Haïti, l’histoire d’une chute sans fin

Pooja Bhatia

Pauvreté, violence, instabilité politique... Le pays caribéen semble plongé dans un perpétuel marasme. La faute aux séismes et ouragans qui frappent régulièrement l’île ? Il semble qu’il faille plutôt chercher du côté des influences étrangères.
Lorsqu’Ariel Henry a quitté ses fonctions le 25 avril dernier, peu sont les Haïtiens qui l’ont regretté. Pendant ses trente-deux mois en tant que Premier ministre – le plus long mandat depuis 1987 –, la situation n’a cessé de se dégrader. Au cours des cinq dernières années, des groupes armés ont semé la terreur à Port-au-Prince et la violence s’est encore intensifiée depuis le début d’année. Le 29 février, ils ont lancé une révolte de grande envergure, libérant quelque 4700 détenus de deux prisons, échangeant des coups de feu avec une police en sous-effectif, incendiant des commissariats, attaquant des banques et des résidences privées et, finalement, provoquant la fermeture de l’aéroport.

Quand le soulèvement a débuté, Ariel Henry était à Nairobi en train de conclure un accord d’intervention étrangère soutenu par l’ONU et négocié par les États-Unis. Le Kenya était censé mener une «mission multinationale d’appui à la sécurité», mobilisant notamment un millier de policiers du pays d’Afrique de l’Est, un nombre jugé insuffisant pour apaiser la situation en Haïti. Le 5 mars, le Premier ministre tenta de rentrer à Port-au-Prince mais il en fut empêché par des gangs bloquant l’accès aux pistes d’atterrissage. Les autorités dominicaines ayant également refusé d’ouvrir leurs aéroports, il a dû atterrir à Porto Rico. Une semaine plus tard, il annonçait sa démission. Entre temps, des dizaines de milliers d’habitants avaient fui la capitale au risque de leur vie, les routes nationales étant contrôlées par les bandes, et les ambassades des puissances européennes avaient exfiltré leur personnel du pays par voie aérienne.

Les millions d’habitants coincés sur place subissent un confinement presque permanent, la moitié de la population ne mange pas à sa faim et 1,6 million de personnes font face à un risque de famine, selon les associations humanitaires. Demeure également un risque élevé de maladies comme le choléra, qui avait fait des dizaines de milliers de morts lors de l’épidémie de 2010. La moitié des centres médicaux de la capitale sont partiellement ou totalement fermés.

La mission kényane est restée suspendue plusieurs mois et le gouvernement haïtien sortant a eu besoin de plus d’un mois pour former un conseil de transition présidentielle de neuf membres. Pendant ce temps, les groupes armés sont arrivés à Pétion-Ville, une des dernières zones métropolitaines jusqu’alors préservée de la violence. À Haïti, les coups de feu sont fréquents et la fumée omniprésente. Un de mes rares amis restés à Port-au-Prince m’a écrit le mois dernier qu’il y avait des cadavres partout.

Cette situation n’est toutefois pas apparue du jour au lendemain, elle résulte d’années d’ingérence politique étrangère et d’une démocratie trop fragile. On pourrait citer l’élection présidentielle de 2010, durant laquelle le Core Group, un groupe de diplomates de puissances occidentales engagées dans la vie politique haïtiennes depuis deux décennies, s’est arrangé pour donner le pouvoir au Parti haïtien Tèt Kale (PHTK), affaiblissant davantage un processus démocratique déjà regardé avec défiance par une partie de la population. Une fois au pouvoir, les dirigeants du PHTK ont violemment réprimé toute opposition et donné plus de pouvoir aux gangs qui ont aujourd’hui amené le pays au bord du gouffre, le tout sur fond de corruption généralisée.
L’ingérence occidentale, et en particulier celle des États-Unis, dans la politique haïtienne date de bien avant que le pays soit une démocratie.
En 1991, la CIA, poursuivant ses objectifs de la guerre froide, avait soutenu un coup d’État contre le premier président démocratiquement élu d’Haïti, Jean-Bertrand Aristide, un socialiste et théologien de la libération ayant obtenu 67% des voix. Trois ans plus tard, Bill Clinton, alors président des États-Unis, a rétabli Aristide au pouvoir mais ce dernier devait s’engager à adopter des réformes néolibérales qui ont détruit le service public et réduit les droits de douane, affaiblissant l’économie rurale du pays.

