venezuela, enfer ou purgatoire ?
Près de dix ans après la mort de l’ancien chef d'État vénézuélien Hugo Chávez, les inégalités persistent et se creusent entre Caracas, la capitale, et la province, comme entre ceux qui ont accès aux dollars et les autres.
Sonné après un vol de quinze heures, je pénètre au Venezuela comme dans une autre dimension. Peur et excitation au corps. C’est que, avant mon départ, des proches bien intentionnés ont cherché à me dissuader : « Caracas est la ville la plus dangereuse du monde ! », « 4000 meurtres chaque année », « Attention aux kidnappings ! », « À éviter, le pays est en ruines », « C’est une dictature communiste ! », etc. En un mot, l’enfer.
Oui, mais un enfer plus verdoyant que rougeoyant et, étrangement, plus rouge que noir. Un enfer saveur citron-menthe-rhum. Imaginez. D’un côté les montagnes couvertes d’une forêt dense, le Salto Ángel, spectaculaires chutes où l’eau tombe de 807 mètres ; de l’autre la plage, l’extension des domaines hôteliers, le reggaeton à plein volume et les raffineries qui crachent obscur dans le ciel. D’un côté Jésus Christ, de l’autre Hugo Chávez, « el Commandante ». D’un côté les barrios, les bidonvilles ; de l’autre, toutes proches, les résidences sécurisées des enchufados, les enrichis du pouvoir. D’un côté les coiffeurs de rue, les vendeurs de galettes (arepas), les livreurs à domicile Yummy, le Deliveroo local ; de l’autre les bodegones, ces épiceries fines réservées aux privilégiés, les golfeurs de Las Mercedes et les restaurants gastronomiques à plusieurs étoiles. D’un côté les Cubains, les portraits de Poutine, les narcos en Vuitton et les anciens d’ETA, la guérilla colombienne ; de l’autre el Imperio, l’empire américain, la dollarisation de l’économie, le Château Pétrus et l’exil perpétuel. D’un côté la révolution obstinée qui proclame sa haine du capitalisme, de l’autre Miss Univers, la rumba, et un certain sens de la fête. L’enfer paradoxal, de quoi vous attirer n’est-ce pas ?
Au cours de mon voyage, deux décennies après l’arrivée au pouvoir de Chávez, huit ans après celle de Nicolás Maduro, après l’effondrement de l’économie (hyperinflation d’un million de pourcents en 2018), après les grandes manifestations (La Salida), après les vagues migratoires, après la crise sanitaire, je veux savoir ce qu’il reste du chavisme. Pour suivre sa trace, j’ai résolu de parcourir le pays depuis Caracas jusqu’à Margarita, en passant par Puerto La Cruz et Valencia.
« Chávitude », aurait dit García Marquez. Une certaine façon de se situer face au Commandante. Une certaine façon de penser les difficultés actuelles, quotidiennes et existentielles. Une certaine croyance, aussi. De la colère. De l’espérance. Car s’il est un clivage structurant pour la société, c’est bien lui, Hugo.
« Qui est Hugo Chávez ? », demandé-je à Sheizza (tous les prénoms ont été changés), jeune femme de vingt-quatre ans, qui a passé la dernière année à tenter de rejoindre l’Espagne pour y finir ses études. « Le personnage le plus néfaste de l’histoire moderne du Venezuela », me répond-elle en souriant.
De quoi vous intriguer, n’est-ce pas ?
Le Venezuela est à la croisée de deux époques, en pleine métamorphose. À l’heure de la Chávitude finissante et du commencement d’autre chose. Un projet incertain.
« Caracas a la forme d’un cigare », me prévient le chauffeur de taxi, tandis que la capitale se dévoile peu à peu au milieu des massifs montagneux. Immédiatement, deux choses me frappent. 1 : la végétation exubérante. La capitale baigne dans un vert total, qui la recouvre et la dissimule, comme pour la protéger. 2 : le bruit. Grouillement incessant de véhicules qui, fusant à toute allure, vous doublent indifféremment par la gauche ou par la droite. Sans parler des motos qui zigzaguent en klaxonnant, avec un ou deux passagers à l’arrière. Peligroso. Dangereux. « Les gens conduisent mal ici car le permis s’achète. Avant, quand il y avait beaucoup de vols, on s’arrêtait même pas aux feux rouges… Maintenant, c’est plus tranquille. Il y a toujours quelques coupeurs de route, mais moins. En gros, évitez de voyager seul ou d’avoir un accident. Et aussi de vous faire arrêter par la garde nationale. » Bien pris.
