Wyoming ©Yeyei Gómez
Wyoming ©Yeyei Gómez

Prières pour un shérif

Richard Werly

Le Wyoming, dans l’attente de Donald Trump
Dans le Cowboy state, à l’ouest des États-Unis, Trump est toujours adulé. Les ranchers et les employés des mines rêvent de renvoyer le magnat à la Maison Blanche pour y défendre leurs intérêts et leur mode de vie.
Ils n’ont pas osé l’affubler, lors de sa dernière visite, en mai, de leur incontournable chapeau en feutre aux larges bords. Pas question non plus d’accrocher la photo de Donald Trump sur les murs du Bunkhouse Bar & Grill de Happy Jack Road, le repère des mordus de la musique country, à une quinzaine de miles de Cheyenne, la capitale du Wyoming. Tous savent, dans ce Cowboy State viscéralement attaché à ses prairies, son bétail, ses ranchs, ses mines de charbon et ses puits de pétrole, qu’au fond l’ancien promoteur new-yorkais ne sera jamais des leurs. « Oui, il n’est pas de notre monde. Il aime le golf et moi la chasse. Il vit en Floride et moi ici, au milieu de mes 30 000 acres [environ 15 000 hectares] accolés à la montagne. Et alors ? » sourit Mark Eisele, l’un des porte-parole les plus en vue des ranchers du Wyoming. Alors ? « On ne soutient pas l’homme, mais sa politique, sa vision de l’Amérique, poursuit ce cow-boy pur wild west, vice-président du National Cattlemen Beef’s Association, puissant syndicat d’éleveurs bovins. Trump dit non en notre nom. »
Comprendre la Trump-mania, qui transforme depuis des années de nombreux Américains en relais des pires fake news distillées par le propriétaire du luxueux complexe de Mar-a-Lago, en Floride, impose de faire halte dans ces terres de l’ouest a priori si éloignées du personnage, de ses origines et de sa vie avant d’entrer en politique. Jusqu’à la campagne victorieuse contre Hillary Clinton qui le propulsa à la Maison-Blanche en novembre 2016, Donald Trump n’avait jamais regardé de ce côté-ci de l’Amérique, place forte d’un Parti républicain version Ronald Reagan des années 1980 : travail, famille, patrie, religion… et pistolet automatique à la ceinture pour protéger tout cela, avec ce qu’il faut de prières à l’appui et de lobbying actif pour la puissante National Rifle Association (NRA). Aucune affinité entre le magnat de la Trump Tower et ces héritiers lointains des pionniers de l’Ouest, arrivés jadis jusqu’au Wyoming sur leurs chariots, au péril de leur vie, suivant deux pistes : la Bozeman Trail des chercheurs d’or, aimantés par les gisements du Montana, et l’Oregon Trail des aventuriers, résolus à rejoindre la Californie et la côte pacifique.
Tout, au Wyoming, atteste d’ailleurs de ces différences entre Trump et ces cow-boys. Lesquelles, vues d’Europe, semblent irréconciliables. Tout ! Les musées dédiés aux décennies de larmes et de sang que furent celles de la conquête de l’Ouest et des guerres indiennes dans la seconde moitié du XIXe siècle. Les forts reconstitués que défendaient jadis des contingents mal équipés de l’US Army, perdus dans ces immensités prises aux ancêtres des Native Americans d’aujourd’hui. Les monuments plus récents – réécriture moderne de l’histoire oblige – en mémoire des massacres dont furent victimes les tribus qui, autrefois, sillonnaient en liberté ces territoires à la poursuite des millions de bisons sauvages.

Le Wyoming est un décor où les cow-boys surfent au volant de leurs pickups sur les vagues de leurs illusions.