En 2000, Aristide a été élu pour un second mandat à la suite d’élections législatives anticipées et considérées comme frauduleuses par l’Organisation des États américains (OEA). Les États-Unis ont alors décidé un embargo sur l’aide extérieure, brisant de fait le soutien de la population au chef d’État. En février 2004, Aristide a présenté sa démission sur fond de manifestations, de violence des gangs et de pressions grandissantes de la France et des États-Unis. Le mois suivant il embarquait dans un avion pour la République centrafricaine où il a vécu en exil. James B. Foley, alors ambassadeur des États-Unis en Haïti, qualifiait son départ de volontaire, Aristide parlant, lui, de kidnapping.

Peu après, l’ONU a autorisé le déploiement de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah), une mission pour le maintien de la paix dirigée par le Brésil et largement financée par les États-Unis, et soutenu la création du Core Group, présidé par le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU et comprenant des représentants de l’OEA, de la communauté caribéenne (Caricom), d’institutions financières et d’autres parties prenantes extérieures. Le Core Group était censé «favoriser l’efficacité de la réponse de la communauté internationale en Haïti», sans qu’aucun Haïtien ne soit inclus dans le processus. En collaboration avec le Core Group, un gouvernement d’intérim mené par le Premier ministre Gérard Latortue a injustement emprisonné plusieurs hauts responsables du gouvernement d’Aristide tandis que la Minustah a offert une couverture tactique et idéologique aux forces de polices qui mettaient en déroute les groupes armés dans les quartiers pauvres. Une étude de The Lancet estime à 8000 le nombre de meurtres et à 35000 le nombre de viols survenus alors que le gouvernement d’intérim était au pouvoir.

L’élection, en 2006, de René Préval semblait marquer un virage vers la stabilité. Il avait déjà été président et restait associé à la couleur politique d’Aristide. Il avança doucement de peur d’alarmer les États-Unis ou d’autres puissances occidentales. Durant son mandat, de nombreux prisonniers politiques furent libérés, le nombre de kidnappings chuta et le taux d’homicide restait bas. Lorsque j’ai emménagé à Port-au-Prince à l’été 2007, la capitale semblait paisible et sûre, et la population optimiste. On parlait même de réduction de l’engagement de la Minustah, dont les forces étaient qualifiées de touristes en raison de leur faible investissement. C’est à cette période que l’ex-président Bill Clinton a commencé à s’intéresser au développement du pays, se rendant régulièrement en Haïti pour visiter des centres médicaux ou des usines. En 2009, peu après l’arrivée de son épouse, Hillary, au département d’État, il a été nommé émissaire spécial de l’ONU pour Haïti.

Le tremblement de terre de magnitude 7 qui a frappé le pays le 12 janvier 2010 mit fin à cette période de répit. Les secousses rasèrent une large partie de la capitale et firent entre 100000 et 316000 morts, un chiffre imprécis en raison de documents manquants aux registres d’état civil. Plus d’un million de personnes perdirent leur maison et durent vivre dans des tentes ou sous des bâches en extérieur, parfois dans les terres arides à proximité du village de Titanyen, où de nombreuses victimes furent enterrées. En raison, partiellement, de l’implication du couple Clinton, la reconstruction a été suivie de près dans le monde entier.

La seconde catastrophe de 2010 commença en octobre, lorsque Haïti connut sa première épidémie de choléra, qui fit près de 30000 victimes. La bactérie est arrivée sur l’île par l’intermédiaire de la Minustah – qui n’avait pas contrôlé les soldats venant du Népal, où le choléra est endémique – dont les eaux usées d’une base se retrouvaient directement dans une rivière importante. Le rôle de la mission dans l’épidémie est apparu après des années d’enquêtes journalistiques, d’analyses d’épidémiologistes et de pression de la population, sans que l’ONU ne propose jamais de réparations.
Des membres clés de l’administration furent tués dans le tremblement de terre.
La troisième catastrophe frappant Haïti en 2010 est moins connue: il s’agit de la manipulation de l’élection présidentielle par des membres du Core Group qui s’en cachèrent à peine. Le scrutin fut remporté par Michel Martelly, un musicien vieillissant sans expérience politique; les perdants furent tous ceux qui avaient bon espoir pour la démocratie en Haïti. L’élection a eu le mérite d’envoyer un message clair à la population: la satisfaction des nations apportant de l’aide extérieure passe avant celle des électeurs.

