La fabrique du monstre
En 2008, à Marseille, Patrick Salameh assassine au moins quatre jeunes femmes, dont trois prostituées. Les corps ne seront jamais retrouvés. En 2016, après avoir épuisé tous les recours, le Jack l’Éventreur de la cité phocéenne est condamné à la réclusion à perpétuité. Pierre-Antoine Vesperini l’a fréquenté avant sa folie meurtrière et s’interroge : peut-on repérer un serial killer ?
Je ne me souviens pas précisément de la première fois où j’ai rencontré Patrick Salameh ; probablement dans l’appartement de Gisèle R. et de son frère Jean-Marie, boulevard de la Libération, à un jet de seringue de la brigade des stups qui logeait alors rue d’Oran. Nous étions en 1979, j’habitais le quartier populaire de Noailles, à deux pas de la Canebière, et histoire de payer le loyer et d’assurer quelques à-côtés, il m’arrivait de faire la plonge de temps à autre dans un restaurant du Vieux-Port. Ou de jouer les coursiers à l’occasion. À vrai dire, je ne voyais pas vraiment la recherche d’un emploi comme la quête du Graal. Ma vie et celle de mes potes, c’était le rock’n’roll et tout ce qui va avec : les concerts, les bouquinistes, les filles, un peu de deal de-ci de-là, la lecture compulsive de Rock&Folk, les vols de vinyles à la FNAC, le bar du Champ de Mars à la Plaine où un ami photographe m’avait présenté les membres de Spécial Service, le combo rock le plus affûté de la place, dont j’étais rapidement devenu le manager.
Patrick Salameh venait d’une autre planète que la nôtre. À sa manière, c’était un « engatsé » (« énervé » en marseillais) et ça nous plaisait bien. Pour lui, nous étions un objet de curiosité. Un peu comme si, effaré, il venait de découvrir qu’il existait une catégorie d’humains tellement étrangers à sa propre personne qu’une étape s’imposait pour observer de près les mœurs de ces gens-là. Tout ce que nous savions de lui, c’est qu’il se prénommait Patrick, qu’il était originaire du Moyen-Orient et qu’il habitait dans le 13e arrondissement. Sapé comme un milord avec ses chemises blanches impeccables, ses costumes sombres, ses chaussures italiennes, sa Renault 25 vert bouteille et son air de dire : « Y’a quoi au programme aujourd’hui ? » On l’avait baptisé le Libanais.
Il était là parmi nous, à vampiriser l’air de rien notre quotidien. Il nous suivait de jour comme de nuit d’un appart à l’autre, d’un bar à l’autre, de concert en concert, de fête en fête. Il ne touchait à aucune drogue, il ne buvait pas. Le rock, il n’en avait rien à foutre, et avec les filles, on ne peut pas dire qu’il était particulièrement entreprenant. Présent par intermittence, énigmatique, peu bavard, jamais menaçant et encore moins violent. Nous avions adopté un alien et nous trouvions ça marrant de nous le trimballer. Ce n’était pas E.T. le benêt, mais de là à imaginer qu’on avait embarqué le « huitième passager »… J’ai perdu de vue le Libanais vers 1985. Trois décennies plus tard, une nuit d’insomnie, je tombe sur l’émission de Karl Zéro sur 13ème Rue. Et ce que je vois à l’écran me tire progressivement de ma torpeur. Ce visage, ce profil de médaille… Il me faudra un long moment et moult vérifications sur le net pour admettre que le Libanais et Patrick Salameh sont bien une seule et même personne. Quel choc ! Qu’est-ce que j’avais bien pu louper ?
Pour lever définitivement tout doute, j’ai frappé « Rock Opéra Burger/Patrick Salameh » dans la barre de recherche Google. Et je suis tombé sur un article du Parisien... « Patrick Salameh, gérant d’un restaurant, le Rock Opéra Burger, au début des années 1980 dans un quartier sensible de Marseille… » Ce quartier « sensible », c’est celui de l’Opéra et pour être encore plus précis, le Rock Opéra Burger était sis rue Molière. Le Rock Opéra Burger a une histoire et j’étais bien placé pour la connaître.
On se doutait tous que le Libanais menait « une autre vie ».
Mais à Marseille, il y a des questions qu’on ne pose pas.
