USINE MIDUAL - ANGERS - 11/12/2020 OLIVIER MIDYPHOTO ©BRUNO DES GAYETSBRUNO DES GAYETS 21 RUE MAUBLANC 75015 PARIS Tél. : 33 (0)9 50 38 16 49 Mobile : 33 (0)6 62 65 24 00 bdg@nikoja.com www.nikoja.com

Le deux-roues de la fortune

par Philippe Doucet

La France du goût et de l’élégance ne se résume plus au champagne, au foie gras et à la maroquinerie. Le luxe tricolore compte aujourd’hui deux nouveaux labels appartenant à l’univers du deux-roues. Pour qui ? Pourquoi ?
Les « KHOL », ça vous dit quelque chose ? Non, il ne s’agit pas d’une tribu amérindienne. Encore moins d’une variété de cosmétiques. Pas plus qu’un plat africain. En langage d’initié, les « KHOL » signifient « Kering-Hermès-L’Oréal-LVMH ». Quatre entreprises françaises qui affichent depuis plusieurs années d’importantes progressions en bourse. Les astres sont  alignés en matière de luxe pour l’industrie française. Ses produits s’arrachent à New York comme à Dubaï ou Tokyo.

Avec Brough Superior et Midual, deux labels tricolores, le deux-roues fait désormais partie de cet univers élitiste. Qu’est-ce qui définit un produit de luxe ? Certes, son prix. De 66 000 à 180 000 € pour machines produites par Brough, pas moins de 163 000 à 175 000 € pour celles de Midual. Mais aussi sa rareté : un peu plus de 300 machines cédées pour le premier depuis 2016, une trentaine pour le second depuis 2018. Qui s’offre une Brough Superior ou une Midual ? Difficile de le savoir, car les acheteurs tiennent à rester discrets. Pensez
donc, si ma famille, mes amis, ou même mon voisin apprenaient que je me suis offert une moto de ce prix, qu’en penseraient-ils ? Tout au plus apprendrons-nous par Olivier Midy, le fondateur et dirigeant de Midual, que le patron d’un grand distributeur automobile a pris livraison d’un engin de la marque. Pas la même retenue outre-Atlantique, où Jay Leno, vedette de la télévision depuis plusieurs décennies, affiche sa somptueuse collection de véhicules. Mieux, il n’hésite pas à faire publiquement la promotion de Brough Superior, dont il possède près d’une trentaine d’exemplaires d’avant-guerre.
Posséder la moto de la marque favorite de Lawrence d’Arabie n’est pas rien pour certains.
Le portrait type de l’acheteur l’une de ces motos d’exception, ce n’est pas une surprise, est un homme. Il a entre 50 et 65 ans. Il a d’autres véhicules. C’est un acteur du monde des affaires, mais il a toujours été très attiré par la mécanique. Petite variante, il appartient parfois au monde du show-business ou du sport, et plus particulièrement à l’univers du ballon rond. « Ils possèdent déjà plusieurs motos, à l’instar des collectionneurs de voitures », estime Albert Castaigne, le directeur général de Brough Superior. « Nous vendons plus du luxe que de la moto », ajoute-t-il. Le prestige de la marque compte également pour beaucoup. Exclusif pour Midual, historique pour Brough Superior – posséder la moto de la marque favorite de Lawrence d’Arabie n’est pas rien pour certains, on achète là un bout d’histoire. Aucune des deux marques ne produit de lucratives « séries limitées », artifice courant chez les constructeurs d’automobiles. « De la cosmétique ! », tonne Albert Castaigne. Selon les deux marques, cela explique que ces motos valent le prix d’une maison de campagne – du moins pour la Midual.  Ici, le client est roi. Coloris, matériaux de finition, choix des accessoires : tout est possible et tout peut être unique. Les composants constituant ces machines sont pour leur quasi-totalité « faits à maison ». « Tout est fabriqué en interne et, sauf rares exceptions, les pièces achetées à l’extérieur sont 100 % made in France », précise Albert Castaigne. L’assemblage, évidemment effectué à la main, exige un personnel très compétent, donc plus coûteux. Le prix de revient, tenant compte notamment de l’homologation, des moules, de l’outillage, demeure élevé. « Si nous investissons un million d’euros sur un nouveau modèle, cela signifie un coût de 10 000 € par machine pour une centaine produites »,
justifie Albert Castaigne. Il y a enfin la marge du constructeur. Pas question de compter sur le nombre : chaque exemplaire doit dégager un solide bénéfice pour garantir la pérennité de l’entreprise. Mais en définitive, ces motos sont des motos dont on n’a pas besoin. Le seul fait d’en posséder un exemplaire suffit à satisfaire son propriétaire.