Sioux, Cheyennes, Arapahos… Le Wyoming n’est pas que le pittoresque Cowboy State fêté par les amateurs de rodéo lors des State Fairs annuelles de Douglas, de Cody (la ville fondée par Buffalo Bill) ou de Cheyenne. Il porte aussi, dans sa terre et dans sa chair, le témoignage des tragédies d’une certaine Amérique, forgée par des hordes d’immigrants pauvres transformés en colons impitoyables. Une Amérique missionnaire, adepte de l’effort, de l’abnégation et de la parole donnée, encadrée par une omniprésente foi religieuse. À des années-lumière des frasques, des procès à répétition et du matérialisme sans vergogne de l’ex-Potus [President of the United States]. « L’Ouest américain a du cœur et des racines. La nature y dicte ses règles et l’honnêteté y reste une valeur cardinale, complète l’écrivain Peter Heller, l’un des romanciers les plus fameux de ces grands espaces. Il incarne tout ce que Trump ignore et déteste. Le pire serait de l’oublier. »
Dans son bureau de Central Street à Cheyenne, Kathy Russell nous écoute dérouler nos arguments sur cette présumée irréconciliable différence. Trump ? Sa photo présidentielle est bien là, encadrée et accrochée au mur, juste à l’entrée de ce bureau du Parti républicain, alias le GOP, le Grand Old Party, dont cette sexagénaire, ex-comptable d’une firme pétrolière, dirige l’antenne du Wyoming. Sauf que son emplacement dit tout.
Au centre, le héros : la photo de Reagan, le cow-boy de cinéma décédé en 2004, élu en 1980 40e président des États-Unis après avoir battu dans les urnes le planteur démocrate de Géorgie, Jimmy Carter. Au-dessus, la plaque commémorative de l’investiture de George W. Bush, l’héritier texan arrivé à la Maison-Blanche par la grâce de la Cour suprême à l’issue du chaos électoral en l’an 2000, puis propulsé en leader controversé du monde libre par les attentats du 11 septembre 2001. À droite, le portrait obligé d’Abraham Lincoln, le président qui abolit l’esclavage et défendit l’Union que les sudistes tentèrent de démanteler, plongeant le jeune pays dans les horreurs de la guerre de Sécession, entre 1861 et 1865. À gauche, moins visible que ses prédécesseurs, Trump sourit sur le cliché, sa mèche blonde en forme de défi. Un modèle ? « Qui d’autre que lui nous défend face aux élites de Washington, de New York ou de Californie ? s’énerve Kathy Russel. Posez-vous cette question et vous comprendrez notre attitude et celle de notre parti. Trump est le seul à ne pas nous considérer comme une variable d’ajustement touristico-climatique. Il est un peu notre shérif. Arrogant. Hâbleur. Cruel parfois. Mais loyal. Debout avec nous, face à ceux qui veulent nous obliger à vivre et à penser autrement. »
Le shérif. L’image est parlante. Le Wyoming, État de ranchs troués de puits de pétrole, de mines de charbon à ciel ouvert et de fermes d’éoliennes plantées sur les collines traversées par l’Interstate 25, est imprégné des légendes de l’Ouest. Mark Eisele le sait mieux que quiconque. À quelques miles de Cheyenne, capitale d’à peine 50 000 habitants, les étables de son immense ranch sont à l’abri d’une dune qui domine la ville et l’entrepôt géant de Walmart, la chaîne d’hypermarchés qui nourrit l’Amérique. Sa barbe blanche est soignée. Son chapeau noir est impeccablement porté. Au King Ranch, sa propriété familiale, le drapeau américain accueille les visiteurs, planté entre deux pots de fleurs colorées posés sur un chariot d’époque. Sur la banquette arrière de son truck, sa carabine est soigneusement rangée dans sa housse en cuir.
