L’adage veut qu’une puissance déclinante et une émergente s’affrontent afin d’assoir la domination de l’une sur l’autre. Cette antienne n’est peut-être pas inéluctable pour la Chine et les États-Unis.
Le monde est au bord de nombreuses crises. La guerre entre la Russie et l’Ukraine et le conflit israélo-palestinien font craindre le déclenchement d’une troisième guerre mondiale. Le
changement climatique a des conséquences de plus en plus dévastatrices et les pandémies mondiales, comme celle de covid, sont devenues des menaces pressantes pour la santé publique. Les progrès technologiques, telle l’intelligence artificielle (IA), offrent à l’humanité à la fois des opportunités et de formidables défis. Les pays en développement sont
confrontés à une crise de la dette de plus en plus grave. Toutes ces questions nécessitent une collaboration entre les deux grandes puissances, États-Unis et Chine, pour relever ensemble ces défis mondiaux.
Cette année marque le 80e anniversaire du système de Bretton Woods, qui a joué un rôle clé dans l’élaboration de l’ordre économique de l’après-guerre. Les États-Unis et la Chine, de par leur statut, devraient faire preuve d’un plus grand leadership dans les affaires inter- nationales et assumer les responsabilités qui découlent de leur influence. Pourtant, les relations entre les deux pays sont empreintes de tensions, en particulier à l’approche de l’élection présidentielle américaine. Les États-Unis présentent de plus en plus la Chine comme un « rival », l’administration du président Joe Biden mettant en œuvre une politique de « petite cour, haute clôture » par le biais de mesures telles que la loi CHIPS afin de limiter la montée en puissance de la Chine. Cette stratégie s’est avérée néfaste pour les deux parties, en perturbant la confiance des entreprises et en affaiblissant les échanges bilatéraux. Pour autant, la Chine, bien que confronté à un ralentissement, a maintenu son objectif d’un taux de croissance de 5 % en 2024. Par ailleurs, l’initiative chinoise « la Ceinture et la Route » a permis d’investir plus de 1 000 milliards de dollars dans le monde et de lancer quelque 3 000 projets dans les pays du Sud.
Les États-Unis présentent de plus en plus la Chine comme un “rival”.
En outre, en tant qu’acteur majeur des BRICS, la Chine a activement promu la mondialisation économique. Cette année, ce groupe s’est élargi, avec un doublement des États membres, et jusqu’à 30 pays ont exprimé le souhait d’y adhérer. Ces développements montrent que la confrontation entre les États-Unis et la Chine est contre-productive et que les deux nations devraient plutôt rechercher une coopération plus étroite.
L’élection présidentielle américaine est l’affaire du peuple américain. On peut toutefois réfléchir aux conséquences du résultat. Si Donald Trump devait reprendre ses fonctions, plusieurs sujets pourraient façonner les relations entre les États-Unis et la Chine. Tout d’abord, du point de vue de la Chine, M. Trump devrait donner la priorité aux préoccupations économiques et éviter de rallumer une guerre commerciale. La première phase des négociations entre les deux pays a déjà eu lieu et une seconde est possible. Contrairement à l’approche de l’administration Biden qui consistait à former des cercles exclusifs pour contenir la Chine, M. Trump pourrait se concentrer sur l’ouverture de canaux pour le commerce bilatéral. Deuxièmement, sur la question de Taïwan, M. Trump a déjà déclaré que l’île devrait payer les États-Unis pour assurer sa sécurité, ce qui suggère une approche transactionnelle de la question. Toutefois, une position plus constructive consisterait pour les États-Unis à maintenir la politique de la « Chine unique ». Enfin, pour Pékin, il serait prudent que les États-Unis confirment les trois communiqués conjoints sino-américains, qui ont été approuvés par différents chefs de la Maison Blanche. Le prochain président ne devrait pas faire exception.
