Les chrétiens nationalistes rêvent de prendre le contrôle des États-Unis. La Nouvelle Réforme apostolique est considérée comme la plus grande menace pour la démocratie américaine.
Un soir d’août, j’ai traversé les champs de maïs et les fermes du comté de Lancaster, en Pennsylvanie, pour assister à une soirée de prière à l’église communautaire d’Ephrata. Ce lieu de culte ressemble à un ensemble de bureaux: il abrite un café et une aire de jeux en plus d’un grand sanctuaire. La manifestation a toutefois eu lieu ailleurs, dans une ancienne grange située de l’autre côté du parking et appelée Gateway House of Prayer. Depuis quinze ans, cette «maison de prière» est ouverte 24 heures sur 24 pour permettre aux fidèles de prier lorsque l’église principale est fermée, la surveillance étant assurée par les paroissiens.
Ce jeudi soir, une vingtaine de fidèles, pour la plupart des personnes âgées, sont présents. Pendant deux heures, le petit groupe a prié, parfois à voix basse, parfois très fort, et parfois en chaînes de syllabes, une tradition chrétienne charismatique connue sous le nom de glossolalie ou «parler en langues». Les prières étaient les mêmes que celles que l’on peut entendre dans n’importe quelle église: gratitude pour la bonté de Dieu ou supplications pour les membres de la famille traversant des moments difficiles. Mais des messages plus troublants ont été intercalés: des références fréquentes à l’«ennemi», à une bataille entre le bien et le mal, à une «guerre spirituelle» qui se déroule aux États-Unis. Une animatrice a encouragé les participants à se joindre à un couple de «prophètes» qui communient chaque jour à 16h14 précises pendant quatre-vingt-dix jours. Pourquoi cette heure précise? Parce qu’ils s’appuient sur deux versets de l’Ancien Testament: Esther 4:14, qui dit que les chrétiens sont appelés à s’exprimer face à la persécution, et Néhémie 4:14, qui «parle de se battre au nom de nos fils, de nos filles, de nos familles», selon l’oratrice.
C’est un mouvement évangélique charismatique dirigé par des “prophètes” et “apôtres” qui affirment que Dieu leur parle.
Les «prophètes» en question sont des dirigeants de la Nouvelle Réforme apostolique (NAR), un mouvement chrétien évangélique charismatique dirigé par un réseau informel de «prophètes» et d’«apôtres» autoproclamés, qui affirment que Dieu leur parle directement, souvent dans des songes. Ils sont persuadés que les chrétiens sont appelés à mener une bataille spirituelle pour le contrôle des États-Unis. À l’avant-garde d’un mouvement nationaliste chrétien en pleine ascension, ils cherchent à obtenir une supervision des écoles publiques, de la politique sociale et de tous les niveaux du gouvernement, y compris les tribunaux. Certains spécialistes affirment que la NAR est le mouvement spirituel qui connaît la croissance la plus rapide dans le pays. L’écrivain évangéliste C. Peter Wagner, son principal dirigeant, décédé en 2016, l’a décrite comme le bouleversement le plus important du protestantisme depuis la Réforme du xvie siècle. La référence au déclenchement d’une guerre spirituelle pour christianiser l’Amérique a conduit le Southern Poverty Law Center, une ONG prônant la tolérance et les droits civiques, à qualifier la NAR de «plus grande menace pour la démocratie américaine dont vous n’avez jamais entendu parler».
Le nombre de chrétiens influencés par la NAR n’est pas connu. Les estimations varient de 3 à 33 millions. Mais sa prépondérance va au-delà de ses effectifs. Son discours est sorti des églises pour intégrer le courant politique dominant, en grande partie grâce aux «prophètes» itinérants qui prêchent dans les églises évangéliques du monde entier. Frederick Clarkson, analyste chez Political Research Associates, un groupe de surveillance de l’extrémisme, évoque à propos de la NAR un changement culturel sismique. «Il s’agit de la transformation d’une société entière avec ce type de vision du monde christo-centrique. Nous parlons de quelque chose de si transcendantalement révolutionnaire que la plupart des gens n’ont même jamais pensé que cela pourrait se produire un jour.»
