Ultrariches

De l’oligarchie en Amérique

Tim Murphy

Si les oligarques russes sont omniprésents dans les médias, leurs homologues états-uniens ont su mettre en place un système efficace d’évitement fiscal et de contournement juridique pour peser sur le paysage politique et économique outre-Atlantique.

 

Depuis dix-huit mois, l’un des plus somptueux (et superflus) navires jamais bâtis flotte dans un canal étroit du port de San Diego. Construit en Allemagne, anciennement géré par une société monégasque et battant pavillon des îles Caïmans, le superyacht Amadea mesure plus de 100 mètres de long et dispose d’un héliport, d’une piscine, de deux pianos à queue et d’un albatros art déco de cinq tonnes en acier inoxydable qui s’étend à l’extérieur de la proue, tel un oiseau rejouant la scène de Titanic. Il peut accueillir 16 passagers et 36 membres d’équipage et son entretien coûte un million de dollars par mois. Savoir qui a payé cette facture jusqu’ici est délicat, un litige étant né d’un enchevêtrement de fiducies et de Limited liability companies (LLCs, une sorte d’équivalent de nos SARL), de noms de code, d’accords de confidentialité et de procédures judiciaires dans deux pays. Mais le propriétaire actuel du navire n’est autre que le contribuable américain.

L’Amadea s’est retrouvé en Californie après des vacances en famille ayant mal tourné. En 2022, après un long été en Italie et dans le sud de la France, le navire s’est ravitaillé en carburant à Gibraltar avant d’arriver aux Caraïbes juste à temps pour Noël. Là, selon des courriels échangés entre le capitaine du navire et sa société de gestion, ensuite présentés au tribunal par le ministère de la Justice (DOJ), le personnel devait être rejoints par les enfants et petits-enfants d’un riche ressortissant russe – quatre adultes et trois enfants, accompagnés de nounous et de gardes du corps. L’équipage se préparait pour une croisière à Antigua, un séjour au Mexique et une visite aux Galapagos et venait de récupérer du matériel de plongée pour leurs quelques passagers.

 
L’entretien de l’Amadea, superyacht de 100 mètres, coûte un million de dollars par mois. Son propriétaire actuel n’est autre que le contribuable.
 

Quelques semaines après le début du voyage, l’Amadea a cependant changé de cap. Tous les grands bateaux, des embarcations de plaisance aux porte-conteneurs, sont tenus par l’Organisation maritime internationale de signaler leur position à intervalles réguliers, sauf en cas d’urgence. Lorsque la Russie a envahi l’Ukraine en février 2022, l’Amadea a disparu de la carte pendant plusieurs jours. Au Panama, le capitaine a alerté la société de gestion que des enquêteurs gouvernementaux avaient recueilli des informations sur les Russes à bord du navire. Au Mexique, le yacht a fait le plein pour 250000 dollars et est parti vers l’ouest. Lorsque le navire est arrivé aux îles Fidji, les autorités locales l’ont fouillé à la demande des enquêteurs américains. À l’intérieur, elles ont trouvé ce qui semblait être un œuf de Fabergé ainsi que des documents attestant que le yacht appartenait à une société détenue par un trust contrôlé par l’homme d’affaires russe Edouard Khoudainatov. L’œuf était probablement un faux, de même que les documents. Selon le DOJ, Khoudainatov était au mieux un « oligarque de second rang » qui n’avait pas les moyens de posséder un tel navire. Les agents ont conclu que l’Amadea fuyait vers la Russie à la demande de Suleyman Kerimov, un milliardaire ayant fait fortune dans l’aluminium et l’or, sénateur au Parlement russe, et qui par le passé avait tenté de construire une ambitieuse équipe du football au Daghestan. Il lui est interdit, depuis 2018, d’avoir des activités commerciales aux États-Unis en raison de ses liens avec Vladimir Poutine. Les autorités, qualifiant Khoudainatov d’homme de paille, ont saisi le navire pour violation des sanctions américaines, ont relevé l’équipage et ont envoyé le yacht en Californie.

Khoudainatov, qui n’était pas visé par les sanctions américaines, a depuis fait appel de la décision. Ses avocats – et ceux de Kerimov – affirment qu’il a réellement dépensé la majeure partie de sa fortune pour acheter deux des plus grands yachts du monde. Ils nient même que le navire ait jamais disparu; toute confusion concernant sa propriété ou sa localisation ne serait due qu’à une mauvaise gestion policière.

Mais, entre-temps, les États-Unis se sont efforcés de détricoter la richesse de Kerimov: ils ont ajouté sa femme et ses trois enfants à leur liste de personnes frappées de sanctions dans le cadre d’une action contre « ceux qui aident les personnes russes sanctionnées » et ciblé une compagnie de jets privés, à laquelle les Kerimov faisaient appel, et les gérants du yacht. Peu de temps après l’arrivée de l’Amadea à San Diego, le département du Trésor a discrètement gelé un actif bien plus précieux: un trust familial d’un milliard de dollars. Les Kerimov auraient en effet trouvé pour cet actif un refuge hors de portée des gouvernements hostiles dans un endroit où, depuis des décennies, la fortune des ultrariches du monde entier s’accumule dans un parfait anonymat : le Delaware.

