- Brasser de l’air et s’envoler, une ode captivante au bonheur
Nous donner les « clés du bonheur », de la quiétude, de la foi en l’humanité… voilà le défi que se lance Xavier Guelfi, seul en scène, un jus de carotte à la main, avec une fausse fébrilité qui nous embarque dès les premières minutes. Car le jeune homme idéaliste qu’il campe avec justesse n’est guère qu’un humain comme les autres, attendri par ses rêves d’enfant auxquels, bien trop souvent, nous nous interdisons de croire. D’ailleurs, penaud, Xavier l’avoue d’emblée : « Je ne sais pas trop où je vais ».
Nous séduit l’humilité d’un personnage qui pose et se pose des questions sans leur asséner de réponses. La pièce n’est pas une satire morale, et ne cherche pas à l’être : pleine de joie et d’espoir, elle est le récit à la première personne d’un voyage qui se fait, d’une errance pittoresque de telle à telle incertitude.
Un voyage drôle, très drôle. Entre expression délirante du malaise, et incarnation saisissante de personnages tous plus caricaturaux les uns que les autres, Xavier Guelfi jalonne son grand cheminement intérieur d’épisodes captivants, qui nous gardent en haleine tout en donnant à réfléchir. L’humour, à la fois subtil et tendre, n’est qu’une forme du dépassement de soi, de l’ouverture sur l’autre : « J’ai pris la décision », dit-il, « d’arrêter tous les trucs en -ion, l’introspection, les tergiversations, […] pour me tourner réellement vers vous, vers les autres, vers l’humanité ». Un pari réussi.
Brasser de l’air et s’envoler, de et avec Xavier Guelfi, les 17 et 24 avril au Théâtre La Flèche.
- Le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux (1730), grande comédie sentimentale
« Mon cœur est fait comme celui de tout le monde. De quoi le vôtre s’avise-t-il de n’être fait comme celui de personne ? ». C’est sur une querelle domestique que s’ouvre Le Jeu de l’amour et du hasard : Silvia, fille de Monsieur Orgon, apprend que sa femme de chambre Lisette a menti à son père, prétendant que sa fille était ravie de son mariage à venir ; ce à quoi Lisette lui répond en la traitant d’originale – car l’on dit que son promis est à la fois honnête et beau. « C’est presque tant pis », déplore Silvia, craignant la vanité d’un homme qui, d’une minute à l’autre, doit venir la rencontrer.
Il n’en faut pas plus à l’auteur pour nous entraîner dans un tourbillon burlesque, un entrelacs de rendez-vous manqués, ou, au contraire, de rencontres inespérées. On reconnaît bien là l’influence de la commedia dell’arte et de ses personnages typiques – référence invoquées par Marivaux et dont Molière avait déjà teinté le théâtre français.
Mais, au-delà du vaudeville, la pièce met l’accent sur le texte, et sur ses mots d’esprit finement ciselés. Certes, le comique de situation reste au premier plan ; mais le discours à la fois simple et dense sur le sentiment amoureux, les illusions, les faux-semblants, n’est pas sans rappeler la douce poésie d’un Songe d’une nuit d’été. Une certaine profondeur psychologique et sociale, donc, qui jette les premières bases de la modernité comique, et qui se joue actuellement au Lucernaire, dans une très belle mise en scène de Frédéric Cherbœuf.
Le Jeu de l’amour et du hasard, de Marivaux, mise en scène de Frédéric Cherbœuf, du 24 janvier au 2 juin au Lucernaire.