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Par Alix Van Pée
Une alchimie particulière opère entre la musique et l’œuvre filmique qu’elle accompagne. Un bon moyen d’ouvrir nos horizons auditifs.
Décidément, il existe une connexion secrète entre le chiffre 27 et la musique. On le sait, le «club des 27» fait référence aux brillants musiciens décédés à 27 ans comme Jimi Hendrix ou Janis Joplin. Mais 27 ans est aussi l’âge moyen auquel les Français cesseraient de découvrir de nouveaux morceaux, selon la plateforme de streaming Deezer. À l’en croire, si vous avez dépassé ce cap, il est probable que vous passiez vos dimanches pluvieux à réécouter la musique qui a bercé votre jeunesse: Elli et Jacno, Kurt Cobain ou Britney Spears, selon votre âge… Ce phénomène s’appelle «la paralysie musicale», et il m’effraie beaucoup.
Quelle tristesse de se cantonner à des albums doudou, quand l’offre musicale est si vaste qu’il nous faudrait plusieurs vies pour en découvrir les joyaux! Certes, s’ouvrir à de nouveaux horizons musicaux est coûteux en énergie. Faute de motivation pour écouter des playlists aléatoires, il reste un lieu pour apprécier la musique: le cinéma.
Ces dernières années, les salles obscures ont été pour moi un haut lieu de découverte musicale. Jamais je n’aurais accroché aux style macabre et foutraque de Danny Elfman sans les films de Tim Burton; la musique de Ry Cooder m’aurait rebutée si elle n’avait pas teinté d’un filtre bizarre et nostalgique le magnifique Paris, Texas, de Wim Wenders. La bande originale a ce pouvoir: elle nous mène vers des territoires inexplorés, comme l’électro violente de The Substance, de Coralie Fargeat, la musique si classique qu’on l’avait oubliée (Mozart chez Emmanuel Mouret), ou encore la musique populaire (dans le génial Vingt Dieux, de Louise Courvoisier).
Le cinéma a ce privilège: il impose la nouveauté musicale à des spectateurs captifs. Zapper un titre qui nous déplaît (mon activité préférée à la maison) y est impossible, et c’est une bonne chose. Certains metteurs en scène en profitent, en proposant des BO incongrues, a priori très éloignées du sujet de leur film. Fernando Meirelles, réalisateur brésilien des Deux Papes, s’est autorisé à placer Dancing Queen d’ABBA, dans son long métrage (la collision fonctionne). Dans la même veine, Xavier Dolan a multiplié les morceaux kitsch dans les scènes les plus poignantes de ses films… Idem pour Thomas Cailley, qui, dans Le Règne animal, a illustré une scène mémorable entre un père et son fils avec… Elle est d’ailleurs de Pierre Bachelet. Voilà l’une des grandes forces du septième art: il peut ébranler nos convictions esthétiques.
La magie de la BO est d’autant plus intéressante qu’elle est à double tranchant. Une mauvaise ne procure aucune émotion au public, voire dévie le message du film, alors qu’une bonne a un pouvoir créateur: «la musique plus l’image créent une autre œuvre, une troisième œuvre qui est l’interaction entre les deux» pour citer Jean-Benoît Dunckel, moitié de Air et compositeur de musiques de films. Le Retour à la raison, sorti en novembre 2024, en était l’illustration: le film est un mélange parfait entre les images tournées par Man Ray il y a près d’un siècle et une bande originale signée Sqürl, le groupe expérimental du réalisateur Jim Jarmusch. Désormais, j’aurai du mal à voir du Man Ray sans penser à ces sons hypnotiques…
Voilà le pouvoir des BO réussies: elles attachent pour toujours un son à une image, à une ambiance. Ainsi, le morceau Stay de Maurice Williams & The Zodiacs m’évoquera toujours une scène de danse brûlante dans Dirty Dancing. Avis aux réalisateurs qui recycleront cette chanson par la suite: l’image de Patrick Swayze en train de se déhancher se superposera toujours à celles de leur film…
Alix Van Pée est une journaliste franco-belge passionnée de musique, de photographie et de cinéma. Elle travaille en tant que chroniqueuse pour Arte Concert et Canal+, au sein de l’émission Le Cercle Cinéma....
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