Le Wyoming est un décor où les cow-boys surfent au volant de leurs pickups sur les vagues de leurs illusions. La plupart vivent en effet d’autres revenus que celui de leur bétail : vaches Angus et moutons Rambouillet pour la plupart d’entre eux, bisons d’élevage pour quelques-uns. Dans chaque ranch ou presque, plantés au milieu des prairies, les bras mécaniques surnommés « Happy Jack » continuent d’extraire inlassablement le pétrole découvert ici, au début du siècle, par des prospecteurs devenus milliardaires, aujourd’hui remplacés par des firmes souvent basées au Dakota du Sud ou au Texas. L’or noir coule dans des oléoducs construits sous des pâturages en apparence inviolés. Acheminé dans des citernes de béton, puis transporté par la route vers les raffineries, il rapporte aux éleveurs du Wyoming, selon l’importance de leurs gisements et leurs droits extractifs, des dizaines de milliers de dollars par an, payés par les firmes concessionnaires. Les plus chanceux des ranchers possèdent en propre les droits miniers de leur sous-sol. Beaucoup d’autres se contentent de royalties pour l’accès en surface, tandis que les nappes pétrolières appartiennent, elles, à l’État fédéral. Qu’importe. Le pétrole est le sang des prairies. Et Donald Trump, favorable à toutes les formes d’extraction d’hydrocarbures et climato-sceptique acharné, l’a parfaitement compris. « Un shérif n’est pas là pour se faire aimer. Il est là pour nous protéger », justifie Mark Eisele, familier des couloirs du Congrès et de la Maison Blanche où son puissant syndicat des éleveurs a toujours ses entrées. Quel que soit le parti au pouvoir.
Cette règle d’airain des recettes sonnantes et trébuchantes du sous-sol du Cowboy State s’est refermée en août dernier sur la républicaine Liz Cheney, unique députée sortante du Wyoming. Depuis 2017, cette avocate, fille de l’ancien vice-président Dick Cheney – numéro deux de l’administration Bush entre 2001 et 2009 –, occupait le siège de l’État à la Chambre des représentants. Défense du pétrole, du charbon, des industries extractives et de l’élevage, mais aussi vote en faveur des législations les plus conservatrices de la présidence Trump… La partition législative de cette héritière était sans taches. Le fait que son père, longtemps élu du Wyoming, ait donné son nom au Federal Building de Casper, sa capitale minière, complétait le tableau. Liz « faisait le job » à Washington.
Puis tout a déraillé avec l’assaut des enragés trumpistes sur le Capitole, le 6 janvier 2021, jour de l’investiture de Joe Biden, épilogue d’une élection que Donald Trump continue de dénoncer comme truquée. Coprésidente de la Commission d’enquête sur cette journée fatale, défenseure acharnée des institutions fédérales contre l’ancien président qui refuse toujours de reconnaître sa défaite, Liz Cheney a basculé. L’avocate a pris le parti du droit et de la démocratie contre le shérif Trump. Le parti républicain local ne l’a pas supporté. Résultat : sa suppléante, Harriet Hageman, avocate elle aussi, l’a tuée politiquement, sur ordre de l'ex-président. Aux primaires républicaines, en août dernier, Liz a sèchement perdu la bataille contre Harriet, désormais assurée de remporter son siège lors des midterms du 8 novembre. Une vengeance politique assortie d’un solde de tout compte : « Liz Cheney ne siégeait plus au sein du comité des ressources naturelles de la Chambre des représentants, le seul qui compte pour nous », complète un membre de l’entourage du gouverneur républicain Mark Gordon, un rancher « modéré » contraint de s’aligner pour contenter les électeurs ultras. « Elle a trahi Trump et nous a abandonnés. Son obsession pour l’affaire du Capitole ne nous concerne pas. Trump a quitté le pouvoir. Biden est président. La vérité, c’est que Liz Cheney n’a pas grandi ici. Elle vient de Virginie. Son monde est celui de Washington. Chez elle, la nature a repris le dessus. C’est une fille de l’Est. Un pur produit de cette élite qui nous méprise. »

“Trump est le seul à ne pas nous considérer comme une variable d’ajustement touristico-climatique. Il est un peu notre shérif. Arrogant. Hâbleur. Cruel parfois. Mais loyal. "

Quelques autres shérifs historiques du Wyoming nous narguent, au Rockpile Museum de Gillette, dans le comté de Campbell, fief minier du nord de l’État. Tom Tait, Roy Hardy, Dick Jarvis, Tex Martin, John Mc Gee… Leurs photos et leurs biographies occupent une vitrine entière, entourée de ce qui fit leur force : une collection de révolvers et de fusils, tous datés et personnalisés. La loi, au Wyoming, a toujours été du côté des éleveurs, des mineurs, des prospecteurs… et des hydrocarbures. Jim Ford rajuste sa casquette, après trois heures passées à nous vanter les vertus des gisements de charbon qui ont longtemps fait de cet État le principal pourvoyeur d’énergie électrique du pays. Cap sur le site de Wyodak Mine, propriété de la Black Hills Corporation, à quelques miles de Gillette. Ingénieur de formation, Jim, 52 ans, n’a rien d’un trumpiste dévot. Le rendez-vous électoral des midterms dessinera-t-il aux États-Unis les contours de la fin de mandat de Joe Biden ? Ce n’est « tout simplement pas son sujet ». Jim lâche juste l’évidence. Le Parti républicain, version Trump, fera au Wyoming le carton attendu.