L’ancien conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump, Mike Flynn, a accueilli des dirigeants de la NAR lors de sa tournée ReAwaken America, et le président de la Chambre des représentants, Mike Johnson, a travaillé avec ses apôtres. Durant la campagne, le sénateur J.D. Vance, candidat à la vice-présidence, s’est rendu en Pennsylvanie pour participer à un événement organisé par Lance Wallnau, un stratège commercial texan devenu une superstar de la NAR. Wallnau, qui a qualifié Kamala Harris de «Jézabel» et assuré que les gens de gauche pourraient être contrôlés par des démons, a aidé à développer le «Projet 19», une initiative visant à assurer la victoire de Trump dans 19 comtés stratégiques situés dans les États clés.
Comment les concepts de la Nouvelle Réforme apostolique se sont-ils répandus au-delà des limites du mouvement? Frederick Clarkson évoque le processus cellulaire de l’osmose mais cela ne rend pas compte des ambitions des dirigeants du mouvement. «Comment infuser vos idées chrétiennes dans Babylone? C’est la nature de leur pensée.»
La NAR est le mouvement spirituel qui connaît la croissance la plus rapide dans le pays.
Depuis 2016, de nombreuses prophéties de la NAR concernent Trump, que les adhérents voient comme l’envoyé de Dieu pour diriger le pays. L’ancien promoteur immobilier s’est rapproché du mouvement en 2002 lorsqu’il a invité l’apôtre de Floride Paula White-Cain à devenir sa conseillère spirituelle après l’avoir vue à la télévision. Durant son premier mandat, entre 2016 et 2020, il a recruté une poignée d’autres membres de la NAR, notamment un apôtre basé en Caroline du Sud, Dutch Sheets, et la prophétesse Cindy Jacobs, qui dirige un ministère influent au Texas. Tout au long de sa présidence, les prêcheurs NAR ont été ignorés par les journalistes de la Maison-Blanche, qui les considéraient comme des versions modernes de Billy Graham avec Richard Nixon ou de Jeremiah Wright avec Barack Obama. Or, la situation était différente. «Ce sont les principaux religieux qui entourent Donald Trump et qui lui ont permis d’accéder à la présidence», estime Frederick Clarkson.
Un groupe de surveillance de l’extrémisme évoque à propos de la NAR un changement culturel sismique.
Lors de la campagne de 2020, leur rôle est devenu plus important. Paula White-Cain a averti ses partisans que les chrétiens ne soutenant pas Donald Trump «devront un jour rendre des comptes à Dieu». Elle a imploré les religieux de «frapper et frapper et frapper et frapper et frapper et frapper et frapper et frapper jusqu’à ce que vous ayez la victoire». Après la défaite face à Joe Biden, Dutch Sheets est devenu une figure influente de la campagne Stop the Steal, animant des rassemblements dans tout le pays pour dénoncer de supposées fraudes électorales.
Huit jours avant l’insurrection du Capitole, le 6 janvier 2021, un groupe d’apôtres a tenu une réunion stratégique avec Donald Trump et ses conseillers. Dans un billet de blog daté du 1er janvier, Dutch Sheets a partagé un rêve d’une prophétesse nommée Gina Gholston décrivant «un mouvement vers le Capitole, non pas au galop, mais à un trot régulier, déterminé et rapide. Au moment où nous commencions, on pouvait lire en lettres blanches sur le sol devant nous les mots “NE PAS S’ARRÊTER”.» Un an plus tard, Sheets a raconté un rêve dans lequel le milliardaire lui aurait dit qu’il serait un «martyr politique» parce que «Dieu a mis en moi les outils pour démolir, déraciner et affronter le système».
