« Au cas où la guerre éclaterait, les socialistes ont le devoir […] d’utiliser de toutes leurs forces la crise économique et politique créée par la guerre pour agiter les couches populaires et précipiter la chute de la domination capitaliste. » Cette phrase de Vladimir Ilitch Oulianov, dit Lénine, n’est pas corrélée au conflit ukrainien, c’est une évidence, et pourtant on pourrait s’interroger sur sa résonance dans notre monde en crise(s). Une centaine d’années nous séparent de la NEP, cette politique mise en place par Lénine confronté à l’effondrement économique. Il avait alors redonné des couleurs à la libre entreprise, aux exploitations agricoles individuelles, et si l’on ne parlait pas encore d’oligarques, les koulaks enrichis servaient de cibles aux tenants d’un communisme radical. On connaît la suite : Lénine disparu, Staline mit fin à l’expérience, terrorisé à l’idée de voir le parti menacé par l’émergence d’une nouvelle bourgeoisie.
La nostalgie de la grandeur de l’URSS habite le maître du Kremlin, ce n’est pas une hypothèse tant les preuves de cette fascination sourdent du moindre de ses actes. Le parti ayant rendu l’âme il y a plus de trente ans, il fallait lui trouver un substitut incontestable, une transcendance introduisant une égalité de fait devant l’éternel : la religion. Les commissaires politiques remplacés par les popes, cela ne manque ni de saveur ni d’efficacité. L’ancien hiérarque du KGB saisi par la foi et se prosternant devant les icônes, cela pourrait nous faire sourire, n’étaient les centaines de milliers de victimes.
« Le peuple n’a pas besoin de liberté, car la liberté est une des formes de la dictature bourgeoise. » Voilà une autre pensée de Lénine qui n’a pas pris une ride pour les adeptes des régimes autoritaires. Aux « révolutionnaires professionnels » du Vladimir de 1917 succèdent les milices de son homonyme de 2023, mais l’ennemi reste le même : la démocratie, considérée comme le fondé de pouvoir du capitalisme, la forme aboutie de la domination bourgeoise.
À l’échelle de la mondialisation, les prolétaires sont les citoyens des pays les plus pauvres. Confrontés au réchauffement climatique, à la faiblesse de leurs économies et à la fragilité de leurs organisations, ces peuples qui furent colonisés par l’Europe avant de connaître des joies électorales à la probité incertaine n’ont de la démocratie qu’une idée diffuse. Dans nos vieilles démocraties fatiguées, où l’abstention et les populismes progressent d’élection en élection, le concept a perdu son caractère sacré.
Si nous ne croyons plus vraiment en nos valeurs, si nos sociétés se résignent à ne plus avancer que sur leur erre, au rythme de vieux paquebots en panne, comment imaginer soulever l’enthousiasme chez ceux qui n’ont vu de la prospérité économique que les convois de matières premières arrachées à leur sous-sol par des multinationales plus puissantes que leurs États eux-mêmes ?
Vue de Moscou la situation est favorable. Il suffit d’enfoncer le fer dans la plaie de nos insuffisances, de nos facilités, voire de nos complicités avec les oligarques de Londongrad, propriétaires de datchas en or massif et collectionneurs de yachts ou de bolides à plus d’un million de dollar pièce, qui ont de la lutte anticapitaliste une interprétation toute personnelle. Cette conviction ouvre la voie aux nouveaux révolutionnaires professionnels entretenus par le Kremlin, en treillis frappés du nom du compositeur de Lohengrin ou planqués derrière leurs écrans, armée de trolls saccageant nos réputations et détruisant la crédibilité des démocraties locales fraîchement installées.
Face à un autocrate qui, au risque de tout perdre, s’abandonne à ses rêves de puissance, revient la célèbre interrogation léniniste : « que faire ? » Que faire pour préserver, coûte que coûte, notre liberté de penser, d’innover, de créer, d’enseigner, d’être ? Pour donner tort aux deux Vladimir, il est grand temps de repenser la définition de la démocratie, son contenu, sa vitalité, ses objectifs. Nous devons rétablir l’épanouissement des humains comme la finalité et l’économie comme un moyen.
La Grèce l’a inventée, l’Europe l’a fait sienne, ne laissons pas les États-Unis dévoyer la démocratie et la Russie la tuer. ...
« Au cas où la guerre éclaterait, les socialistes ont le devoir […] d’utiliser de toutes leurs forces la crise économique et politique créée par la guerre pour agiter les couches populaires et précipiter la chute de la domination capitaliste. » Cette phrase de Vladimir Ilitch Oulianov, dit Lénine, n’est pas corrélée au conflit ukrainien, c’est une évidence, et pourtant on pourrait s’interroger sur sa résonance dans notre monde en crise(s). Une centaine d’années nous séparent de la NEP, cette politique mise en place par Lénine confronté à l’effondrement économique. Il avait alors redonné des couleurs à la libre entreprise, aux exploitations agricoles individuelles, et si l’on ne parlait pas encore d’oligarques, les koulaks enrichis servaient de cibles aux tenants d’un communisme radical. On connaît la suite : Lénine disparu, Staline mit fin à l’expérience, terrorisé à l’idée de voir le parti menacé par l’émergence d’une nouvelle bourgeoisie. La nostalgie de la grandeur de l’URSS habite le maître du Kremlin, ce n’est pas une hypothèse tant les preuves de cette fascination sourdent du moindre de ses actes. Le parti ayant rendu l’âme il y a plus de trente ans, il fallait lui trouver un substitut incontestable, une transcendance introduisant une égalité de fait devant l’éternel : la religion. Les commissaires politiques remplacés par les popes, cela ne manque ni de saveur ni d’efficacité. L’ancien hiérarque du KGB saisi par la foi et se prosternant devant les icônes, cela pourrait nous faire sourire, n’étaient les centaines de milliers de victimes. « Le peuple n’a pas besoin…