 
L’administration Biden a volontiers emboîté le pas à ces histoires de Russes décadents qui dilapident leur fortune mal acquise dans des excès dignes de méchants de James Bond.
 

La saisie de l’Amadea est sans doute l’élément le plus spectaculaire d’une affaire internationale de grande ampleur. Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les États-Unis et leurs alliés ont bloqué, saisi ou gelé plus de 280 milliards de dollars d’actifs appartenant à des centaines d’hommes d’affaires, de politiciens, de membres de leurs familles et de leurs complices russes frappés de sanctions. Des bateaux, avions et hélicoptères, des œuvres d’art de Diego Rivera et de Marc Chagall, ainsi que certains des biens immobiliers parmi les plus convoités au monde ont été saisis. En mettant la pression sur ce que le département du Trésor a appelé les « soutiens » de Poutine, les puissances occidentales peuvent frapper le président russe là où ça fait mal, isoler son régime et faire pression sur la Russie pour qu’elle mette un terme à la guerre.

L’administration Biden a volontiers emboîté le pas à ces histoires de Russes décadents qui dilapident leur fortune mal acquise dans des excès dignes de méchants de James Bond: « Passons aux choses sérieuses – les yachts », déclarait ainsi Lisa Monaco, procureure générale adjointe, lors d’une réunion au Forum d’Aspen sur la sécurité en juillet 2022, où elle a évoqué les travaux de la KleptoCapture, un groupe de travail dépendant du DOJ. Les navires saisis ne sont pas seulement des biens, mais le miroir d’une société dans laquelle les leviers du gouvernement ont été détournés pour l’enrichissement de quelques-uns.

Si elle est russe, cette histoire est aussi inéluctablement américaine. En épluchant relevés bancaires et dossiers immobiliers, les enquêteurs ont ajouté de nouvelles couches à une carte que les journalistes et les organismes de surveillance reconstituent depuis des années, celle d’un réseau international, parfois clandestin mais souvent tout à fait légal, dans lequel l’argent provenant de régimes autocratiques est acheminé par l’intermédiaire d’entreprises, de marchés et d’institutions de pays se présentant comme l’antithèse de la Russie de Poutine. Par le biais d’un labyrinthe de sociétés, de trusts et de façades, l’argent des oligarques s’est retrouvé entre les mains de nounous en Californie, d’entreprises de fracturation au Texas, de gestionnaires de fortune à New York, de start-up dans la Silicon Valley et d’ouvriers de l’industrie du Midwest.

Concentrons-nous sur l’architecture de cet univers fondé sur la fortune, le secret et l’évasion fiscale, et une question embarrassante fera surface: si l’Amadea est le symbole d’un système politique et économique défaillant, qu’en est-il exactement du reste des super yachts ? « Nous parlons tout le temps de Poutine et de ses amis oligarques mais, pour des raisons évidentes, nous ne parlons pas de l’oligarchie aux États-Unis », me confiait récemment Bernie Sanders.

 
La nouveauté est que l’oligarchie américaine offre une alternative au pillage des biens communs qui a donné naissance à l’oligarchie russe.
 

Pourtant, de plus en plus de voix s’élèvent et dresse ce constat. Steve Bannon, ex-conseiller de Donald Trump, s’est plaint que le Parti républicain avait été détourné par des « oligarques » tels que Rupert Murdoch ou Ken Griffin, le fondateur du hedge fund Citadel. Le livre American Oligarchs d’Andrea Bernstein reprend ce terme pour désigner la famille de Donald Trump, dont le fils aîné, Donald Trump Jr, s’est quant à lui plaint que la Chine contrôlait les «oligarques américains». Un groupe de parlementaires démocrates milite pour une loi «Oligarch» qui viserait à surveiller et taxer les plus grandes fortunes américaines. « Nous vivons clairement à l’ère des oligarques irascibles », a récemment écrit Paul Krugman, en référence à Elon Musk. N’importe quel milliardaire possédant un groupe de médias – ou ayant tenté d’en mettre un en faillite – est aujourd’hui critiqué dans un langage autrefois réservé aux ex-Soviétiques grimpant l’échelle sociale.

Ce changement rhétorique est motivé par la prise de conscience collective du problème suivant: les mêmes outils et systèmes qui ont fait des États-Unis un espace sûr pour les richesses accumulées dans le monde ont effiloché leur propre contrat social, brisé leur politique intérieure et donné naissance à une nouvelle classe de barons ultrariches. Nous sommes dans l’ère de l’oligarchie américaine.

Comme leurs homologues russes, les oligarques américains sont à la fois la conséquence d’un échec du système et les ingénieurs actifs de cet échec. Ils fréquentent souvent les mêmes cercles, amarrent leurs bateaux dans les mêmes marinas, se disputent les mêmes biens immobiliers et les mêmes œuvres d’art, cachent leur argent dans les mêmes endroits. Leurs mondes convergent à Wall Street, dans la Silicon Valley et dans les couloirs du pouvoir. L’argent de l’oligarchie russe a tellement circulé aux États-Unis qu’il est parfois difficile de dire exactement où finit un système et où commence un autre.

