Bien avant de devenir l’immense réalisateur connu notamment pour Certains l’aiment chaud ou Sept ans de réflexion, le jeune Billy Wilder a été journaliste dans le Berlin de l’entre-deux-guerres. Voici trois articles publiés à l’époque, dans lesquels on sent déjà poindre son humour aristocratique et sa vision décalée du monde.
Entre 1925 et 1930, le jeune Samuel Wilder, que sa mère surnomme « Billy » par amour pour les westerns de Billy the Kid et de Buffalo Bill, se détourne des rêves familiaux qui le voyaient médecin ou avocat pour embrasser une carrière de journaliste pigiste à Vienne, puis à partir de 1926, dans le Berlin de la République de Weimar. Touche-à-tout – il est tour à tour gigolo malgré lui et danseur mondain –, il va collaborer avec des gazettes locales, dont le Berliner Zeitung am Mittag, proposant des interviews de stars du moment, des reportages, des nouvelles et des considérations sur « l’air du temps » dans l’Allemagne de l’entre-deux-guerres. Sa plume élégante, irrévérencieuse, son coup d’œil et son sens du détail annoncent déjà le futur cinéaste. Ces textes de jeunesse, d’une drôlerie et d’une modernité frappantes, ont été réunis récemment par l’universitaire texan Noah Isenberg dans un recueil intitulé Billy Wilder on Assignment. C’est avec l’aimable autorisation de Princeton University Press, l’éditeur de cet ouvrage, que Bastille reproduit ici trois « papiers » du jeune « Billy » Wilder.
Grock, le clown de l’âme
C’est l’histoire d’un homme mélancolique qui se rend chez un médecin célèbre et lui raconte ses malheurs. Le docteur lui donne ce conseil : « Allez voir le clown Debureau : s’il n’arrive pas à vous faire rire, c’est que votre cas est désespéré. » Le patient secoue la tête : « Je ne peux pas aller voir Debureau. Je suis Debureau. »
Son pantalon à carreaux gris est si ample qu’il nage autour de lui comme une écharpe défaite, il transpire tant que son maquillage coule de ses tempes et de son nez, ses souliers exagérément bombés semblent aussi lourds que des balles de plomb, son dos est courbé. Voilà le Grock qui entre dans sa loge : un vieil homme triste. De l’autre côté de la scène, des milliers de mains applaudissent, le bruit des rires parvient jusqu’ici, Grock a eu droit à douze rappels, et des fleurs, tellement de fleurs.
Grock, l’homme, se laisse tomber dans le fauteuil du coin et soupire longuement. On essuie la sueur de son visage. Il ne parvient pas à garder les yeux ouverts. C’est dire combien les feux de la rampe l’ont aveuglé. Le photographe qui l’attend depuis une heure lui demande de prendre la pose. Grock étire les lèvres, peintes de noir, en une grimace tellement large qu’elles rejoignent les lobes de ses oreilles et il sourit à l’appareil. J’ai l’impression qu’il s’endort pendant ces séances photo. Mais il n’a pas le cran de dire : bougez-vous, j’ai assez ri, je dois aller me coucher ! Grock, le clown qui doit faire rire le monde, veut aller au lit, il ne veut plus poser encore et encore, il ne veut plus sourire, il veut dormir !
Bienne est une petite ville de Suisse alémanique. Des manufactures de montres, des horlogers, des designers de cadrans, des fabricants d’aiguilles de pendule. Et un café, Zum Paradies, propriété de Herr Wettach, fils et fille. Les affaires du café marchent aussi mal que possible vu que les habitants de Bienne passent tout leur temps à travailler. Alors que peut faire, Karl, le fils du patron, âgé de dix ans ? Il se produit dans le café de papa, il jongle avec des cheesecakes et des bouteilles de bière, joue de l’harmonica, raconte la blague de l’hippopotame et de la machine à coudre. À présent, le café est plein chaque soir que Dieu fait, parce que sa sœur aussi est devenue une saltimbanque et qu’elle danse sur la corde tendue entre le buffet et le vestiaire. Les enfants de Wettach ont du talent.