Je la croyais morte, mais Caracas est bien vivante. D’immenses panneaux publicitaires clignotent sur les hauteurs de la ville et tout le long de la route, sorte de Times Square bon marché. Une architecture verticale, des centaines de tours dressées vers le ciel, comme si l’on avait cherché à conjurer le souvenir des tremblements de terre de 1812 et 1967. Arrogance de l’homme moderne. Difficile de manquer Chávez, je le vois partout. Décorant murs, ponts, habitations, bâtiments publics, son portrait sature l’espace : il pose là, avec sa gueule ronde et ses petits yeux, juste à côté du drapeau tricolore jaune-bleu-rouge. Ancien vice-président sous la dernière mandature du Commandante, l’actuel dirigeant du Venezuela, Nicolás Maduro, entretient et façonne la légende de son prédécesseur. En surplomb, sur les hauteurs de Caracas, repose sa dépouille dans un grand mausolée de briques rouges, le 4F. Et, quotidiennement, la radio nationale fait entendre sa voix, comme s’il n’était pas mort. Chávez, c’est l’homme-dieu, la divinité poliade, dont le souvenir flotte en sa création, la fameuse « République Bolivarienne du Venezuela », en vous souhaitant la bienvenue.
Pour comprendre l’élection d’Hugo Chávez – après deux coups d’État avortés – en 1999, il faut remonter au Caracazo. Du 27 février au 8 mars 1989, sur fond de réformes structurelles imposées par le FMI, l’augmentation du prix des biens de première consommation décidée par le président Carlos Andrés Pérez provoque le soulèvement des quartiers populaires. Des émeutes violentes réprimées dans le sang qui ont fait entre 300 et 3000 morts. « Chávez a été élu parce que les gens en avaient marre. Parce qu’il vient du peuple. Parce qu’il promettait nationalisations, expropriations, et fin de la propriété privée. Au fond, c’était une vengeance de classe » m’explique Daniela, quarantenaire au chômage, qui a occupé d’importants postes au sein du gouvernement avant de démissionner.
L’ancienne fonctionnaire fait partie de cette classe moyenne disparue, ensevelie sous le poids des réformes structurelles qui ont fait s’écrouler le pays ; cette classe moyenne qui a d’abord cru et soutenu Hugo, qui a même défilé dans les rues en 1998, avec casquettes et vêtements distribués par l’équipe de campagne chaviste, pour former les impressionnantes marées rouges de Caracas.
Et le socialisme dans tout cela ? « Une catastrophe. Moi j’ai vu le système s’effondrer de l’intérieur. Donne le pouvoir aux ouvriers et regarde le résultat : il ne nous reste plus rien. Les gens comme moi gagnaient 5 000 dollars par mois. En quelques années, on s’est retrouvés avec 15 dollars… Essaie de vivre avec ça ! » Voilà de quoi bousculer le chaviste-agnostique qui sommeille en moi.
Qu’importe, je pars à la recherche des derniers soutiens du président défunt. Il doit bien rester l’écume de cette fameuse marée rouge ! En réalité, si el Commandante est visible partout, il n’est présent nulle part. Pas de T-shirts. Pas de tasses. Pas de cendriers. Peu de goodies à la gloire du leader charismatique. Je rencontre Eduardo, professeur d’université à la retraite qui habite en périphérie de la ville. « Afficher ici un portrait de Chávez sur un vêtement, c’est un peu comme arborer une croix gammée en France. Tu vois le genre ? » me dit-il avec un grand sourire. Moi qui voulais ramener des souvenirs à mes amis, je passe pour un idiot. Pourtant les choses n’ont pas l’air d’aller si mal. Les voitures roulent. Les gens consomment. Les restaurants sont pleins. En crise le Venezuela ? Tiens donc ! Le professeur sourit à nouveau : « Oui, les choses vont mieux depuis deux ans, mais c’est grâce au dollar. Avant c’était l’horreur. En 2018, on n’avait plus rien, plus de papier toilette ! Plus d’électricité ! Plus d'eau ! Rien ! Je planquais même des paquets de mouchoirs et des briques de lait dans mon coffre-fort… »
Le dollar s’est imposé il y a quatre ans à cause des apagones, ces coupures de courant qui affectaient régulièrement les ménages entre 2018 et 2019 et que certains quartiers de Caracas continuent de subir aujourd’hui. « Lors des coupures de courant, comme il n’y avait plus d’électricité, on ne pouvait pas payer par carte, et la monnaie liquide, dévaluée, ne valait plus rien. Donc on a commencé à utiliser des dollars. Le gouvernement a laissé faire et le dollar s’est imposé dans les transactions. Offre et demande sont reparties en flèche » m’explique Maria, jeune avocate de 31 ans. On utilise aujourd’hui la monnaie nord-américaine de manière sauvage, sans régulation ni contrôle, comme aux temps anciens du capitalisme.
