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“Et si nous allions nous faire voir ailleurs ?”

Propos recueillis par William Emmanuel

Ce qu’on déduit du spectacle des phénomènes de notre monde nous trompe, estime le physicien, qui aborde la science comme une discipline sportive pour surmonter la dissociation entre le corps et l’esprit.

Le mot physique existe à la fois au masculin et au féminin. Ce qui ouvre des perspectives insoupçonnées quand on aborde la question de l’esprit ou de l’âme et du corps. Depuis l’Antiquité, les penseurs ont écrit des milliers de pages sur le sujet. Est-ce l’esprit qui anime le corps ou le corps qui fait vivre l’esprit ? Physicien et philosophe des sciences, directeur de recherches au CEA et professeur à l’École centrale de Paris, Étienne Klein poursuit cette exploration. Dans son dernier livre, Transports physiques (éd. Gallimard), il fait appel aux théories les plus élaborées comme aux exemples les plus simples pour essayer de nous faire comprendre comme nos sens parviennent à fausser notre lecture du monde. « La nuit n’est pas intrinsèquement noire ; ce sont les limitations de nos sens qui nous la font apparaître telle », écrit-il ainsi en rappelant que le ciel est, en permanence, « le théâtre de tempêtes à la fois éclatantes et discrètes ». Un entretien avec Étienne Klein est un réel plaisir. Alors que la science est attaquée, il nous invite à lever la tête, à regarder vers les étoiles, à aller voir ailleurs.

L’étude des questions physiques conduit-elle à la métaphysique ?

Les transports physiques dont je parle sont en effet d’ordre quasi métaphysique. Plus précisément, ils relèvent de l’« exotopie », autrement dit de l’art d’aller se faire voir ailleurs : par la pensée, on s’extrait des conditions physiques très spéciales dans lesquelles nous vivons ici-bas pour tenter de comprendre ce qui se passerait si nous trouvions dans un autre contexte, par exemple dans le vide ou au bord d’un trou noir. De telles « expériences de pensée », comme on les appelle, sont indispensables, car les lois physiques, les « vraies », celles qui valent dans l’univers, ne sont pas directement lisibles dans notre monde terrestre. Pour les trouver, il a fallu des siècles de labeur et de tâtonnements de la part d’esprits singuliers qui ont habilement contesté les formes de nos connaissances, y compris les plus habituelles et les mieux assurées. Je me dis souvent que cette marche aurait sans doute été notoirement raccourcie si Aristote ou ses épigones avaient pu effectuer un vol parabolique, autrement dit un vol « zéro G ». Lors de ces vols, l’avion et ses passagers suivent à plusieurs reprises, pendant quelques dizaines de secondes chaque fois, la trajectoire qu’aurait un objet lancé à la même vitesse dans le vide. Durant cette phase, les corps sont en impesanteur et les esprits, surpris de les voir évoluer autrement que d’habitude, comprennent qu’ils doivent revoir leurs a priori. Par exemple, ayant constaté à cette occasion que les corps matériels, en apparence libérés de leur poids, se déplacent en ligne droite à vitesse constante, peut-être Aristote et consorts seraient-ils redescendus de l’avion en psalmodiant les principes fondamentaux de la mécanique de Newton ?

 

 

Dans votre ouvrage, vous évoquez la dissociation corps/esprit. C’est une question qui passionne les philosophes depuis toujours. Comment cela impacte-t-il notre relation au monde ?

La séparation qu’on a pu faire entre cerveau et corps se relève assez poreuse : le cerveau alimente le corps en informations diverses et reçoit en retour des informations de la part du corps. Ce que nous appelons notre « esprit » participe donc d’un système plus grand que le seul cerveau puisque celui-ci est dynamiquement connecté à d’autres parties du corps. Les muscles, les articulations et les organes internes lui adressent des messages via les nerfs périphériques et certaines substances chimiques produites par l’activité du corps, tels les hormones ou les neurotransmetteurs, lui parviennent par voie sanguine. Plus récemment est apparu qu’à ces circuits sensoriels bien connus s’en ajoute un autre : celui de l’intestin. Le cerveau reçoit en effet des informations de la part des micro-organismes qui constituent ce qu’on appelle le « microbiote ».

