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Éric Fouache
Débats & combats
Le fonctionnement et le financement actuels de l’enseignement supérieur freinent la réussite scolaire du plus grand nombre.
« On ne pourra pas rester durablement dans un système où l’enseignement supérieur n’a aucun prix pour la quasi-totalité des étudiants. » La phrase du président de la République, Emmanuel Macron, le 13 janvier dernier devant la Conférence des présidents d’université, a beaucoup fait réagir. Beaucoup, mais pas longtemps. Très vite, le sujet a été enterré, comme la plupart de ceux ayant trait à l’enseignement supérieur, grand oublié des médias et des pouvoirs publics, en tout cas de leur communication, surtout lors de ces deux dernières années de pandémie. Tous les indicateurs montrent pourtant que notre enseignement supérieur souffre de fortes inégalités qui, pour être réduites, exigeraient des mesures urgentes et des réformes structurelles. Pour poser un diagnostic complet, il faut considérer l’état de notre enseignement supérieur et son évolution en les comparant aux autres pays de l’OCDE.
En France, le coût annuel de l’enseignement supérieur s’élève à 32,6 milliards d’euros, financés par l’État à hauteur des deux tiers. Cela représente 1,5 % du PIB, un chiffre un peu au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE, mais bien en dessous de celui des États-Unis (2,58 %), du Canada, du Royaume-Uni, du Japon, des Pays-Bas et du Danemark, qui affichent des taux allant de 1,66 % à 2,3 % du PIB. Selon les statistiques du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche pour 2019, la France consacre à un étudiant 11 530 euros en moyenne chaque année (12 500 euros si l’on ajoute l’allocation logement). Un chiffre qui se situe dans la moyenne de l’OCDE. Mais le système français répartit les budgets de façon très inégalitaire, au détriment des universités. Alors qu’elles accueillent l’essentiel des étudiants (82,4 %), dont une majorité des plus défavorisés, les universités ne reçoivent que 10 110 euros par an et par étudiant (ils étaient 1,65 million en 2020), quand les établissements du domaine des sciences et techniques ou de la santé perçoivent 14 270 euros (267 400 étudiants en 2020) et les classes préparatoires ou les grandes écoles 15 710 euros (84 900 étudiants en 2020).
Les fusions universitaires ont toutes abouti à une augmentation des charges administratives alors que l’objectif affiché était d’optimiser les synergies et la maîtrise des coûts !
La deuxième caractéristique du système français est que, tout en restant dans la moyenne de l’OCDE, son financement global décroche du peloton de tête, précisément en raison d’une trop faible dotation des universités. Ce n’est donc pas un hasard si ce sont les étudiants d’université qui ont le plus de difficulté à mener à bien leurs études : seuls 43 % d’entre eux réussissent leur licence en trois ans, et 30 % ne l’obtiennent jamais. En master, la situation s’améliore, ouvrant de riantes perspectives aux diplômés : le taux d’employabilité des titulaires de masters s’élève à 87 %, le même que celui des titulaires d’une thèse (la moyenne des pays de l’OCDE est de 91 %).
Devons-nous nous contenter de ces chiffres « dans la moyenne » ? Rejoindre les meilleurs nécessiterait des actions simples. Le premier impératif est d’établir une orientation active des élèves lors des deux dernières années de lycée, en les aidant à identifier des projets professionnels à partir de leurs goûts et de leurs aptitudes, et à préparer leurs candidatures sur Parcoursup. Cela impliquerait une collaboration entre l’université et le secondaire, ainsi qu’un travail à l’échelle de la classe et même de l’élève. Ainsi, les trop nombreuses erreurs d’aiguillage, sources de découragement et d’échec, pourraient être évitées. Ensuite, il conviendrait de s’assurer de ce que tout inscrit à l’université soit réellement en capacité d’y suivre ses études. Les bourses devraient ainsi être ajustées à la hauteur des coûts effectifs, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Enfin, il serait juste et nécessaire que les cours soient accessibles à distance ou en horaires décalés, le soir par exemple, pour les étudiants qui travaillent. Accorder des dispenses d’assiduité sans transmettre de contenu, ou accorder des bourses insuffisantes à des étudiants obligés de travailler pour les compléter mène souvent à l’échec aux examens. Tout au long de mes années d’enseignement, j’ai toujours établi un ratio de contrôle entre présence au cours et taux de réussite aux examens. Pour les plus assidus, ce dernier dépasse les 90 %.