Dans les hôtels, les restaurants, les boutiques, aucun prix en bolivars. Curieuse cette omniprésence du billet vert, moi qui pensais le pays fermé aux tentations de l’Empire. Mais la dollarisation n’est pas sans conséquence, elle fait exploser les prix. Pour un menu chez McDonald, comptez au moins 15 dollars. Un truc de riches le Big Mac. Et tous n’ont pas accès aux précieux billets américains…
Soit, mais certains signes semblent indiquer que l’économie reprend : depuis deux ans, retour des grands projets immobiliers dans les quartiers huppés. Habitations. Bureaux. Hôtels. Malls. « Blanchiment d’argent » me murmure-t-on, pointant du doigt les grues qui s’activent dans le ciel. Les capitaux pleuvent sur la capitale. D’où vient l’argent ? De la corruption, mais surtout de la drogue, dit la rumeur. C’est que le Venezuela constitue la plateforme logistique idéale pour transporter la poudre depuis la Colombie jusqu’en Europe et aux États-Unis. Selon les autorités américaines, l’implication de certains hauts dignitaires du régime est d’ailleurs avérée. Passons…
Au croisement de l’Esquina Veroes et de l’Avenida Noreste, avenues très fréquentées de Caracas, j’aperçois un écran géant qui diffuse des spots gouvernementaux. Chávez et Maduro y apparaissent comme des héros, protecteurs d’un Venezuela martyr, plongé de force dans l’isolement car en guerre contre l’Empire. Dans les librairies, les dernières parutions ne cachent pas leur jeu, tel USA, Cinq ans d’agressions contre l’Amérique Centrale et les Caraïbes, de Gregorio Selser. Les livres, souvent édités par le gouvernement, portent aussi la drôle d’estampille suivante : imprimé pendant la guerre économique contre le Venezuela.
On se croirait dans Star Wars.
Mais ce discours contraste étonnamment avec l’émergence des bodegones, ces épiceries plus proches du centre-commercial que de l’échoppe de quartier, dans lesquelles on trouve bœuf de Kobé, Duvel, pop-corn, beurre de cacahuète ou d’Isigny, etc. Comment ces boutiques se procurent-elles ces produits ? Qui les consomme ? « Avant on trouvait tout cela grâce au marché noir, maintenant c’est plus officiel. Mais pour importer de telles marchandises, il faut avoir de bonnes relations avec les autorités. Les riches y font leurs courses. Tous ceux qui ont des dollars, » m’explique Maria. Pas très chaviste le bodegon me dis-je, en savourant une bière belge, venue jusqu’ici à travers je ne sais quel réseau opaque.