En réalité, nous ne percevons pas directement que nous avons un cerveau, du fait de l’absence de terminaisons sensorielles dans le cortex cérébral, alors qu’elles abondent partout ailleurs dans l’organisme. Nul d’entre nous ne sent ses neurones s’exciter lorsqu’il entame un calcul, ni ses réseaux cérébraux s’activer lorsqu’il éprouve une émotion. D’ailleurs, quand j’étais enfant, j’ignorais l’existence de mon cerveau, de sorte que ma métaphysique existentielle était d’une simplicité biblique : il y avait le monde extérieur et moi dans mon corps. Il m’a fallu du temps pour comprendre que ma vue est à la fois limitée et partielle : mes yeux ne voient ni les atomes ni les galaxies lointaines, et ils me font croire, par exemple, que le ciel étoilé est calme, ordonné et harmonieux. Mais si je les troquais pour des détecteurs de particules ou de rayonnements, je constaterais que le ciel est en permanence le théâtre de tempêtes à la fois éclatantes et discrètes. Il abrite secrètement des violences inouïes, par exemple lorsque des étoiles en fin de vie se dilatent au point d’engloutir et de vaporiser en un instant les planètes qui gravitaient autour d’elles. Il se trouve de surcroît continuellement traversé par des flux intenses de toutes sortes de particules invisibles. La vérité, c’est donc que ça barde de partout dans le cosmos, qui est pourtant traditionnellement opposé au chaos. En comparaison, c’est notre Terre qui paraît bien calme…

Le 12 février dernier, la revue Nature annonçait qu’un neutrino d’ultra haute énergie avait pu être détectée dans la Méditerranée par 3 500 mètres de fond. « Ultra haute énergie », qu’est-ce que cela veut dire ? Qu’en l’occurrence, l’énergie cinétique qui a été mesurée est trente fois plus élevée que la plus grande valeur jamais enregistrée pour une telle particule : elle est grosso modo égale à celle d’une balle de ping-pong lancée à grande vitesse ! Nul ne sait dire précisément quels sont les phénomènes qui, dans l’univers, peuvent engendrer de telles fusées microscopiques, mais ce qui est certain, c’est qu’ils sont extrêmement violents et mettent en jeu des puissances colossales.

 

 

Peut-on dès lors envisager qu’il y ait une vie extraterrestre ?

Il y a de la vie sur la Terre et il y a de très nombreuses exoplanètes, ce qui ouvre à votre question. J’ignore s’il y a la vie ailleurs que sur Terre, mais comme tout le monde, je sais qu’il n’y en a pas à proximité de notre planète. Y en a-t-il plus loin ? Personne n’en sait rien. Ce que montre l’astrophysique contemporaine, c’est qu’il y a une extraordinaire diversité de mondes, une variété exubérante d’exoplanètes : toutes sont singulières. On en trouve de toutes tailles, des gazeuses, d’autres solides, certaines sans doute recouvertes d’océans, entourées d’une atmosphère… Il existe même des exoplanètes « errantes », c’est-à-dire non attachées gravitationnellement à une étoile. La Terre, quant à elle, a connu une évolution ponctuée de séquences très particulières advenant dans des contextes eux-mêmes peu banals. À chaque étape, la contingence a joué un rôle déterminant. De sorte qu’une exoplanète qui, vue de loin, ressemblerait à la Terre – même distance à l’étoile, même taille, même gravité, bref, une « exo-­Terre » – apparaîtrait très différente d’elle si on l’examinait de près. En clair, la somme des conditions qui ont orienté l’évolution de la Terre et les formes de vies conscientes et intelligentes qu’elle abrite pourraient n’avoir jamais été réunies ailleurs. Bien sûr, il ne s’agit là que d’un indice, non d’une preuve.

Ce que je crois, c’est que les exoplanètes nous demeureront inaccessibles, au sens où nous ne pourrons pas nous y rendre. Les plus proches étant situées à plusieurs années-lumière, un voyage de type « classique » vers l’une d’entre elles prendrait en effet des millions d’années. Il faudrait donc aimer à la folie être confiné, accepter joyeusement de se laisser traverser par une pluie dense et permanente de rayons cosmiques, et concevoir des enfants à un rythme permettant de renouveler l’équipage sans faire éclater le vaisseau sous la pression démographique... Peut-être des humains iront-ils sur Mars : six mois de voyage aller dans un minuscule habitacle, plusieurs mois sur place, six mois de voyage retour. Pas sûr qu’ils reviendront en bonne santé.

