Marcello Foa
Élue sur ses positions sociétales conservatrices plus que sur son programme politique encore flou, jusqu'où ira la prima donna ?
Attendu, promis continûment par toutes les enquêtes d’opinion, le succès de Giorgia Meloni aux récentes élections législatives italiennes n’en finit pourtant pas d’interroger. Les Italiens ont-ils voté pour Fratelli d’Italia parce qu’ils désiraient une version 2.0 du fascisme ? Sûrement pas. Ont-ils été fascinés par la puissance novatrice de son programme électoral ? Pas davantage : ses propositions étaient connues de longue date et ne présentaient aucun caractère disruptif. La cause première de la victoire de Giorgia Meloni n’a en réalité rien de très mystérieux. Elle a simplement su profiter du malaise qui traverse les citoyens italiens, majoritairement convaincus d’avoir été constamment trahis par les partis politiques, de gauche comme de droite, auxquels ils ont accordé leur confiance. Un même sentiment parcourt une large partie de l’électorat français. S’il ne s’est, pas encore, traduit dans les urnes, c’est uniquement en raison d’une législation électorale différente, conçue dès l’origine de la Ve République pour garantir une certaine stabilité gouvernementale. Un objectif qui, de l’autre côté des Alpes, reste hors d’atteinte : à Rome, la durée de vie moyenne d’un exécutif est de treize à quatorze mois.
Au cours de la dernière décennie, la vie politique italienne a été marquée par l’ascension spectaculaire de nouveaux leaders ou de nouveaux partis, suivie presque aussitôt par leur chute brutale et vertigineuse. En 2014, les Italiens étaient en extase devant Matteo Renzi, alors leader du Parti démocrate, qui obtint cette année-là 40,8 % des suffrages aux élections européennes. Deux ans plus tard, il perdait le référendum constitutionnel et le pouvoir. Aujourd’hui, son parti, Italia Viva, représente à peine plus de 2 % des députés. Les électeurs italiens ont ensuite été séduits par le Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo, qui rassembla 32,7 % des suffrages aux législatives de 2018. Cinq ans plus tard, il perdait la moitié de son capital électoral. L’engouement s’est alors porté sur Matteo Salvini, qui attira 34,2 % des électeurs aux européennes de 2019, avant de chuter lourdement à son tour : 8,7 % des voix aux dernières élections législatives, en septembre 2022.
Qu’en conclure ? Simplement que les Italiens cherchent obstinément un sauveur, c’est-à-dire un leader capable de changer vraiment les choses, sans les décevoir. Au fond, ils ne veulent rien d’autre qu’une démocratie effective. En choisissant Giorgia Meloni, ils ont voulu récompenser sa cohérence : opposante constante et résolue, elle a été la seule à refuser de soutenir les gouvernements dit techniques, pas plus celui de Mario Draghi qu’un autre auparavant.
Dernièrement, elle a su réajuster sa ligne politique en l’infléchissant vers le centre, gagnant ainsi la confiance des électeurs modérés. Son gouvernement sera-t-il de droite ? Oui, sur l’immigration et le rejet des influences wokes, mais pour le reste sa politique devrait être bien plus pragmatique, prudente et modérée. Ses premières décisions se situent dans la continuité de celles de son prédécesseur : elle a pris des positions clairement atlantistes sur l’Ukraine, confirmant l’ancrage de l’Italie dans la sphère d’influence américaine. Et même si elle n’aime guère l’Union Européenne, elle n’envisage pas de rupture avec Bruxelles, notamment parce que son allié Forza Italia ne l’accepterait pas.
Il ne faudrait pas en conclure trop rapidement que Giorgia Meloni est prête à toutes les concessions. Comme une majorité d’Italiens, elle est convaincue que son pays doit être traité avec la considération due aux membres fondateurs de l’UE. Contrairement à la plupart des Premiers ministres italiens, qui ont souvent pu donner l’impression d’une sorte de complexe d’infériorité, Giorgia Meloni devrait se montrer pugnace dès lors que les intérêts de son pays lui paraîtront en jeu. Au mois de novembre, on en a eu un premier aperçu avec le différend franco-italien sur l’accueil des réfugiés de l’Ocean Viking. Emmanuel Macron devra s’habituer à négocier avec un partenaire politique moins sensible au charme français. Meloni pourrait envisager de former des relations spéciales avec l’Allemagne ou de prendre la tête d’une alliance des pays méditerranéens, Espagne incluse. Une démarche sans doute plus ambitieuse que celles incarnées par Mario Draghi ou Giuseppe Conte. Reste une question ouverte : cela suffira-t-il pour ne pas décevoir les électeurs ?...
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