Étiquettes: BM33 • LE RENOUVEAU DU NUCLÉAIRE
Par Brice Lalonde
Pendant plusieurs décennies, la confusion a été entretenue entre antinucléaire et écologie. Au détriment d’un secteur français de pointe.
Dans les années 1970, j’étais hostile à l’énergie nucléaire que je voyais comme un exemple de l’arrogance technocratique et dont je craignais la radioactivité. Cinquante ans plus tard, je constate qu’elle est l’une des sources d’énergie les plus sûres et qu’elle ne contribue en rien au changement climatique. C’est en 1988, lorsque le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) a été créé, que j’ai changé d’avis et considéré que la tâche des écologistes devait être d’améliorer l’énergie nucléaire au lieu de la combattre. J’ai alors participé quelque temps aux travaux de l’association mondiale des exploitants d’installations nucléaires, la WANO (World Association of Nuclear Operators). C’était une façon de me familiariser avec la conduite d’une centrale nucléaire, côté réacteur, côté vapeur, côté personnel.
Je crois que le changement climatique rend le nucléaire indispensable pour fournir, avec l’hydraulique, le socle pilotable des réseaux électriques tandis que les sources renouvelables en sont le complément. L’électricité doit constituer la colonne vertébrale des systèmes énergétiques décarbonés. Sa part devra doubler dans la consommation. On aura donc besoin d’en produire plus, notamment pour alimenter l’industrie des données.
Les techniques nucléaires ne sont pas figées une fois pour toutes. Le nucléaire évolue. J’accorde beaucoup d’importance à la gestion des déchets de longue durée, et particulièrement à leur transmutation dans des réacteurs à neutrons rapides. Il me semble que la France devrait dès maintenant mettre ceux-ci en œuvre car le temps nucléaire est assez long alors que le centre de stockage de Cigeo n’a pas été conçu pour accueillir les futurs déchets de la génération des EPR et que la France dispose d’un important stock d’uranium que ce type de centrales peut valoriser.
Je suis admiratif des entreprises privées qui se lancent dans les SMR, ces petits réacteurs modulaires dont l’avenir se dessine aujourd’hui dans la production de chaleur et d’électricité pour une usine, une ville, une île. Je pense par exemple à la Nouvelle-Calédonie et son nickel.
Alors, quelle doit être la place du nucléaire dans la transition énergétique? En une phrase, le nucléaire devrait remplacer les centrales à charbon. Il y en a beaucoup!
Bien sûr, il y a des sujets politiques. La renaissance du nucléaire affronte encore une opposition politique et un sentiment diffus dans la population accordant à l’atome un statut d’exception technologique. C’est largement dû au formidable succès d’une minorité active, celle des antinucléaires, confondus pour partie avec les écologistes. Ils n’ont cessé pendant un demi-siècle de marteler leur opposition à l’énergie nucléaire au point que la population a fini par assimiler le refus du nucléaire à la protection de la nature.
Le virage des États-Unis à la suite de Three Miles Island, le désastre de Tchernobyl suivi de l’écroulement de l’URSS, la confusion antre les victimes du tsunami et l’accident de Fukushima, puis l’Energiewende de l’Allemagne, ont évidemment joué leur rôle pour donner apparemment raison aux antinucléaires. Les verts ont accédé au pouvoir. Qu’y avait-il de plus simple pour eux à revendiquer dans le méli-mélo écologiste qu’une victoire contre le nucléaire? Un parti a besoin d’ennemis et celui-là était facile à identifier. Il a manqué alors un fort leadership scientifique et politique pour défendre l’énergie nucléaire. L’abandon de Superphénix, la suspension des programmes furent de très graves erreurs que nous payons aujourd’hui, avec une lourde perte d’hommes et de compétences. Quant à la fermeture de Fessenheim (décidée formellement par François Hollande, mise en œuvre par Emmanuel Macron en 2020, célébrée par Élisabeth Borne qui annonça dans la foulée qu’il fallait encore fermer 14 autres réacteurs), je n’en reviens toujours pas. Heureusement, le Parlement s’honora de créer cette fameuse «commission sur les raisons de la perte de souveraineté énergétique de la France». Mais il était bien tard.
Pourquoi le peuple n’a-t-il pas réagi? La politique de l’énergie n’est pas facile à comprendre dès qu’on s’éloigne du prix que l’on paie pour se chauffer et s’éclairer. La première génération des centrales nucléaires fonctionnait à la satisfaction générale, le changement climatique n’avait pas encore tué, l’Union européenne démantelait tranquillement nos services publics et la Commission reprenait volontiers les thèses allemandes hostiles au nucléaire. Pourquoi s’inquiéter? J’ajoute qu’EDF, qui avait pour habitude d’obéir à l’État, hésitait entre l’attitude d’un fournisseur d’électricité quelle que soit la technique de production et celle d’un producteur d’électricité nucléaire assumé. La France eut alors le nucléaire honteux alors que son empreinte carbone était l’une des plus réduites du monde développé. C’était particulièrement difficile de s’élever contre l’air antinucléaire du temps.
Les citoyens sont-ils suffisamment informés aujourd’hui pour qu’ils puissent soutenir le nucléaire? Je ne sais s’il faut leur distribuer toujours plus d’informations. Avec Internet, nos concitoyens ont tout pour s’informer eux-mêmes. Je crois que les voisins d’une centrale, ceux qui connaissent un membre du personnel, les maires des alentours sont le meilleur exemple du soutien, ou de l’indifférence bienveillante, des Français vis-à-vis du nucléaire.
Les antinucléaires ont diffusé la peur de la radioactivité que le corps humain n’appréhende pas. Certes, on peut dire la même chose des microbes, cependant l’image des combinaisons de protection et celle du trèfle de la signalétique de sécurité ont renforcé l’impression de danger... Pendant longtemps a couvé une polémique sur les faibles doses. Peut-être faut-il enseigner la radioactivité et les moyens de la mesurer. Nous avons en ce moment des difficultés avec le savoir scientifique et technique…
Lorsque j’étais au gouvernement j’avais demandé à l’Institut de protection et de sûreté nucléaire (IPSN devenu IRSN) de produire un spectromètre que l’on pouvait appliquer sur une salade ou autre chose pour voir si elles émettaient un rayonnement supérieur aux normes. C’était après Tchernobyl et les parents ukrainiens, biélorusses ou européens (le Mur n’était pas tombé) s’inquiétaient de savoir s’ils pouvaient laisser leurs enfants jouer dans le jardin. Le compteur devait être fiable et bon marché.
Nos arrière-grands-parents se sont habitués à la présence dans le salon d’un baromètre à côté de l’horloge et à tapoter dessus. Peut-être peut-on ajouter un radiamètre pour surveiller l’air ambient. Le risque est d’inquiéter plus que rassurer, mais il arrive qu’un hôpital, un chantier perde une source radioactive. Et je crains le retour des guerres. L’État entretient bien un réseau de balises, mais la confiance dans sa communication fait parfois défaut.
D’une manière générale, je souhaite que nos dirigeants politiques concluent un accord mondial pour supprimer les armes nucléaires, développer les usages pacifiques du nucléaire et renforcer l’agence de l’énergie atomique des Nations unies.
Militant du mouvement écologiste, dont il fut candidat à la présidentielle de 1981, Brice Lalonde a été conseiller du Pacte mondial des Nations unies, secrétaire général adjoint de l’ONU et coordonnateur de la Conférence Rio+20. Il est président d’Équilibre des énergies....
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