 

 

Est-ce que nous ne nous censurons pas en essayant de trouver des limites à l’univers ? De même qu’on dit que la vie extraterrestre est peu probable…

Dire qu’un événement est peu probable suppose qu’on ait fait un calcul de probabilité. En réalité, la réponse doit être : on n’en sait rien. L’argument statistique repose sur le fait qu’on découvre toujours davantage d’exoplanètes. On peut donc supposer qu’il peut y avoir des planètes tournant autour d’une étoile – comme dans le système solaire – mais cela reste une hypothèse. Et elle peut être insuffisante : l’apparition de la vie peut résulter d’un réglage fin, dont nous ne savons rien, dans la nature de chaque exoplanète.

 

 

Peut-on parler d’un ordre cosmique ? Les détecteurs que nous avons aujourd’hui remettent-ils en cause les travaux d’Einstein ?

Des tests cruciaux sont en cours. Il y a quelques semaines, une horloge atomique baptisée PHARAO a été lancée dans l’espace. Elle s’est accrochée sur l’ISS et orbite avec elle autour de notre planète. Elle devrait battre à un rythme très légèrement différent de celui d’une horloge laissée sur Terre au niveau de la mer, mais le fera-t-elle pile poil comme le prévoit la relativité générale, la théorie d’Einstein de la gravitation ? Suspense... Mon pari est que la réponse sera positive.

Reste que la cosmologie est face à deux problèmes. Depuis plusieurs décennies, certaines observations des galaxies invitent à supposer que la partie visible des galaxies est enveloppée par une masse énorme de matière invisible, de matière « noire ». Il y aurait en somme une matière « supplémentaire » qui agirait gravitationnellement mais n’émettrait pas de lumière. Cette matière est noire au sens où elle demeure mystérieuse, mais elle n’est nullement noire au sens physique du terme. Il s’agit plutôt d’une matière qui n’émet ni n’absorbe de lumière, qui est donc parfaitement transparente à la lumière. De quoi est-elle faite ? Se pourrait-il qu’elle soit constituée de particules que nous connaissons déjà, des particules qu’on trouve dans la matière ordinaire ? Les physiciens l’ont pensé, mais ne le pensent plus. Si elle existe, la matière noire est donc composée de particules radicalement nouvelles. Mais lesquelles ? Les physiciens théoriciens ont bien sûr des idées, comme d’habitude, mais ont-ils les bonnes ?

Par ailleurs, une récente étude menée par plus de 900 scientifiques pourrait changer notre description de l’histoire de l’univers. Utilisant les données recueillies par le télescope Mayall installé en Arizona, ils sont parvenus à déterminer précisément la répartition spatiale de millions de galaxies au sein de l’univers observable. Ces indications leur ont permis ensuite de retracer ce que fut l’évolution de l’accélération de l’expansion de l’univers durant les onze derniers milliards d’années. Si les résultats qu’ils viennent d’annoncer avec prudence se confirmaient, cela voudra dire que l’accélération de l’expansion de l’univers n’a pas été constante au fil du temps, contrairement à ce qui avait été imaginé ces dernières années. Il n’est pas facile de commenter un résultat scientifique qui ne s’énonce encore qu’au conditionnel. Il ne s’agit pas d’une preuve, seulement d’un indice. Il faut donc rester prudent : le juge de paix en la matière sera sans doute fourni par les résultats recueillis par le télescope spatial Euclide, conçu par l’ESA et lancé en juillet 2023, qui observe actuellement un nombre bien plus élevé de galaxies.

 

 

Quelle est votre approche métaphysique de ces questions ?

Je suis un être double. J’appartiens pleinement au monde, au monde terrestre, celui qui est à portée de nos sens. Comme tout le monde, j’y suis adapté, physiquement et intellectuellement. Mais je sais aussi que ce monde nous trompe à propos de l’univers dont il fait partie : selon les circonstances, il agit comme un trompe-l’œil, un voile, un écran, une caverne à la Platon d’un nouveau genre. Il y a de l’erreur dans son air, des leurres dans ses lueurs apparentes, des pièges sournois dans ce qu’il montre et semble démontrer. Non, la gravité ne fait pas tomber les corps lourds plus rapidement que les corps légers, contrairement à ce que montrent nos observations les plus courantes. Non, le Soleil ne tourne pas autour de la Terre, même si nous le voyons se lever tous les matins et se coucher tous les soirs.

 

 

N’avons-nous pas tendance à réduire notre compréhension de l’univers à nos limites humaines ?