Aujourd’hui, l’essentiel du budget que les familles consacrent aux études universitaires de leurs enfants est dédié au logement. Il est donc faux de dire que l’enseignement supérieur universitaire français est gratuit. Si la part de l’État couvre 67,1 % des coûts, et celle des collectivités territoriales 10,2 %, celle des ménages représente 9,9 %. Il faut donc également résoudre le problème de la pénurie de logements universitaires. Il existe actuellement 375 000 places qui accueillent 12 % des étudiants (7 % dans des résidences publiques, 5 % dans des résidences privées). Tous les acteurs s’entendent sur le fait qu’il faudrait en construire au moins 250 000 supplémentaires. Encore faut-il le faire à proximité des campus, et que leurs tarifs soient accessibles aux plus modestes.
Les universités, de leur côté, doivent faire des efforts de rationalisation : optimiser l’utilisation des locaux universitaires – sous-utilisés à l’année et souvent saturés dans les périodes où se concentrent les enseignements –, répéter les enseignements pour permettre aux étudiants de rattraper un cours auquel ils n’ont pu assister, organiser des cours spécifiques pour les étudiants en situation de handicap et des sessions d’été pour les étudiants étrangers ou du secondaire, désireux d’explorer des filières afin de s’orienter, et enfin, rationaliser la gestion administrative. Au sein de l’OCDE, la France se caractérise par un ratio supérieur à la moyenne du coût des personnels administratifs, mal rémunérés de l’avis de tous, mais mal utilisés et dont les compétences ne sont pas nécessairement utilisées à bon escient en termes de gestion des ressources humaines. Ces frais de personnels représentent 72 % du budget de l’enseignement supérieur, les frais de fonctionnement 19 % et l’investissement seulement 8 %. Les fusions universitaires réalisées ces dernières années ont toutes abouti à une augmentation des charges administratives alors que l’objectif affiché était d’optimiser les synergies et la maîtrise des coûts ! L’université ne pourra pas non plus échapper à une réflexion sur les débouchés professionnels offerts par les diplômes qu’elle délivre.
Éric Fouache
est géographe, professeur d’université et chercheur en environnement et géoarchéologie à Sorbonne Université. Membre Senior de l’Institut Universitaire de France, il a notamment été Président de l’Association Internationale des Géomorphologues, expert indépendant auprès de la Cour Internationale de Justice de La Haye et Vice-Chancelier de Sorbonne Université Abu Dhabi (2012- 2019).
Rééquilibrer le budget des universités en se mettant dans la moyenne de l’OCDE doit être une priorité. Pour cela, il faudrait 1 420 euros supplémentaires par étudiant inscrit (soit un budget supplémentaire de 2,34 milliards d’euros par an, 7 % du budget actuel de l’enseignement supérieur). Ce qui porterait notre financement de l’enseignement supérieur à 1,6 % du PIB, quasiment au niveau du Danemark (1,66 %), pays qui finance le sien presque exclusivement sur fonds publics, alors que la France, État et collectivités locales confondus, ne le fait qu’à hauteur de 80 %. Le coût de construction des 250 000 places manquantes en résidence universitaire représente environ 4,5 milliards d’euros, un budget qui pourrait être réparti entre public et privé. Ce n’est qu’une fois ces investissements d’urgence réalisés qu’il sera possible de concevoir un plan de développement plus ambitieux, sur une base saine. Pour cela, il faut absolument achever la réforme des universités, toujours pas libres de fixer les frais d’inscription et engluées dans des gouvernances inefficaces. En contrepartie de cette autonomie – et afin d’éviter les situations de conflits d’intérêts dans les promotions des personnels et les évaluations des formations –, il paraît sain de renforcer le rôle du Conseil national des universités et du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur. Au-delà des discours et des effets d’annonce, il semble urgent d’améliorer la situation des étudiants, qui doivent pouvoir se projeter aussi sereinement que possible dans l’avenir.
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