Dans le même temps, les apôtres de la NRA ont veillé à étendre leur influence au niveau local. À Redding, en Californie, l’Église Bethel, qui compte 11000 membres, finance désormais la police locale et forme les enseignants des écoles publiques. À Pasadena, l’Église Harvest Rock de l’apôtre d’origine coréenne Ché Ahn a soutenu des candidats locaux, dont un au sénat de l’État. La Remnant Alliance, un groupe affilié à la NAR, incite les chrétiens à se présenter aux conseils d’administration des écoles.
Et puis il y a Lancaster, un comté largement agricole de 55000 habitants en Pennsylvanie. Depuis le milieu du xvie siècle, cet État est connu pour sa ferveur religieuse. Il y a d’abord eu les quakers, suivis peu après par les anabaptistes, ou gens de la «plaine». Ephrata, par exemple, était une plaque tournante pour les Brethren, mais la région est également connue pour accueillir les mennonites et, en particulier, les amish. Aujourd’hui, Lancaster est également un bastion de la NAR. Une salle de sport populaire accueille des conférences chrétiennes d’extrême droite. Ses églises affiliées contrôlent les conseils scolaires. Un groupe local organise des études bibliques dans les établissements publics; un autre baptise les élèves dans des baptistères mobiles devant les lycées.
La soirée de prière à laquelle j’ai assisté a donné libre cours à une rhétorique du combat spirituel. Une femme âgée a décrit les écoles publiques de Lancaster comme étant «tellement infiltrées par le mal», priant pour que «les commissions scolaires ouvrent leurs yeux et leurs oreilles et arrêtent de scander des choses qu’elles pensent être bonnes». Une autre a annoncé qu’elle avait eu la vision d’une machine à griffe. Sa griffe – symbolisant l’influence démoniaque de la laïcité – avait pris l’esprit des gens de telle sorte qu’ils «ne peuvent plus discerner ce qui est bien et ce qui est mal». Sa métaphore est devenue une supplique à Dieu: «Laissez tomber ces esprits et reprenez-les pour le Seigneur». Quelqu’un a alors fait retentir un schofar, la corne de bélier que les anciens Israélites utilisaient pour appeler leurs armées au combat.
«Nous proclamons que cette confusion des genres sera arrêtée au nom puissant de Jésus!» s’est écrié un homme vêtu du tshirt de la campagne de Trump sur lequel figure la photo du président avec le mot Wanted (recherché) – non pas pour un crime, mais pour un nouveau mandat. «Nous disons: “Combattez, combattez, combattez, alléluia!” Suivons exemple de Donald Trump!» Le groupe s’est mis à marteler: «Combattez, combattez, combattez!»
La Nouvelle Réforme apostolique est peut-être influente mais elle est difficile à cerner. Sans leader unique, ni conférence annuelle, ni site web exposant ses convictions. Il ne s’agit pas d’une dénomination protestante distincte, comme les baptistes ou les presbytériens, mais d’un réseau vaste et informel d’apôtres qui ont leurs propres ministères, publient des déclarations prophétiques et se rendent dans les églises du monde entier pour y répandre leur idéologie. Bien que de nombreux adeptes correspondent au stéréotype du nationaliste chrétien blanc et masculin, certains des apôtres américains les plus en vue sont des Afro-Américains et des femmes. Parmi les apôtres mondiaux les plus puissants, il y a des Africains. Mais à Lancaster, les églises sont très majoritairement blanches.