Au cours de l’année 1982, je décide d’aller faire un tour à Amsterdam pour toucher du népalais, de l’afghan ou de la colombienne, bref du bon produit parce que ça faisait un moment que la fumette qui tournait sur Marseille était le plus souvent du marocain coupé au henné. J’avais remisé la seringue après deux hépatites consécutives ; le chichon faisait mon affaire. On se doutait tous que le Libanais menait « une autre vie » en dehors des périodes où il se mêlait à nous. Et pas une vie « bien rangée ». Mais à Marseille, il y a des questions qu’on ne pose pas. Lorsque le Libanais apprend que je monte à Amsterdam, il décide de se joindre à moi et il me lâche le plus naturellement du monde qu’il profitera de la balade pour braquer un dealer, histoire de rapporter un souvenir de voyage ! Je lui explique qu’il ne faut pas compter sur moi pour son opération commando. Nous partons en train, mais plutôt que de filer direct sur Amsterdam, je décide de faire un stop à Sarcelles pour rendre visite à une de mes cousines. Le soir, j’entraîne le Libanais au McDo et là, le bougre se retrouve comme à poil, abasourdi par l’existence d’un établissement pareil... Il faut le voir, frappé de stupeur, en état de sidération ; une éponge humaine s’efforçant d’absorber toutes les informations qui l’assaillaient ! Les yeux grand ouverts, tous les sens en alerte, scannant frénétiquement la salle, le comptoir, le va-et-vient des clients avec leurs plateaux, les employés dans leur accoutrement, le glissando incessant des tiroirs-caisses, les panneaux lumineux avec les menus Big Mac, Royal Cheese...
Il se tourne vers moi, presque inquiet :
– C’est quoi ça ?!
– Ça c’est McDonald.
– Je veux en ouvrir un à Marseille !
Après être tombé par hasard sur une tribu de punk-rockers marseillais, notre Christophe Colomb venait de découvrir l’Amérique ! Et me voilà en train de lui expliquer que McDo est une multinationale et qu’il ne va pas lui être facile de joindre le PDG aux States. Qu’à cela ne tienne ! Plusieurs mois après cet épisode, le Libanais m’annonce qu’il a loué un fonds de commerce dans le quartier de l’Opéra ; faute de McDo, ce sera un bar-restaurant-salle de concert qu’il a baptisé le Rock Opéra Burger. J’imagine que, dans sa tête, il a dû imaginer qu’un endroit pareil ne pourrait que marcher. Sauf que pour faire tourner ce genre de rade, avec cette clientèle, il faut être un peu de ce monde-là. Et il n’en n’était pas. Avec sa chemise blanche ouverte au premier bouton, sa veste bleu nuit et ses manières un brin obséquieuses, il avait plutôt l’air d’un courtier en assurances que du barman du CBGB ou des Bains Douches. Le Rock Opéra Burger, qui a connu une existence assez brève, va lui coûter bonbon. Pour le Libanais, le rêve américain made in Marseille va devenir un cauchemar. Pour faire face à ses déboires financiers, il fait dans le braquage, mais aussi dans le home-jacking en prenant un plaisir tout particulier à torturer ses victimes. Résultat des courses : vingt ans de réclusion.
Durant son séjour en prison, le Libanais s’est mis à peindre. Une fois remis en liberté, il expose ses toiles dans une galerie parisienne du 16e, reçoit les journalistes, s’épanche abondamment sur ses conditions d’incarcération, confiant que pour tenir le coup, il apprenait par cœur des tirades entières de Shakespeare « et se les chuchotait dans sa tête pour se sentir moins seul ». Sa vie se résumerait selon lui à cette citation de Sartre, revue et corrigée par ses soins : « Ma liberté, c’est ce que je fais de ce qu’on a fait de moi. » En 2008, Patrick Salameh va se mettre à tuer des femmes… Dans tout ce qu’il m’a été donné de voir, j’ai beau rassembler mes souvenirs, je ne vois rien qui aurait eu l’apparence d’un véritable signal d’alarme. Bien sûr, avec les potes, nous nous demandions quel intérêt le Libanais pouvait bien trouver à notre fréquentation. Je crois qu’on était tout simplement son zoo humain.
