Cette région, qui a vu apparaître l’écriture et la ville, fascine. Pour l’assyriologue, professeur au Collège de France, étudier cette civilisation permet de méditer sur la croyance que tout était parfait à l’origine.
La civilisation mésopotamienne, centrée sur l’Irak mais s’étendant en Syrie, en Turquie et en Iran, ne cesse de fasciner. Dominique Charpin, titulaire de la chaire Civilisation mésopotamienne du Collège de France depuis 2014, ne cesse de parcourir ce vaste territoire. Historien et archéologue, ce spécialiste de l’écriture cunéiforme, et en particulier des textes en sumérien et en akkadien, décrypte les nombreux écrits qui nous parviennent. Le site internet Archibab, qu’il a créé et continue d’alimenter avec son équipe parisienne et une coopération internationale, est devenu un outil incontournable pour les assyriologues qui veulent étudier cette documentation très abondante (plus de 34 000 textes publiés à ce jour). Dominique Charpin propose une approche globale permettant de comprendre comment naît et meurt une civilisation. Dans ses cours, il a évoqué notamment l’absence de notion de progrès dans cette Mésopotamie où les inventions étaient attribuées à des divinités et où l’idéal était le retour à la perfection des origines.
Comment définiriez-vous l’assyriologie, qui est l’objet de vos recherches ?
Au sens large, l’assyriologie étudie toutes les civilisations qui ont utilisé l’écriture cunéiforme. Le terme lui-même a été forgé par Ernest Renan, sur le modèle adopté pour l’étude de l’Antiquité égyptienne. L’assyriologie est née avec la découverte, dans la région du nord de l’actuel Irak, des capitales de rois assyriens. Leur langue, qui est sémitique, a été qualifiée d’assyrienne alors que, de nos jours, on parlerait plutôt d’akkadien, décliné à cette époque – au premier millénaire av. J.-C. – en deux dialectes parents : l’assyrien dans le nord et le babylonien dans le sud. Nous nous occupons avant tout des textes, mais nous devons tenir compte du contexte. Même s’il y a une spécialisation entre les assyriologues, qui travaillent sur les écrits, et les archéologues, les deux activités sont liées. La civilisation mésopotamienne est centrée sur l’Irak mais elle s’étend aussi en Syrie et au Levant, jusqu’en Turquie au nord et en Iran à l’est. Les périodes qui intéressent les assyriologues vont de la fin du quatrième millénaire av. J.-C., quand l’écriture cunéiforme a été inventée, jusqu’au début de notre ère, quand elle a cessé d’être utilisée.
À quand remontent les premiers signes d’écriture ?
Nous avons des tablettes exclusivement numériques dans le courant du quatrième millénaire avant notre ère. Quelques siècles plus tard, vers 3 200 ans av. J.-C., l’écriture suit. Même si la continuité est très claire – on utilise les mêmes tablettes d’argile – l’apparition des signes d’écriture marque une rupture telle qu’on peut parler d’une véritable révolution conceptuelle, tout-à-fait comparable à celle qui a permis le passage des villages à la ville. Pour la plupart des archéologues contemporains, la ville n’est pas née du village par une lente évolution : cette mutation a exigé et entraîné un bouleversement. Pour nous, les premiers textes de comptabilité mènent à l’écriture mais cela va au-delà. Au niveau de la symbolique, pour être capable de faire qu’un signe ait une prononciation et un sens, il faut quelque chose de particulier. Ce qui est intéressant, c’est que ces deux grandes transformations se déroulent à peu près en même temps : l’apparition de grandes villes coïncide avec celle de l’écriture. Ce n’est pas vrai qu’en Mésopotamie. C’est aussi le cas en Égypte comme en Iran, où une écriture cunéiforme différente s’est développée au même moment qu’en Mésopotamie. Un résumé chronologique rapide pourrait se présenter ainsi : vers 3 500 av. J.-C., apparition des nombres ; vers 3 200, premiers signes d’écriture ; vers 2 600, premiers textes sumériens continus ; vers 2 350 les écrits akkadiens. La langue sumérienne disparaît progressivement de l’usage courant vers 2 000 av. J.-C.. Mais son prestige était tel qu’elle est restée la langue de la culture, de la religion. Même les notaires utilisaient des formules sumériennes. Avec l’idée de conserver la tradition.
Peut-on évoquer une tour de Babel ?