Dans le cas où Kamala Harris serait élue, il est probable qu’elle poursuivra largement la politique de M. Biden. Le dialogue et la coopération entre les États-Unis et la Chine sont possibles dans des domaines tels que le changement climatique, la défense, la crise du fentanyl, l’intelligence artificielle, le commerce et la finance. L’administration sortante a souligné la nécessité d’établir un « garde-fou » et de maîtriser les risques dans les relations entre les États-Unis et la Chine. La gestion de ces risques pourrait donc devenir une priorité. Kamala Harris vient de Californie et pourrait être encline à aborder les relations sino-américaines avec une plus grande sensibilité, compte tenu de l’importance de la communauté chinoise dans son État (qui compte deux millions de personnes d’origine chinoise). En outre, son colistier, Tim Waltz, connaît très bien la Chine, puisqu’il y a enseigné pendant plus d’un an et qu’il a conduit 30 délégations d’étudiants à visiter le pays. Sa familiarité avec la Chine pourrait aboutir à un ton plus équilibré et plus pragmatique à la politique américaine à l’égard de la Chine.
Les relations entre les deux pays traversent souvent des phases cycliques.
Après huit années de tensions, les relations bilatérales ont atteint un point bas et il faudra des années pour réparer les dégâts. Comme l’a souligné le politologue Graham Allison dans mon récent ouvrage intitulé Escaping Thucydides’s Trap, la reconnaissance de l’existence d’un tel piège est la première étape pour l’éviter. Lors de ma conversation récente avec Joseph Nye, auteur de Soft Power and Great Power Competition, j’ai également noté que les relations entre les deux pays traversent souvent des phases cycliques et qu’elles pourraient donc s’améliorer d’ici cinq à dix ans. La Chine ne peut pas changer les États-Unis, et les États-Unis ne peuvent pas changer la Chine.
Les deux pays doivent s’efforcer de trouver un équilibre et de coexister pacifiquement. Il existe plusieurs domaines dans lesquels ils pourraient coopérer de manière constructive. Tout d’abord, ils pourraient œuvrer ensemble à la médiation des conflits régionaux et à la prévention de leur escalade, en particulier dans le cas de la guerre entre la Russie et l’Ukraine et du conflit israélo-palestinien. M. Trump, par exemple, a affirmé qu’il pourrait résoudre la question russo-ukrainienne en vingt-quatre heures s’il était réélu. La Chine a présenté un plan de paix en douze points pour résoudre la guerre russo-ukrainienne et une proposition en six points en partenariat avec le Brésil. En outre, la Chine a joué un rôle clé dans la création du Groupe d’amis pour le règlement pacifique de la crise ukrainienne des Nations unies. Elle a par ailleurs facilité la signature de la déclaration de Pékin par 14 factions palestiniennes et a servi d’intermédiaire, en 2023, pour la réconciliation entre l’Iran et l’Arabie saoudite. Ces actions démontrent que la Chine est bien placée pour collaborer avec les États-Unis dans la résolution des conflits à travers le monde. Par exemple, la Chine a soutenu les sanctions contre la Corée du Nord aux Nations unies pendant l’administration Trump.
Deuxièmement, le changement climatique offre une opportunité cruciale et urgente de coopération entre les deux plus grands émetteurs de carbone au monde. Cela pourrait prendre de nombreuses formes : la recherche et le développement de technologies vertes, l’accroissement de la production d’énergie renouvelable et la mise en œuvre d’initiatives de réduction des émissions de CO2 à grande échelle. Une avancée potentielle pourrait être la formation d’un groupe du G10 sur le sujet en réunissant les plus grands émetteurs, en particulier la Chine, l’Inde et les États-Unis, afin de coordonner l’action climatique et de garantir la responsabilité dans la réalisation des objectifs environnementaux mondiauxtels que l’Accord de Paris.