L’homme préfère nous parler des deux « laboratoires énergétiques » du bassin de la Powder River, tout juste inaugurés dans cette partie de l’État. D’énormes camions-bennes charrient sous nos yeux, en contrebas des collines, le charbon arraché à un gisement à ciel ouvert de plusieurs kilomètres carrés, puis transféré sur un tapis roulant jusqu’à l’une des centrales électriques les plus puissantes du pays. Fort Union Industrial Park est le premier de ces laboratoires. Ancienne mine de charbon reconvertie, l’État du Wyoming vient d’y inaugurer un complexe destiné à accueillir ingénieurs, start-up et autres entreprises spécialisées dans les technologies de traitement du carbone et de stockage souterrain du CO2. Le Wyoming Integrated Test Center, est sa seconde fierté. Un ensemble flambant neuf d’énormes citernes et de dispositifs conçus pour nettoyer le charbon de ses déchets les plus polluants. Le géant japonais Kawasaki y teste, selon Jim, des technologies « révolutionnaires ». De quoi, selon lui, réfuter l’accusation portée par les climatologues contre le minerai de tous les dangers pour l’avenir de la planète. « C’est un combat que nous menons, et Trump est le seul à nous écouter, argumente-t-il. Le charbon est encore disponible en grandes quantités ici au Wyoming et dans beaucoup d’autres endroits du monde. S’en priver, se priver de réfléchir à son utilisation, c’est nous livrer pieds et poings liés aux délires électriques de la Californie et de la Silicon Valley. »
Le duel est engagé, comme autrefois dans les villes du Far West, entre éleveurs extensifs déterminés à faire paître leur bétail partout et fermiers affairés à planter des barbelés dans la prairie. Au Wyoming, les cow-boys, dopés depuis des décennies aux revenus des industries extractives, ont un ennemi commun : les magnats californiens de la technologie, financiers du Parti démocrate et opposants économiques farouches à Donald Trump. Il faut, pour comprendre l’abîme qui les sépare, suivre Kim Nicolaysen dans son ranch de Cole Creek, au sud de Casper, l’épicentre du Wyoming minier. Quadragénaire, professeur d’anglais de formation, arrière petit-fils d’immigrants danois et lié, du côté de son épouse, à la famille de l’ex-gouverneur Brookes, vieille lignée de ranchers de l’État, Kim a choisi de nous montrer la ferme d’éoliennes plantées sur son exploitation par Duke Energy, une firme du Dakota du Sud.