Ce qui est clair, c’est qu’il y a eu très tôt en Mésopotamie des peuples qui parlaient des langues différentes. Le passage de l’oralité à l’écriture est progressif. Dans la première moitié du troisième millénaire, le recours à l’écriture s’intensifie. Au début, on note des noms de denrées, puis des noms propres, en sumérien. Peu à peu, on arrive à coller à la langue, à utiliser l’écriture pour une notation phonétique. Une fois que l’on a fait cela, on peut noter d’autres langues. C’est ainsi que l’akkadien, qui est une langue sémitique au même titre que l’hébreu et l’arabe, a pu être noté alors que, du point de vue linguistique, on ne sait pas à quelle langue rattacher le sumérien.
À quel moment arrivent la fiction, le récit ?
Les premières missives datent de 2 400 av. J.-C., environ. Au début, ce sont des lettres très sèches, que leur laconisme rend difficiles à comprendre. Aux alentours de 1 800 av. J.-C., leur contenu est beaucoup plus riche, avec des discours, des dialogues, parfois fictifs. Des gens écrivent au roi : « Je me suis dit qu’il ne faudrait pas que le roi me fasse des reproches et me dise ceci… » Il y a un empilement au niveau de la conscience tout à fait intéressant à étudier. Parallèlement, apparaît la littérature en langue akkadienne. On a par exemple le premier récit du Déluge noté par un apprenti scribe vers 1 700 av. J.-C.. Il occupe trois tablettes de bonne taille.
On dispose aujourd’hui d’un très grand nombre de vestiges de cette époque lointaine, bien plus que pour la Grèce ou le monde romain par exemple. Qu’est-ce qui explique cette abondance ?
L’argile. Même si ce n’est pas le seul support utilisé – il y a des inscriptions sur pierre, sur métal – c’est de loin le plus courant. Or, l’argile a l’énorme avantage de résister à l’eau et au feu, qui sont les deux grands ennemis des écrits. On a récemment retrouvé des tablettes cunéiformes englouties durant plusieurs décennies sous un lac de barrage du Tigre et pourtant restées lisibles. Sur l’ensemble du monde cunéiforme, on estime qu’il y a un demi-million de textes connus. Sans parler de ce qui reste à découvrir. Sur la période entre 2 000 et 1 600 av. J.-C., il y a actuellement un peu plus de 36 000 textes d’archives babyloniens qui ont été publiés. Et ce seul corpus s’accroît en moyenne de 350 textes nouveaux par an, soit une tablette par jour !
Ces documents permettent-ils d’évaluer le nombre d’habitants en Mésopotamie à cette époque ?
Il est très difficile d’estimer la taille de la population. Ce qui est certain c’est qu’en arrivant au premier millénaire av. J.-C., on change d’échelle. Vers 1 750, les 40 000 soldats d’Hammurabi constituaient une grande armée. Moins de mille ans plus tard, la même troupe n’est plus que l’équivalent de quelques divisions. De la même manière, tous les chiffres dont on dispose – le nombre de déportés, le montant des tributs versés… – explosent au premier millénaire avant notre ère. Pour autant, il demeure difficile de donner des chiffres concernant la population. Certains archéologues fournissent des estimations, extrapolant à partir de la superficie des quartiers d’habitation dans les villes. Mais quel coefficient appliquer ? Plus les fouilles avancent, plus on se rend compte qu’il y avait des endroits dédiés à l’agriculture à l’intérieur des villes. Par exemple, à Larsa, dans le sud de l’Irak, où nous avons repris les fouilles en 2019, les travaux récents montrent qu’une partie de la ville était couverte, intramuros, de jardins, de vergers, avec des canaux d’irrigation. En cas de siège, les habitants étaient ainsi assurés d’une certaine survie. D’autres méthodes fournissent des évaluations tout aussi incertaines. Par exemple, dans le royaume de Mari, des textes permettent de voir que l’armée royale comptait environ 4 000 hommes. Mais quel est le rapport entre ceux qui partent à la guerre et les femmes, les enfants et les vieillards ? Sans même parler de la population nomade, qui n’est pas enregistrée dans les textes.
On dit souvent que la Mésopotamie est la première civilisation de l’histoire humaine. Qu’en pensez-vous ?
Le terme civilisation est d’un emploi délicat, portant historiquement une connotation hiérarchique. Il faut se défier d’une vision téléologique qui ferait de nous l’aboutissement d’une évolution qualitative depuis les peuples « primitifs ». Si l’apparition de l’écriture et des villes marque indiscutablement un point d’inflexion, une borne, il est important de prendre garde à ce que cela n’entraîne pas une forme de mépris pour les cultures préexistantes. D’autant que l’histoire ne saurait se résumer à un progrès continu. Pour la Mésopotamie, on constate que les villageois du quatrième millénaire avant notre ère avaient un rapport à la nature plus sain que celui des rois assyriens du premier millénaire, qui ont décimé les cèdres du Liban pour assouvir leurs ambitions architecturales, provoquant une quasi-disparition du couvert végétal. Autre exemple, le développement de l’irrigation a eu des conséquences délétères, faisant remonter les sels à la surface dans le sud de l’Irak où le taux d’évaporation est très élevé. Même si nul n’en avait conscience, les contraintes écologiques existaient déjà…
Peut-on dire que Babylone représente l’apogée de la Mésopotamie ?