Mais voilà, le duo prend goût aux chapiteaux, s’enfuit, se fraie une place dans la troupe d’un cirque, parcourt le monde. Karl Wettach est loin d’être Grock. Il commence par soulever des poids, puis joue de la clarinette, puis laisse tomber le métier pour devenir professeur de langues. Puis revient au cirque. Des succès, encore des succès. Et voilà que tout à coup, il est Grock, le clown impitoyable, l’homme qui a des engagements calés pour trois ans : le voilà à l’abri du besoin.
Voilà dix-huit ans, Grock se trouvait à Berlin. Il venait de quitter le Zirkus Schumann et de rejoindre le Wintergarten. Partenaire : Antonet. Que s’est-il passé alors ? Un bide, parce qu’il y a une différence énorme entre une piste de cirque et la scène d’un théâtre. Alors Antonet et Grock ont retravaillé leur numéro et, une semaine plus tard, ils étaient – avec Reutter – les deux attractions les plus courues de tout Berlin.
Il s’appelle Grock et voici pourquoi : Brick, un clown musicien très populaire, a perdu son partenaire, Brock, à la mort de ce dernier. Il s’est mis à chercher un nouveau partenaire. A trouvé Karl Wettach. Ils ont passé un contrat. Mais Brick et Brock avaient un nom qui marchait du tonnerre et Brick a demandé à Wettach de prendre le nom de Brock. Wettach a refusé, ne souhaitant pas marcher sur les plates-bandes d’un autre. Et le nom est resté.
Quels accessoires utilise Grock ? Il joue du piano, du saxophone, du violon miniature et de l’accordéon. Il peut danser un peu, jongler un peu, faire un peu de gymnastique. C’est tout.
Certains artistes ont le don de présenter tous ces petits riens avec tellement d’humanité… Aucun ne joue la comédie avec la profondeur de Grock. C’est un clown de l’âme, un clown métaphysique, si vous voulez. Aucun autre artiste n’arrive à sa cheville. Aucun. À part un seul : Chaplin. Chaplin et Grock sont des frères de génie. Quelque part, tout au fond d’eux-mêmes, leurs individualités sont connectées.
On dit de Mark Twain que lorsqu’il concoctait ses drôle d’histoires au fond de son lit, il pleurait à chaque fois, et que Saphir trouvait ses meilleures répliques lors de ses balades dans le cimetière de Vienne. Chaplin lisait des philosophes grecs. Et Grock, le clown, a les cheveux gris et un visage teeeeellement triste. La seule personne qui pourrait dérider Grock, c’est Grock. Grock ferait rire Grock aux larmes, des larmes de Grock.
—Berliner Börsen Courier de novembre 1927.
Mais où sont les cafés d’antan ?
Les cafés ont quelque chose en commun avec les violons qui ont vécu. Ils résonnent, réverbèrent et donnent à entendre un timbre bien distinct. Les années de clameurs des habitués du lieu ont amassé leurs filaments et leurs atomes d’une façon singulière et les boiseries, la marquèterie et même les meubles palpitent au son des rythmes de vie des visiteurs. La méchanceté et les mauvaises pensées d’une décennie sur les murs noircis se sont installées comme un poli radieux, une patine parfaite. Chaque son, dérivé du plus discret tremblement, des cerveaux les moins remarquables, traverse et glisse sans fin, en vagues mystérieuses, au travers des molécules de cette caisse de résonance magnifiquement accordée, jour après jour, et ce sont les piliers du café qui font sonner les cordes pour atteindre ces notes réjouissantes que leurs vies, leurs carrières ou leurs familles ne produisent quasiment jamais. Le miracle moléculaire qui se déroule ici, le surcroît d’âme phénoménal qu’apporte à leur café favori l’aura de ses clients, n’a pas encore fait l’objet d’une étude scientifique.
