Une économie tech-dépendante

par Bastien Drut

Le secteur digital croît bien plus vite que le reste de l’économie américaine. L’arrivée et le développement de l’intelligence artificielle laisse présager que la tendance va perdurer.
L’ascension spectaculaire du cours en Bourse du concepteur de puces électroniques Nvidia, les progrès de l’intelligence artificielle (IA) ou encore les prises de position politiques d’Elon Musk sont des illustrations du poids de plus en plus important du secteur technologique dans l’économie américaine. Alors que les observateurs cherchaient jadis à expliquer les évolutions du rythme de croissance de la tech à partir de celles de la croissance économique américaine, la causalité va désormais dans les deux sens. Nous détaillons trois grandes raisons de cela dans ce texte.

L’économie numérique croît très vite et représente déjà un poids important dans l’économie

La digitalisation, c’est-à-dire la diffusion des technologies numériques, constitue une mégatendance. On la retrouve à peu près partout. Elle transforme les façons de consommer et de produire, et donc le business model des entreprises. Le caractère protéiforme de la digitalisation fait qu’il est assez rare que le phénomène soit quantifié finement. Une exception
notable est le BEA (Bureau of Economic Analysis), qui calcule depuis quelques années le poids de l’économie numérique pour les États-Unis en mesurant la valeur ajoutée de trois  grands types de biens et services : ce qui est lié au matériel physique tels que les ordinateurs et leurs composants, les logiciels mais aussi les data centers, les usines de fabrication de  semi-conducteurs ou de fibres optiques ; l’e-commerce, qu’il relève du B to B ou du B to C ;  les services numériques, c’est-à-dire les services payants en lien avec l’informatique et les communications (on peut penser aux services de cloud, aux abonnements en tout genre comme le streaming, aux plateformes de mise en relation des consommateurs).
La diffusion de nouvelles technologies peut mettre un certain temps à influer sur la productivité.
Selon le BEA, l’économie numérique représentait ainsi 10 % du PIB des États-Unis en 2022, soit une part dans la valeur ajoutée à peu près équivalente aux activités manufacturières.  C’est donc un segment très important de l’économie la plus importante du monde. L’élément remarquable au sujet de l’économie numérique est sa très forte croissance sur les dernières années : elle a augmenté de 7,1 % par an en moyenne sur la période 2017-2022 alors que l’économie américaine au sens large n’a crû que de 2,2 %. Le segment le plus dynamique au sein du numérique est celui des services de cloud pour lesquels la valeur ajoutée réelle a progressé de 33,3 % en moyenne par an sur la période ! Bref, l’économie digitale croît beaucoup plus vite que le reste de l’économie américaine.

Le rôle majeur de l’IA dans les gains de productivité

Dans de nombreux pays, la croissance économique devrait en théorie être affaiblie par la démographie déclinante sur les décennies à venir. Afin de contrebalancer ce phénomène,  l’accent est donc is sur les gains de productivité. L’un des grands espoirs pour cela est que les développements relatifs à l’intelligence artificielle, dont les États-Unis constituent l’épicentre, puissent mener à des gains de productivité dans l’ensemble de l’économie, c’est-à-dire à une augmentation de la production par employé, via plusieurs canaux : l’automatisation de certaines tâches, la complémentarité dans l’exécution des tâches, la sophistication de l’automatisation et le développement de nouvelles tâches.

Un document de travail du National Bureau of Economic Research a montré que l’adoption de l’IA générative par le grand public aux États-Unis est très rapide et se trouve même en  avance sur celle des ordinateurs et d’Internet en leur temps. En effet, son taux d’adoption par la population âgée de 18 à 64 ans dans ce pays est de 39,4 % deux ans après sa mise sur le
marché, soit deux fois plus qu’Internet à l’époque. Un autre point intéressant de cette étude est qu’à peu près la même part des personnes interrogées indiquent l’utiliser au travail et que la diversité des tâchés demandées est importante.