Le terme Nouvelle Réforme apostolique a été forgé dans les années 1990 par C. Peter Wagner, qui a insisté sur le fait qu’il n’était pas le dirigeant du mouvement. Il s’agissait plutôt d’un rassemblement de plusieurs petites sectes partageant la croyance que Dieu désignait des apôtres et des prophètes qui possédaient des «dons de l’esprit» spéciaux, comme la capacité d’accomplir des miracles ou de parler plusieurs langues. Dans ce que l’on a appelé le «quintuple ministère», les églises de la NAR se sont organisées en cinq catégories de responsables: apôtres, prophètes, évangélistes, pasteurs et enseignants. Les responsables sont invités à «user de leur influence pour créer un environnement dans lequel les bénédictions et la prospérité du “Royaume de Dieu” peuvent imprégner tous les domaines de la société» et à conquérir «les sept montagnes», à savoir la religion, la famille, l’éducation, le gouvernement, les médias, les arts et les spectacles, et les entreprises.
Leur but : conquérir “les sept montagnes”, à savoir la religion, la famille, l’éducation, le gouvernement, les médias, les arts et les entreprises.
C’est Wallnau qui a popularisé cette stratégie parfois connue sous le nom de Seven Mountain Mandate («Mandat des sept montagnes»). Selon un sondage de l’université Denison, entre mars 2023 et janvier 2024, les chrétiens qui y adhèrent sont passés de 30% à 41%. Le concept apparaît régulièrement dans le discours politique conservateur. Le juge en chef de l’Alabama, Tom Parker, qui a défendu le statut de personne fœtale dans une décision controversée de février 2024, a expliqué dans une interview avec un éminent apôtre de la NAR que «Dieu a créé le gouvernement» et que «c’est pour cela qu’il appelle et équipe les gens pour qu’ils avancent dans ces montagnes».
La promotion d’une nation chrétienne progresse au sein de la Cour suprême des États-Unis. En 2019, l’institution a pris position en faveur de l’American Legion, qui avait érigé une croix de 12 mètres de haut sur un terrain public du Maryland. Le juge Samuel Alito a affirmé qu’abattre la croix serait «agressivement hostile à la religion». En 2022, la Cour suprême a soutenu, par six voix contre trois, un entraîneur de football d’une école secondaire publique qui avait été licencié pour avoir régulièrement dirigé des prières pendant les matchs. S’exprimant au nom de la majorité conservatrice, le juge Neil Gorsuch a déclaré que la Cour avait «abandonné depuis longtemps» un précédent vieux de plusieurs décennies établissant que les employés du public ne pouvaient pas promouvoir une idéologie religieuse particulière.
La Cour suprême a refusé, en février 2024, de se saisir d’une affaire déposée au nom de personnes écartées d’un jury parce qu’elles considéraient que le mariage homosexuel était une erreur. À cette occasion, Samuel Alito a écrit, dans un avis personnel inhabituel, craindre que «les Américains qui ne cachent pas leur adhésion aux croyances religieuses traditionnelles concernant l’homosexualité soient étiquetés comme des bigots et traités comme tels par le gouvernement».
Le sentiment que les chrétiens sont persécutés par le gouvernement est un puissant cri de ralliement du mouvement. Pour Elliot Mincberg, spécialiste de la Cour suprême et membre de l’organisation pro-démocratique People for the American Way, «il ne fait aucun doute que les opinions [nationalistes chrétiennes] se reflètent dans la position de la majorité de la Cour suprême en matière de religion, d’Église et d’État». Frederick Clarkson, de son côté, a vu les idées de la NAR – le Seven Mountain Mandate et le concept de combat spirituel – s’infiltrer dans des églises qui ne sont pas officiellement liées au mouvement. «Il y a tellement de christianismes, et ils changent avec le temps. Les gens ne savent pas nécessairement d’où vient chacune de leurs croyances.»
La NAR s’approprie également l’imagerie des juifs. Lors d’un «feu de prière» d’une journée entière dans une grange, plusieurs participants ont soufflé dans un schofar. D’autres portaient des talits, ou châles de prière. Un groupe de jeunes danseurs portait une houppa, un dais à quatre piliers souvent utilisé dans les mariages juifs. Le groupe a chanté en hébreu tout en dansant la hora, comme dans des célébrations juives. Puis une des responsables de la NAR a pris le micro et a commencé à parler de Jésus. «Il est le Seigneur des armées», a-t-elle dit, provoquant un rugissement cacophonique de schofars.