Mais viendrait-il à l’idée du propriétaire d’un violon Amati de prendre du papier de verre pour récurer le vernis antique, retentissant, de son instrument, dont les atomes sont remplis et comblés par les sonorités d’innombrables concerts et qui garnissent le violon d’un bronze doré ? Des actes d’une barbarie aussi lamentable se répandent pour appliquer des pratiques semblables dans les cafés préférés des gens ! Un jour, vous vous rendez dans ce vieil endroit familier, vous découvrez que le mobilier a été retiré et vous apercevez des hommes juchés sur de grandes échelles, coiffés de ridicules chapeaux en papier, en train de gratter les essences et les dépôts si précieux incrustés dans les murs. Avec effroi, vous repérez la meilleure blague que vous ayez jamais narrée, à présent réduite en fine poussière le long de ces murs, de même que les éclats de rires tonitruants qu’elle avait déclenchés, et vous trébuchez au milieu des gravats que sont devenues vos remarques avisées sur la véritable nature des amateurs d’échecs, et vous restez là, interdit, tandis que la dame pipi, libérée pour un temps de ses devoirs habituels, efface avec un chiffon, répandus sur le sol, les mots d’amour que vous aviez murmurés aux oreilles d’Amélie en 1916, et – dans une version à peine amendée –, aux oreilles de Laura en 1918. La tête levée pour jauger toute l’affaire, la main sur sa chaîne de montre, le tenancier se tient à mes côtés, indifférent à mon émotion profonde, et il me dit : « Regarde-moi donc ça ! »
Et donc, dorénavant, ce sera différent. Dans un coin se dessinent deux magnifiques têtes d’éléphants, aux troncs en forme de pieds de lampe et qui serviront bientôt d’ornements lumineux du dernier chic pour les deux piliers. Une famille de pêcheurs, des tuiles du lac de Gosau et des petites paysannes dans des cadres Renaissance richement sculptés attendent leurs destinations décoratives. Rouge et or. Brocart et tulle. La danseuse Kitty Starling… un ours polaire rodant sur un bloc de glace baigné de lumière.
C’est la faute des femmes, croyez-moi, des femmes avec ce sens de l’histoire horriblement déficient qui se manifeste de manière fichtrement désastreuse sous la forme d’un goût immodéré pour le propre et le net : les femmes et leur attachement charmant au présent, irrespectueuses du temps qui passe, mais au contraire concentrées avec une détermination sans faille à s’opposer à l’œuvre des ans au moyen de cosmétiques, de toilettes et de carpettes qu’on époussette. Ces efforts visent à abolir le temps. L’idée est-elle jamais venue à un homme de repeindre un vestibule ? Un peintre s’est-il jamais imaginé que le pinceau qu’il tient dans sa main experte est un proche parent de la houppette qui tient tête aux pyramides de Gizeh ? À l’opposé, une femme a-t-elle jamais saisi toute la portée métaphysique qui pousse un homme à refuser de donner ses vieux chapeaux, perchés comme ils le sont au-dessus de ses pensées, ou pire encore de les jeter comme si de rien n’était ?
Imposant aveuglément ses idéaux aux vénérables tavernes, ancrées comme elles le sont dans la tradition, elle insiste, en tant qu’épouse de tenancier de bar, à faire appliquer les principes du ménage au café comme à la maison, et elle le fait à fond, en nettoyant, en repeignant, bref en annihilant le temps pour offrir au client un chez-soi propret et nickel. Mais, je vous le demande, qui souhaite vraiment rentrer « chez soi » ? Elle fait pression sur son époux rétif pour tout mettre au goût du jour, remodeler, changer d’image, redorer le blason, ajouter du rouge, du vernis aux meubles et teindre les cheveux du café.
Le café du coin, refuge de la masculinité extrême, est en train de revêtir un aspect qui confère au concept de « temps qui passe » un penchant dangereusement féminin fait de rénovation incessante et de désaveu flagrant des années écoulées. Oh, vétusté chérie de nos bars préférés ! Le rouge et l’or ont eu raison du temps qui se lisait dans vos traits. Le pilier de bar est effaré par la destruction de ses jeunes années, par l’éradication des petits morceaux de lui-même qu’il a expirés en ces lieux. C’est la femme qui a pris les rênes du café nouveau.
—Berliner Börsen Courier du 13 juillet 1927.
