“C’est pas l’Amérique !”

par Xavier Couture

À l’heure de l’élection présidentielle outre-Atlantique, l’hégémonisme des États-Unis n’est peut-être plus aussi puissant qu’il n’y paraît. Tout du moins, les enjeux sont-ils différents de ce qu’on pourrait escompter
Les empires sont voraces. Ils voudraient tout avaler, et parfois même le vocabulaire. L’Amérique recouvre près de 43 millions de kilomètres carrés. Et pourtant le mot, l’Amérique, s’est fait croquer par les États-Unis, sans discuter. Si un ami me dit : « Je vais en Amérique la semaine prochaine », il ne me vient pas à l’idée qu’il puisse se rendre à Buenos Aires, Rio ou même Toronto. Non, l’Amérique c’est l’Amérique, avec son vieux rêve de conquête de l’Ouest, le western, la Ford T, l’apparition du blues et du rock’n’roll jusqu’à la country universelle dont le tsunami Taylor Swift est l’archétype, toujours tirée à quatre épingles, porteuse de tant de bons sentiments qu’il lui faut au moins deux avions pour se déplacer. Wall Street flirte avec Hollywood, pendant que la planète regarde ses écrans nourris par la grande ferme numérique qui cultive la high-tech en intensif dans la Silicon Valley. Les paysans du clic, du like, du partage ou du streaming s’appellent Zuckerberg, Bezos, Hastings, Musk, Pichai, Cook et les autres.

Le déclin de l’empire américain est annoncé depuis quarante ans. Les oracles de la déroute se succèdent, tels sœur Anne ou Drogo, et nous ne voyons rien arriver. C’est même l’inverse auquel nous assistons. La superpuissance continue à se pavaner en tête du hit-parade planétaire. On attendait la faillite du dollar et la victoire du yuan arbitrée par l’euro. Comme le faisaient les bagnards de jadis les oracles de la fin du billet vert marquent les jours d’un trait de craie sur le mur de leur perplexité, en se demandant si, au bout du compte, le monde n’aurait pas pris perpète avec la domination de l’oncle Sam, dont le jumeau caché s’appelle Picsou.
En considérant la terre comme leur marché privé, les Américains ont exporté la démocratie comme un produit de consommation.
La société américaine est divisée, fracturée, morcelée. Toutes ses communautés ne cohabitent plus dans la traditionnelle violence ordinaire d’un passé où les comptes se réglaient à coups de revolver, sous la protection d’un Stars and Stripes promettant des jours heureux pour tout le monde. Si tous n’y parvenaient pas, tous avaient le droit d’en rêver. Même en se détestant entre elles les communautés habitaient l’Illinois, le Kansas ou la Californie, aux États-Unis ? Non, mieux : en Amérique. Mais aujourd’hui les jours sont plus sombres avec
l’irruption de l’hypercommunautarisme numérique. TikTok fait des dégâts, venus de Chine. Le drapeau n’est plus tout à fait la référence ultime. Les wokes ont le réveil bruyant pour les oreilles de l’Amérique d’hier.

En considérant la terre comme leur marché privé, les Américains ont exporté la démocratie comme un produit de consommation, ils en ont fait le plus bel outil impérialiste du xxe siècle. La démocratie pour tous, payée en dollars et vous offrant en prime votre Coca-Cola. Le rêve à la portée du monde entier. Là aussi le réveil est douloureux : le monde s’est rebellé. Les révoltés du xxie siècle s’organisent. La Chine et le Sud-Est asiatique, l’Amérique latine ou l’émergence de cette fiction pourtant puissante : le Sud Global, sans oublier la Russie, la Turquie, l’Afrique du Sud, les pays du golfe Persique, avec l’Iran et l’Arabie saoudite en leaders de camps adverses mais à la recherche de leur statut de puissance. Dans ce tintamarre l’Europe a cru exister et  elle fait mine d’y croire encore. La construction du Vieux Continent ressemble à la Sagrada Familia, à Barcelone : un si beau projet qu’il ne fallait surtout pas achever, « un projet se doit de rester un projet ». Les Gaudí de l’UE s’appelaient Jean Monnet, Robert Schuman ou Konrad Adenauer. Depuis, leurs successeurs n’ont pas réussi à finir le travail. L’Europe voulait jouer dans la cour des grands alors qu’elle doit supplier le grand frère américain d’empêcher la Russie de  conquérir l’Ukraine. Elle reste insignifiante dans le glissement des plaques tectoniques, malgré sa richesse encore significative, des élites de premier plan et une monnaie unique. Mais en dehors d’elle, rien n’est unique en Europe sauf la propension à créer des normes. À défaut de vouloir ensemble, les Européens caressent le vertige de l’interdiction partagée, l’illusion de l’action par la règle.