Il n’y a pas d’apogée unique. L’histoire de la Mésopotamie est une succession de phases de centralisation – que nous voyons comme des apogées – et de phases de décomposition politique. Une première période de centralisation se produisit sous les rois d’Akkad autour de 2 350 av. J.-C., qui allie grands chantiers et développement des arts. À l’épisode trouble qui suit leur chute, succède la troisième dynastie d’Ur, tout à la fin du troisième millénaire, qui réorganise le royaume. C’est durant cette période qu’on arrive à construire les premières tours à étages surmontées d’un temple, les ziggurats. Celle d’Ur, mise en lumière lors de la visite du pape François (en 2021), reste l’une des plus emblématiques.
Que pouvez-vous nous dire sur Babylone, la ville mythique de cette période ?
Babylone fait partie de ces villes qui sont restées dans la mémoire des hommes à cause de la Bible, dont les récits ont été documentés par les textes mésopotamiens. Nabuchodonosor y a bien déporté les rois et une partie des Hébreux. C’est un fait historique. On a retrouvé à Babylone des tablettes dans lesquelles il est question des rations d’huile données au roi Yoyakin lors de sa déportation. La Bible s’avère de ce point de vue plus fiable que les récits de l’historien grec Hérodote, dont on ne sait même pas s’il s’est rendu à Babylone et qui se souciait moins de la vérité historique que d’établir la supériorité de la civilisation grecque face aux barbares orientaux.
La Bible aussi donne de Babylone une image négative…
Il y a en effet dans ce texte une volonté de dévaloriser l’image de Babylone, la prostituée de l’Apocalypse. Initialement, le but était de convaincre les Hébreux déportés de revenir à Jérusalem. Mais beaucoup sont restés en Babylonie, s’y sont installés. Il y a des tablettes cunéiformes appartenant à des communautés qui s’étaient établies en Mésopotamie et qu’on peut rattacher aux Judéens grâce à leurs noms propres – qui se terminent en -yahou, dieu de Jérusalem – et à la singularité de leurs traditions, qui ne sont pas encore les traditions juives puisque le judaïsme commence seulement à naître. Le Livre de Daniel, qui date du deuxième siècle avant notre ère, témoigne de l’influence de la culture babylonienne sur ce judaïsme naissant. On y trouve la description d’un même rite, des offrandes faites aux divinités, avec une différence majeure. Pour les Babyloniens, les dieux se contentent de regarder les offrandes – de les manger avec les yeux, disent-ils – avant que les prêtres ne les distribuent ouvertement. C’est clairement noté sur les tablettes retrouvées, avec même un décompte méticuleux. Alors que dans le Livre de Daniel, on a une présentation biaisée : les offrandes faites aux dieux babyloniens sont discrètement enlevées de nuit par les prêtres pour prouver que les divinités ont consommé ce qui leur était offert. Ce récit se situe dans le cadre de la polémique contre les idoles.
Une version du Talmud a du reste été rédigée à Babylone.
Ce qui a été la chance du judaïsme, c’est que, se trouvant loin de Jérusalem, des Judéens ont compris qu’il fallait commencer à réfléchir sur les traditions, à les mettre par écrit. Ils ont emprunté aux Babyloniens un certain nombre de thèmes qu’ils ont transformés. Un exercice classique consiste à comparer le récit du Déluge tel qu’on le trouve dans les traditions mésopotamiennes avec le texte de la Genèse. On voit bien qu’il y a un emprunt littéraire, c’est indéniable, mais on voit aussi que la théologie sous-jacente est très différente. Les Hébreux déportés à Babylone ont su reprendre des éléments existant dans la culture de l’autre et les adapter à leur propre conception du monde.
Abraham, présenté dans la Bible comme un natif d’Ur, a-t-il été inspiré par un caravanier de Mésopotamie, comme on l’entend parfois ?
L’histoire d’Abraham est tardive. On avait voulu, au xixe siècle, le rattacher à un personnage apparaissant dans la Genèse, Amraphel, en qui on a cru reconnaître Hammurabi, roi de Babylone de 1 792 à 1 750 av. J.-C. Pendant longtemps, on a considéré qu’Abraham était un contemporain d’Hammurabi, qui serait parti d’Ur, qui était, en effet, une ville florissante. Cette vision historisante est aujourd’hui abandonnée.