Oui, mais il est vital de prendre acte d’un fait admirable : certains esprits ont au fil des siècles trouvé des stratagèmes intellectuels nous permettant de nous extraire, par la pensée, du monde terrestre au sein duquel nous sommes confinés. Ils ont mis au point des sortes de fusées intellectuelles qui nous émancipent du contexte dans lequel nos corps sont condamnés à vivre. Autrement dit, nous ne sommes pas tout à fait dans une prison. Nous pouvons nous évader, « aller nous faire voir ailleurs ». Mais il est vrai que les médias nous parlent plutôt de ce qui se passe sur Terre, en continu et toujours au présent. Cela a pour effet de « rabattre » notre esprit sur notre monde terrestre, pour reprendre un verbe cher au philosophe François Jullien. La compréhension de l’univers n’apparaît plus comme une priorité. Peut-être est-ce un effet de notre inquiétude à propos de ce que qu’il advient du vaisseau spatial qui nous a accueillis – la Terre. Je comprends bien qu’il y ait des urgences environnementales, mais la quête de connaissances me semble devoir être elle aussi défendue.

 

 

Il reste quelques personnes telles que Jeff Bezos ou Elon Musk qui promeuvent ce discours.

Sans doute, mais eux essaient d’offrir à l’idée de progrès l’occasion d’une rédemption. Or il y a une différence de taille entre Musk, par exemple, et Condorcet parlant de progrès. Condorcet considérait que le progrès devait s’appliquer au genre humain, c’est-à-dire à l’humanité toute entière. Musk pense quant à lui que l’humanité telle qu’elle est n’est pas durable et qu’en conséquence on doit offrir à quelques élus la possibilité d’aller se faire voir ailleurs. En somme, de se sauver en se sauvant. C’est un survivaliste.

 

 

En quoi est-ce nécessaire de comprendre l’univers ?

Nécessaire à la vie ? Non. Comme vous le savez, l’humanité a passé la majeure partie de son histoire sans en comprendre grand-chose, et en projetant sur lui toutes sortes de croyances.

 

Comprendre l’univers nous permettrait donc de mieux comprendre notre condition humaine.

Il y aura toujours des questions laissées sans réponses. Pourquoi sommes-nous là tels que nous sommes ? Quel est le sens ultime de la vie ? Les réponses à ces questions ne relèvent jamais d’un véritable savoir, plutôt de systèmes de croyances, et cela vaut pour les physiciens comme pour tout le monde.
En ce qui me concerne, je crois à l’existence d’une libido sciendi, d’une envie sincère de savoir. Elle n’est sans doute pas universelle – il en est certains que les connaissances laissent froids –, mais elle est inextinguible. Je trouve que cette envie de comprendre, de défricher et de déchiffrer, a toujours quelque chose de beau. Je suis notamment fasciné par la manière dont naquit la physique quantique au cours des années 1920. Des concepts radicalement neufs furent alors inventés, qui conduisirent les physiciens à penser autrement la matière. Une décennie d’effervescence créatrice, d’audace, de tourments et surtout d’intense labeur a suffi à un petit nombre d’entre eux, tous jeunes, pour fonder l’une des plus belles constructions intellectuelles de tous les temps. Ces hommes originaux, déterminés, attachants, pathétiques parfois, ont affronté des problèmes entièrement nouveaux. Dispersés aux quatre coins de l’Europe, à Cambridge, Copenhague, Göttingen, Zürich ou Rome, ils se rencontraient régulièrement, notamment à Bruxelles, aux conseils Solvay. Ils s’écrivaient souvent, faisaient leurs calculs à la main et formaient un petit réseau, terriblement efficace. Leurs travaux se faisaient écho, suscitant tantôt l’admiration des uns, tantôt la critique des autres, jusqu’à ce qu’ils constituent finalement un édifice formel cohérent.
Je ne sais pas dire si cette prouesse éclaire ce que vous appelez notre « condition humaine », mais cela dit ce dont elle est parfois capable.

 

Pensez-vous que cela pourrait de nouveau être le cas aujourd’hui ?

Nous avons changé d’époque. Les façons de travailler ne sont plus du tout les mêmes et l’intelligence dite « artificielle » est également venue changer la donne. En octobre 2024, le prix Nobel de physique a été attribué, non pas à des physiciens « pur jus », mais à deux pionniers de l’intelligence artificielle, John Hopfield et Geoffrey Hinton. Ce choix a provoqué un certain trouble dans le monde de la recherche. Le comité Nobel considérerait-il désormais que l’intelligence est une sorte de programme informatique et le cerveau l’équivalent d’un logiciel ? Que l’intelligence artificielle pourra bientôt faire de la physique mieux que les physiciens, voire sans eux ? Je pense pour ma part – jusqu’à preuve du contraire –, que la concurrence que l’intelligence artificielle fait à l’intelligence humaine n’est pas directe. D’une part parce que mimer ou simuler l’intelligence – c’est-à-dire paraître intelligent –, ainsi que le font les machines de façon parfois impressionnante, n’est pas la même chose qu’être intelligent.