Quand j’ai interrogé une participante sur toutes les références juives, elle m’a répondu qu’il s’agissait simplement d’une façon de reconnaître l’héritage commun des chrétiens et des juifs. Mais, comme le rappelle Frederick Clarkson, de nombreux membres de la NAR croient «qu’ils ont un rôle spécial à jouer en tant que chrétiens à la fin des temps pour délivrer Israël» – le moment où, selon eux, les juifs reconnaîtront enfin Jésus comme leur Sauveur.
Depuis des siècles, le comté de Lancaster abrite des gens simples, les amish, les mennonites et les Brethren qui, à des degrés divers, évitent les artifices de la modernité. Mais sa démographie a évolué de manière significative au cours des dernières décennies. La population est devenue très diverse, avec beaucoup de réfugiés. L’écart entre les démocrates et les républicains s’est également réduit. Si les responsables de la ville se félicitent de cette diversité, ce n’est pas le cas des dirigeants du comté. En février, le conseil municipal de Lancaster a adopté une loi interdisant à la police et aux employés de la collectivité d’interroger les gens sur leur statut d’immigrant; les commissaires du comté ont rapidement déclaré que la ville était «non-sanctuaire». En juin, après l’adoption d’une résolution appelant à un cessez-le-feu à Gaza, le commissaire du comté Josh Parsons a dénoncé une «victoire de la propagande du Hamas».
Les représentants de l’État, très majoritairement républicains, ont tendance à se ranger du côté du comté, dénonçant même publiquement les efforts de la ville pour accueillir les immigrés. Ils interagissent régulièrement avec les dirigeants de la NAR. En mai, deux d’entre eux ont rencontré Sean Feucht, un pasteur allié au mouvement qui parcourt le pays pour organiser des rassemblements de prière devant les parlements. Abby Abildness, responsable régionale d’un réseau de personnalités de la NAR, travaille à la promotion des initiatives chrétiennes au sein du gouvernement. Elle affiche clairement son désir d’estomper les frontières entre l’Église et l’État. «Nous avons besoin d’eux et ils ont besoin de nous car nous ne pouvons pas rédiger ces lois.»
L’influence de la NAR dans les églises de Lancaster a commencé à se faire sentir au début des années 2000, mais les guerres culturelles autour du covid ont accéléré sa propagation. En 2018, lorsque Rebecca Branle, propriétaire d’un magasin de vélos local et mère de trois enfants, s’est installée à Ephrata, elle savait que sa famille risquait de se distinguer parce qu’elle ne fréquentait pas l’église. «Nous n’étions pas religieux, contrairement aux autres, mais je ne pensais pas que c’était si important.» Mais en 2020, la pandémie a frappé et des différences autrefois négligeables sont devenues des «points chauds». Après que Rebecca Branle a affiché un drapeau arc-en-ciel et une pancarte «Black Lives Matter» sur sa propriété, quelqu’un a tiré sur la fenêtre de la grange et un autre a laissé une plaque de granit avec l’inscription «Look behind you» («Regardez derrière vous»). En plus petits caractères, on pouvait lire «Les gays brûleront en enfer» et «Vous pouvez vous repentir». Elle a eu peur pour la sécurité de sa famille, mais elle a aussi été désarçonnée: «Ces gens qui se disent si religieux sont tout à coup d’accord pour tenir ce genre de propos?»
La pandémie a frappé et des différences autrefois négligeables sont devenues des “points chauds”.
Don Lamb, un pasteur bouillant dont le teint vire au rouge lorsqu’il est excité, a profondément ressenti l’impact de covid. Autrefois, dit-il, sa congrégation de 150 personnes «faisait simplement ce qu’elle faisait, restait entre ses quatre murs, prêchait l’Évangile». Lorsque les autorités ont imposé le port du masque, il a estimé qu’il devait se mobiliser contre les restrictions. Il est allé au-delà, dénonçant la théorie critique de la race, les nouveaux protocoles sur les pronoms. Il a vu dans la victoire de Joe Biden en 2020 le résultat d’une fraude électorale de la gauche.