La nouveauté est que l’oligarchie américaine offre une alternative au pillage des biens communs qui a donné naissance à l’oligarchie russe. Elle s’appuie sur un autre type de ressources, non pas le nickel ou la potasse, mais l’individu et ses données, son attention, son argent et sa place publique. La plupart de ces hommes s’enorgueillissent de leur statut quasi divin sur les politiciens qu’ils financent, les plateformes qu’ils possèdent et les industries qu’ils sont parvenus à monopoliser. Ils sont enclins à faire des déclarations grandioses sur l’espace et l’immortalité. Mais l’effet quotidien de leur pouvoir se ressent surtout dans la façon dont il est exercé sur tout le reste, l’effet que les inégalités socio-politiques font peser sur les services publics, la politique et les lieux de vie et de travail. Ce monde attire l’œil avec ses yachts et ses jets privés, mais l’histoire de l’oligarchie américaine n’est pas seulement une question de ce qui est gagné, mais aussi de ce que tous les autres perdent dans le processus. La crainte d’une oligarchie hors de contrôle était autrefois aussi américaine que le mont Rushmore. Avant la guerre de Sécession, les abolitionnistes condamnaient régulièrement les « oligarques » de la classe des planteurs qui utilisaient leur emprise sur les États esclavagistes pour dominer la politique nationale et les tribunaux. Durant la campagne électorale d’Abraham Lincoln en 1860, Charles Sumner, avocat engagé contre l’esclavage, avait invoqué l’« oligarchie esclavagiste » plus de 20 fois dans un même discours. Les oligarques en question étaient selon lui « entrés dans le gouvernement fédéral et le possédaient comme un esprit maléfique ».

La « Reconstruction », consécutive à la guerre de Sécession, fut alors une tentative de briser les structures de l’oligarchie. Mais au cours du siècle qui suivit, le terme prit une teinte désormais familière – provinciale, élémentaire et étrangère. Le New York Times suggéra en 1981 que le mot reflétait «la nature archaïque et légèrement féodale des relations sociales dans des pays comme le Salvador et le Guatemala». Ou encore qu’il évoquait la politique d’arrière-boutique des bureaucrates et des patrons. L’oligarchie était vue comme un état primitif. Puis, en 1996, Boris Berezovsky s’est rendu à Davos.

Berezovsky faisait partie de la nouvelle sorte d’hommes d’affaires russes, un peu économistes et un peu escrocs, qui bâtissaient d’immenses fortunes à mesure que le président Boris Eltsine privatisait l’ancien État soviétique. Dans le cadre d’une opération appelée «prêts contre actions», Eltsine avait accepté que l’État se sépare discrètement d’une douzaine d’entreprises publiques pour des prix dérisoires. Mais l’accord ne pouvait être conclu que s’il remportait un second mandat. Entre deux sessions du Forum économique mondial, Berezovsky et ses alliés mirent donc au point un plan visant à utiliser leur richesse et leur contrôle des médias pour sauver Eltsine. Après l’élection, Berezovsky se vanta, exagérant volontiers, que les sept hommes qui avaient uni leurs forces détenaient désormais 50% de la richesse de la Russie. Le trait caractéristique de cette «nouvelle classe d’oligarques», comme ils ont été surnommés par la presse après l’élection, était que ces hommes semblaient vouloir que les gens sachent qu’ils étaient des oligarques. Berezovsky appela son système « gouvernement d’entreprise ».

Cette oligarchie n’aurait pu exister si la Russie n’était pas la Russie, mais elle portait également l’imprimatur de Harvard et de Wall Street. Au début des années 1990, des juristes, banquiers et universitaires américains débarquèrent à Moscou pour modeler le paysage post-soviétique à leur image, aidant à créer des marchés, à rédiger des lois et à conclure des accords. Les hommes d’affaires russes qui ont prospéré dans ce nouveau système ont, quant à eux, « adopté le style et les méthodes des grands industriels véreux », selon le journaliste David Hoffman dans son livre de 2002, The Oligarchs : Wealth and Power in the New Russia. Ils se sont intéressés à des magnats comme Rupert Murdoch et ont même été influencés par un texte sur le Gilded Age, l’âge d’or américain (1865-1901), qui avait été utilisé pour effrayer les Soviétiques et les éloigner du capitalisme: The Financier de Théodore Dreiser, dans lequel le protagoniste, écrit Hoffman, « exploite les banques, l’État et les investisseurs, manipule l’ensemble du marché boursier et engloutit des entreprises ».

 
Les ultrariches russes stockaient 60 % de leurs avoirs à l’étranger. Une grande partie de cet argent s’est retrouvée aux États-Unis.
 

Cette forme d’oligarchie fut de courte durée. Poutine élu président quelques années plus tard, il exigea la fidélité de ces magnats. Berezovsky mourut en exil. Mais si Poutine a inversé la structure du pouvoir, l’effet a été le même: en Russie, une élite continue de s’enrichir grâce à une économie truquée, tout en mettant son argent en sécurité à l’extérieur du pays. Dans les années 1990, les Russes fortunés ont transféré jusqu’à 150 milliards de dollars hors du pays. Au moment de l’entrée en fonction de Donald Trump, les ultrariches russes stockaient 60% de leurs avoirs à l’étranger. Une grande partie de cet argent s’est retrouvée dans le pays même qui a contribué à façonner le système russe au départ, comme si un pipeline invisible s’était soudainement mis en marche.

