Étiquettes: LE RENOUVEAU DU NUCLÉAIRE
Par Jean-Pierre Hauet
Défis climatique et stratégique ont replacé l’énergie nucléaire sur le devant de la scène. Un retour dynamisé par les progrès de la recherche.
Pendant plus de vingt ans, certains se sont efforcés à faire croire que l’énergie nucléaire était une énergie du passé et que son seul avenir était dans son démantèlement. Face au défi climatique et aux enjeux stratégiques, la raison semble aujourd’hui l’emporter. La place du nucléaire, aux côtés des énergies renouvelables, pour la production d’une électricité bas-carbone, n’est plus guère contestée. À ce jour, 439 réacteurs sont en exploitation dans le monde et 66 sont en construction. En Europe, 97 GW sont en exploitation, à égalité avec les États-Unis et devant la Chine. La Commission européenne, traditionnellement peu encline à soutenir l’énergie nucléaire, estime à présent que «l’UE doit mieux intégrer l’énergie nucléaire dans sa stratégie énergétique globale et réduire la fracture actuelle entre les États membres.»
Cette renaissance du nucléaire s’accompagne d’un nouvel élan dans les développements technologiques, élan au demeurant indispensable si l’Europe ne veut pas se laisser distancer par l’Asie et l’Amérique. Ce redémarrage se déploie en France dans plusieurs directions.
Le développement de technologies nouvelles en soutien du déploiement des réacteurs EPR2. Le lancement du «Grand Carénage» (vaste opération de modernisation des centrales existantes), puis celui de la construction de six EPR2, qui doit être confirmé début 2026, ont amené EDF à entamer un programme de grande ampleur de modernisation, de fiabilisation et d’amélioration des méthodes de conception, fabrication et maintenance des réacteurs. Parmi les technologies privilégiées, on trouve des techniques de base, telles que le soudage, mais aussi des techniques plus innovantes, telles que l’utilisation de jumeaux numériques, la fabrication additive et la compression isostatique à chaud.
De petits réacteurs répondraient aux besoins des collectivités ou des grandes industries, en substitution aux combustibles fossiles.
En appui, a été lancée par 12 acteurs du nucléaire, l’Université des métiers du nucléaire pour relever le défi des compétences de la filière. Les grandes entreprises, les start-up et les PME offrent aujourd’hui des perspectives majeures en termes de recrutement. Rappelons que la filière du nucléaire représente 220000 emplois à la fois non délocalisables et qualifiés.
La mise au point de nouveaux réacteurs innovants et, en particulier, de petits réacteurs modulaires. L’idée de développer de petits réacteurs nucléaires modulaires (PRM) ou small modular reactors (SMR) est née il y a plusieurs décennies avec l’objectif d’industrialiser la fabrication de réacteurs standards pouvant s’inspirer des réacteurs compacts et de faible puissance de la propulsion navale. De tels réacteurs, d’une puissance allant de 5 à 300 MW, thermiques ou électriques, répondraient aux besoins en électricité ou en chaleur des collectivités ou des grandes industries, en substitution aux combustibles fossiles.
Des procédés innovants, notamment en matière de sûreté passive et de gestion des déchets, associés à une fabrication industrialisée, pourraient permettre une baisse des coûts tout en assurant un haut niveau de sûreté. Plus de 80 projets sont en cours de développement dans le monde, souvent portés par des start-up proposant des concepts novateurs. En Europe, la Commission européenne a soutenu la création d’une SMR Industrial Alliance. En France, trois appels d’offres successifs, lancés dans le cadre de France 2030, ont permis de sélectionner onze projets dont certains bénéficient du soutien du CEA (Commissariat à l’énergie atomique). Ces programmes de recherche visent à explorer diverses techniques. Beaucoup s’apparentent à celles des réacteurs à neutrons rapides, avec des fluides caloporteurs qui peuvent être le sodium, le plomb ou les sels fondus et un objectif qui est soit électrogène, soit calogène.