Le 6 janvier 2021, Don Lamb et plusieurs paroissiens se sont rendus au rassemblement devant le Capitole. Ce qui devait être un rassemblement pacifique, dit-il, n’est devenu violent qu’après que la police «a jeté ou lancé des grenades flash-bang sur le public». Il assure que les manifestants qui ont pénétré dans le bâtiment ont été piégés, que le chaos aurait pu être évité. «Nous aurions pu encercler le Capitole avec 100000 chrétiens, bras dessus, bras dessous, en chantant “Amazing Grace” et aucun manifestant n’aurait franchi cette ligne.» Souscrivant au Mandat des sept montagnes, il estime que Trump «a reçu providentiellement la scène de l’Amérique». Mais il ne considère pas son église comme faisant partie de la NAR. Le terme «nationalisme chrétien» l’irrite. Selon lui, le véritable problème du pays est l’obsession du «nationalisme libéral» pour la cancel culture, la politique de l’identité et les institutions d’élite. «Qui peut définir la vision de la société, seulement les libéraux et les laïcs? C’est ce qui nous rend encore plus déterminés.»
Don Lamb et son frère Doug font souvent référence à la persécution des chrétiens dans leurs sermons. Le dimanche précédent, Doug a commencé par exhorter ses fidèles à aimer leurs voisins, même ceux avec lesquels ils n’étaient pas d’accord. Mais vers la fin, il a ciblé les immigrés musulmans en Angleterre, les accusant d’avoir «pris le contrôle de tout le pays» au lieu de s’assimiler.
Certains fidèles de LifeGate utilisent ces messages pour peser sur la politique locale. En 2021, trois membres de l’église ont gagné des sièges au conseil scolaire d’Elizabethtown, le faisant basculer dans le camp conservateur. En juin 2024, le conseil scolaire a voté en faveur d’une collaboration avec l’Independence Law Center, un cabinet d’avocats chrétien qui veut interdire les athlètes transgenres dans le comté. Branche du Family Research Council – un groupe qui milite depuis longtemps contre la séparation de l’Église et de l’État –, le cabinet entretient des liens étroits avec la NAR.
Le pasteur Don Lamb et son frère Doug font souvent référence à la persécution des chrétiens dans leurs
Après notre conversation, Don Lamb nous a fait visiter son église. Dans le sanctuaire confortable et ensoleillé, quelqu’un avait laissé un prospectus sur un banc: «Domaines pratiques pour s’exprimer sur des questions de société». Le quatrième point conseille aux chrétiens: «Les gens se moquent que vous soyez un chrétien, un citoyen ou même une femme... vous êtes l’ennemi! Remarque: cela n’arriverait pas aux musulmans, aux athées ou aux groupes BLM.»
Rebecca Branle, la résidente d’Ephrata dont la grange a été vandalisée, sait ce que l’on ressent lorsqu’on est ciblé comme l’ennemi. Lorsqu’elle a envoyé un courriel à la police locale au sujet des menaces voilées qu’elle avait reçues, un agent lui a répondu: «Pouvez-vous préciser ce que vous considérez comme une menace? Il s’agit apparemment d’une déclaration d’opinion, ce qui est protégé par la loi.» Après avoir signalé quelques autres incidents à la police, «j’ai simplement cessé de leur parler. J’ai eu l’impression que cela ne servait à rien».