Les élections auraient dû se tenir en novembre 2010, mais les raisons de les reporter étaient multiples: plusieurs membres clés de l’administration furent tués dans le tremblement de terre et les secousses démolirent une grande partie de ce qui était nécessaire à l’élection, des dossiers et registres au bureau du conseil électoral, dont les membres devaient dès lors travailler dans une ancienne salle de sport. Tout le monde ignorait où les 1,3 million de réfugiés allaient voter et l’Office national d’identification (ONI) ne disposait que d’une seule machine permettant de produire des documents d’identité pour les centaines de milliers n’en disposant plus.

Les candidats aussi inspirés qu’inspirants promettaient évidemment des logements, des écoles et des emplois: Préval avait choisi comme successeur Jude Célestin, par le passé dirigeant d’une entreprise publique d’infrastructures; Mirlande Manigat, une professeure de droit qui fut brièvement première dame, semblait la plus qualifiée; et Martelly était quant à lui un playboy et un showman. Si l’on s’aventure à lui confier une quelconque idéologie, on pourrait le dire réactionnaire en raison de sa haine envers Aristide et de son projet de réinstaller l’armée démantelée par son prédécesseur.

Mon appartement étant près de l’ONI, je passais chaque matin en voiture devant des centaines de personnes faisant la queue. Rares étaient ceux qui cherchaient à exercer leur droit de vote: ils avaient besoin de documents d’identité pour collecter des fonds auprès d’agences de transferts d’argent ou candidater à des programmes de travail leur permettant de gagner 5 dollars par jour en dégageant des décombres. L’un des 18 candidats à la présidentielle, me dit franchement: «Cette élection n’est pas pour les Haïtiens mais pour la communauté internationale.» Et en effet, c’est l’aide étrangère qui a réuni la quasi-totalité des 18 millions de dollars nécessaires au processus électoral.

Vers la fin de l’été 2010 je suis passée devant une manifestation au Champ de Mars, un parc du centre-ville de la capitale. Les manifestants chantaient en créole: «Nous ne voterons pas tant que nous vivrons dans des tentes.» Ayant voté deux ans plus tôt pour Barack Obama et obtenu en retour une réforme de l’assurance maladie, cela me semblait curieux; n’était-il pas évident qu’il fallait voter si l’on espérait des soins médicaux ou des logements? À Haïti cependant, j’allais apprendre que c’est «l’international» qui s’occupe de tout malgré un gouvernement de façade, et c’est ce que dénonçaient ces manifestants.

Trois mois avant le vote, j’ai rencontré Edmond Mulet, alors à la tête de la mission de l’ONU en Haïti, qui plaidait pour une élection dans les délais convenus. Mulet m’a expliqué que la construction de traditions démocratiques ne pouvait se faire que «pas à pas, pierre à pierre», par répétition. «Vous ne pouvez obtenir un système démocratique dans un pays comme Haïti d’un claquement de doigts, a-t-il détaillé. Vous devez tenir élection après élection pour consolider encore et encore le processus démocratique.» Cela ne peut se faire qu’avec le temps. «Seules les élections peuvent vous mener au pouvoir et apprendre le respect de la constitution et l’idée de loi.»

L’ironie de son propos ne m’est apparue que le jour de l’élection, alors que je me rendais d’un bureau de vote à un autre, interrogeant des personnes qui ne trouvaient pas leur nom sur les listes électorales bien qu’y figuraient ceux de personnes décédées durant le tremblement de terre. D’autres réfugiés vivaient désormais trop loin de leur bureau de vote pour s’y rendre. Dans son nouveau livre, Aid State: Elite Panic, Disaster Capitalism and the Battle to Control Haiti (éd. St Martin’s Press, non traduit), Jake Johnston écrit que sur les 5000 électeurs au camp de réfugiés Corail, seuls 39 apparaissaient sur les listes électorales.
L’élection de décembre 2010 n’est pas pour les Haïtiens mais pour la communauté internationale.
Pendant que l’exaspération grandissait, Manigat, Martelly and dix autres candidats tinrent une conférence de presse à Port-au-Prince, jugeant l’élection d’avoir été truquée au profit de Célestin. Dans l’après-midi des manifestations spontanées survinrent dans le pays, forçant les bureaux de vote à fermer plus tôt que prévu. Au total, seul 22% des inscrits purent faire entendre leur voix.

