Éloge du talc

Par Gabriel Gaultier

En ces temps où l’on est sommé de choisir son camp, cette poudre minérale, fluide, indécise et confortable nous offre une salutaire échappatoire morale.
Il y a trop longtemps que l’on n’a pas parlé du talc dans Bastille Magazine. Le talc partage avec la ouate le privilège d’être à la frontière de deux éléments.
Le talc c’est une figure de style.
Là où la matière préférée de Caroline Loeb est à la fois air et végétal, le talc est lui aussi air, mais minéral. La comparaison s’arrêtera là. Car avec le talc, on n’est pas dans le monde du moelleux, du chaud, du régressif, mais dans celui du lisse, de la fraîcheur, du mouvement. Et là où la ouate peut avoir une utilité, du rembourrage de duvet au matelassage des anoraks, le talc, il faut bien le reconnaître, ne sert à rien. À rien d’utile s’entend.
Si Audrey Hepburn et Steve McQueen en poudraient l’intérieur de leurs mocassins ce n’était pas, comme le prétendent les pharmaciens qui le commercialisent, pour soulager quelque problème de transpiration mais pour un bien-être indicible, proche de l’addiction et dont l’utilité est difficile à argumenter dans un magazine aussi sérieux que celui que vous tenez entre vos mains. Et c’est bien cette agréable inutilité qui fait du talc la matière la plus civilisée qui soit.
N’oublions pas que le talc est paresseux dès l’origine : il n’y a qu’à se baisser pour le ramasser. D’ailleurs, il n’y a pas de mines de talc, seulement des carrières à ciel ouvert dont la plus importante au monde se trouve en Ariège, département sympathique qui lui aussi ne sert pas à grand-chose si ce n’est à héberger des Ariégeois et à produire du talc.
Soulignons que le simple fait que le talc voit son utilisation être depuis longtemps passée de mode en fait paradoxalement un puissant symbole civilisationnel de notre temps, au même titre que la pipe d’écume, le grog, le fer à cheval, les cours de clavecin ou la canne épée. Mais c’est avant tout sa texture qui fait du talc le gentleman des éléments.
À l’origine pierre anguleuse et rêche devenue, par sa réduction en poudre, soie aérienne, invisible et bienfaisante, le talc illustre et achève le trajet de l’homme préhistorique cognant nerveusement le silex jusqu’au gentilhomme rompu à l’art de la conversation et de l’échappatoire. C’est là que réside la grande leçon morale du talc. Précisément dans cette apologie de la zone grise, de l’indécision, hésitant entre le fugace envol et le tombé délicat.
Le talc, la fois poudre et vent, plus léger que la farine, plus complice, plus humain et plus banal que la poudre d’or, n’en est pas moins précieux et fragile comme nos sentiments les plus élevés. La seule chose qui puisse à vrai dire se comparer à lui par sa grâce, est le nuage de lait dans le thé, tout aussi désuet et peu viril, tout aussi intemporel et intangible. On voit par là que talc est plus qu’une matière, c’est une figure de style.
À l’heure où partout, jusque dans notre téléphone on est sommé de choisir son camp – atome ou solaire, Israël ou Palestine, LFI ou NFP – le talc se fait nuance, apaisement des frictions, caresse, invisibilité, silence. Est-ce un hasard si entre le mot tact et le mot talc il n’y a qu’une lettre de différence ?
Réintroduire le talc, c’est réintroduire le xviiie siècle dans une époque de balourd, c’est faire de notre quotidien un tableau de Watteau, au moins pour quelques instants. Il est grand temps de faire l’éloge du talc et d’en redémarrer sérieusement la consommation. C’est une question de salut pour nos contemporains, nos droguistes et nos pharmaciens.

Gabriel Gaultier est initiateur de l’almanach BigBang, revue d’utopie politique....

En ces temps où l’on est sommé de choisir son camp, cette poudre minérale, fluide, indécise et confortable nous offre une salutaire échappatoire morale. Il y a trop longtemps que l’on n’a pas parlé du talc dans Bastille Magazine. Le talc partage avec la ouate le privilège d’être à la frontière de deux éléments. Le talc c’est une figure de style. Là où la matière préférée de Caroline Loeb est à la fois air et végétal, le talc est lui aussi air, mais minéral. La comparaison s’arrêtera là. Car avec le talc, on n’est pas dans le monde du moelleux, du chaud, du régressif, mais dans celui du lisse, de la fraîcheur, du mouvement. Et là où la ouate peut avoir une utilité, du rembourrage de duvet au matelassage des anoraks, le talc, il faut bien le reconnaître, ne sert à rien. À rien d’utile s’entend. Si Audrey Hepburn et Steve McQueen en poudraient l’intérieur de leurs mocassins ce n’était pas, comme le prétendent les pharmaciens qui le commercialisent, pour soulager quelque problème de transpiration mais pour un bien-être indicible, proche de l’addiction et dont l’utilité est difficile à argumenter dans un magazine aussi sérieux que celui que vous tenez entre vos mains. Et c’est bien cette agréable inutilité qui fait du talc la matière la plus civilisée qui soit. N’oublions pas que le talc est paresseux dès l’origine : il n’y a qu’à se baisser pour le ramasser. D’ailleurs, il n’y a pas de mines de talc, seulement des…

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