Les fonds de Russie et d’ailleurs ont afflué vers les États-Unis non seulement en raison de leur stabilité, mais aussi parce que le système politique et financier américain invitait les ultrariches du monde entier à venir s’y installer pour un temps. Ils pouvaient y jouir d’un anonymat presque total s’ils achetaient des biens immobiliers en liquide ou faisaient passer la transaction par une société écran ou un trust – de plus en plus souvent basés dans des juridictions américaines onshore, tels le Wyoming et le Dakota du Sud. À New York et à Miami, de nouvelles tours étincelantes sont restées vides : un penthouse, pour ces gens-là, n’était pas une maison mais une banque d’un autre genre.

Ce grand transfert de richesse transnational a été facilité par l’essor de l’industrie américaine de l’investissement privé, qui représente plusieurs milliers de milliards de dollars. Selon Gary Kalman, directeur exécutif de Transparency International US, si un investisseur étranger souhaite placer de l’argent dans une institution financière ou une société cotée en bourse basée aux États-Unis, ces établissements seraient tenus de faire des audits préalables. Mais les fonds spéculatifs, les fonds de capital-risque ou de capital-investissement ne sont pas soumis à de telles règles et ont au contraire combattu les tentatives de les imposer. «La raison pour laquelle nous n’avons pas paralysé les oligarques autant que nous l’aurions souhaité, ou que les sanctions n’ont pas été aussi efficaces que nous l’espérions, est qu’un grand nombre de ces actifs se cachent, probablement dans les démocraties occidentales, dans des sociétés ou des trusts anonymes et sont acheminés vers des structures d’investissement qui échappent en grande partie à l’application de la loi», explique Gary Kalman.

 

 

En utilisant des sociétés écrans et des intermédiaires, les ultrariches russes ont acheminé d’énormes sommes d’argent pour investir aux États-Unis. Le trust du Delaware lié aux Kerimov a injecté 28 millions de dollars dans des entreprises de la Silicon Valley, selon des documents judiciaires, notamment dans un fonds de capital-risque, une entreprise de voitures autonomes et un «temple des start-up» installé dans une église de San Francisco, pourtant censée devenir un refuge pour sans-abris. Roman Abramovitch, qui a acheté une société pétrolière d’État avec Berezovsky et l’a ensuite revendue avec un bénéfice de 5100%, aurait ainsi envoyé des milliards de dollars vers un gestionnaire de fortune dans la vallée de l’Hudson à New York. Selon une plainte déposée en septembre par la Securities and Exchange Commission (SEC) contre cette société pour violation des règles d’enregistrement, celle-ci gérait plus de 7 milliards de dollars d’actifs pour un seul client, un riche politicien et homme d’affaires russe dont le nom n’a pas été révélé mais qui a fait fortune grâce aux privatisations et ressemble étrangement à Abramovitch. Alors que certains de ces fonds auraient été transférés à des poids lourds comme The Carlyle Group et BlackRock, Abramovitch a également soutenu une société privée d’ambulances et une start-up spécialisée dans la fracturation hydraulique, et donné 225 millions de dollars en capital d’amorçage à ce qui est aujourd’hui la chaîne de dispensaires de cannabis Curaleaf (Abramovitch, qui n’a pas souhaité répondre à nos questions, n’a pas été mis en cause par la SEC ni sanctionné par les États-Unis).

Une succession d’enquêtes gouvernementales a révélé que le laxisme des réglementations faisait des marchés américains de l’investissement et de l’immobilier des aimants à blanchiment d’argent, sans que les États-Unis cherchent à renforcer leurs règles. Profiter de l’exode russe s’est avéré une aubaine pour les finances et entreprises américaines. Avant d’être élu président, c’était presque tout ce que faisait Donald Trump de ses journées. L’argent visible est tout aussi révélateur que l’argent caché: le magnat de l’aluminium Viktor Vekselberg, star du secteur technologique, a fait d’importants dons, à titre personnel ou par l’intermédiaire de son entreprise, au MIT, au MoMA et à la Fondation Clinton, quand d’autres ont saupoudré leur argent au Kennedy Center, à la Mayo Clinic et au Guggenheim. Avec de grandes fêtes et de gros chèques, ils ont courtisé les gardiens de l’Amérique: à quoi bon être aussi riche si l’on ne peut faire partie du club ?

Un soir de 2013, Michael Bloomberg, alors maire de New York, a organisé une soirée dans un restaurant italien de Park Avenue pour Abramovitch et son épouse Dasha Zhukova, qui allaient bientôt dévoiler leur projet de transformer quatre maisons adjacentes de l’Upper East Side en la plus grande résidence privée de la ville. Pendant des mois, au printemps, le yacht de plus de 160 mètres d’Abramovitch, Eclipse, est resté sur l’Hudson, attirant des spectateurs émerveillés par ses piscines, ses héliports et son pont en forme de gâteau de mariage. Un réseau sophistiqué de lasers aurait même été déployé pour dissuader les paparazzis. L’afflux d’argent étranger a été une « aubaine », a déclaré plus tard Michael Bloomberg au New York Magazine, se demandant: « Ce ne serait pas génial si tous les milliardaires russes venaient s’installer ici ? »

 
Les milliardaires russes ont fui un pays qui n’est plus vraiment une oligarchie pour le confort d’un endroit qui l’est de plus en plus.
 