Le code d’Hammurabi est-il le premier texte juridique ?
Ce n’est pas le premier qui ait existé. C’est le premier qui a été connu, en 1902, et qui demeure le plus complet. On a découvert depuis un code antérieur, datant d’un roi d’Ur, aux environs de 2 050 av. J.-C. Le code d’Hammurabi ne sera rédigé qu’environ trois siècles plus tard. Il traite essentiellement de droit civil, d’affaires familiales, commerciales, pénales. Il n’y a rien sur ce que nous appellerions par exemple un droit international, sujet qui relevait de la coutume.
Ce code a-t-il pu inspirer la rédaction des Dix Commandements ?
Certains spécialistes le pensent. Je fais partie de ceux – les plus nombreux – qui estiment que les Dix Commandements se rapprochent davantage de ce qu’on appelle les traités d’alliance de Mésopotamie, qui existent jusqu’au premier millénaire av. J.-C. Ces traités comportent des clauses par lesquelles deux rois s’engagent l’un envers l’autre. Dans la Bible, cette même idée est reprise, mais entre Dieu et son peuple. On retrouve le même phénomène qu’avec le Déluge : le récit est repris, mais adapté. Comme souvent, il y a dans la Bible un arrière-plan, un contexte historique, qu’il faut connaître pour en comprendre la singularité.
Quelles caractéristiques essentielles révèle l’étude de la civilisation mésopotamienne ?
Ce qui frappe d’abord c’est l’omniprésence du religieux. Beaucoup de fonctions qui, de nos jours, sont remplies par les services publics relevaient des temples. Par exemple, un temple dédié à la déesse Gula abritait des chiens dont la salive guérissait certaines maladies dermatologiques. Les patients venaient ensuite avec un ex-voto remercier la divinité.
Le monde dans lequel vivaient les anciens Mésopotamiens était régi par des forces surnaturelles qu’il fallait se rendre favorables : chaque mois, par exemple, il se pouvait que le dieu lune décide de ne pas réapparaître… C’est aussi ce qui permet d’expliquer la croyance répandue en la sorcellerie.
Que peut apporter l’assyriologie à la compréhension de cette région tourmentée ?
Directement, rien. Les problématiques qui déchirent aujourd’hui le Moyen-Orient – comme la rivalité entre chiites et sunnites ou la question de la Palestine – ne surgiront que bien des siècles après la fin de la civilisation mésopotamienne. La connaissance de l’histoire permet néanmoins de mieux appréhender les processus de construction des États-nations, qui se sont inspirés de leur passé. Ainsi Saddam Hussein apparaissait-il sur de grandes affiches, posant en nouvel Hammurabi devant une stèle du code, ou en nouveau Nabuchodonosor à la tête de ses armées. En Iran, le Chah, pendant des décennies, se revendiquait comme l’héritier des rois perses achéménides. Avec l’arrivée au pouvoir des mollahs, l’archéologie des périodes pré-islamiques a connu une longue période d’éclipse.
Et au-delà, pour l’humanité dans son ensemble ?
Notre écriture remonte au cunéiforme. Ce qu’illustrait Jean Bottéro en disant : « La Mésopotamie, ce sont nos plus vieux papiers de famille. » Les étudier, c’est entreprendre la quête de nos origines. Il y a, dans cette civilisation, des éléments qui font penser à nos pratiques actuelles. Dans l’usage de l’écriture, il y a une modernité incroyable. Par exemple, en réponse à la première lettre qu’il ait reçue de toute sa vie, un petit chef des montagnes du Zagros écrit au xviiie siècle av. J.-C. : « Quand j’ai lu ta lettre, j’ai eu l’impression que nous étions côte à côte. » C’est exactement ce que nous avons ressenti quand le courrier électronique s’est développé.
Sait-on pourquoi cette civilisation n’a pas adopté le monothéisme ?
Le panthéon a connu des évolutions. Par exemple, le dieu Soleil qui se lève chaque matin sur les montagnes iraniennes, passe au-dessus du pays où il voit tout, y compris les mauvaises actions les plus discrètes des hommes, se voit qualifié pour élargir son portefeuille à la justice. Les responsabilités du dieu des eaux souterraines, Enki/Ea, se sont, elles aussi, peu à peu étendues : il est devenu dieu de la sagesse. Il y a des textes du premier millénaire av. J.-C. qui montrent que certaines divinités comme Marduk concentrent en elles toutes les fonctions réparties traditionnellement entre plusieurs autres. Il y avait aussi des courants, dits hénothéistes, qui admettaient l’existence d’autres dieux mais considéraient qu’on devait réserver sa dévotion à une divinité particulière. On s’est donc posé la question de savoir si nous n’avions pas là une forme de proto-monothéisme.