Le défi est enthousiasmant mais il est clair qu’il y aura beaucoup d’échecs. L’exemple des projets américains, en particulier ceux de TerraPower (Natrium) et de NuScale, montrent que la route est longue et beaucoup de problèmes ne sont pas simplifiés du seul fait du downsizing (réduction de la taille). Les délais avancés par les porteurs de projets sont souvent irréalistes, les difficultés et les budgets sont sous-estimés. Cependant, de cette effervescence qui a gagné tous les pays ayant une expérience dans le nucléaire, ressortiront des solutions car le marché auquel il faut répondre dans une optique de décarbonation est bien réel.
La génération IV et la fermeture du cycle. La reprise des travaux sur la génération IV de centrales nucléaires est pour la France une nécessité. Le projet de programmation pluriannuelle de l’énergie PPE3 note que «le développement de réacteurs à neutrons rapides (RNR) permettrait de s’affranchir durablement de l’approvisionnement en uranium grâce au retraitement de l’ensemble des combustibles usés afférents. La production de déchets radioactifs serait aussi réduite». L’arrêt du réacteur Astrid n’est évidemment pas une réponse à la nécessité de fermer le cycle du combustible, notamment en recyclant les déchets à haute activité et à vie longue. Même si le calendrier permet de la reporter en post 2050, elle devra être apportée et il faut la préparer. Les travaux sur les SMR peuvent y contribuer mais, à l’instar de la Chine et de la Russie, il serait utile de remettre en selle l’idée de disposer d’un projet pilote.
Le marché auquel il faut répondre dans une optique de décarbonation est bien réel.
À plus long terme: la fusion. La maîtrise de la fusion nucléaire constitue un défi d’une ampleur considérable pour l’humanité. Le projet international ITER est en cours de développement à Cadarache, en France, avec des difficultés techniques et financières qui renvoient le premier plasma de 2025 à, probablement, 2035. Encore ne s’agit-il que d’un outil de recherche visant simplement à démontrer la possibilité de stabiliser un plasma dans un tokamak avec un ratio énergétique «puissance injectée/puissance générée» supérieur à 10. Viendra ensuite le temps de développer des prototypes «DEMO» pour capter la chaleur et produire effectivement de l’électricité. Entreprise passionnante mais à l’évidence de long terme.
Entre-temps, d’autres projets voient le jour. Le tokamak JT60 construit en parallèle au programme ITER a été inauguré au Japon le 1er décembre 2023. Ce projet, auquel participe le CEA, apportera beaucoup d’enseignements en anticipation de la mise en fonctionnement d’ITER.
La filière du confinement inertiel par laser semble progresser aux États-Unis, même si la conception d’une machine permettant de fabriquer et de faire défiler des capsules soumises aux tirs laser reste problématique. La société Helion propose, aux États-Unis, une machine magnéto-inertielle qui pourrait apporter une réponse à cette question. Elle s’est engagée à vendre à Microsoft de l’électricité provenant de la fusion dès 2028! Une trentaine de start-up dans le monde se sont ainsi emparées du problème de la domestication de la fusion nucléaire et, en France, l’une d’entre elles (Renaissance Fusion) a été retenue parmi les projets soutenus par France 2030.
On le voit, le nucléaire fourmille actuellement d’idées et de projets nouveaux, et encore, n’avons-nous pas évoqué les applications potentielles de la chaleur et de l’électricité produites, pour la décarbonation ou le dessalement notamment. Beaucoup de projets n’aboutiront pas: ce sont des projets de recherche et la recherche et la garantie de résultat n’existe pas. Mais ils témoignent de la vitalité technologique du domaine du nucléaire, suite à l’impulsion majeure née de la prise de conscience de l’enjeu climatique et stratégique de la sortie des énergies fossiles.
Polytechnicien et ingénieur du corps des mines, Jean-Pierre Hauet a été rapporteur général de la Commission de l’énergie et du plan avant de rejoindre Alcatel Alsthom, où il a été notamment président du centre de recherche du groupe, directeur de branche dans Cegelec puis Chief Technology Officer d’Alstom. Il est actuellement président du Comité scientifique d’équilibre des énergies....
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