
Les Coiffeuses au soleil, juin 1966 © Atelier Robert Doisneau
Doisneau, recomposer le réalisme poétique
Texte par Isabelle Benoit
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Texte par Isabelle Benoit
Lorsque j’étais enfant, mon père nous montra la seule image amusante d’une épaisse encyclopédie de la Seconde Guerre mondiale: un homme conversant aimablement avec un lapin logé dans une cuisinière à gaz. L’image avait de quoi frapper et tous les soirs, dans un rituel dont les enfants ont le secret, nous demandions à voir avant d’aller au lit «le petit lapin qui est dans le gaz». Cette expression innocente désignait Le Lapin de monsieur Barabé, 1945. Ce fut incontestablement ma première rencontre avec Robert Doisneau. À l’époque une telle photographie n’était pas présentée comme une œuvre d’art mais comme une simple illustration de la pénurie alimentaire. Pour moi, c’était une histoire merveilleuse d’un animal de compagnie qui s’était niché ici pour être certain de maîtriser le feu et de ne jamais finir dans la casserole. C’est seulement en créant l’exposition au musée Maillol que j’appris que «le monsieur sur la photo» était Paul Barabé, concierge et assistant de Robert Doisneau. J’appris aussi que ce monsieur, en plus d’avoir élevé un lapin dans une cuisinière, fabriqua des faux papiers avec Robert Doisneau pendant toute la guerre. Et surtout, que lors d’une perquisition de la Gestapo dans l’immeuble, il détruisit à temps les listes des communistes de Montrouge, les soustrayant à une déportation certaine. Pourquoi ce cliché a-t-il si durablement marqué ma mémoire? Quel était son pouvoir d’attraction? Sa composition, son cadrage, sa lumière? Cette juste distance par rapport au sujet? C’est en tous cas une entrée par la grande porte dans le monde de Doisneau. Au fond, cette photo est à la fois un moment complice entre le lapin et son maître et une offrande au spectateur. C’est un «instant donné» comme Doisneau sait si bien le saisir et le transmettre. C’était un homme heureux qui voulait surtout le bonheur des autres. Il souhaitait capturer une réalité telle qu’elle se présentait mais en n’y recueillant surtout la poésie. C’est ainsi qu’il est associé au réalisme poétique, un sous-courant de la photographie humaniste. Jamais sous influence, Doisneau pioche dans différentes sphères pour créer son propre univers. Ses images composent, parfois avec une réalité qui n’a vraiment plus rien de poétique, et d’autres fois avec une poésie qui n’a plus rien à voir avec la réalité.
Isabelle Benoit est commissaire de l’exposition Robert Doisneau. Instants donnés, jusqu’au 12 octobre au musée Maillol, Paris 7e.
Les Coiffeuses au soleil, juin 1966 © Atelier Robert Doisneau
14 juillet aux Tuileries, 1978 © Atelier Robert Doisneau
Autoportrait au Rolleiflex, 1947 © Atelier Robert Doisneau
Mademoiselle Anita, 1951 © Atelier Robert Doisneau
Véhicule militaire, 14 juillet 1969 © Atelier Robert Doisneau
Baiser valsé, 2 juin 1950 © Atelier Robert Doisneau
Le Saut, 1936 © Atelier Robert Doisneau
Les Frères, rue du Docteur Mecène, Paris, 1934 © Atelier Robert Doisneau
L’Usine Bobin à Montrouge, 1945 © Atelier Robert Doisneau...
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