Une chose m’étonne : comment ce système peut-il encore tenir, alors que les inégalités semblent plus fortes ? « Ici, c’est le facilismo » souffle Marcos, mineur de bitcoins, activité florissante au Venezuela où l’électricité est quasi-gratuite. Marcos développe : « Les gens sont fatigués, ils veulent la facilité. Que la politique se durcisse ? Que les infrastructures s’écroulent ? Que l’électricité vienne à manquer ? Qu’importe. Il y a un dicton ici : es viernes, y el cuerpo lo sabe. C’est vendredi et le corps le sait. C’est vrai, les Vénézuéliens aiment la fête. Non seulement ils l’aiment, mais ils la pratiquent activement, et toujours avec simplicité. Quelques polar, la bière locale, descendues à La Guaira, plage la plus proche de Caracas, suffisent. Ici, on ne manque jamais une occasion de s’inviter, de partager le rhumcito, de danser la rumba, de se caresser amicalement ou amoureusement, de s’appeler bébé, amor, querido, mi reina. La musique est présente partout. Le pays est une discothèque à ciel ouvert. Face à face, les restaurants rivalisent à grands coups de basse et vous envoient des mélodies remuantes droit dans les oreilles. Le sourire est ce qui me marque le plus chez tous ceux qui m’accueillent. Légèreté embrassant gravité.
Les Vénézuéliens aiment la fête, certes. Mais les plus pauvres alors, comment vivent-ils ? « Ils ont le sentiment d’avoir un peu plus qu’avant. Des aides sociales, distribuées grâce au Carnet de la Patrie, mis en place par Maduro en 2017, de la nourriture via les fameux CLAP, des rations alimentaires contenant des produits de première nécessité, comme des pâtes, du riz, du sucre ou du café, sans lesquels, en 2016-17-18, les plus pauvres n’avaient rien à manger ! Ces subsides ont marqué les esprits.» Et cela suffirait ? « Oui, ils ont pris l’habitude que le gouvernement leur donne le nécessaire pour survivre. Ça crée une dépendance. Si tu veux voir des chavistes, un conseil, va dans les barrios ! » me dit Marcos, lèvres trempant dans la mousse.
C’est dans les quartiers les plus populaires, tel le 23 de Enero, ou Petare – plus grand bidonville d’Amérique Latine –, que l’on se sent le plus proche de Chávez et de sa révolution. Yeux d’Hugo sur façade, façon Big Brother. Inscription sur les murs : « Viva Chávez ! La révolution continue ! Viva Chávez !» Nous sommes là au cœur de la marée rouge. À Petare, je croise une de ces jeunes femmes qui vend on-ne-sait-trop-quoi, dont le regard insistant m’invite à l’interroger. Je ne suis pas déçu : « On aime notre président Nicolás Maduro, c’est lui qui nous donne du riz et des pâtes, il est avec nous ! »
Plus loin, je discute avec Jimeno, un chauffeur de bus, soutien modéré du gouvernement actuel. Son point de vue est plus nuancé : « Chávez, lui, agissait avec le cœur. C’est un grand homme, malheureusement, il est mort avant d’avoir pu achever la mise en œuvre de son programme politique. Le problème, c’est son entourage, moins honnête.» Ceci expliquerait le fracaso, l’échec. Nous n’avons pas le temps de poursuivre, car un impressionnant cortège d’hommes en motos, les motorizados, passe devant nous. Ce ne sont pas de simples bikers, mais des colectivos, nom donné à ces groupes de défense chavistes, inspirés des bassidjis d’Iran, officiellement chargés de la paix sociale dans les quartiers pauvres, en réalité des milices armées, voire des hommes de main. Demi-tour donc, nul besoin d’oracle pour connaître le sort promis à un gringo comme moi.
Et ailleurs ? Autour de Caracas, la situation est nettement moins florissante. Sortir de la capitale, c’est rouler sur des routes trouées, ne plus avoir de réseau, passer devant des infrastructures en mauvais état, franchir des péages sans péage, subir des contrôles de la garde nationale, parfois brutale. Autour de moi, un paysage de désolation, composé de baraquements, de toits de tôle à même la terre qui servent de lieux de vie à une ou deux familles. La pauvreté est grande, partout, à l’est comme à l’ouest.
« Tout ne respire pas comme à Caracas, tout n’a pas repris. Il y a des aberrations. Le pays est assis sur une mine d’or, mais il y a encore trop de difficultés. Regarde, à Maracaibo, les coupures de courant sont quotidiennes. Pourtant, la ville est le plus grand hot spot connu de géothermie dans le monde » m’explique Herman, un Allemand, ingénieur à la retraite, installé depuis quelques dizaines d’années dans le pays.