Le 7 décembre 2010, Manigat et Célestin furent déclarés premier et deuxième, tandis que Martelly arrivait troisième avec moins de 1% d’écart avec Célestin. Les résultats n’étant pas ceux espérés par le Core Group, l’ambassade américaine a immédiatement émis des doutes sur les chiffres, s’appuyant sur un sondage à la sortie des urnes organisé à Port-au-Prince. L’OEA fut chargée d’évaluer les résultats mais, comme le note Jake Johnston, six membres de la mission électorale étant de nationalité française, américaine ou canadienne, cela «disait bien qui tenait les cartes». S’appuyant sur 8% de la feuille de pointage seulement, la mission recommanda que Martelly, et non Célestin, soit au second tour. Jake Johnston et des chercheurs en politique ont également cherché à analyser les résultats de plus de 11000 bureaux de vote, ne trouvant aucune raison valable à cette recommandation.

Selon Johnston, Mulet s’est immiscé dans les affaires haïtiennes pour imposer sa feuille de route. Il aurait notamment essayé de faire sortir Préval du pays le jour de l’élection et de dicter les résultats au conseil électoral alors que celui-ci était toujours en train de compter les votes. La proposition de Préval de tenir une nouvelle élection fut catégoriquement rejetée et les dirigeants américains continuaient à faire pression: l’ambassadrice de l’ONU en Haïti, Susan Rice, a conditionné l’aide extérieure à la reconstruction et l’humanitaire aux résultats de l’élection. «Un processus crédible représentant la volonté du peuple haïtien est nécessaire pour un soutien durable de la communauté internationale et des États-Unis», a-t-elle averti lors d’un débat au conseil de sécurité.

Le 30 janvier, Hillary Clinton s’est rendue en Haïti pour rencontrer les trois candidats favoris et a déclaré à la radio locale, selon les mots de Johnston, «que les États-Unis étaient en accord avec les conclusions de l’OEA et ses recommandations… mais qu’il s’agissait d’un sujet strictement haïtien». Le soir, elle a dîné avec Préval et son Premier ministre. Peu après, le conseil électoral a annoncé être en accord avec l’OEA et remplacer Célestin par Martelly au second tour.

Pourquoi le Core Group a-t-il tourné le dos à Préval et son candidat? À l’automne 2010 la reconstruction avançant lentement et la population haïtienne mourant du choléra, les journalistes américains critiquèrent les programmes d’aide humanitaire. Au même moment Martelly choisit de se peindre en candidat pro-business tourné vers l’avenir, prêt à collaborer avec le Core Group comme avec des investisseurs étrangers associés à la philanthropie de Bill Clinton, notamment via la Clinton Global Initiative. Préval a lui renforcé les liens avec Cuba et le Venezuela lorsque c’était dans l’intérêt du pays. Cela n’a plu ni aux États-Unis ni aux compagnies pétrolières, et Préval ne souhaitant pas non plus flatter les investisseurs étrangers, il allait devenir un bouc-émissaire.

L’investiture de Martelly eut lieu le 14 mai 2011. Pendant cinq ans, il consolida le pouvoir du PHTK et gouverna par décrets. Une enquête de l’ONU de 2023 suggère qu’il aurait créé et armé un gang. Il était également à la tête d’un détournement de fonds de centaines de millions de dollars provenant du programme d’aide PetroCaribe, dans le cadre duquel le gouvernement vénézuélien vendait du pétrole brut à des tarifs préférentiels. En 2016, le successeur qu’il s’était choisi, Jovenel Moïse, qui, selon les révélations de Johnston, avait déjà bien profité de l’argent destiné à l’humanitaire, a gagné les élections avec un taux de participation de 18%. Une fois au pouvoir, il a choisi de réprimer violemment les mouvements anticorruption, parfois avec l’aide de gangs, et d’emprisonner les dissidents.

Depuis 1959 au moins et la formation de la milice des «Tontons Macoutes», existent par périodes des groupes armés non-officiellement affiliés à l’État. Les gangs qui sont apparus durant le mandat de Moïse étaient cependant d’un autre ordre. Un rapport de 2021 de la faculté de droit d’Harvard et de l’Observatoire haïtien des crimes contre l’humanité s’est penché sur trois massacres commis par ces groupes entre 2018 et 2020, faisant au moins 240 victimes civiles. Le gouvernement de Moïse a qualifié ces massacres de règlements de comptes mais le rapport montre que ces groupes avaient le soutien de hauts fonctionnaires fournissant des armes, des véhicules, et même des miliciens. Jimmy Chérizier, dit Barbecue, un ancien policier ayant changé de camp était impliqué dans les trois massacres, selon le rapport. Considéré comme un des chefs les plus violents des quelque 200 gangs présents en Haïti, il réclame désormais d’être impliqué dans la transition politique en tant que révolutionnaire au service des plus démunis, alors même que son organisation, G9, assiège la capitale et assassine ses habitants.