La politique et la religion sont étroitement imbriquées. À l’origine, chaque dieu est le dieu d’une ville particulière. Quand Babylone prend le contrôle d’un véritable empire, c’est Marduk, au départ un dieu de l’orage, qui devient le roi des dieux. Une autre divinité qui monte en puissance est le dieu Ashour, qui règne au départ sur la ville éponyme, et qui devient celui de l’empire, y compris quand les rois assyriens construisent leurs capitales ailleurs. La prééminence peut évoluer. Il y a des moments où les rois déplacent les statues des dieux : pour priver l’ennemi de l’appui de sa divinité, pour le démoraliser, rien de mieux que d’emporter sa statue. Certains rois sont restés dans la mémoire parce qu’ils ont réussi à récupérer la statue de leur divinité. Notamment Nabuchodonosor Ier, au deuxième millénaire, qui est allé en Iran pour récupérer la statue de Marduk et la rapporter à Babylone.
Les souverains de cette époque sont-ils particulièrement belliqueux ?
Il y a beaucoup de conflits. Hammurabi, dont le règne a duré quarante-trois ans, est arrivé à conquérir une dizaine de villes importantes et d’autres plus modestes. Mais cet empire qu’il a créé n’a pas duré très longtemps. Dès le règne de son fils, on constate un début de décomposition. Le mouvement définitif d’unification intervient au ier millénaire av. J.-C. L’empire assyrien devient très important avant de s’effondrer, en -610. L’empire néo-babylonien qui prend la relève chute en 539 av. J.-C., lorsque Cyrus entre à Babylone. L’empire perse, initialement centré sur l’Iran, devient alors encore plus vaste, s’étendant jusqu’en Égypte.
La chute de Babylone marque la fin de l’indépendance politique de la Mésopotamie, qui passe ensuite sous la coupe des rois achéménides, puis est intégrée dans l’empire d’Alexandre et de ses successeurs. Plus tard, il y a de nouveau les Perses. La culture résiste, notamment autour des temples, avant de s’éteindre. Les derniers textes datés sont du ier siècle de notre ère.
Que vous inspire cette disparition ?
En Mésopotamie, il y a l’idée que la civilisation était parfaite dès l’origine et qu’il faut retrouver cette perfection. L’idée de progrès était complètement étrangère : alors que nous, en tant qu’historiens, nous constatons des transformations, des progrès technologiques, eux ne voulaient pas le voir. Cette idéologie est totalement passéiste et la seule réforme possible était celle que l’on retrouve souvent dans l’histoire des religions : il faut retourner à la pureté des origines. Il y a cette idée que tout était parfait au début et qu’on ne peut aller que vers une dégradation. Les scribes du premier millénaire veulent à tout prix maintenir vivante cette tradition. Ce que nous constatons en analysant les écrits, c’est que les grandes périodes d’innovation n’ont pas lieu au premier millénaire avant J.-C., où il y a une culture beaucoup plus conservatrice, mais au deuxième. Dans la bibliothèque de Ninive, il y a les différentes traditions, avec des versions canoniques d’un certain nombre d’œuvres, comme l’épopée de Gilgamesh, mais ce récit existait déjà au deuxième millénaire. Cette version, dont nous ne connaissons que des bribes, était beaucoup plus vivante que le texte plus rigide du viie siècle av. J.-C.
Voyez-vous des correspondances avec ce que nous vivons aujourd’hui ?
C’est une leçon à méditer sur la croyance que tout est parfait à l’origine et qu’il faut absolument retrouver la grandeur de jadis. C’est la grande illusion de la Mésopotamie. Quand on a un passé glorieux, les choses s’arrêtent à un moment. Or, on continue à avoir des mélanges. Au premier millénaire, on voit très bien la culture araméenne qui fusionne complètement avec la culture assyrienne. Mais certains disaient qu’il ne fallait pas utiliser l’écriture araméenne mais continuer à écrire en cunéiforme sur des tablettes d’argile. Mais l’usage du cunéiforme s’est réduit peu à peu et, malheureusement pour nous, presque tout ce qui a été écrit en araméen l’a été sur des supports périssables : en dehors de quelques inscriptions sur pierre ou sur tablettes d’argile, tout le reste a disparu. Ce qui a survécu est ce qui relevait de la tradition....
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