Troisièmement, le développement des infrastructures représente une autre voie majeure de collaboration, notamment grâce à la synergie entre l’initiative chinoise Belt and Road (BRI), le plan Build Back Better des États-Unis et le Global Gateway de l’Union européenne. La BRI, qui se concentre sur le développement des équipements en particulier dans les régions en développement, s’aligne sur l’initiative américaine qui vise à revitaliser les infrastructures nationales et internationales tout en promouvant une croissance durable et inclusive. Au lieu de se concurrencer, ces initiatives pourraient se compléter, via un partage d’expertise et de ressources. Par exemple, l’expérience de la Chine en matière de construction de chemins
de fer, de ports et d’installations énergétiques pourrait être associée aux innovations technologiques et aux normes américaines en matière de transparence, de droits du travail et de durabilité environnementale. Ensemble, ces projets pourraient promouvoir le développement économique dans les régions sous-développées, réduire la pauvreté et combler le déficit d’infrastructures de manière plus durable, contribuant ainsi aux efforts mondiaux pour atteindre les objectifs de développement durable des Nations unies.
Le changement climatique offre une opportunité cruciale et urgente de coopération entre les deux plus grands émetteurs de carbone au monde.
Quatrièmement, l’intelligence artificielle offre aux deux nations une opportunité de coopération sans précédent. L’IA transforme rapidement diverses industries, des soins de santé à la finance, et offre un potentiel de croissance économique et d’innovation. Toutefois, les défis éthiques, sécuritaires et sociétaux posés nécessitent également des efforts de collaboration. En un mot, l’IA risque de diviser et de fragmenter le monde. La création d’un groupe G10 sur l’IA pourrait permettre d’établir des normes mondiales. En juin, le Center for China and
Globalization (CCG) a invité les ambassadeurs de France et d’Allemagne à organiser un séminaire sur les « Perspectives européennes et chinoises sur la gouvernance de l’IA ». En
2025, le sommet d’action sur l’IA se tiendra à Paris, où des échanges plus approfondis sur la coopération en matière d’IA entre la Chine, les États-Unis et l’Europe pourront avoir lieu.
Cinquièmement, les échanges culturels et éducatifs entre les États-Unis et la Chine devraient être renforcés, compte tenu notamment du nombre important de Chinois – plus de 300 000 – qui étudient actuellement aux États-Unis. L’an dernier, le président Xi Jinping a proposé d’inviter 50 000 jeunes Américains à visiter la Chine au cours des cinq prochaines années. Selon les statistiques officielles, plus de 7 200 sont venus au cours du premier semestre de cette année. Le potentiel de croissance des échanges culturels est immense.
Sixièmement, la mise en place d’un mécanisme de dialogue trilatéral entre les États-Unis, la Chine et l’Union européenne serait une mesure stratégique pour renforcer la coopération au sein d’institutions mondiales clés telles que les Nations unies, la Banque mondiale, le Fonds monétaire international, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Au sein de l’OMC, par exemple, les trois parties pourraient œuvrer conjointement pour traiter des questions urgentes telles que les droits de propriété intellectuelle, la réglementation du commerce électronique et la chaîne d’approvisionnement mondiale. À l’OMS, elles pourraient collaborer à la gouvernance mondiale de la santé, à l’amélioration de la préparation aux pandémies et à la garantie d’un accès équitable aux vaccins et aux soins de santé.
Les échanges culturels et éducatifs entre les États-Unis et la Chine devraient être renforcés.
En conclusion, les relations entre les États-Unis et la Chine ne sont pas condamnées à tomber dans le « piège de Thucydide », où une puissance émergente entre inévitablement en conflit avec une puissance établie. L’ordre international est déjà passé d’une structure unipolaire à une structure multipolaire, et il est dans l’intérêt des États-Unis et de la Chine de travailler ensemble au maintien de la paix et de la stabilité dans le monde. Leur coopération est essentielle pour relever les défis les plus pressants du monde, du changement climatique aux conflits régionaux, et pour favoriser une communauté internationale plus harmonieuse et plus prospère.
Huiyao Wang est le fondateur et président du Center for China and Globalization. Il a été conseiller du Conseil d’État chinois, nommé par le Premier ministre....
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