 

La caractéristique de l’Homo sapiens n’est-elle pas justement cette capacité à raconter des histoires et à y adhérer ?

Oui, et homo soi-disant sapiens pousse parfois le bouchon un peu trop loin. Dans son dernier livre, Nexus, Yuval Noah Harari explique que si vous essayiez de fabriquer une bombe, atomique ou chimique, sans respecter les lois de la physique ou de la chimie, votre bombe ne fonctionnerait pas. En revanche, si vous mettez sur pied une idéologie abracadabrantesque où elle ne tient aucun compte de la réalité ou bien la travestit ou la caricature, elle pourra avoir du succès. Prenez Donald Trump. Il parle tout le temps, dit souvent n’importe quoi, comme l’absorption d’eau de javel qu’il proposa durant son premier mandat pour guérir le covid. Pourtant, à ma grande surprise, il a été réélu. J’ai donc l’impression que nous entrons dans ère nouvelle, dans une dystopie radicale. Voyez comme le président américain a interdit l’usage de certains termes, coupé des crédits de recherche, licencié à tout va dans des secteurs ciblés et déblatère sur les sciences sans rien y connaître. On en vient à se demander s’il ne pourrait pas bientôt nous annoncer que la Terre est plate par endroits si cela venait profiter à son pouvoir…

Plus sérieusement, il me semble que nous devons veiller à ne pas rester prisonniers de bulles cognitives, et à ne pas calmer nos angoisses par un resserrement communautaire. C’est pourquoi il est important de voyager, y compris en restant sur place ! Assis à la terrasse d’un café, j’essaie parfois d’imaginer ce que peut être la vie des personnes qui passent devant moi, de deviner leur monde, leurs pensées. Il s’agit de retisser entre nous un lien d’humanité.

 

Est-ce que la spiritualité pourrait nous aider à sortir de cette situation ?

À mes yeux, le terme spiritualité est devenu bien trop vague, de sorte qu’il sert parfois de point d’appui à toutes sortes de dérives. Voilà pourquoi, me rangeant derrière Paul Valéry, je préfère utiliser « vie de l’esprit » : nous ne sommes pas qu’un corps, nous avons aussi un esprit, qui nous constitue pour partie. Il a un besoin éperdu de croire, dont il faut parfois se méfier. Et après tout, nous ne sommes pas obligés d’inventer des réponses à toutes les questions que nous nous posons. Le sentiment du mystère, c’est bien aussi. D’autant que savoir qu’on ne sait pas donne par contrecoup de la valeur à ce que nous sommes parvenus à savoir....

Ce qu’on déduit du spectacle des phénomènes de notre monde nous trompe, estime le physicien, qui aborde la science comme une discipline sportive pour surmonter la dissociation entre le corps et l’esprit. Le mot physique existe à la fois au masculin et au féminin. Ce qui ouvre des perspectives insoupçonnées quand on aborde la question de l’esprit ou de l’âme et du corps. Depuis l’Antiquité, les penseurs ont écrit des milliers de pages sur le sujet. Est-ce l’esprit qui anime le corps ou le corps qui fait vivre l’esprit ? Physicien et philosophe des sciences, directeur de recherches au CEA et professeur à l’École centrale de Paris, Étienne Klein poursuit cette exploration. Dans son dernier livre, Transports physiques (éd. Gallimard), il fait appel aux théories les plus élaborées comme aux exemples les plus simples pour essayer de nous faire comprendre comme nos sens parviennent à fausser notre lecture du monde. « La nuit n’est pas intrinsèquement noire ; ce sont les limitations de nos sens qui nous la font apparaître telle », écrit-il ainsi en rappelant que le ciel est, en permanence, « le théâtre de tempêtes à la fois éclatantes et discrètes ». Un entretien avec Étienne Klein est un réel plaisir. Alors que la science est attaquée, il nous invite à lever la tête, à regarder vers les étoiles, à aller voir ailleurs. L’étude des questions physiques conduit-elle à la métaphysique ? Les transports physiques dont je parle sont en effet d’ordre quasi métaphysique. Plus précisément, ils relèvent de l’« exotopie », autrement dit de l’art d’aller…

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