L’étrange destin d’Adolphe Menjou
W. R. Wilkinson boit du Coca-Cola : du Coca-Cola qui a goût de pneu brûlé. Mais on dit que c’est très rafraichissant. W.R. Wilkinson adore le Coca-Cola. Il en est à son quatrième verre. Lorsque quelqu’un adore le Coca-Cola, vous pouvez parier votre dernière paire de sous-vêtements, avec une jolie cote, que ce quelqu’un est américain. Et s’il en ingurgite quatre verres coup sur coup, c’est que c’est un Américain vraiment fatigué. W.R. Wilkinson est américain et il est fatigué. Sur sa carte est écrit Hollywood – New York. Il est arrivé sur le S.S. Bremen, mais il n’a pas dormi dans sa quête de repousser ses limites. W.R. Wilkinson veut faire des affaires à Berlin. À Hollywood, il publie un magazine de cinéma dédié au comédien Adolphe Menjou. Il l’accompagne en Europe, espérant faire des films ici avec lui, maintenant que Menjou a rompu avec la Paramount. Cent mille dollars par film : j’aimerais bien voir ça ! Adolphe n’a aucune intention d’accepter un prix aussi ridicule. Non. Autant aller à la pêche. Il exige 150 000 dollars. Paramount ne l’entend pas de cette oreille. Le contrat est rompu. Et tout à coup, Menjou est saisi d’une envie incontrôlable d’Europe, non, de travailler en Europe. Il empaquette ses tenues mondialement connues dans dix-huit malles et le voilà à Paris. Pendant ce temps, Wilkinson joue les éclaireurs à Berlin. Ils veulent se mettre au travail aussi vite que possible. W.R. Wilkinson se sert un nouveau Coca-Cola. Horrible. Comment peut-on ingérer autant de pneus brûlés ? Il avise l’heure. « Il est temps de payer. Malheureusement, je dois me rendre au bureau. J’attends un coup de fil longue-distance de l’hôtel Majestic, à Paris. Voulez-vous faire connaissance avec Menjou par téléphone ? » Ça me va. « Je vous raconterai tout en chemin. »
En chemin, il me raconte tout, en effet. Un jour d’été de 1919, un homme dans un complet gris-clair traverse Hollywood Boulevard, une serviette sous le bras. Ce jour-là, ils sont nombreux à traverser Hollywood Boulevard, nombreux en complet gris-clair et des serviettes sous le bras, mais aucun ne porte sa serviette comme le fait cet homme ; aucun ne marche d’une manière aussi décidée et en même temps aussi hautaine. C’est frappant, pour nous et pour tous les autres. Une voiture s’arrête devant cet homme.
– Excusez-moi. Je m’appelle Fairbanks. Douglas Fairbanks…
Quinze minutes plus tard, ils sont assis l’un en face de l’autre au studio.
– J’aimerais que vous travailliez pour moi !
Menjou triture la pointe gauche de sa moustache.
– Je suis vraiment désolé, mais je suis parfaitement satisfait de mon emploi d’agent pour la compagnie de films C C. Burr Enterprises. Je gagne 125 dollars la semaine, plus l’intéressement, sans parler de la prime de Noël… parce que je suis le meilleur vendeur de la place. Et qui peut garantir, Monsieur Fairbanks, que je saurai distribuer aussi bien vos films que je le fais de notre camelote ?
– Je ne veux pas que vous vendiez mes films ! Je veux que vous tourniez avec moi !
Menjou tripote à présent l’autre pointe de sa moustache. Il signe le contrat et pense in petto : c’est dingue.
— Vous devez être français ? Sans doute de la meilleure noblesse ?
Menjou est ravi d’avoir déjà signé.
– Noble ? Mon père est français, ma mère allemande, de Leipzig. Je suis américain. Né en 1892. J’étais serveur dans le restaurant de mon père à Pittsburgh. Puis je suis allé à l’université Cornell, à Ithaca, New York. Pendant la guerre, j’ai combattu en France, au front. Puis je suis devenu agent dans le cinéma. Voilà dix minutes encore, j’étais vendeur chez C.C. Burr Enterprises. Et maintenant, je suis l’acteur Adolphe Menjou. Mon frère va mourir de rire ! Et puis-je savoir ce que sera mon premier rôle ?
– L’un des Trois Mousquetaires !