Les psys ont une expression pour qualifier les fréquentations et les faits et gestes de zigotos dans mon genre, ils parlent de « conduite à risque ». Pour une génération qui a fait du No Future son manifeste, c’est l’hommage du vice à la vertu. Le risque plutôt que l’ennui, la transgression plutôt que la norme. Oui, nous bricolions nos existences et ça nous plaisait. L’usine ou le bureau, nos parents avaient déjà donné. Nous, on voulait de l’inédit, de l’imprévu, et si pour gagner du fric il fallait parfois tenter des sauts périlleux sans filet, on risquait le coup. À plusieurs reprises, il est arrivé au Libanais de me faire des « cadeaux ». Par exemple, des chéquiers volés avec les pièces d’identité qui vont avec. Comme ça, gratis, sans exiger quoi que ce soit en contrepartie. Une autre fois, le Libanais me refourguera tranquillou cinq kilos de libanais rouge – ça ne s’invente pas ! –, en me disant que je n’avais qu’à le vendre ; on partagerait le bénéfice une fois le produit écoulé. Combien ? Je n’avais qu’à en décider moi-même. À l’époque, le kilo de libanais devait coûter pas loin de 3 000 euros. Sans oublier la fois où il m’a demandé de convoyer jusqu’au Liban une Mercedes volée, muni de faux papiers, moyennant 5 000 euros.
Salameh est parvenu à persuader les parents de Fatima qu’en réalité, Meddy, son petit ami, est le véritable meurtrier de leur fille. Même derrière les barreaux, il ne lâche jamais l’affaire.
Ma connexion avec le Libanais, c’était Patrick C., le petit ami de Gisèle R. Je n’ai jamais su dans quelles circonstances il avait fait sa connaissance, mais je me souviens parfaitement d’une discussion avec lui, au cours de laquelle il m’avait annoncé sa décision de quitter Marseille pour Toulouse. L’une des raisons de ce choix était qu’il en avait marre de cette vie qui lui semblait tourner à vide. Marre de Marseille, marre de la poudre, marre de Gisèle… Mais pas seulement. Sans entrer dans les détails, il me crache le morceau : « Le Libanais pue la mort. »
Je n’ai pas assisté aux premiers procès de Patrick Salameh pour l’assassinat de trois prostituées, Yrina S., Christina B. et Zineb C. ; à cette époque, j’ignorais tout de son parcours criminel. Je me suis rendu à la cour d’assises d’Aix-en-Provence à l’automne 2015 au procès en appel pour l’enlèvement, suivi de la mort de la jeune Fatima Saiah, qui avait déposé une offre d’emploi de baby-sitting à laquelle Salameh avait répondu. Mais pas n’importe comment, en se fendant d’une mise en scène bien torsadée qui devait soi-disant brouiller les pistes, effacer ses traces, rendant impossible son identification. Loupé ! À plusieurs reprises, Salameh avait vainement tenté de recruter ses futures victimes par le biais de petites annonces. Pour commencer, il n’utilisait pas d’ordinateur personnel. Il se rendait dans des web-cafés pour consulter les demandes d’emploi. Pas question non plus de téléphoner lui-même et encore moins avec son propre mobile. Non, monsieur s’estime plus futé que ça. Il décide de se rendre vers la gare Saint-Charles où il repère une SDF à qui, moyennant cinq euros, il demande de téléphoner à Fatima d’une cabine téléphonique en se faisant passer pour son épouse. Sur le papier, le scénario à l’air de tenir la route : une personne fragilisée en guise de couverture, dont il suppose que l’état d’imprégnation éthylique la rendra peu susceptible de rassembler ses souvenirs si d’aventure la police parvenait à remonter jusqu’à elle. Et quand bien même, qui accorderait crédit aux propos d’une alcoolique ? Histoire d’enfoncer le clou, Salameh fixe les termes du contrat avec Suzy Gil, la SDF : « Tu parles, je te tue. » Simple, mais pas si efficace que ça, car malgré l’effroi qu’il lui inspirera jusque dans l’enceinte du tribunal, Suzy identifiera Salameh et racontera son histoire aux enquêteurs.