Il faut être européen, et a fortiori Français, pour s’émouvoir à ce point de l’élection du président américain. La méconnaissance des structures réelles du pays nous amène à des analyses baroques. En fait, le choix du président des États-Unis a un impact supérieur sur la vie d’un Français, d’un Allemand, d’un Israélien ou d’un Russe que d’un Californien. Le pays des libertés est structuré par État, il n’a pas notre obsession jacobine du centralisme bureaucratique.
Le pays des libertés est structuré par État, il n’a pas notre obsession jacobine du centralisme bureaucratique.
Oui, mais… L’émergence de nouveaux courants d’opposition, très puissants, apparus avec le communautarisme numérique se conjugue à la radicalité de la nostalgie du monde d’avant. D’un côté une jeunesse abreuvée à la peur du réchauffement climatique et des interrogations sur le genre, de l’autre l’Amérique profonde biberonnée au western, au colt, à la puissance.

Sans être désobligeant avec un homme qui pourrait retrouver son fauteuil dans le bureau ovale, il est difficile de considérer Donald Trump comme l’exemple d’une élite politique  imposant le respect moral et intellectuel. Qui est Kamala Harris ? Une procureure qui se débrouille pas mal dans son combat avec le chouchou d’Elon Musk. Mais il est bien difficile de préjuger ce que seront les conséquences de cette élection. Trump voudrait sortir du rôle de gendarme de la planète pour se concentrer sur le bras de fer mondial qui se joue à la table
du business. Dans ce cas l’Europe regardera passer les trains. Elle pourra ressortir cette vieille expression des années 1960 qualifiant une chose négative : « C’est pas l’Amérique ! »

Consultant et spécialiste des médias, Xavier Couture a travaillé dans la presse et l’audiovisuel notamment TF1, Canal+ et Orange.

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À l’heure de l’élection présidentielle outre-Atlantique, l’hégémonisme des États-Unis n’est peut-être plus aussi puissant qu’il n’y paraît. Tout du moins, les enjeux sont-ils différents de ce qu’on pourrait escompter Les empires sont voraces. Ils voudraient tout avaler, et parfois même le vocabulaire. L’Amérique recouvre près de 43 millions de kilomètres carrés. Et pourtant le mot, l’Amérique, s’est fait croquer par les États-Unis, sans discuter. Si un ami me dit : « Je vais en Amérique la semaine prochaine », il ne me vient pas à l’idée qu’il puisse se rendre à Buenos Aires, Rio ou même Toronto. Non, l’Amérique c’est l’Amérique, avec son vieux rêve de conquête de l’Ouest, le western, la Ford T, l’apparition du blues et du rock’n’roll jusqu’à la country universelle dont le tsunami Taylor Swift est l’archétype, toujours tirée à quatre épingles, porteuse de tant de bons sentiments qu’il lui faut au moins deux avions pour se déplacer. Wall Street flirte avec Hollywood, pendant que la planète regarde ses écrans nourris par la grande ferme numérique qui cultive la high-tech en intensif dans la Silicon Valley. Les paysans du clic, du like, du partage ou du streaming s’appellent Zuckerberg, Bezos, Hastings, Musk, Pichai, Cook et les autres. Le déclin de l’empire américain est annoncé depuis quarante ans. Les oracles de la déroute se succèdent, tels sœur Anne ou Drogo, et nous ne voyons rien arriver. C’est même l’inverse auquel nous assistons. La superpuissance continue à se pavaner en tête du hit-parade planétaire. On attendait la faillite…

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