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Éric Fouache
Pour que les Français poursuivent la lutte contre le réchauffement, de nouvelles méthodes doivent être mises en place.
Géographe, je suis engagé depuis plus de trente ans dans des recherches qui visent à reconstituer les dynamiques environnementales en lien avec l’archéologie. Être la première civilisation à pouvoir reconstituer les climats du passé, modéliser les évolutions futures et comprendre scientifiquement les mécanismes du réchauffement global nous impose d’agir. Mais pour établir un plan d’action efficace, il nous faut changer de méthode !
Résumons le diagnostic : la responsabilité des sociétés humaines dans les émissions de gaz à effet de serre est un fait reconnu aujourd’hui par la quasi-totalité des scientifiques. Il en va de même pour les conséquences climatiques de ces rejets considérées comme inexorables : hausse des températures, élévation du niveau des mers, multiplication des événements climatiques extrêmes, intensité et fréquence accrues des sécheresses, etc. La seule incertitude concerne la rapidité des évolutions, et leur amplitude. Une chose est importante à noter cependant : compte tenu des volumes de gaz à effet de serre accumulés dans l’atmosphère, même si toute nouvelle émission cessait aujourd’hui, il faudrait six cents ans avant de retrouver la situation antérieure à la révolution industrielle. Nous sommes donc bien entrés durablement dans l’anthropocène et il est illusoire d’espérer des résultats rapides. Il y a cependant une réelle urgence à agir car, en cent cinquante ans, nous avons retrouvé des températures moyennes qui se rapprochent de celles de l’Optimum Holocène, la période la plus chaude des 10 000 dernières années, et l’augmentation des températures ne cesse de s’accélérer à un rythme sans précédent. Inédit, ce phénomène constitue, en lui-même, un risque supplémentaire.
Pour construire une stratégie efficace et consensuelle, il faut mettre en œuvre des méthodes qui sont rarement associées dans la tradition intellectuelle et politique française, notamment combiner l’expertise scientifique avec les approches économique et politique, en prenant le temps d’évaluer de manière transversale les impacts des actions envisagées. Il faut concilier développement économique et qualité environnementale. De ce point de vue, la radicalisation de l’écologie, définie comme anticapitaliste, est un handicap ; et les projets de taxation punitive, décrétés précipitamment et sans concertation, sont contre--productifs. On peut aussi s’étonner que dans le gouvernement constitué suite à la dernière élection présidentielle, « la transition écologique et la cohésion des territoires » soient séparées de « la transition énergétique » et que n’apparaisse pas clairement la manière dont les collectivités locales seront associées à l’élaboration des projets.
Seule une stratégie réconciliant logiques écologique et économique, établie au sein de la société civile, au niveau des collectivités locales et des régions, peut permettre l’établissement d’un consensus.
Seule une stratégie réconciliant logiques écologique et économique, établie patiemment au sein de la société civile, au niveau des collectivités locales et des régions, peut en effet permettre l’établissement d’un consensus sur le long terme et d’une véritable planification à l’abri des aléas politiques. L’échelle régionale me semble la plus pertinente pour prendre en compte les spécificités locales et dépasser les clivages politiques. Qu’on ne s’y trompe pas : au niveau mondial, les gagnants des mutations nécessaires seront ceux dont les gouvernances seront transparentes et démocratiques et qui sauront investir dans des nouvelles technologies. Pour être légitime, il est essentiel que la stratégie de lutte contre le réchauffement global permette le développement local et national, sans accroître notre dépendance industrielle et économique. Ce qui n’a rien de simple. La « prime Renov », par exemple, a été une bonne initiative gouvernementale, mais sa mise en œuvre a été trop hâtive, favorisant l’importation de matériaux fabriqués majoritairement à l’étranger et suscitant, par effet d’aubaine et manque de contrôle, la prolifération anarchique de trop nombreuses entreprises pas toujours compétentes. La mise en œuvre bien pensée d’une telle mesure aurait dû viser à relancer une filière industrielle et artisanale complète et à construire une certification rigoureuse des entreprises. Ces dernières, confortées par une expérience et des résultats acquis sur le territoire national, auraient pu ensuite partir à la conquête de marchés extérieurs.
