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Restauration minière en Nouvelle-Calédonie à l’aide d’espèce végétales adaptées.

Quand la nature se régénère

Par Claude Grison

Préserver la qualité des sols est une priorité et les solutions inspirées de la nature sont devenues essentielles. L’exemple des espèces végétales est très inspirant.
L’épuisement des ressources mondiales de minéraux primaires et stratégiques est devenu un problème critique, d’un point de vue économique et environnemental. Les techniques de recyclage restent peu développées et le maintien d’une demande forte en éléments métalliques laisse présager un épuisement à court terme des ressources actuelles de métaux tels que zinc, manganèse, cuivre, nickel, palladium, rhodium, etc., pourtant vitaux à de nombreux procédés industriels, notamment comme catalyseurs. Ces besoins conduisent les opérateurs miniers à étendre leurs exploitations et à utiliser de nouvelles techniques d’extraction, au prix d’importants impacts environnementaux : dégradation de milieux naturels, perte de biodiversité, pollution des écosystèmes terrestres et aquatiques…

Au-delà des activités minières et métallurgiques, les activités industrielles et agricoles sont également à l’origine d’une forte pollution des sols. Il s’agit d’un problème très préoccupant, car le sol exerce des fonctions essentielles qui déterminent en grande partie la production des produits alimentaires et la qualité de l’eau. Les éléments métalliques font partie des composés polluants les plus nocifs et ils ne sont pas biodégradables.

Non seulement les conséquences environnementales sont désastreuses, mais les risques sur la santé sont préoccupants : les atteintes des systèmes nerveux, rénal, pulmonaire ou des tissus osseux sont clairement établies. Des exemples de plombémies et de premier stade de saturnisme ont été mis en évidence chez des enfants habitant à proximité d’anciens sites miniers. L’actualité récente a rappelé le problème des engrais phosphatés issus de roches riches en cadmium. Aujourd’hui, ce métal extrêmement toxique (il est cancérogène, mutagène et reprotoxique) a contaminé les sols, les cultures et, in fine, les produits alimentaires tels que céréales, cacao, pain ou pommes de terre.

L’atteinte de la qualité des sols est très préoccupante. Elle constitue un enjeu majeur de la sécurité alimentaire mondiale, qui est soumise à des contraintes croissantes, telles que la pression démographique, conduisant à une urbanisation accélérée et donc une diminution de la disponibilité en terres arables ; dérèglement climatique avec des conséquences sur les rendements agricoles ; globalisation du marché mondial des denrées agricoles et alimentaires, couplée à une évolution négative des habitudes alimentaires et à un non-respect des réglementations les plus exigeantes ; pression accrue sur les ressources, en quantité comme en qualité.

La sécurité alimentaire et nutritionnelle est devenue un défi européen. Préserver la qualité des sols est une priorité. Il y a donc une réelle nécessité à développer des technologies inventives et efficaces de restauration des sites, zones et écosystèmes pollués. Dans un tel contexte, les solutions inspirées de, voire fondées sur, la nature sont devenues essentielles. Ainsi, la présence et l’étude des organismes adaptés à une situation de pollution permettent de définir de nouvelles approches de remédiations intégrées, bio-inspirées et conçues sur le long terme.

L’exemple des espèces végétales est très inspirant. Compte tenu de leur immobilisme, les plantes se développent dans un milieu souvent hostile dont elles ne peuvent s’échapper. Elles subissent donc totalement les contraintes liées à cet environnement et doivent s’y adapter ou disparaître. Certaines plantes sont amenées à développer des mécanismes biologiques très particuliers pour répondre à des agressions telles que sécheresse, attaque par les herbivores, les parasites, le piétinement, le stress oxydant mais aussi la pollution. Quand on réalise que ces conditions varient continuellement, on ne peut qu’être fasciné par les stratégies mises en œuvre par les plantes pour survivre, se tenir, croître, être pollinisées, se disséminer, germer et résister aux contextes changeants de leur environnement. Ainsi, par exemple, certaines espèces végétales sont capables de se développer sur des terrains hautement contaminés en éléments métalliques, voire de séquestrer les polluants hautement toxiques dans leurs feuilles à haute concentration ; on parle alors de plantes hyperaccumulatrices d’éléments métalliques qui réalisent naturellement la phytoextraction de ces éléments métalliques.