 

Olivier Midy, fondateur et patron de Midual.
Sur une moto, je sais  que je suis vivant. À son guidon, même le quotidien me paraît étrange et glorieux.
Au-delà de ce qui peut paraître un achat ostentatoire, l’acquisition d’une machine produite par l’une des deux marques relève aussi du parcours initiatique. On appelle pour prendre
des nouvelles de l’évolution de la fabrication de sa moto, et quand arrive le jour de la livraison, on n’hésite pas à passer une journée à l’usine, pardon, à l’atelier, pour échanger avec tous ceux qui ont participé à sa naissance. Il y a sans doute une part d’enfance satisfaite à coups d’espèces sonnantes et trébuchantes.

L’irrationnel. C’est la passion qui préside toujours à l’achat d’une moto, même s’il s’agit d’un modeste engin chinois. Pour ceux qui la chevauchent, la moto est un emblème de liberté et, si on ne la respecte pas, également de mort. Elle établit aux yeux de son pilote un lien subtil entre le trivial et le tragique, le profane et le sacré. « Sur une moto, je sais que je suis  vivant. À son guidon, même le quotidien me paraît étrange et glorieux », a écrit l’un d’entre eux. Pour Georges Bernanos, grand amateur de deux-roues, la moto incarne « un esprit de jeunesse, un risque à prendre et à accepter. »

Brough Superior S.S.100 Originale.

La symbolique de la mécanique est une autre dimension à prendre en compte. Elle est pour certains un compendium de progrès et de modernité, et même bien plus, à l’instar de la voiture. À son égard, Luc Ferry prend, en 2015, des accents lyriques : « Elle est d’abord un formidable outil d’aventure, synonyme de liberté. Pouvoir partir quand on veut, où
on veut, avec qui on veut, est une  avancée extraordinaire. Ensuite, il y a dans la voiture une intelligence cristallisée. On y retrouve la quintessence du génie humain même. On peut difficilement faire plus intelligents qu’un moteur bien fait et qu’une voiture bien dessinée. » Qui poursuit : « La Jaguar type D, celle qui a gagné Le Mans en 1955 vaut 15 millions
d’euros. Une Ferrari 250 GTO est estimée à 30 millions d’euros ! Ces prix fous n’ont évidemment aucun rapport avec l’utilité de cet objet, qui ne sert pratiquement à rien. C’est fascinant. On paye des œuvres d’art sur roues. »

Les motos Brough Superior et Midual sont-elles des œuvres  d’art ? La réponse est évidemment positive pour leurs riches acheteurs, pour qui elles représentent un moyen d’appréhender une forme d’invisible, qui se fonde sur une intelligence collective sublimée par l’esthétique. Cela n’a que peu de choses à voir à ce que l’on peut ressentir devant la toile d’un grand maître acquis également à prix d’or, et discrètement accrochée à un mur d’une opulente demeure. Une moto, cela fait du bruit, cela vibre, cela appelle au dépassement de soi.
Brough Superior et Midual  représentent aussi deux aventures industrielles étonnantes.
Mais le possesseur d’une Brough ou d’une Midual roule-t-il avec sa machine ? La réponse est : plus volontiers avec une Brough Superior qu’avec une Midual, elle plus propice à la
contemplation. Mais quelques-uns ne résistent pas au plaisir d’une balade sur la selle d’une Midual. On parle même d’une ou deux chutes. On imagine le prix des réparations…

Brough Superior S.S.100 Originale.

Exter Midual.

Brough Superior et Midual représentent aussi deux aventures industrielles étonnantes qui mettent fin à plusieurs décennies de tragédie française. Alors que les constructeurs de motos allemands, britanniques et italiens ont su perpétuer la tradition mécanique de leur pays, la France a, depuis près de quarante ans, a accumulé les échecs. Avant Brough Superior et Midual, il y a eu MF (la « Moto Française »), qui de 1981 à 1983,a tenté de vendre des machines dotées d’un petit moteur Citroën. Moins de 100 exemplaires vendus. Et aussi, lancée
un an plus tard, BFG (les initiales de ses fondateurs Louis Boccardo, Dominique Favario et Thierry Grange). « Un projet bien plus intéressant, mais le design avait été oublié », estime
le patron de Midual. La marque cessera son activité en 1988, après 650 machines produites. Surtout, il y a eu Voxan, le grand espoir déçu de la seconde moitié des années 1990. Des motos bien dessinées, une formidable mécanique à propos de laquelle la presse avait été unanime, une usine bien dimensionnée située à Issoire, près de Clermont-Ferrand. L’aventure s’arrêta en 2002. Qu’a-t-il manqué à Voxan ? De l’argent. C’est comme si on avait mis un peu d’essence dans un avion, suffisamment pour le faire décoller, mais pas assez pour qu’il puisse rallier l’escale. En 1990, quand John Bloor, magnat britannique de l’immobilier, a relancé les motos Triumph, il a injecté près de 80 millions d’euros de l’époque, et a attendu de
longues années avant d’encaisser les premiers bénéfices.