Ces dix dernières années, les histoires d’oligarques étrangers ont été aussi insidieuses qu’omniprésentes dans la politique nationale américaine. Toutefois, cet argent étranger en circulation n’a pas tant corrompu le système américain que rendu inévitable l’utilisation de ses failles. Les riches arrivistes n’ont pas bénéficié d’un traitement spécial en soi, ils se sont prévalus des services que les élites américaines utilisent si souvent: le principal lobbyiste d’Oleg Deripaska était l’ancien candidat républicain à la présidentielle Bob Dole, et ses avocats travaillaient aussi pour la famille Sackler, fondatrice des géants pharmaceutiques Purdue Pharma et Mundipharma. Des étrangers véreux placent leur argent dans Great Plains Trust de la même façon que les Pritzker, propriétaires entre autres de la chaîne d’hôtels Hyatt. L’ironie réside dans le fait que les milliardaires russes ont fui un pays qui n’est plus vraiment une oligarchie pour le confort d’un endroit qui l’est de plus en plus. « Nous allons avoir besoin d’un traducteur ou bien Roman va avoir une crise cardiaque en pensant qu’il doit payer des impôts », avait plaisanté Bloomberg lors de cette soirée de 2013.

Ce qui caractérise les oligarques américains aujourd’hui est qu’ils n’ont justement pas vraiment à payer leurs impôts. Le fondateur d’Amazon, Jeff Bezos, qui a bâti l’un des plus grands groupes du monde en s’appuyant sur une faille dans la fiscalité sur les ventes et qui a engrangé des millions de dollars en avantages fiscaux destinés aux communautés les plus pauvres, n’a selon Pro Publica payé aucun impôt sur le revenu en 2007 et 2011. Son rival pour le titre d’homme le plus riche du monde, Elon Musk, n’a payé aucun impôt en 2018 – dans le comté de Cameron, au Texas, où SpaceX a brûlé un parc national et déraciné une communauté en bord de mer, l’entreprise de Musk commencera enfin à payer des impôts en 2024. Le cofondateur de Paypal et de Palantir, Peter Thiel, a utilisé une faille dans le code des impôts pour dissimuler 5 milliards de dollars dans un Roth IRA, un compte individuel d’épargne retraite. Tandis que l’Internal Revenue Service (qui collecte les impôts et les taxes aux États-Unis) s’intéresse aux Noirs américains aux faibles revenus, la liste des milliardaires qui n’ont pas payé d’impôt sur le revenu ces dernières années est longue. Bloomberg aurait pu prévenir son invité d’honneur – après tout, lui-même était l’un des principaux concernés.

En taxant le travail et non la fortune, on affame les caisses de l’État pour remplir celles de quelques particuliers. Au lieu de travaux publics et de programmes universels, on obtient Big Philanthropy : des réseaux de donateurs et des fondations qui valorisent des fortunes monopolistiques en prétendant les distribuer. Les dons discrétionnaires offrent à l’élite américaine une sorte de pouvoir extra-politique qui s’ajoute au pouvoir politique qu’ils détiennent déjà. Si vous gagnez suffisamment d’argent, vous n’aurez plus à financer les services essentiels, vous pourrez mener vos propres projets en fonction de votre définition d’un acte de bienfaisance, remodelant ainsi des secteurs entiers de la vie de la cité. Des médias à la santé publique en passant par les élections et les mairies, tout le monde veut qu’un milliardaire vienne boucher les trous dans son budget. Les ailes d’hôpitaux et de bibliothèques universitaires construites ou rénovées par ces oligarques sont très belles et de nombreux programmes qu’ils choisissent de financer sont tout à fait bien intentionnés mais le créateur de Hot or Not, une application pour les étudiants de Harvard, qui injecte 100 millions de dollars dans un secteur scolaire – comme Mark Zuckerberg l’a fait à Newark – ne soutient pas tant une société civile qu’il en supplante une.

Un tel système a de graves conséquences pour les autres citoyens. Dans un article publié en 2009, deux professeurs de Northwestern ont pointé du doigt l’industrie américaine de protection de la richesse – celle dont ces Russes profitaient avec enthousiasme – comme étant à la fois un moteur et un symptôme de la descente de ce pays vers un régime hyperminoritaire. Selon eux, les ultrariches américains «engagent des armées d’acteurs professionnels et qualifiés pour travailler en tant qu’avocats salariés et défenseurs des intérêts oligarchiques fondamentaux» – lobbyistes, avocats, groupes de réflexion et consultants. Le système politique conserve de nombreux aspects d’une démocratie, en partie parce que les ultrariches qui financent les campagnes électorales sont en désaccord entre eux sur de nombreux sujets, mais la politique fonctionne dans les limites définies par cette cohorte. Une autre étude réalisée quelques années plus tard a permis d’affiner ce point: le facteur le plus déterminant pour qu’une politique devienne une loi est le soutien qu’elle reçoit de la part de l’élite économique du pays. Quand un juge de la Cour suprême prend des vacances sur le yacht d’un milliardaire, ce même milliardaire utilise ce séjour pour réduire sa facture fiscale, ce qui illustre très bien les capacités de l’oligarchie américaine.