Lors de son procès en 2015 devant la cour d’assises d’Aix-en-Provence, je suis surpris de voir aussi peu de public dans cette salle d’audience froide et mal éclairée. Je me place dans les derniers bancs ; aucune envie que Salameh me reconnaisse. J’ai lu à peu près tout ce qui m’est tombé sous la main pour me faire une idée des faits qui lui sont reprochés. Je sais notamment que, de sa prison, il a inondé de courriers les juges, les procureurs, les accusant de manipulation, mais aussi les témoins, les parties civiles et en particulier la famille de la jeune Fatima, les exhortant à croire en son innocence. Opération réussie puisque Salameh est parvenu à persuader les parents de Fatima qu’en réalité, Meddy, son petit ami, est le véritable meurtrier de leur fille. Même derrière les barreaux, il ne lâche jamais l’affaire. Pour moi, hors de question de croiser son regard et de jouer à : « Alors qu’est-ce que t’es devenu, je prends un parloir ? »
Le président et les juges s’installent, suivis des jurés, puis c’est au tour de Salameh d’apparaître dans le box. Trente ans plus tard, il est là, à vingt mètres de moi. Hormis sa chevelure grisonnante, il n’a pas beaucoup changé, avec son éternelle chemise blanche cette fois-ci surmontée d’un blouson en popeline beige qu’il porte sur les épaules sans avoir enfilé les manches. Il reste debout un court instant, balayant la salle du regard comme on cherche le garçon pour demander l’addition. Mis à part une de ses sœurs, dont j’avais fait la connaissance au Rock Opéra Burger, il n’y a visiblement aucun membre de sa famille. Ni épouse, ni fils, ni mère, ni ses frères, dont l’un a été consul de Syrie à Marseille. Je l’observe en douce et, sous son apparente décontraction, j’ai la conviction qu’il sait déjà que la partie est perdue. Bien qu’il s’échine à donner le change, il peine à rentrer dans son personnage d’innocent cueilli au hasard par la funeste main du destin. À l’entendre, il serait la victime d’un complot ourdi par les policiers et les magistrats. Il s’adresse directement aux jurés dans une sorte de plaidoyer pro domo laborieux, remettant son sort entre leurs mains, tout en laissant planer, l’air de rien, un parfum de menace : « Vous êtes importants, ma liberté dépend de vous, je veux que vous le sachiez, il faut être très forts pour ne pas être manipulés… » Avec un client pareil, estampillé comme « un des plus grands tueurs en série français » par un procureur, ses avocats doivent naviguer à vue en essayant de pointer les rares zones d’ombres du dossier. Et lorsqu’on lui oppose des témoignages qui le mettent en difficulté, Salameh crie à la machination : « Suzy Gil ne fait que répéter ce que lui a dit de dire la police ! » En ce qui concerne l’auto-stoppeuse qui a préféré de ne pas monter à bord de son véhicule et qui l’a formellement reconnu, il s’insurge : « Les témoins sont tous travaillés par la police ! » Quant à Soumia, la seule rescapée, Salameh, en état d’ivresse narcissique, décidera du haut de son Olympe de lui laisser la vie sauve après l’avoir violée et torturée. La jeune prostituée témoignera devant la cour d’assises, encore sous l’emprise de la terreur, en détaillant sa nuit d’épouvante marquée par la découverte d’un cadavre féminin dans la baignoire de Salameh, ponctuée par un « voilà ce qui t’attend si tu n’es pas gentille avec moi... »
Il ne faut pas s’attendre de la part de Salameh qu’il se raconte.
Pas question d’ouvrir la porte de sa panic-room au regard des autres.
Pour quelqu’un d’obsédé par le contrôle, la domination, jubilant de posséder le droit de vie et de mort sur ses proies tout en étant persuadé que son infinie supériorité lui permettra de passer sous les radars de la justice, se retrouver en pleine lumière derrière une cage de verre, à répondre de ses actes, voilà le cauchemar ultime. Piégé à son tour comme il a piégé ses victimes. De quoi enrager. Ce qu’il n’est pas loin de faire avec la procureure, entre fureur à peine contenue et marque de respect surjouée, conscient qu’il lui faut malgré tout ménager l’institution. Peine perdue. Difficile pour Salameh de faire oublier à la cour et aux jurés son passé criminel d’où il ressort que la quête du plaisir sadique l’emportait sur la recherche du lucre.