La phytoextraction est l’une des phytotechnologies les plus prometteuses, car elle est capable d’apporter une dimension sociale et économique aux efforts de restauration écologique. Elle permet également, d’introduire un couvert végétal protecteur sur les sites les plus pollués et donc de limiter l’érosion éolienne et hydraulique des sites réhabilités.

Des expériences de restauration minière initiées par la phytoextraction ont été menées à grande échelle dans des conditions édaphiques et climatiques différentes en France hexagonale (dans le Gard) et en Nouvelle-Calédonie.

Dans le Gard, le site minier des Avinières était un haut lieu de contamination (500 à 800 fois plus de zinc, cadmium et plomb que les normes européennes). Des efforts d’écologie microbienne et végétale ont permis d’établir une première preuve de concept de restauration à grande échelle à l’aide de la phytoextraction d’espèces végétales considérées comme des grands hyperaccumulateurs de Zn présents sur le site, Noccaea caerulescens et Anthyllis vulneraria.

Des études fondamentales sur les stratégies de défense de Noccaea caerulescens, hyperaccumulatrice de zinc, ont permis de progresser dans la connaissance des mécanismes d’adaptation des brassicacées, très représentées chez les métallophytes hyperaccumulateurs de métaux. Ces études ont également mis en évidence la présence exceptionnelle d’une espèce hyperaccumulatrice de type légumineuse, Anthyllis vulneraria, renforçant l’intérêt de la phytoextraction dans les programmes de restauration minière. La caractérisation phénotypique, génotypique et métabolique de la nouvelle espèce bactérienne associée à la légumineuse hyperaccumulatrice de zinc, Anthyllis vulneraria, nous a permis de comprendre les stratégies d’adaptation de cette bactérie hors norme (Rhizobium metallidurans) au niveau génétique mais aussi physiologique et moléculaire.

Expérience de restauration d’un sol hautement pollué. © Claude Grison

Trois ans après l’installation des deux espèces hyperaccumulatrices de zinc, des espèces végétales plus communes (Arenaria agregata, Armeria arenaria, Festuca arvernensis, Koeleria vallesiana) se sont installées spontanément. Il s’agit d’espèces tolérantes aux éléments métalliques présents dans le sol : zinc, fer, cadmium et plomb. Elles ont contribué à la restauration naturelle et durable du sol par formation d’un couvert végétal protecteur, limitant l’érosion éolienne et hydraulique, et donc le transport des éléments métalliques.

La réussite de ce programme a conduit à étendre ces travaux de restauration minière dans un lointain territoire français du Pacifique.

La Nouvelle-Calédonie, haut-lieu de la biodiversité mondiale, héberge 3 260 espèces végétales avec un taux d’endémisme d’environ 74 %. La diversité floristique est étroitement liée à son histoire géologique. Celle-ci a entraîné des conditions édaphiques très particulières : une grande partie du sol du territoire est riche en éléments phytotoxiques – nickel, cobalt, chrome, manganèse, fer. Ces conditions géochimiques ont généré une flore originale composée de plantes qui se sont adaptées aux sols ultramafiques. Soumises à de fortes pressions de sélection, certaines espèces sont devenues capables de se développer sur des sols riches en éléments métalliques toxiques, mais souvent pauvres en éléments minéraux essentiels à la croissance des végétaux. Parmi elles, on peut trouver de nombreux métallophytes (hyper)accumulateurs de nickel et de manganèse endémiques. Ce contexte est exceptionnel, et représente un scénario d’adaptation remarquable du monde végétal.

