
Afghanistan, la vie en roses
Photos Fatimah Hossaini et Oriane Zérah - Texte Charlotte Urbain, commissaire d’exposition
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Photos Fatimah Hossaini et Oriane Zérah - Texte Charlotte Urbain, commissaire d’exposition
Loin des images habituellement montrées de l’Afghanistan, meurtri par des décennies de guerre et un régime totalitaire, l’exposition Femmes dévoilées et hommes en fleurs présente un autre visage de ce pays. Cet « autre visage » est celui d’un monde imaginaire, où les hommes afghans peuvent offrir des fleurs aux femmes afghanes dévoilées sans que nul ne soit inquiété. J’ai réuni les images de Fatimah Hossaini et Oriane Zérah, afin qu’elles se répondent et questionnent.
J’ai formé des couples hommes-femmes qui dialoguent, se regardent et racontent leur pays autrement. Exilée depuis l’arrivée des talibans, Fatimah Hossaini oppose à l’obscurantisme une perfection outrageuse. Les femmes qu’elle photographie sont comme des gravures de mode, coiffées, maquillées, habillées des plus belles étoffes, un voile à peine posé sur le sommet de la tête qui couvre plus ou moins leurs longues chevelures de princesses. Ses photographies interpellent le monde : avec leur nez fin, leur bouche bien dessinée, leur teint parfait et leurs yeux en amande, les Afghanes pourraient être des reines de beauté libres et émancipées. Mais ce qui pourrait s’apparenter à de la photographie de mode devient un acte militant et politique, où les protagonistes prennent des risques pour leur vie.
Quant au projet photographique d’Oriane Zérah, il surprend, interroge et trouble. Comment un pays anéanti par la guerre et la terreur peut-il aussi être une terre de couleurs, de sourires et de fleurs ? Contrastant avec cette sombre image que nous avons de l’Afghanistan, l’exposition ébranle nos préjugés. Les fleurs, fil rouge du projet, évoquent la poésie, pierre angulaire de la culture afghane. Beautés végétales éphémères, elles sont comme la poésie, trait d’union d’humanité, minuscule réalité capable de rattraper les hommes, porteuse d’espoir dérisoire. Depuis toujours, les fleurs personnifient les femmes et l’amour, elles inspirent les poètes de l’Orient. « Allons voir si la rose qui ce matin avait éclose », écrivait Ronsard, tandis que trois siècles plus tôt Rûmi chantait « La rose est un jardin où se cachent des arbres ». Allons voir cette rose afghane et redonnons-lui la parole, car sans elle, les hommes ne seront plus que des branches mortes.
Femmes dévoilées et hommes en fleurs, un nouveau visage de l’Afghanistan exposition de Fatimah Hossaini et Oriane Zérah au musée Jean-Honoré Fragonard, à Grasse (Alpes-Maritimes), jusqu’au 12 octobre.
Femme afghane portant un foulard rose, Chicken Street, Kaboul, Afghanistan, 2019. Fatimah Hossaini
Enfant au milieu de la récolte de roses de Damas, Nangarhar, 2021. Oriane Zérah
Afghan en tchapan à rayures, Chicken Street, Kaboul, 2020. Oriane Zérah
Tahmina derrière la fenêtre d’un magasin de Chicken Street, Kaboul, 2021. Fatimah Hossaini
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Tahmeena, Bamyan, 2018. Fatimah Hossaini
Mael, Parwan, 2020. Oriane Zérah
Originaire du Badakhshan, Tahmeena plisse ses yeux en signe de soutien à l’ethnie hazara, reconnaissable à ses yeux bridés et persécutée par les talibans. Lui faisant face de profil, Mael aux yeux dessinés au khôl est Tadjik, il habite la région de Parwan, une zone montagneuse de l’est du pays. Aujourd’hui, les femmes ont l’interdiction de regarder dans les yeux les hommes avec lesquels elles n’ont aucun lien de sang ou de mariage.
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Taliban, Kaboul, 2021. Oriane Zérah
Jeune femme coiffée d’un chapeau topak,
Kaboul, 2020. Fatimah Hossaini
Après une longue réflexion avec Oriane Zérah, j’ai choisi de conserver cette image troublante d’un taliban qui décore son arme. Une réalité qui est aussi dérangeante que révélatrice. Afin de contrebalancer cet homme armé avec autant de force, j’ai choisi à dessein la photographie de cette jeune femme hazara, prise par Fatimah Hossaini. Son regard et sa posture fière et sans voile, font œuvre de résistance imaginaire.
Le rouge est la couleur du sang, tant versé ces dernières décennies en Afghanistan, mais c’est aussi la couleur de la tulipe, fleur nationale du pays, et celle du coquelicot, variante innocente du pavot. Coiffé d’une calotte rouge, cet homme est un taliban de Kaboul. Tous les matins, il décore son arme de fleurs. « La première fois que j’ai croisé un taliban l’arme fleurie, j’ai été prise de court. Était-il concevable de les inclure à mon projet ? J’ai pris la photo non pas pour adoucir leur image, mais pour pointer la complexité de ce pays dans lequel ce qui nous semble antinomique est une réalité », explique Oriane Zérah. Face à lui, la femme qui danse est vêtue d’un large tissu décoré de roses rouges et d’un topak, petit chapeau traditionnel à pompons colorés de la région de Daykundi. Elle est photographiée dans une maison soufie de Kaboul.
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