Il faut aussi cesser d’instrumentaliser le changement climatique, accusé de tous les maux, pour cacher de mauvaises décisions, identifiées depuis des décennies, notamment les constructions en zone inondable, d’érosion ou de submersion littorale. Depuis la crue de 1910, Paris et la région parisienne, par exemple, n’ont cessé d’intensifier les réseaux souterrains et les aménagements en zone inondable, au point qu’aujourd’hui une montée des eaux de même ampleur, statistiquement hautement probable, coûterait plus de 30 milliards d’euros. Améliorer la prévention des risques dans les zones sensibles, détruire des aménagements existants, c’est anticiper le coût économique des reconstructions et des infrastructures de protection, inopérantes à moyen terme. Mais pour cela, il faut responsabiliser les collectivités locales, les entreprises et les particuliers, revoir aussi les pratiques d’indemnisation, pour réorienter les aides vers les nécessaires mutations.
L’autre difficulté à contourner est le risque d’une lassitude de l’opinion publique face aux efforts demandés, qu’il s’agisse des changements d’habitudes de consommation ou des investissements financiers importants à consentir sur le long terme, sans pour autant que les effets positifs sur le réchauffement global soient perceptibles rapidement. Tout au plus peut-on espérer parvenir dans un premier temps à un ralentissement des émissions, en attendant une inversion de la tendance. Pour que les citoyens acceptent ces sacrifices, on ne peut se contenter de jouer sur la peur, la culpabilité et l’urgence. Il faut impérativement conjuguer deux actions qui sont insuffisamment menées aujourd’hui. La première est une pédagogie honnête qui dresse un diagnostic nuancé des conséquences du réchauffement climatique. Si pour les latitudes inter-tropicales, qui concentrent l’essentiel de la population mondiale, les effets négatifs du réchauffement global dominent, il y a aussi à la surface de la planète des régions pour lesquelles l’évolution ouvre des perspectives nouvelles de mise en valeur agricole ou économique.
Pour que l’objectif final ne décourage pas la mobilisation des citoyens, il est indispensable qu’à chaque mesure, à chaque effort demandé à la société et qui va dans le bon sens pour le très long terme, s’ajoute un effet bénéfique pour le court terme. Lutter contre la disparition des combustibles fossiles, c’est purifier l’air de nos villes, améliorer la santé publique, sauver des vies, faire des économies dans notre système de santé et accroître la productivité économique. Rappelons que, en France, la pollution atmosphérique tue près de 50 000 personnes par an.
Éric Fouache
est géographe, professeur d’université et chercheur en environnement et géoarchéologie à Sorbonne Université. Membre Senior de l’Institut Universitaire de France, il a notamment été Président de l’Association Internationale des Géomorphologues, expert indépendant auprès de la Cour Internationale de Justice de La Haye et Vice-Chancelier de Sorbonne Université Abu Dhabi (2012- 2019).
Si nous agissons précipitamment, avec une vision idéologique, le risque est grand de voir les opinions publiques, notamment les jeunes générations, se détourner des politiques de lutte contre le réchauffement global dont ils soutiennent majoritairement le principe aujourd’hui. Regardons ce qui se passe avec le nucléaire. Menacée dans son pouvoir d’achat face à la hausse du coût de l’énergie, l’opinion publique redevient pro-nucléaire (et avec elle les pouvoirs publics), alors que, s’il est exact que l’énergie nucléaire est décarbonée, elle n’est pas pour autant propre et sans risque. Si on veut assumer une relance du programme nucléaire, il est indispensable d’organiser un débat sur le bilan bénéfice-risque. Il nous faut les outils d’un véritable débat démocratique qui n’oppose pas les catégories socio-professionnelles et les individus entre eux, mais les mobilise, et réconcilie le développement économique et l’écologie autour d’une prise de conscience des enjeux locaux et -régionaux....
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