Son truck Chevrolet plonge entre les collines de terre sableuse recouvertes d’herbes et de buissons, s’arrête un instant dans l’ancienne ferme de ses grands-parents, au bord d’une rivière asséchée par les semaines de chaleur estivale, puis à nouveau pour nous désigner les trous creusés par les chiens de prairie, sortes d’énormes taupes redoutables, pour les rares récoltes. Peu de cultures ici, faute d’irrigation. Des moutons par milliers, livrés la nuit aux coyotes que la pénurie de bergers ne parvient plus à tenir éloignés. Une poignée de vaches noires Angus sont regroupées, en cette après-midi ensoleillée, dans l’ombre des barrières en bois anti-vent, preuves des hivers rigoureux, lorsque les températures tombent sous les -20 °C et que les bourrasques de neige giflent les collines. Kim Nicolaysen voit lui aussi dans la technologie la meilleure réponse possible au changement climatique. Les pâles de la quarantaine d’éoliennes plantées sur son ranch fendent l’air au-dessus de nos têtes. L’exploitant affirme tenir le décompte des oiseaux de proie tués par ces hélices géantes. Un aigle. Deux faucons. « Nous avons tous répondu présent lorsque les éoliennes sont arrivées ici. Le Wyoming a aussi des gisements d’uranium pour l’industrie nucléaire que vous connaissez bien en France. Ceux qui nous présentent comme des paysans hostiles au progrès et indifférents au climat vous mentent. Mais nous savons aussi que les énergies renouvelables ont leurs limites. D’où vient l’énergie indispensable aux serveurs informatiques californiens ? D’ici. De nos mines. De nos centrales électriques. De notre pétrole. De chez nous, les cow-boys que tous ces obsédés du clavier et des écrans condamnent au nom de leur foutu progrès. »
« Si la légende vaut mieux que la réalité, imprimez la légende. » On connaît la fameuse dernière réplique de L’Homme qui tua Liberty Valance, l’un des westerns culte de John Ford. Le romancier Peter Heller a sillonné, jeune, le Wyoming à cheval. L’auteur de La Constellation du chien et de La Rivière (éd. Actes Sud), deux romans ancrés dans l’Ouest américain, se prend la tête entre les mains. « Trump a monté ces gens contre les Californiens sous prétexte que les géants de l’Internet sont d’énormes consommateurs d’énergie. Or c’est absurde. Les innovations qui permettront peut-être au Wyoming de garder ses mines viendront en partie de la Silicon Valley. Ces deux Amériques doivent travailler ensemble. »
Sauf que le Cowboy State a choisi « sa » légende. Michael Perlman est le porte-parole de Mark Gordon, le gouverneur du Wyoming. Avec ses amples fauteuils de cuir, la salle de réception du capitole de l’État ressemble à s’y méprendre à un tribunal version western. « Trump a construit un univers réactionnaire dans lequel de plus en plus de sympathisants du Parti républicain se retrouvent. Ils veulent, comme lui, changer les règles. Ils sont ultraconservateurs. Ils craignent pour leurs valeurs, leurs familles. Ils redoutent les mouvements LGBT et Black Lives Matter. Ils vivent dans la peur. » Conséquence ? « Le gouverneur – assuré d’être reconduit en novembre – n’a pas d’autre choix que de les entendre. Peut-être qu’un autre candidat présidentiel que Trump pourrait cicatriser les plaies au sein du Parti républicain. Mais pour le moment, la radicalité l’emporte. La plupart des gens ici pensent que la nomination de juges conservateurs à la Cour suprême est une bonne chose. Comme la restriction du droit à l’avortement. Ils perçoivent Trump et les magistrats qui lui sont acquis comme un rempart face au délitement de notre société. »
