Nicolas Vial, des pinceaux et des cartes

par Charles-Alexandre Haddad

Bien avant d’être nommé peintre officiel de la marine en 2008, l’artiste et illustrateur de presse vouait déjà un intérêt particulier à l’histoire militaire de la France.
Si son nom rappelle celui d’un lointain parent, le général Honoré Vial, baron du Premier Empire, mort au combat à la bataille de Leipzig en 1813, c’est surtout le souvenir d’un autre aïeul qui a su captiver la mémoire de l’artiste : le général-comte Antoine Drouot, surnommé par l’empereur lui-même le « Sage de la Grande Armée ». À son sujet, Napoléon n’avait  pas de mots suffisamment flatteurs, le dépeignant « comme un des hommes les plus vertueux et les plus modestes qu’il y eût en France, quoiqu’il fût doué de rares talents ». Un héritage fièrement transmis de génération en génération par les descendants de cet homme d’exception, dont font partie les Vial, lignée de polytechniciens imprégnée de glorieuses
réminiscences. Le plasticien, lui, s’il n’a pas choisi la carrière des armes comme bon nombre de ses pères, n’a pas rompu pour autant avec sa tradition filiale et a su honorer à sa  manière son histoire familiale… Au milieu des années 1970, un jeune homme timide, l’air enfantin mais sûr de son talent débarque de Dourdan  par la gare d’Austerlitz. Paris ne lui est pas un univers totalement étranger puisque son père, éditeur, travaille au bout de la rue d’Assas où il a déjà l’habitude de se rendre régulièrement les jeudis après-midi. Inscrit à l’École
nationale supérieure des arts appliqués et des métiers d’art d’où il sort diplômé en 1978, puis à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris, le fils de Jean-Pierre Vial se fait progressivement un prénom : Nicolas.

L’art est sa raison d’être et il n’entend pas se laisser traîner sur un autre chemin.
Pendant ses études, Nicolas Vial se focalise sur l’apprentissage et l’assimilation de la technique, peu désireux de patauger indéfiniment dans l’océan des concepts. L’art est sa raison d’être et il n’entend pas se laisser traîner sur un autre chemin « en attendant de voir » comme on a pu quelques fois le lui suggérer. Il a élu la peinture envers et contre tout le reste et ne rêve à nul autre métier que celui de plasticien. Un entêtement et une détermination qui finissent par être récompensés puisqu’à 25 ans à peine, il est engagé par le journal Le Monde comme dessinateur de presse, une collaboration qui dura plus de trente années, jusqu’au déclenchement, en 2014, d’une polémique malheureuse qui rompit cette longue collaboration : au milieu du quinquennat de François Hollande, il fut cloué au pilori pour une caricature jugée trop hostile au président de la république. Pourtant, Vial ne se mêle pas de politique : « Je me suis moqué de lui, comme je me serais ri de n’importe quel autre. Mais on ne m’a pas compris. »

Qu’importe puisqu’il exerça également ce métier pour différents journaux tels que L’Express, L’Évènement du jeudi, Le Figaro Magazine ou encore Le Nouvel observateur. Aussi, depuis le sortir de ses études, l’artiste ne s’est pas contenté de dessiner pour la presse. Il mena  également parallèlement sa carrière de peintre et exposa ses œuvres à de multiples reprises, notamment au French Institute Alliance Française à New York, en 1999, au Musée national de la Marine à diverses reprises, dans la cité d’artistes La Ruche à Paris ainsi qu’à Trieste, au Padiglione delle Navi de Venise, à l’Off Main Gallery de Los Angeles, en Chine au Hong-Kong Arts Center ou encore à Lausanne et dans la capitale allemande. À la fin des années 2000, en devenant peintre officiel de la marine, Nicolas Vial établit un trait d’union entre la mémoire de ses ancêtres artilleurs et polytechniciens et sa propre vocation d’artiste, faisant sien le vers de Guillaume Apollinaire « J’ai tant aimé les arts que je suis artilleur » adressée en 1915, dans les derniers jours de la bataille de Champagne, à son ami André  Dupont. À la fierté de porter l’uniforme des officiers de la flotte française « bleu au-dessus de la Loire et blanc en-dessous » s’ajoutèrent ainsi d’inoubliables pérégrinations menées aux quatre coins du monde, dont une particulièrement mémorable à bord du patrouilleur polaire L’Astrolabe qui, partant de l’île de la Réunion, le mena jusqu’au nord de Madagascar. « Croiser un patrouilleur polaire dans les eaux chaudes n’a rien d’ordinaire et compter à son bord quatre peintres de la Marine l’est encore moins. Bien que je n’en connus pas immédiatement la finalité, la perspective de naviguer un mois sur L’Astrolabe m’attira immédiatement. Cette proposition me rappela les expéditions scientifiques des siècles précédents, telles que la campagne d’Égypte de Bonaparte, La Pérouse sur le premier Astrolabe, Dumont d’Urville, Charcot etc… Huit jours avant le départ, la marine nous informe  que le brise-glace part pour une expédition exceptionnelle : une rotation autour de Madagascar pour ravitailler l’archipel des Éparses et rapporter les déchets plastiques qui, drossés par
le vent, finissent sur les plages de sable fin des îlots. Une nouvelle mission vient compléter les premières instructions. Nous partons armés. La Marine nationale nous demande si nous
sommes toujours d’accord. Après concertation, nous le sommes plus que jamais. »