Brough Superior et Midual ont procédé différemment. Plutôt que de se noyer dans d’ambitieux projets, les deux firmes ont misé sur de petites structures (une dizaine de personnes
pour le premier, une trentaine pour le second) capables de se financer au fur et à mesure avec des produits dégageant de belles marges : le luxe, et même le grand luxe, était la seule voie possible. Mais peut-on être certain de compter parmi le club assez fermé des entreprises reconnues du luxe mondial ? Ce sera plus facile pour Brough. L’entreprise, jadis britannique, a existé de 1919 à 1939. Elle n’a pas disparu de façon dramatique. Simplement, George Brough, son fondateur, a décidé de ne plus continuer après la Seconde Guerre  mondiale. Cette belle au bois dormant a été acquise auprès de sujets anglais, qui l’avaient eux-mêmes achetée à des héritiers de George Brough, par un équipage français dirigé
par Thierry Henriette et Albert Castaigne, président et directeur général, deux noms connus du monde de la moto.
Si Midual est une marque plus récente, elle peut déjà compter sur une certaine réputation.
Si Midual n’a pas la même antériorité, la marque peut déjà compter sur une certaine réputation. Horacio Pagani, le créateur de supercars égales de celles de Ferrari, et qui portent son nom,  s’est exclamé à la découverte de la Midual : « Ce sont les Pagani de la moto ! » L’extraordinaire capacité de création, de conception, et de fabrication de la firme située près d’Angers est son principal atout. Olivier Midy a fondé l’entreprise en 2014 avec son frère. Le laid ne se vend pas : les Midual sont belles, leur ligne brille d’un éclat métallique. « Le
métal doit se voir », dit Olivier Midy, en caressant l’une d’entre elles. À l’intérieur de la fabrique des Midual, l’ambiance est silencieuse. Nous sommes plutôt au sein d’un atelier d’horlogerie. Une myriade de petites boîtes impeccablement alignées garnissent les rayonnages. Elles contiennent « l’accastillage » de la machine : raccords, durites, vis, dont certaines sont fabriquées ici.

Brough Superior… Une légende, un mythe. La moto de Lawrence d’Arabie, qui en aura sept. Il se tuera avec l’une d’elles. La « Rolls-Royce de la moto », disait une publicité de l’époque. Avec les MV italiennes, les anciennes Brough Superior sont toujours les vedettes des ventes aux enchères. Les machines actuelles sont fabriquées à une dizaine de kilomètres de Toulouse. Elles baignent dans la tradition aéronautique. Le frein avant fait appel à une technologie cousine de celle utilisée pour ralentir les Airbus. Le châssis en titane ? On trouve le même métal dans les avions. D’ailleurs, le fournisseur est celui du constructeur d’avions. Le moteur, conçu bien entendu en interne, est un gracieux bicylindre en v. Certains modèles sont distribués par Aston Martin.

On pourra néanmoins voir dans ces coûteuses motos l’expression d’un luxe délirant inaccessible aux infortunés, passionnés ou spéculateurs, les mêm es qui écument les ventes aux enchères internationales avec l’espoir de réaliser un jour une plus-value financière. Brough Superior et Midual sont en ce sens le reflet d’une époque, celle d’un capitalisme mondialisé
permettant à une riche élite de s’offrir ses convoitises. L’industrie du grand luxe produit cependant, par ses retombées économiques, notamment en termes d’emplois, une indéniable création de richesses. Parfois, par son influence sur des marques plus populaires, elle permet aux moins fortunés de s’offrir une aussi part de rêve. Brough Superior et Midual sont des sortes d’artistes-artisans qui, par leur audace et leur persévérance, ont le pari d’entrer dans l’univers fermer du grand luxe....

La France du goût et de l’élégance ne se résume plus au champagne, au foie gras et à la maroquinerie. Le luxe tricolore compte aujourd’hui deux nouveaux labels appartenant à l’univers du deux-roues. Pour qui ? Pourquoi ? Les « KHOL », ça vous dit quelque chose ? Non, il ne s’agit pas d’une tribu amérindienne. Encore moins d’une variété de cosmétiques. Pas plus qu’un plat africain. En langage d’initié, les « KHOL » signifient « Kering-Hermès-L’Oréal-LVMH ». Quatre entreprises françaises qui affichent depuis plusieurs années d’importantes progressions en bourse. Les astres sont  alignés en matière de luxe pour l’industrie française. Ses produits s’arrachent à New York comme à Dubaï ou Tokyo. Avec Brough Superior et Midual, deux labels tricolores, le deux-roues fait désormais partie de cet univers élitiste. Qu’est-ce qui définit un produit de luxe ? Certes, son prix. De 66 000 à 180 000 € pour machines produites par Brough, pas moins de 163 000 à 175 000 € pour celles de Midual. Mais aussi sa rareté : un peu plus de 300 machines cédées pour le premier depuis 2016, une trentaine pour le second depuis 2018. Qui s’offre une Brough Superior ou une Midual ? Difficile de le savoir, car les acheteurs tiennent à rester discrets. Pensez donc, si ma famille, mes amis, ou même mon voisin apprenaient que je me suis offert une moto de ce prix, qu’en penseraient-ils ? Tout au plus apprendrons-nous par Olivier Midy, le fondateur et dirigeant de Midual, que le patron…

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