La vérité est une notion floue, la réalité s’interprète au gré des clics, et l’apparence prime. À quoi bon exprimer un programme quand une douzaine de punchlines répétées en boucle suffisent. Cette infantilisation des citoyens est un danger mortel pour nos démocraties. En réduisant l’électeur au rôle  de zombie fasciné on le prive de sa capacité à agir. On le laisse contempler une illusion, le mirage d’un démos de likes narcissiques dont on a amputé le pouvoir, un cratos laissé aux manipulateurs de l’invective.

La démocratie est pourtant à notre porte, dans les discussions avec nos amis, nos familles, nos collègues. Cette liberté démocratique nous pouvons et nous devons la produire nous-mêmes. La verticalité est morte, l’horizontalité sans frontière du digital est toxique, alors redonnons tout son sens à la politique de proximité. Une forme de collusion s’établit entre la bureaucratie et le tintamarre politique, elle maintient les individus dans une irresponsabilité anesthésiée. Quand ils en prennent conscience, leur réponse est la revendication d’un État fort. Souvent c’est la conséquence d’un leurre: la croyance que d’autres profitent du système et qu’il faut remettre tout le monde au pas. La désillusion se paye au prix de libertés bafouées.

Reprendre la main signifie inverser la verticalité. Le pouvoir doit être aux citoyens, dans leur territoire, dans leurs activités quotidiennes dont ils connaissent les contraintes, les richesses, les difficultés et les évolutions à mettre en œuvre. L’autorité politique doit s’exercer pour toutes les fonctions régaliennes, c’est une évidence. Mais avant que les citoyens infantilisés ne fassent un caprice irréversible, il est urgent de leur redonner le pouvoir là où ils sont. Une manifestation de confiance indispensable si nous voulons retrouver une collectivité acceptée par tous. La Ve République meurt sous une avalanche de mots, il est grand temps d’inventer une nouvelle démocratie fondée sur le dialogue des citoyens et une génération de politiques à l’écoute. Notre liberté en dépend. 

Consultant et spécialiste des médias, Xavier Couture est l’auteur d’un essai sur la télévision, La Dictature de l’émotion (éd. Audibert).

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À l’heure où échanger n’a jamais été aussi facile, une profusion cacophonique s’est installée empêchant le dialogue, véritable socle de la démocratie. Les mots seraient-ils devenus le poison de la démocratie? La France traverse une période de sidération politique. Cela devrait appeler à la réflexion, au silence indispensable pour réinventer la vie en commun. C’est à l’inverse que nous assistons: le bruit, la fureur, et surtout le babillage incessant de politiques, de spécialistes et de sachants se bousculant pour gaver les médias insatiables. Et la panse sans fond des réseaux sociaux. «Des mots, encore des mots, toujours des mots» disait la chanson. Chaque prise de parole vient enfler le brouhaha, illustrant la tirade de Chrysale sur Trissotin dans Les Femmes savantes: «on cherche ce qu’il dit après qu’il a parlé». Dans la Grèce du ive siècle avant notre ère, la démocratie était pourtant fondée sur un nouveau modèle de prise de parole. Elle en formait le socle, il fallait garantir la liberté d’expression, organiser le débat par l’opposition des arguments, la parole devenant un acquit libérateur. Depuis, la technologie est apparue comme un accélérateur de l’échange, une opportunité pour la vie démocratique. Et patatras! le constat est sans appel: la technologie se moque de nos attentes. Elle vit sa vie, produit son destin, laisse les humains en définir son usage, sans fil directeur, au petit bonheur la chance. Ainsi est né l’infini cacophonique. Des mots pour ne rien dire, des mots pour s’enfermer dans les anathèmes, les obsessions idéologiques. Avec…

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