L’un des trois Mousquetaires tape dans l’œil de Charlie Chaplin. Il l’embauche et le fait tourner dans L’Opinion publique (1923) avec Edna Purviance. Depuis, le frère de Menjou ne meurt plus de rire du tout. Adolphe attaque avec entrain l’échelle du succès, qu’il gravit quatre à quatre. On le retrouve au sommet de sa forme dans Comédiennes de Lubitsch (1924), puis il est le serveur de la duchesse dans le film du même nom et le Gentleman de Paris. On le considère comme l’homme le plus élégant du monde, avec le Prince de Galles, c’est l’homme aux deux cents costumes et aux mille cravates. Sa moustache, jadis signe distinctif des méchants de cinéma, en fait soudain pousser des millions sur les lèvres supérieures, en Amérique comme en Europe. Il fait partie de la dizaine de personnes qui peuvent porter un queue-de-pie, un chapeau haut-de-forme et offrir un bouquet de fleurs à une dame sans déclencher l’hilarité. C’est sûr que 100 000 dollars, ce n’était pas cher payé pour de telles qualités.
Lorsque le contrat est arrivé à échéance, Menjou a exigé 150 000, la Paramount n’a pas signé, sans tenir compte du fait qu’elle perdait son dernier, son seul vrai gentleman, un homme doté d’une vraie prestance, mais aussi d’une belle voix, ce qui a fait de son premier film parlant Fashions in Love (1929) adapté de Concert, une pièce d’Hermann Bahr, un authentique succès. Mais la Paramount ne paie pas 150 000 dollars. Menjou est à présent à Paris. Et les câbles se succèdent. L’offre monte à 125 000 dollars. Menjou ne bronche pas. Il se contente de faire tout seul deux films parlants avec W.R. Wilkinson en Europe. Il travaille déjà sur deux scénarios avec l’auteur Ernst Bajda et va probablement prendre l’exquis Harry d’Abbadie d’Arrast comme metteur en scène. Il ne sait pas encore où il va tourner, à Londres, Paris ou Berlin.
– Franchement, Berlin aurait ma préférence, assure W.R Wilkinson.
À ce moment, le bureau des appels longue-distance nous annonce que Paris est en ligne.
W.R. Wilkinson a posé ses pieds sur le bureau et parle avec Adolphe Menjou, qui se trouve actuellement à Paris, Hôtel Majestic. Ce que (a) je peux révéler et (b) j’ai compris de l’accent américain embrouillé de Wilkinson est ceci : qu’il a eu des entretiens préliminaires très sérieux avec des messieurs de l’industrie cinématographique allemande à bord du Bremen ; qu’il se rend ce jour à Karlsbad pour voir (le producteur Carl) Laemmle et lui acheter une histoire qu’Universal détient pour Menjou ; qu’il veut commencer à tourner pas plus tard qu’en octobre.
W.R. Wilkinson me tend alors le combiné. Je ne sais pas pourquoi, mais je me fends alors d’une longue révérence en l’honneur de Menjou, qui se trouve pourtant à des milliers de kilomètres d’ici, je remets en place ma cravate défaite d’un geste provocant de la main gauche… Menjou parle un allemand distingué et très digne. Oui, il lui tarde d’être à Berlin, vraiment. Il éclate de rire lorsque je lui fais remarquer que Leipzig a enfin produit autre chose que sa foire, après tout. Non, il se rend d’abord à Biarritz pour terminer le script. Travailler à Berlin ? Il y a soixante pour cent de chances que cela se fasse. Tout cela est très bien, très poli. À la fin, W.R Wilkinson hurle un au revoir enjoué dans le combiné.
Sacrée invention. On est assis dans un bureau de Berlin, on tient un combiné idiot dans la main et on s’imagine très distinctement la suite du Majestic : Adolphe assis en face du téléphone dans son pyjama de soie, tissé au royaume de Siam, avant de se changer pour la quatrième fois de la journée. Les pointes de sa moustache sont à présent humectées d’huile sacrée par un serviteur japonais. Miss Kathyrn Carver, sa femme, se tient à ses côtés et se demande ce qu’elle va faire de ces deux cents costumes. En bas, sur le trottoir, six jeunes femmes attendent depuis des heures : elles apportent les cravates de laine qu’elles ont tricotées pour leur Adolphe. Et dans le bureau, le garçon d’étage, qui a pris sa journée, appose son autographe sur des centaines de photos : Adolphe Menjou, Adolphe Menjou, Adolphe Menjou.
—Tempo du 5 août 1929....
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