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par Jean-Christophe Bas
Face à des défis qui se jouent de plus en à l’échelle globale, le nationalisme perdure et il manque encore une force citoyenne unifiée.
«We the peoples of the United Nations determined to save succeeding generations from the scourge of war…» La promesse édictée dans le préambule de la Déclaration des Nations Unies adoptée en juin 1945 était porteuse d’espérance. Force est de constater cependant que ce «Nous, peuples des Nations Unies…» ne s’est pas traduit par l’établissement d’une communauté citoyenne mondiale, d’une opinion publique déterminée à s’engager au-delà des frontières nationales sur les enjeux globaux, pour la préservation de la paix et le respect des droits des personnes. Face à des États-nations ancrés dans la défense de leurs intérêts, les «peuples des Nations Unies» ne sont jamais vraiment parvenus à s’ériger en force citoyenne unifiée.
Un formidable vent d’espoir s’était levé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale sous l’impulsion de Garry Davis, pacifiste américain qui créa, en 1948, le mouvement des Citoyens du monde avec pour objectif d’organiser des votes à l’échelle de la planète et de proposer une mondialisation égalitaire grâce à une forte implication démocratique des citoyens, l’usage de l’espéranto, des propositions d’alternatives institutionnelles à travers, notamment, le «congrès des peuples». Après avoir renoncé à la nationalité américaine, Davis crée en 1954 l’organisation World Service Authority dont le but était d’éduquer et promouvoir la «citoyenneté mondiale», favoriser la «loi mondiale.» Il demeure dans les mémoires pour la création du passeport mondial et du registre des citoyens du monde qui compta plus de 750000 noms. Le mouvement connut un véritable élan chez les intellectuels, soutenu notamment par Albert Camus, André Breton et bien d’autres. Le 19 novembre 1948, Davis interrompit la réunion de l’assemblée générale des Nations Unies en déclarant: «Nous, les peuples, voulons la paix que seul un gouvernement du monde peut nous donner.
Un formidable vent
d’espoir s’était levé
au lendemain de
la Seconde Guerre
mondiale.
Les États souverains que vous représentez nous divisent et nous conduisent vers les abysses d’une guerre totale.» Preuve de la réussite de sa démarche, Davis utilisa pour la première fois son passeport mondial pour se rendre en Inde en 1956, et des pays tels que le Burkina Faso, l’Équateur, la Mauritanie, la Tanzanie ont reconnu le document.
Cette belle utopie s’est rapidement fracassée sur le mur de la souveraineté des États et des gouvernements, peu enclins à se laisser déposséder de leur monopole des relations internationales et de prendre le risque d’être débordés par de possibles mobilisations citoyennes incontrôlées. Faisant dire à Hubert Védrine dans son Dictionnaire amoureux de la géopolitique: «La communauté internationale est un objectif. Elle reste à créer. Comment? La proclamation du caractère universel de nos valeurs ne suffit pas. Peut-être cela viendra-t-il d’une prise de conscience des interdépendances vitales et organiques accélérée par la pandémie (du Covid-19), d’une communauté de destin mondial, non proclamée mais ressentie, et donc d’une écologisation généralisée qui aille plus vite que la dégradation des conditions de vie sur la planète.»
Comme le note Anne-Cécile Robert dans Le Défi de la paix: «La mobilisation des citoyens parait donc essentielle, surtout quand l’histoire semble hésiter à basculer ou à maintenir des équilibres face à la paix. Il est temps que le camp de la paix s’organise.»
Pour le moment, en dépit de défis de nature existentielle tels que l’usage de l’Intelligence artificielle, le retour des Empires et de la force sur le droit, l’émergence d’une «Internationale réactionnaire», l’intensification des conflits en Ukraine, au Moyen-Orient et dans d’autres parties, les «Peuples des Nations Unies» restent sans voix.
Jean-Christophe Bas, vice-président de l’Institut Aspen France, est professeur à l’Institut des relations internationales et stratégiques....
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