 
L’oligarchie caractérise des gens fortunés qui utilisent leur argent pour remodeler la société à leur avantage.
 

En 2021, Jeff Bezos s’est rendu aux confins de l’espace à bord d’un vaisseau appelé New Shepard. La rampe de lancement, située dans un ranch de l’extrême ouest du Texas, qu’il avait acheté avec ce qu’il appelait ses «gains», se trouvait non loin du site d’un autre projet qu’il construisait sous couvert d’une œuvre caritative: une horloge de 42 millions de dollars destinée à fonctionner 10000 ans et située à l’intérieur d’une montagne dont Bezos était également propriétaire. Pendant quelques minutes, à 100 km au-dessus de la Terre, Bezos s’est extasié devant sa propre apesanteur, tentant d’attraper des Skittles en lévitation avec sa bouche. Après l’atterrissage, toujours vêtu de sa combinaison bleue personnalisée, il a pris un moment pour témoigner de la gravité de l’instant et a tenu à remercier « tous les employés et tous les clients d’Amazon : c’est vous qui avez payé pour tout cela ». Telle est la nature de l’oligarchie : votre sueur est leur carburant.

Personne n’a travaillé aussi dur que Bernie Sanders pour faire de l’oligarchie une caractéristique du discours politique américain. Dans It’s OK to Be Angry About Capitalism, son dernier ouvrage, l’oligarchie est le méchant de l’histoire. Les États-Unis remplissent selon lui toutes les conditions qu’il a énoncées pour être qualifié d’oligarchie : « un système dans lequel un petit nombre de personnes ont un pouvoir énorme, possèdent des fortunes considérables et créent un système conçu pour protéger leurs intérêts ».

Il ne s’agit pas simplement d’être riche. L’oligarchie caractérise des gens fortunés qui utilisent cet argent pour remodeler la société à leur avantage, d’une manière que ressent le reste des citoyens. Sanders énumère les symptômes de base: une inégalité astronomique (selon un calcul, les Américains les plus riches contrôlent aujourd’hui une plus grande part de la richesse que leurs homologues à l’époque du Gilded Age, la « période dorée » de la fin du xixe siècle), un système politique dominé par des donateurs et, depuis peu, des candidats ultrariches, et des décennies de consolidation de ce système qui ont réduit des industries entières à une poignée de mégacorporations. « Il n’y a jamais eu une telle concentration de la propriété. Qu’il s’agisse des services financiers, des transports, de l’agriculture ou des médias, un nombre toujours plus réduit de grands groupes contrôlent ces secteurs et c’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons pu observer la cupidité éhontée de ces groupes au cours des dernières années », me disait Sanders.

En mars 2023, Elon Musk en était aux premiers stades d’une prise de contrôle de Twitter, laquelle consistait en grande partie à licencier les personnes qui faisaient fonctionner l’entreprise. Un parfait exemple de la concentration du marché dont parlait Sanders. Voilà ce qui se produit lorsqu’une seule entreprise possède la totalité d’un moyen de communication et que cette entreprise est rachetée par un homme se comportant comme un enfant. L’attitude de Musk souligne toutefois un autre aspect de l’oligarchie américaine: il ne s’agit pas seulement de l’argent gagné, mais de la manière dont il est gagné.

 

 

Le système qui a rendu riches des Russes comme Kerimov et Abramovitch avait une sorte de logique linéaire. Il y avait bien sûr de l’argent à se faire avec les métaux précieux mais l’économie de l’information repose elle aussi sur les ressources naturelles au sens traditionnel du terme. Suivez les chaînes d’approvisionnement jusqu’au bout et vous trouverez des travailleurs qui peinent dans les mines et des centrales électriques qui brûlent du charbon pour faire fonctionner les fermes de serveurs. Derrière l’essor de l’intelligence artificielle se cache une sous-classe de travailleurs «fantômes» filtrant les contenus abusifs des chatbots pour quelques dollars de l’heure. Mais l’oligarchie américaine est extractive à un niveau plus profond que les ressources qu’elle consomme. Vous avez «payé pour tout cela», comme l’a dit Bezos, non seulement avec votre argent gagné par votre travail mais aussi avec une petite partie de vous-même. Shoshana Zuboff, professeur émérite à la Harvard Business School, a écrit sur les « oligarques de l’information» . Les géants de la technologie, de Google à Meta, sont guidés par ce qu’elle nomme « l’impératif d’extraction », dans lequel l’ensemble des opérations a été construit autour de la récolte de données et d’attention dans le but de les vendre ou d’adapter des produits. Le temps consommé est le fondement précaire de toute l’économie d’Internet, l’unité de base sur laquelle tout le reste s’organise. Reed Hastings, président exécutif de Netflix, a déclaré en 2017 que son plus grand concurrent était le sommeil.

