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Xavier Couture
La reine Elisabeth II s’est éteinte à Balmoral. Son dernier acte officiel : recevoir Liz Truss et l’adouber dans ses fonctions de Première Ministre du Royaume-Uni. Sa disparition intervient 419 ans après celle qui fut reine d’Angleterre sous le nom d’Elisabeth Ire. La Grande Charte, texte fondateur de la constitution britannique date de 1215. Aux États-Unis, pays tout neuf au regard de l’Histoire, la constitution remonte à 1787. Cette stabilité a engendré, et c’est un paradoxe, les conditions de la modernisation et de la vitalité des sociétés anglaise et américaine. En donnant une armature solide à l’intérêt général ces nations ont fait de la démocratie ce qu’elle doit être : un outil au service de la collectivité.
En n’ayant jamais assumé la disparition de son roi, la France cherche désespérément à s’adapter à la démocratie. En Europe, nous sommes les champions du changement de régime. Depuis le 14 juillet 1789 nous en avons épuisé une quinzaine. On aurait pu espérer qu’une telle débauche constitutionnelle apporteraient un cortège flamboyant d’innovations, voire de progrès. Que nenni ! La France est devenue une caricature de conservatisme, pliant sous le poids de son mille-feuilles bureaucratique comme si le mouvement lui faisait horreur. Un exemple illustre notre propension à voyager en absurdie : les réformes territoriales. Avec la motivation d’un meilleur contrôle de la population, Napoléon crée les départements dont le dessin permet de relier la préfecture à n’importe quel point du territoire en une journée de cheval, critère n’ayant plus aucune justification aujourd’hui. Pour répondre aux nouvelles exigences on a créé les régions, on les a redéfinies, repensées, tout en conservant les départements. Les conseils départementaux discutent avec les conseils régionaux, eux-mêmes aux prises avec les responsabilités nationales restant à Paris et doublonnant trop souvent avec les décisions de terrain. Pendant ce temps-là, je partage mon temps entre Paris et le Berry. Le Berry ? Oui, c’est une province et elle a la vie dure, comme l’Artois, la Provence ou le Dauphiné, comme la Bretagne et l’Alsace. Les provinces, la maladie de la réforme a tenté de les tuer et elle a échoué. Sans statut réel, elles sont encore le quotidien de millions de français.
Le ré est notre malédiction. Depuis l’élan révolutionnaire, dont la France peut être fière à bien des égards, elle vit sous la dictature d’une flopée de mots en ré ou en re : réformer, rénover, refonder, réviser, résorber, remanier, autant d’exemples devenus des tics de langage pour le pouvoir.
Le ré est notre malédiction. Depuis l’élan révolutionnaire, dont la France peut être fière à bien des égards, elle vit sous la dictature d’une flopée de mots en ré ou en re : réformer, rénover, refonder, réviser, résorber, remanier, autant d’exemples devenus des tics de langage pour le pouvoir. La France aurait grand besoin de s’allonger sur le divan d’un psychanalyste pour nation en souffrance. Elle a créé une illusion de mouvement avec les outils de sa paralysie. On a coupé la tête de Louis XVI avant de chercher à le remplacer avec des systèmes abracadabrantesques ou le premier élu de la nation doit cumuler les fonctions de roi et de premier ministre. La réforme, délire obsessionnel du pouvoir politique débouche en fait sur la création d’une strate supplémentaire de bureaucratie posée sur le grimoire déjà très épais des réformes précédentes. Oui, la réforme est, par nature, le synonyme de notre immobilisme, de notre incapacité à l’évolution paisible. Pour chacune d’elle on affirme la volonté d’un changement de direction radical, quasi de demi-tour. Au mieux, cela produit une marche en zigzags, au pire un sur-place mortifère. La stabilité politique de nos partenaires est un moteur de progrès, elle permet d’inscrire leur action dans la continuité, et d’éviter la question qui lancine nos politiques et gangrène notre administration : quel est le sens de notre marche ?
Xavier Couture
est consultant. Spécialiste des médias, il a fait toute sa carrière dans la presse puis l’audiovisuel, notamment à TF1, Canal+ et Orange. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont un essai sur la télévision : La Dictature de l’Émotion (Audibert, 2007). Il est également Président du Conseil d’Administration du Théâtre de la Ville et du Théâtre du Châtelet.
La démocratie n’est pas une fin en soi, elle est au service d’un mot bien plus grand : la République. Ce mot en ré a un sens précis : la chose publique, l’espace partagé, le vivre ensemble. Depuis 1789 la France adore se contredire, d’abord dans l’instant, entre Français qui ont de plus en plus de difficultés à trouver la définition de ce qui fait leur commun, ensuite sur le long terme en bouleversant ses institutions avec gourmandise. Cessons de révérer la démocratie pour elle-même au prétexte que nous ne parvenons pas à la faire fonctionner correctement. Redonnons la prééminence à la République, dont la racine inclue la volonté de faire peuple, de faire nation, d’inscrire la vie du pays dans le temps long. C’est la condition indispensable si l’on veut transformer les décisions politiques en actions au bénéfice de tous. Si notre orphéon démocratique décide de créer la symphonie d’une sixième république, certains en parlent, de grâce faisons le nécessaire pour ne pas la composer en ré....
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