Durant son incarcération pour home-jacking, Salameh a entretenu une correspondance avec Alfredo Stranieri et Guy Georges, tout en travaillant à l’écriture d’un manuscrit consacré aux tueurs en série. Voilà ce qui s’appelle stocker du combustible… Du coup, on en devient inflammable comme de l’amadou et impatient de passer de l’élaboration de scénarios maturés dans le margouillis carcéral à leur mise en pratique dans la vraie vie. Deux évasions ratées au compteur avant de recouvrer la liberté en 2005. Inutile de lire Freud ou dans le marc de café pour supposer qu’une fois libre, Salameh passerait de scénariste à acteur-metteur-en-scène. Tout en se chauffant à blanc derrière les barreaux, il s’était préparé, croyait-il, à faire face aux nouveaux défis qui l’attendaient dehors s’il voulait réaliser ses fantasmes sans laisser de traces. Parce que pas de téléphone portable en 1989, ni d’Internet, ni d’ADN. Obsédé par les nouveaux outils de communication et leur capacité de localisation et d’identification, Salameh va finir par s’emmêler les crayons à force de jouer à cache-cache avec les cartes SIM et les portables, stoppant en pleine rue des inconnus pour leur proposer contre dix euros d’utiliser leur carte ou leur téléphone. Jusqu’au jour où, opérant de la même façon du côté des Réformés, en haut de la Canebière, il demande à un jeune lycéen d’utiliser son mobile avec la carte SIM d’un téléphone dérobé à une des prostituées portées disparues, histoire de faire croire qu’elle est encore vivante. Du pain béni pour les enquêteurs, qui retrouvent facilement le lycéen dont le récit est jugé crédible et convaincant. Salameh doit être atteint du syndrome de l’homme qui se croit invisible dans la foule, se laissant porter par l’énergie marémotrice de cette houle humaine, du haut de la Canebière, en embrassant la gare Saint-Charles et Belsunce, jusqu’au Vieux-Port. Il doit déjà se faire dans les poils à savoir seul qui il est vraiment, au milieu d’inconnus qui eux ne se doutent de rien et dont certains sont des proies potentielles. Combien de fois, fondu dans cette foule, a-t-il dû s’adresser in petto à des centaines de femmes croisées au hasard : « Toi, tu aurais pu mourir entre mes mains, tu as la vie sauve et tu ne le sais même pas. »
Ce bonneteau de cartes SIM va précipiter la chute de Salameh sur son propre territoire, à l’abri de ce qu’il croyait être sa meilleure couverture. Le jeune lycéen vient tout juste de sortir du poste de police de l’Évêché qu’il tombe nez-à-nez avec Salameh ! Il le reconnaît, alerte un policier et, aussi sec, le Libanais se fait serrer. Un incroyable coup de boule du destin ! À force de triturer des scénarios plus improbables les uns que les autres pour effacer ses traces, Salameh s’est retrouvé broyé par son usine à gaz mentale.
Une fois arraisonné, il décide de garder le silence. Plus de deux ans sans dire un mot ou presque, aux flics, aux juges d’instruction, aux procureurs. Attendre et voir venir. Après la retraite intérieure et le mutisme vient le temps de l’incontinence verbale qu’il réserve aux cours d’assises. Il ne faut pas s’attendre de la part de quelqu’un comme Salameh qu’il se raconte. Pas question d’ouvrir la porte de sa panic-room au regard des autres. Là où les choses se passent vraiment, là où il échafaude ses plans d’enlèvement, de séquestration, visionnant par anticipation les cauchemars dans lesquels il projette de précipiter ses victimes. Relater les événements ? Répondre aux questions ? Non. « Je ne suis pas celui que vous croyez et je vais vous le démontrer. » Face à la réalité des faits, aux preuves ADN et aux bijoux appartenant aux victimes retrouvés dans son appartement, face aux témoignages accablants, Salameh, pathétiquement cramponné à l’efficience supposée de la magie du verbe, n’a de cesse de tenter de sauver sa peau en répandant sa pénible logorrhée sur la cour et les jurés.
Du verbe, il ignore l’impitoyable effet boomerang. Car chaque fois qu’il prend la parole, Salameh ne fait que s’enliser un peu plus, emberlificoté dans un récit fantasmagorique, pris au piège d’une élocution maladroite, brouillonne, tâtonnante. Cherchant ses mots comme on cherche une issue de secours.
« Elle est dans ma voix, la criarde !
C’est tout mon sang, ce poison noir !
Je suis le sinistre miroir
Où la mégère se regarde. »
Dead end Salameh. On cherche obstinément à savoir ce que ce genre de type peut bien avoir dans la caboche, comme on tente de percer à jour le mystère des trous noirs aux confins de l’univers. Ici ce n’est pas la physique quantique qui est convoquée pour sonder l’insondable, mais les profilers, les psys, les flics, les juges, les journalistes, les experts auto-proclamés, les écrivains, les avocats, les cinéastes... Alors qu’on pousse un peu plus loin chaque jour les investigations qui nous rendent familières les origines de la vie, on s’avoue impuissants à circonscrire l’origine du Mal et à en identifier les traits ; et si le tueur en série était mon voisin de palier ?
« Ne suis-je pas un faux accord
Dans la divine symphonie ? »
Comme si l’énigme du tueur en série était devenue notre nouveau Sphinx, l’ultime frontière de notre voyage intérieur, là où, voluptueuse attraction, s’épanouissent les fleurs du mal. ...
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