La relation entre le gouvernement et l’oligarchie est définie par une sorte de servilité. Au cours de la guerre d’enchères pour le deuxième siège social d’Amazon, des centaines de villes et d’États se sont avilis dans l’espoir de remporter le prix: Dallas a proposé de construire une «université Amazon» à côté de l’hôtel de ville, tandis qu’une ville de Géorgie a proposé de changer son nom pour celui de la firme de Jeff Bezos. C’était l’inverse des prêts contre actions: Bezos ne faisait pas une offre pour l’État, il avait développé quelque chose de si grand – parce qu’autorisé à la faire – que les États faisaient une offre pour lui. L’entreprise s’est un jour fixée pour objectif d’obtenir 1 milliard de dollars d’avantages fiscaux en une seule année; dans l’Amérique oligarchique, c’est l’impôt qui paie.

Même s’ils font ce qu’ils veulent avec les municipalités, ces oligarques américains nourrissent toujours le fantasme de pouvoir simplement gérer leur propre ville. Pendant des années, Reid Hoffman, le milliardaire en capital-risque Marc Andreessen, Laurene Powell Jobs et une poignée d’autres gros bonnets de la Silicon Valley ont tranquillement acheté une immense partie de la Californie du Nord pour construire une ville entièrement nouvelle, où ils pourraient modéliser, comme l’écrit le New York Times, « de nouvelles formes de gouvernance ». Un fonds lié à Peter Thiel a investi dans une initiative visant à créer une nouvelle métropole monarcho-capitaliste quelque part sur la côte méditerranéenne. Musk, qui construit une communauté modèle à l’extérieur d’Austin tout en resserrant le contrôle sur sa « base stellaire » du sud du Texas, rêve d’utiliser un jour SpaceX pour coloniser Mars, de construire une société entière comme il l’entend, tout en faisant profiter de « la lumière de la conscience ».

Derrière ces projets se cache un désir souvent explicite de réimaginer les espaces partagés. L’Hyperloop, jamais achevé, dont Musk promettait qu’il transporterait des passagers entre Los Angeles et San Francisco à presque 1000 km/h, était un stratagème pour mettre fin au train à grande vitesse, selon sa première biographe, Ashlee Vance. Critique à l’égard des transports en commun, qu’il qualifie de «nuls», Musk envisage un avenir dans lequel les villes consacreront de plus en plus d’espace souterrain et aérien à sa flotte de Tesla autopilotées, transformant ainsi l’idée même de ce que devraient être les villes. Le réseau de satellites Starlink, propriété de Musk, contrôle plus de la moitié des satellites dans le ciel nocturne, ce qui donne à son propriétaire un tel pouvoir sur les communications qu’il a pu mettre son veto à une opération militaire ukrainienne. La gestion par le milliardaire de Twitter (rebaptisé X) est d’un ridicule rare par rapport aux entreprises qui l’ont rendu riche mais toutes partagent quelque chose d’essentiel: une tentative de réquisitionner et remplacer un bien commun par quelque chose d’individualisé, et de pire.

 
Alors que nos vies sont de plus en plus soumises aux caprices des ultrariches, nous n’habitons pas le même monde.
 

L’oligarchie américaine ne se résume pas au dépérissement de la démocratie et à une explosion des inégalités mais à une sorte d’omniprésence: les oligarques ne sont pas seulement riches mais aussi les protagonistes de notre ère. Alors que nos vies sont de plus en plus soumises aux caprices de ces chevilles ouvrières combattant l’ennui, nous n’habitons pas le même monde. Certains peuvent se retirer sur des îles privées (Larry Ellison possède la sixième plus grande île d’Hawaï) tandis que d’autres vivent dans des communautés si exclusives que le personnel doit venir d’un autre État. La possibilité d’évasion fait partie intégrante de ce système, les oligarques pouvant ainsi envoyer leurs fortunes au-delà des frontières sans vraiment la déplacer. Ils peuvent choisir l’endroit où ils paient leurs impôts, ou comment ne pas les payer, et s’isoler du monde qu’ils ont vendu en pièces détachées. Et si tout le reste échoue, ils peuvent prendre le large.

À l’approche de l’invasion de l’Ukraine, Alex Finley, une ancienne officier de la CIA basée à Barcelone, a commencé à se rendre régulièrement dans la marina de luxe de la ville pour vérifier l’emplacement des bateaux appartenant à des Russes. Finley, qui avait effectué des recherches sur ce secteur pour un roman satirique sur les services de sécurité de Poutine, a constaté que des navires qui auraient autrement passé des semaines à se préparer à un voyage disparaissaient du jour au lendemain. « J’y suis allée un jour et le Galactica Super Nova était là, sans aucune animation à bord », m’a-t-elle raconté, faisant référence à un yacht de 70 mètres réputé appartenir à un pétro-milliardaire russe allié à Poutine et nommé par la suite sur une liste de sanctions britanniques visant les soutiens de l’invasion russe en Ukraine. « Je me suis dit qu’ils allaient charger de la nourriture sur le bateau, ou faire le plein de carburant et d’eau, mais pas du tout. Quand je suis revenue le lendemain, le bateau avait disparu. » Au fur et à mesure que les navires liés aux oligarques s’échappaient, Finley a commencé à suivre leurs allées et venues en utilisant des données en open source et en relatant leurs exploits pour Whale Hunting, une lettre d’information consacrée à tout ce qui touche à la kleptocratie. Plus qu’une simple innovation, « les yachts sont des symboles de la corruption qui ronge la démocratie », explique Finley, et une feuille de route pour comprendre à la fois le flux de d’argent douteux vers l’Occident et les outils que les élites russes déploient pour le dissimuler.