Moïse pouvait aussi compter sur le soutien de la communauté internationale, et en particulier des États-Unis. Haïti n’avait pas autant à offrir aujourd’hui qu’au siècle dernier mais pouvait toujours profiter de sa position d’allié local et promettre une stabilité à court terme tout en autorisant les déportations de ses citoyens.
En 2018, Donald Trump qualifiait Haïti de «shithole country.
l’année suivante, après que Moïse vota pour expulser le Venezuela de l’OEA, il fut invité par Trump à Mar-a-Lago pour discuter d’investissements régionaux.

L’administration Biden n’a pas été beaucoup plus vigilante. En 2021, tandis que la durée du mandat de Moïse était contestée, Joe Biden apporta son soutien au président haïtien demandant une année supplémentaire au pouvoir, malgré les objections d’universitaires et de la majorité du peuple haïtien. L’opposition américaine aux efforts déployés par Moïse pour un référendum constitutionnel concentrant le pouvoir dans sa branche exécutive ne vint qu’après des mois de tergiversation. En dépit de ses succès à l’international, Moïse n’a su convaincre la population haïtienne. Il fut assassiné en juillet 2021 par des mercenaires colombiens dont le commanditaire reste inconnu. Il avait alors retardé les élections depuis si longtemps qu’aucune ligne de succession ne se dessinait. Ariel Henry ayant été nommé Premier ministre sans être entré en fonction, le Core Group l’encouragea fortement à former un gouvernement, ce qui permit de faire taire les oppositions ayant signé l’accord de Montana qui demandait la création d’un organe de consensus transitoire.

Henry a pu profiter du soutien du Core Group alors qu’il refusait la tenue d’élections et les négociations avec d’autres entités politiques, ignorait les oppositions entendues devant le Congrès américain et donnait les clés de la ville aux gangs. Le Core Group l’a soutenu alors qu’il devenait la risée de son pays: une chanson populaire le compare à un ouragan. «Le passage d’Ariel a détruit mon pays, je n’ai plus de maison, rien à manger, rien à boire, pas d’arbre pour m’ombrager alors que le soleil tape!» C’est probablement lui donner trop d’importance que de comparer Henry à une catastrophe naturelle mais l’analogie rappelle qu’une succession de régimes non-démocratiques soutenus par des puissances étrangères ont largement participé à la destruction d’Haïti. Et les habitants ne peuvent qu’attendre la fin de la tempête pour faire l’état des lieux. 

© The New York Review of Books. ...

Pauvreté, violence, instabilité politique... Le pays caribéen semble plongé dans un perpétuel marasme. La faute aux séismes et ouragans qui frappent régulièrement l’île ? Il semble qu’il faille plutôt chercher du côté des influences étrangères. Lorsqu’Ariel Henry a quitté ses fonctions le 25 avril dernier, peu sont les Haïtiens qui l’ont regretté. Pendant ses trente-deux mois en tant que Premier ministre – le plus long mandat depuis 1987 –, la situation n’a cessé de se dégrader. Au cours des cinq dernières années, des groupes armés ont semé la terreur à Port-au-Prince et la violence s’est encore intensifiée depuis le début d’année. Le 29 février, ils ont lancé une révolte de grande envergure, libérant quelque 4700 détenus de deux prisons, échangeant des coups de feu avec une police en sous-effectif, incendiant des commissariats, attaquant des banques et des résidences privées et, finalement, provoquant la fermeture de l’aéroport. Quand le soulèvement a débuté, Ariel Henry était à Nairobi en train de conclure un accord d’intervention étrangère soutenu par l’ONU et négocié par les États-Unis. Le Kenya était censé mener une «mission multinationale d’appui à la sécurité», mobilisant notamment un millier de policiers du pays d’Afrique de l’Est, un nombre jugé insuffisant pour apaiser la situation en Haïti. Le 5 mars, le Premier ministre tenta de rentrer à Port-au-Prince mais il en fut empêché par des gangs bloquant l’accès aux pistes d’atterrissage. Les autorités dominicaines ayant également refusé d’ouvrir leurs aéroports, il a dû atterrir à Porto Rico. Une semaine plus tard, il annonçait…

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