Un refrain de musique country flotte dans la rue principale de Casper. Même le patron du Bourgeois Pig, le café alternatif local, se branche de temps à autre sur 95.5 FM, la fréquence préférée des cow-boys. Un expresso a enfin remplacé les rasades de café americano insipide servi dans les motels et dans les restaurants. Les clients de l’endroit, moins obèses que la moyenne des habitants de cet État agricole infecté par la malbouffe et le diabète, savent que leurs vues libérales sont ultraminoritaires. Et voilà que résonne dans les haut-parleurs Big Iron, la complainte de l’ouest chantée par Marty Robbins, l’une des légendes country de l’Amérique. « Un étranger est venu un beau jour. Il parlait à peine aux gens qui l’entouraient. » Sherwood Trey s’esclaffe. Cette historienne de formation est l’une des rares élues démocrates de l’État, députée du comté d’Albany, où se trouve l’université de Laramie. Pas de bottes. Pas de chapeau. Devant Tom Rea, un ancien journaliste du Casper Tribune, le quotidien local aujourd’hui réduit à quelques pages, Trey n’en rajoute pas dans la couleur locale. « Trump est cet étranger dont parle la chanson de Marty Robbins. Le type qui débarque et inspire la terreur, pistolet à la ceinture, c’est lui. Ses électeurs ne se rendent même pas compte qu’il est prêt, lui aussi, à les abandonner. Ils se rangent du côté du plus fort. C’est le mauvais penchant de l’Ouest. Celui qui tient le fusil
fait la loi. »
« Ils avaient surfé sur une vague qui les avait poussés sur le rivage, heurtant des rochers qui heureusement étaient lisses ». Les premières phrases de La Rivière, le roman de Peter Heller dont l’intrigue se situe dans le Colorado, raconte la lente dérive de l’équipage d’un canoë. Le sentiment est identique ici, à Douglas, entre Casper et Cheyenne. Douglas, où l’unique hôtel du centre-ville, tout droit sorti d’un film de John Ford, porte le joli nom français de La Bonté. Le Wyoming a dérivé. Il bute sur des rochers politiques qui, tragiquement, ne sont pas du tout lisses. Fatalité ? L’histoire de l’Ouest américain est jalonnée ces funestes erreurs collectives, comme celles symbolisées par l’émouvante reconstitution du fort Fetterman, à l’écart de Douglas. Construit dans les années 1870 pour garder la Bozeman Trail, ce groupe de baraquements en rondins porte le nom d’un officier tué avec sa troupe par les Indiens qu’il s’employait à massacrer, lors d’une embuscade que son arrogance n’avait pas vu venir. Au pied du fort, reconstitués sur le site d’origine, des collines à perte de vue, trouées par une autoroute constellée d’éoliennes.
Richard Werly
Correspondant franco-suisse basé à Paris, Richard Werly est éditorialiste pour le quotidien populaire helvétique Blick.
Dans ce pays construit sur l’idée que le rêve n’est jamais impossible si la force, le courage et l’argent l’accompagnent, les illusions des uns ont toujours été le poison des autres. Pas étonnant que Donald Trump, shérif dévoyé de l’« America First », puisse continuer d’y imprimer sa légende toxique. Dans des États de moins en moins unis. ...

Le Wyoming, dans l’attente de Donald Trump Dans le Cowboy state, à l’ouest des États-Unis, Trump est toujours adulé. Les ranchers et les employés des mines rêvent de renvoyer le magnat à la Maison Blanche pour y défendre leurs intérêts et leur mode de vie. Ils n’ont pas osé l’affubler, lors de sa dernière visite, en mai, de leur incontournable chapeau en feutre aux larges bords. Pas question non plus d’accrocher la photo de Donald Trump sur les murs du Bunkhouse Bar & Grill de Happy Jack Road, le repère des mordus de la musique country, à une quinzaine de miles de Cheyenne, la capitale du Wyoming. Tous savent, dans ce Cowboy State viscéralement attaché à ses prairies, son bétail, ses ranchs, ses mines de charbon et ses puits de pétrole, qu’au fond l’ancien promoteur new-yorkais ne sera jamais des leurs. « Oui, il n’est pas de notre monde. Il aime le golf et moi la chasse. Il vit en Floride et moi ici, au milieu de mes 30 000 acres [environ 15 000 hectares] accolés à la montagne. Et alors ? » sourit Mark Eisele, l’un des porte-parole les plus en vue des ranchers du Wyoming. Alors ? « On ne soutient pas l’homme, mais sa politique, sa vision de l’Amérique, poursuit ce cow-boy pur wild west, vice-président du National Cattlemen Beef’s Association, puissant syndicat d’éleveurs bovins. Trump dit non en notre nom. » Comprendre la Trump-mania, qui transforme depuis des années de nombreux Américains en relais des pires fake news distillées par le propriétaire du luxueux complexe de Mar-a-Lago,…

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