Mais aujourd’hui, les gens ne se contentent pas de surveiller les yachts des oligarques sanctionnés, ils suivent également les mouvements des oligarques américains. Alors que Finley traquait les amis de Poutine et que l’Amadea faisait route vers San Diego, un fan de foot de Virginie a commencé à surveiller le Lady S, propriété de Dan Snyder, alors propriétaire des Washington Commanders. Il s’agirait du premier yacht au monde équipé d’une salle de cinéma IMAX de 12 places. Snyder était un modèle de ce que les dossiers du DOJ pourraient appeler un oligarque de second rang – un magnat du télémarketing et un méga-donateur qui a poursuivi en vain un alt-weekly, un hebdo indépendant, pour un million de dollars après y avoir été caricaturé en couverture – Snyder a promis d’utiliser toute somme remportée à l’issue du procès pour lutter contre le sans-abrisme, ont écrit ses avocats dans leur plainte. Sa gestion de son équipe de foot est l’incarnation de la gravité perverse du capitalisme américain: il a réussi à multiplier son investissement par sept tout en présidant un produit en constant déclin. Lorsqu’en juin 2022, la commission de surveillance de la Chambre des représentants a demandé à Snyder de témoigner sur la culture misogyne de sa franchise, l’avocat du milliardaire a informé les membres de la commission que le propriétaire avait « prévu depuis longtemps de s’absenter du pays pour des raisons professionnelles ».

 
Les oligarques américains s’empressent de combler le vide laissé par les Russes.
 

Inspiré par les observateurs de yachts russes et par un étudiant de Floride qui avait créé un compte appelé ElonJet pour suivre les avions privés de Musk, le fan a décidé de rechercher le Lady S en utilisant des données en open source. Dans les semaines qui ont suivi, alors que la commission cherchait en vain à assigner le propriétaire à comparaître, @DanSnydersYacht – dont le propriétaire du compte s’est exprimé sous couvert d’anonymat de peur de s’attirer les foudres du milliardaire notoirement vindicatif – a accumulé des milliers de followers en tweetant la localisation du bateau et du jet privé du propriétaire, Snyder traversant la Méditerranée pour se rendre en Israël. « Je pense que ce qui a rendu le compte populaire, c’est que l’on s’est dit qu’un milliardaire pouvait s’en tirer à bon compte, estime le propriétaire du compte. Si vous ou moi recevions une citation à comparaître, nous paniquerions et devrions nous présenter immédiatement sous peine de subir des conséquences. Si vous êtes un milliardaire sur votre yacht, vous pouvez échapper à de nombreuses conséquences juridiques pendant un certain temps. » Snyder a fini par témoigner, sans citation à comparaître et via Zoom, et a répondu par une variante de « je ne me souviens pas » plus de 100 fois, selon le rapport final du Congrès. Il y a quelque chose de subversif dans le fait de suivre ces navires: c’est un rayon de lumière dans un monde conçu pour être hermétique. Peu de temps après avoir acheté Twitter, Musk a fermé ElonJet. Il a affirmé que sa famille avait été mise en danger, bien que l’histoire qu’il a d’abord racontée n’ait pas tardé à s’effriter. En tout état de cause, les détails semblaient superflus; c’est ce q...

Si les oligarques russes sont omniprésents dans les médias, leurs homologues états-uniens ont su mettre en place un système efficace d’évitement fiscal et de contournement juridique pour peser sur le paysage politique et économique outre-Atlantique.   Depuis dix-huit mois, l’un des plus somptueux (et superflus) navires jamais bâtis flotte dans un canal étroit du port de San Diego. Construit en Allemagne, anciennement géré par une société monégasque et battant pavillon des îles Caïmans, le superyacht Amadea mesure plus de 100 mètres de long et dispose d’un héliport, d’une piscine, de deux pianos à queue et d’un albatros art déco de cinq tonnes en acier inoxydable qui s’étend à l’extérieur de la proue, tel un oiseau rejouant la scène de Titanic. Il peut accueillir 16 passagers et 36 membres d’équipage et son entretien coûte un million de dollars par mois. Savoir qui a payé cette facture jusqu’ici est délicat, un litige étant né d’un enchevêtrement de fiducies et de Limited liability companies (LLCs, une sorte d’équivalent de nos SARL), de noms de code, d’accords de confidentialité et de procédures judiciaires dans deux pays. Mais le propriétaire actuel du navire n’est autre que le contribuable américain. L’Amadea s’est retrouvé en Californie après des vacances en famille ayant mal tourné. En 2022, après un long été en Italie et dans le sud de la France, le navire s’est ravitaillé en carburant à Gibraltar avant d’arriver aux Caraïbes juste à temps pour Noël. Là, selon des courriels échangés entre le capitaine du navire et sa société de gestion, ensuite présentés au…

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