Les anciennes stations touristiques, telle Puerto La Cruz, célèbre pour sa magnifique promenade face au coucher du soleil, sa grande marina et ses casinos, ressemble aujourd’hui à un cimetière. Restaurants, marché et boutiques fermés. Mais un cimetière qui tente de revivre. Ici et là, des ouvriers s’activent pour retaper les hôtels abandonnés. Les gens sortent, écoutent de la musique sous les cocotiers en attendant que quelque chose se passe. Quoi ? Que les touristes reviennent peut-être. Le Venezuela est à la croisée de deux époques, en pleine métamorphose. À l’heure de la Chavitude finissante et du commencement d’autre chose. Un projet incertain.
À Margarita, île qui revendique le statut de « Saint-Tropez des Caraïbes », jadis très appréciée des touristes, le temps semble s’être arrêté brutalement. « Margarita n’a pas rebondi » me dit-on. Pas encore. À voir les tours inachevées, sur le front de mer, on dirait que les hommes ont fui une catastrophe annoncée, laissant derrière eux quelques cadavres urbains. Les travaux reprendront-ils un jour ? Ici, comme ailleurs, on espère que oui. Il y a eu de l’argent, il reviendra. Surprise : je croise de nombreux touristes russes. Tout est fait pour les accueillir : aux toilettes, au-dessus de « Bathroom » est écrit « ванная ». Ces grands gaillards tatoués, issus de la classe moyenne, sont venus avec femme et enfants pour profiter des longues plages de sable blanc. « Avant, il y avait plusieurs vols par semaine, directement entre Moscou et Margarita. Mais avec la guerre… les arrivées ont un peu diminué… » me raconte Oswaldo, serveur dans un grand hôtel de Portlamar. C’est que l’actuel gouvernement est proche de Poutine. Et puis, parce que « No hay beach in Russia », pas de plages en Russie, comme me l’explique Igor, touriste moscovite, en avalant d’une traite son Cuba Libre.
En rentrant à Caracas, je m’interroge : que pense la jeunesse de tout cela ? Difficile d’approcher celle des bidonvilles, je me replie sur celle des milieux privilégiés. Dans un bar branché de la ville, le 360, je discute avec de jeunes artistes, des étudiants en sociologie ou en littérature, des ingénieurs, etc., certains reviennent au pays après deux ou trois années d’exil. Que pensent-ils de la situation actuelle ? « On vit, c’est tout ! » me répond Ari, hilare. En un mot, tous se fichent de la politique. Ils ont d’autres occupations, d’autres préoccupations. Surpris par tant de désinvolture, je m’écrie : « Mais vous ne protestez pas ? Rien ? Pas d’opposition politique ? ». Laura, une aspirante-journaliste, prend le relais : « Tu sais, beaucoup de mes amis sont morts en 2017, lors des manifestations. Maintenant, on n’a plus foi en la politique, simplement parce qu’il n’y a plus de politique. Pour nous, c’est une dictature. » Cette jeunesse ne rêve que d’une chose, le lointain.
Nous avons plus ou moins le même âge mais c’est à peu près notre seul point commun ; avec mon pouvoir d’achat, ma vie d’Européen, mes facilités, je me sens mal à l’aise de les interroger sur un pays dont ils ne songent qu’à partir. Pourquoi ne pas le faire, tout simplement ? « Parce qu’il est difficile d’obtenir un passeport, ça peut coûter plus de 3000 dollars. Et parce que c’est douloureux de quitter son pays, de laisser sa famille… » Silencieusement, nous plongeons les lèvres dans notre cocktail après avoir trinqué.
Victor Dumiot
découvre la littérature et la philosophie aux îles Marquises. Ancien élève de l’école normale supérieure, il se spécialise dans les œuvres de Georges Bataille et de Michel Foucault. Il est actuellement prête-plume et auteur d’articles (Année Zéro, Playboy, Esprit…), de poésies et de nouvelles.
Le reggaeton fait oublier le tragique tandis que Caracas brille dans une nuit fraîche.
Moi je la trouve résiliente et courageuse cette société. Résiliente, mais abîmée. Il en faudra du temps, me dis-je, pour panser et reconstruire quelque chose ici. Tous attendent, quand moi je pars écrire sur eux, raconter leur histoire....
Pas encore abonné(e) ?
Voir nos offresLa suite est reservée aux abonné(e)s
Déjà abonné(e) ? connectez-vous !