LE MOT DE L’ÉDITEUR #3

William Emmanuel

Dans un monde caractérisé par le creusement spectaculaire des inégalités économiques et sociales, la pensée du philosophe américain John Rawls est plus que jamais d’actualité. Auteur du livre Théorie de la justice, paru aux États-Unis en 1971, il estimait en effet : « La justice est la première vertu des institutions sociales comme la vérité est celle des systèmes de pensée. »

Il a, de fait, remis au goût du jour la notion de « contrat social », imaginé au xviiie siècle par Jean-Jacques Rousseau, Thomas Hobbes et John Locke. Le raisonnement originel est simple : les membres d’une société sont prêts à renoncer à certaines de leurs libertés pour se placer sous l’autorité d’un dirigeant en échange de droits sociaux et de la protection de leurs autres droits. 

John Rawls a réactualisé cette approche en exposant deux principes. 1 : « Chaque personne doit avoir un droit égal au système total le plus étendu de libertés de base égales pour tous, compatible avec un même système pour tous. » 2 : « Les inégalités économiques et sociales doivent être telles qu’elles soient : (a) au plus grand bénéfice des plus désavantagés et (b) attachées à des fonctions et des positions ouvertes à tous, conformément au principe de la juste égalité des chances. » 

Ces deux principes aboutissent ainsi à garantir à tous la liberté à condition que celle-ci ne profite pas seulement à quelques-uns. Nous sommes là au cœur de la justice distributive – à chacun selon son dû. Cette vision, qui s’éloigne de celle des économistes orthodoxes mettant en avant « la main invisible du marché », doit aboutir à l’équité. Du reste, John Rawls a republié son livre en 2001, un an avant sa mort, sous le titre La justice comme équité. L’étymologie latine de ce mot signifie aussi bien « esprit de justice » que « juste proportion ». L’équité, principe non écrit qui suppose une interprétation de la loi et privilégie le juste par rapport au légal. Elle marque avant tout le refus de l’injustice. 

L’ancien professeur à Princeton, Oxford et Harvard définissait en quelque sorte l’équité comme l’égalité avec une juste dose d’inégalité. Une approche qui a toujours existé. Confucius (551-479 avant J.C.) prônait une morale du « juste milieu » s’ordonnant autour de l’humanité et de l’équité. Être équitable suppose de se mettre à la place de l’autre, ce qu’avait bien expliqué John Rawls en soulignant qu’il fallait agir sous un « voile d’ignorance » sans savoir quelle place on occuperait plus tard dans la société. Par exemple, si un législateur ne sait pas ce qu’il deviendra demain, il sera plus enclin à prendre les mesures les moins défavorables aux plus désavantagés.

Au moment où l’on s’interroge, aussi bien aux États-Unis qu’en France, sur le bien-fondé de la méritocratie, relire John Rawls permet de prendre conscience que si l’on ne corrige pas les inégalités afin de rétablir une réelle égalité des chances, nos sociétés risquent de connaître des tensions de plus en plus vives. C’est un débat qui devrait être central dans une campagne électorale, quelles que soient les opinions politiques de chacun, car il en va de la cohésion nationale.



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