Les groupes affiliés à la NAR se mobilisent également pour aider les habitants les plus démunis de Lancaster. TNT Youth Ministry, un groupe évangélique, fournit des volontaires pour les classes et des accompagnants pour les excursions, et organise des études bibliques dans les écoles publiques locales. Le service communautaire est une mission typique des groupes confessionnels du monde entier. Mais pour les chrétiens qui veulent influencer le gouvernement, l’objectif n’est pas guidé par la seule foi. Rachel Tabachnick, une spécialiste de l’extrémisme, note que beaucoup de ses adhérents pensent que «la façon de guérir la société est d’éliminer de nombreuses fonctions gouvernementales». In fine, c’est l’Église, et non le gouvernement, qui décidera «si elle doit vous nourrir, vous loger ou vous vêtir».
Lors de mon séjour à Lancaster, j’ai visité Blessings of Hope, une épicerie de la taille d’un hypermarché qui collecte les excédents alimentaires des fabricants et les met à la disposition des centres de distribution alimentaire de toute la région à un prix très avantageux. David Lapp, 42 ans, père de douze enfants, en est le directeur général. Il a grandi chez les amish et parle avec l’accent germanique typique des communautés de la région. Au début des années 2000, lui et ses huit frères ont commencé à lire davantage sur le christianisme évangélique. En 2006, après que les amish les ont officiellement excommuniés pour s’être éloignés des enseignements de l’Église, ils ont commencé à suivre les dirigeants de la NAR, notamment le prophète Andrew Wommack, pour qui il existe «une tromperie démoniaque qui aveugle» ceux qui se sont exprimés contre Trump. Ils ont aidé à convertir plusieurs amish.
Pour le “prophète” Andrew Wommack, il existe “une tromperie démoniaque qui aveugle” ceux qui ce sont exprimés contre Trump.
Plusieurs des frères Lapp ont fondé Blessings of Hope en 2006, qui est devenue une organisation répartie sur cinq entrepôts, fournissant 50000 repas par jour. Leur travail a attiré l’attention du pays: Ivanka Trump a visité le centre lors de la campagne de 2020. Lapp, qui croit au Mandat des sept montagnes, considère que les distributions de nourriture financées par l’État sont une occasion manquée pour l’Église. «Lorsque le gouvernement administre les services sociaux, le cœur des gens lui échappe», assure-t-il.
De retour à l’église communautaire d’Ephrata, j’ai assisté à un service du samedi soir. Le pasteur exécutif Jim Ehrman m’a dit qu’il n’avait appris que récemment l’existence de la NAR. J’ai insisté. Son église n’était-elle pas sur le point d’accueillir John Bevere, un pasteur affilié à la NAR qui a mis en garde contre la pratique de la tolérance? «Je ne savais pas qu’il était associé à cela», a-t-il dit. Concernant le mandat, «nous sommes d’accord pour dire que les montagnes sont là, mais nous sommes tout à fait d’accord pour dire que c’est ce que vous êtes et comment vous êtes. Ce qui compte, c’est qui vous êtes et comment vous vous comportez dans ces montagnes. Il n’y a pas de mandat pour s’en emparer.» Lorsque je lui ai parlé de la nuit de prière, il a semblé déconcerté.
Tous les discours sur le combat spirituel que j’avais vus n’étaient, selon lui, «que le cadre et le langage qu’ils adoptent». Ehrman est-il simplement prudent quant aux liens de son église avec la Nouvelle Réforme apostolique, ou est-il réellement naïf face à un mouvement aussi puissant et omniprésent? En un sens, cela n’avait pas d’importance. Le changement climatique est une autre métaphore imparfaite de l’influence de la NRA. Qu’on le veuille ou non, il est en train de se produire. Pour de nombreux pasteurs, la question est de savoir comment guider leurs fidèles dans un paysage religieux de plus en plus chaotique et extrême.
Pour Ehrman, l’étiquette n’a pas d’importance. Ce qui compte, c’est que des armées d’anges luttent effectivement contre les principautés des ténèbres. «Il y a littéralement des êtres invisibles qui s’opposent à l’œuvre de Dieu sur cette terre. Et nous croyons qu’ils essaient aussi d’influencer les choses.»
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