Il établit un trait d’union entre la mémoire de ses ancêtres artilleurs et polytechniciens et sa propre vocation d’artiste.
Durant cette épopée, Nicolas Vial découvrit, accompagné de deux marins de son équipage, les hauteurs d’Antsiranana – nom malgache de Diego-Suarez, dans des conditions pour le moins surprenantes : « Le commandant nous avait bien demandé de ne pas nous promener seuls, mais la curiosité était trop grande. Nous montons par un sentier où il faut se frayer un passage à travers une végétation touffue, presque impénétrable. Après un dépôt d’ordures sauvage, le chemin devient de plus en plus étroit et pentu. Traverser les buissons de ronces et de lianes n’est vraiment pas chose aisée. Au sommet, nous atteignons une cour d’école entourée de grillage. Deux militaires armés nous attendent. Nous leur demandons l’autorisation de passer en leur expliquant que nous venons du bateau rouge en bas. Comme à Cap Diego, nos cartes d’officiers nous permettent d’entrer. Ça fait toujours bizarre de se retrouver nez à nez avec des soldats armés d’une kalachnikov. »

Ce voyage hors du commun donna naissance à un ouvrage illustré de peintures, Un brise-glace sous les tropiques, paru aux éditions du Chêne en 2022 et préfacé par Sylvain ­Tesson,
que Nicolas Vial a rencontré il y a plus de vingt ans d’une manière assez peu conventionnelle : « Je dînais un soir à Paris chez des amis. À table, on nous avait annoncé qu’un autre  invité arriverait plus tard dans la soirée. Vers minuit, un homme entra dans la pièce par la fenêtre. Il avait escaladé la façade de l’immeuble. C’était Sylvain ! »
Pendant des mois, il s’adonna à cette création de peintures sur carte.
Deux décennies plus tard, devenu entre temps écrivain officiel de la Marine, l’auteur de La Panthère des neiges dira de l’artiste qu’il est « le Douanier Rousseau qui aurait avalé une
plante carnivore ». Une élogieuse comparaison tout à fait vérifiable dans le dernier ouvrage du peintre paru en cette rentrée littéraire de septembre : Vagabondages. Les Cartes rêvées de
Nicolas Vial, préfacé par l’homme de lettres et journaliste Philibert Humm.

Comme un clin d’œil à son intérêt familial pour le Premier Empire, le hasard mit un jour sur les pas du plasticien de vieux plans maritimes datant de la campagne d’Égypte menée par Bonaparte en 1798. Pour rendre hommage à ce souvenir, et peut-être pour s’inscrire dans la continuité de ses aïeux, il décida d’en détourner l’usage et de peindre dessus. L’exercice lui plut. Il prit goût à cette habile superposition de l’histoire, de la géographie et de l’imagination picturale, à ce chassé-croisé entre la mémoire et le rêve. Alors, il décida de réitérer l’aventure et lança un appel aux dons de cartes : « Après plusieurs appels sur Instagram, elles me sont arrivées de partout, mais dans des états divers, roulées, depuis quarante ou cinquante ans au fond d’une cave, pliées, certaines ayant fait de longues traversées… Bref elles n’étaient pas toutes en bon état. Alors je les déroulais, les scotchais avec un ruban adhésif détachable de peintre en bâtiment, puis les mouillais avec une éponge et je peignais sur le papier humide. Une fois sèches, elles étaient tendues comme une membrane de tambour. »

Sa quête suscita l’enthousiasme d’amis, d’anonymes ou d’amateurs d’art et de navigation. Pendant des mois, grâce à la réactivité de ses généreux donateurs, il s’adonna à cette création de peintures sur carte, jusqu’à rassembler plusieurs dizaines de réalisations élaborées au cours de cet exercice original, dont ce dernier livre récemment paru est issu. Dans ce très bel ouvrage, le lecteur s’immisce progressivement dans l’univers pictural de Nicolas Vial, et explore son goût pour le voyage, la mer et l’aventure : « en peignant sur une carte, j’ai l’impression de faire voyager le spectateur et de voyager doublement ». Une impression partagée par les lecteurs de Vagabondages et un pari réussi pour cet artiste polyvalent, qui est tout à la fois dessinateur et peintre, marin et amateur d’histoire, géographe et poète par la force du pinceau…

Vagabondages.
Les Cartes rêvées
de Nicolas Vial
éd. Gallimard,
128 p., 35 €...

Bien avant d’être nommé peintre officiel de la marine en 2008, l’artiste et illustrateur de presse vouait déjà un intérêt particulier à l’histoire militaire de la France. Si son nom rappelle celui d’un lointain parent, le général Honoré Vial, baron du Premier Empire, mort au combat à la bataille de Leipzig en 1813, c’est surtout le souvenir d’un autre aïeul qui a su captiver la mémoire de l’artiste : le général-comte Antoine Drouot, surnommé par l’empereur lui-même le « Sage de la Grande Armée ». À son sujet, Napoléon n’avait  pas de mots suffisamment flatteurs, le dépeignant « comme un des hommes les plus vertueux et les plus modestes qu’il y eût en France, quoiqu’il fût doué de rares talents ». Un héritage fièrement transmis de génération en génération par les descendants de cet homme d’exception, dont font partie les Vial, lignée de polytechniciens imprégnée de glorieuses réminiscences. Le plasticien, lui, s’il n’a pas choisi la carrière des armes comme bon nombre de ses pères, n’a pas rompu pour autant avec sa tradition filiale et a su honorer à sa  manière son histoire familiale… Au milieu des années 1970, un jeune homme timide, l’air enfantin mais sûr de son talent débarque de Dourdan  par la gare d’Austerlitz. Paris ne lui est pas un univers totalement étranger puisque son père, éditeur, travaille au bout de la rue d’Assas où il a déjà l’habitude de se rendre régulièrement les jeudis après-midi. Inscrit à l’École nationale supérieure des arts appliqués et des métiers…

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