Toutefois, il existe une grande incertitude sur les effets de l’IA sur l’économie et sur le timing de ces effets. Dans un article récent (« The Simple Macroeconomics of AI »), l’universitaire spécialiste du sujet Daron Acemoğlu insiste sur l’incertitude de l’impact de l’IA et fournit une estimation conservatrice de gains de productivité de l’ordre de 0,064 % par an sur la décennie à venir pour les États-Unis. Mais il explique que cette estimation ne peut mécaniquement pas intégrer la création de nouvelles tâches et de nouveaux produits et services qui pourraient accélérer la croissance. La diffusion de nouvelles technologies peut mettre un certain temps à influer sur la productivité et dépend notamment de l’existence d’actifs complémentaires (par exemple, les lignes électriques dans le cas de la diffusion de l'électricité il y a un siècle). Mais dans le cas de l'IA, certains membres de la Réserve fédérale se montrent optimistes sur ce point car les actifs complémentaires (ordinateurs, réseaux, etc.) existent déjà.
L’économie numérique représentait 10 % du PIB des États-Unis en 2022.
La flambée des valeurs technologies, à l’origine d’importants effets « richesse »

La hausse des marchés actions depuis la fin de l’année 2019 a essentiellement été tirée par les valeurs technologiques, d’abord avec le choc de digitalisation consécutif à la crise covid (recours accru au télétravail par exemple) puis après le lancement de ChatGPT en novembre 2022. Il est important de souligner que ces développements ont des répercussions macro-économiques significatives pour les États-Unis.

Le célèbre investisseur Warren Buffet a popularisé le ratio « Valorisation des entreprises cotées/ Produit intérieur brut » afin d’évaluer la sur- ou sous-évaluation des marchés actions. Sans porter de jugement sur cette technique de  valorisation,celle-ci permet de mesurer l’importance de la hausse des marchés actions par rapport à la taille de l’économie. Alors que les
actions des entreprises non-technologiques représentent à peu près le même poids actuellement qu’à la fin de l’année 2019 (131 % du PIB en septembre 2024 contre 115 %), le poids
des actions des entreprises technologiques a quasiment doublé, en passant de 32 % du PIB à la fin 2019 à 66 % du PIB en septembre 2024. La hausse des valeurs tech en Bourse explique donc la grande majorité de la hausse des marchés actions américains depuis la fin de l’année 2019 mais surtout, elle explique aussi une large part de l'augmentation du patrimoine net des Américains sur la période. Ainsi, elle est à l'origine d'effets "richesse" significatifs, qui ont vraisemblablement contribué à soutenir la consommation des ménages sur les derniers trimestres. Par le biais de la valorisation des entreprises cotées aussi, la tech a un impact très important et probablement négligé sur l'économie américaines

Bastien Drut fait partie de l’équipe Stratégie et recherche économique de CPR Asset Management et professeur associé au CNAM. Il a coécrit avec Juliette Cohen Turbulences dans l’économie mondiale (éd. De Boeck)....

Le secteur digital croît bien plus vite que le reste de l’économie américaine. L’arrivée et le développement de l’intelligence artificielle laisse présager que la tendance va perdurer. L’ascension spectaculaire du cours en Bourse du concepteur de puces électroniques Nvidia, les progrès de l’intelligence artificielle (IA) ou encore les prises de position politiques d’Elon Musk sont des illustrations du poids de plus en plus important du secteur technologique dans l’économie américaine. Alors que les observateurs cherchaient jadis à expliquer les évolutions du rythme de croissance de la tech à partir de celles de la croissance économique américaine, la causalité va désormais dans les deux sens. Nous détaillons trois grandes raisons de cela dans ce texte. L’économie numérique croît très vite et représente déjà un poids important dans l’économie La digitalisation, c’est-à-dire la diffusion des technologies numériques, constitue une mégatendance. On la retrouve à peu près partout. Elle transforme les façons de consommer et de produire, et donc le business model des entreprises. Le caractère protéiforme de la digitalisation fait qu’il est assez rare que le phénomène soit quantifié finement. Une exception notable est le BEA (Bureau of Economic Analysis), qui calcule depuis quelques années le poids de l’économie numérique pour les États-Unis en mesurant la valeur ajoutée de trois  grands types de biens et services : ce qui est lié au matériel physique tels que les ordinateurs et leurs composants, les logiciels mais aussi les data centers, les usines de fabrication de  semi-conducteurs ou de fibres optiques ; l’e-commerce, qu’il relève…

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