Cependant, ces conditions géochimiques sont également à l’origine d’extractions minières intenses, qui menacent parallèlement cette même biodiversité. À ce jour, on recense plus de 23 000 hectares impactés par des activités minières entraînant une forte érosion des sols, qui pollue le lagon et menace le récif corallien. Depuis 2009, la réhabilitation est devenue obligatoire, mais seuls 1,6 % ont été revégétalisés et de nombreuses connaissances scientifiques restent à acquérir.

Le laboratoire ChimEco a développé une nouvelle approche de la restauration minière. La démarche s’appuie sur la richesse de la biodiversité calédonienne et l’existence des plantes (hyper)accumulatrices de nickel et manganèse, capables de s’adapter aux multiples contraintes locales : milieu ouvert, climat tropical, contraintes édaphiques et hydriques, altitude élevée, bon pouvoir germinatif, sols dégradés et appauvris en nutriments et micro-­organismes, mais riches en éléments toxiques.

Ces travaux ont conduit à l’élaboration d’un programme de restauration de verses à stérile, à l’aide de plantes hyperaccumulatrices de nickel et de manganèse (Geissois pruinosa et différentes espèces du genre Grevillea) et d’espèces fixatrices d’azote capables de réenrichir naturellement les sols dégradés en azote (Seryanthes calycina, Storckiella pancheri et Gymnostoma deplancheanum). Ces apports azotés sont déterminants dans la croissance des plants mis en place sur des terrains dégradés. Des fertilisants ont été ajoutés en fonction des spécificités physiologiques des espèces végétales sélectionnées. Ces expériences ont été réalisées sur 6 hectares de sols miniers et ont permis d’installer plusieurs milliers d’espèces végétales.

Un suivi écologique a été réalisé pendant dix ans en étudiant les paramètres suivants : mortalité ; mesure de la croissance d’individus de référence ; taux d’accumulation des espèces minérales recherchées (nickel ou manganèse) et corrélations éventuelles avec la composition du sol et l’âge des parties foliaires ; biomasse végétale produite ; floraison ; installation d’adventices et identification de nouvelles espèces présentes, abondance…

Il a été possible de développer conjointement la phytoextraction du manganèse et du nickel sur un même site minier en s’appuyant sur des espèces endémiques et adaptées au contexte de forte dégradation des zones à réhabiliter de Nouvelle-Calédonie. Les suivis réguliers des différents sites réhabilités ont montré une très bonne dynamique de croissance des différents plants installés. Les amendements organiques ont systématiquement un effet positif sur les résultats. Le faible niveau de mortalité observé sur le long terme a reflété la bonne santé des plants installés. L’effet bénéfique des espèces fixatrices d’azote a pu être démontré. L’établissement définitif des espèces d’hyperaccumulatrices de nickel et de manganèse, a prouvé l’intérêt de ces espèces pour la restauration de sites miniers. Si elle présente un intérêt immédiat pour la phytoextraction, mais aussi des intérêts pour la restauration écologique, elles sont également utiles pour la conservation des espèces installées. À titre d’exemple les parcelles expérimentales mises en place sont devenues des champs semenciers potentiels, ce qui leur confère une valeur supplémentaire.

Restauration minière en Nouvelle-Calédonie à l’aide d’espèce végétales adaptées. © Claude Grison

L’introduction progressive de nouvelles espèces endémiques tolérantes à ces milieux ouverts et dégradés, a été envisagée dans le but d’étendre la biodiversité des espèces engagées en restauration minière. Là encore, de nouvelles espèces végétales se sont installées progressivement et naturellement. De nouveaux plants du genre Grevillea ont été observés, mais également des espèces qui n’ont jamais été installées : Eriaxis rigida, Oxera neriifolia, Lepidosperma perteres, Scaevola montana… Les interactions entre espèces devraient favoriser le développement d’un couvert végétal pérenne.

Le point commun entre ces deux expériences réalisées in natura et à grande échelle est impressionnant : après quelques années d’efforts de restauration minière à l’aide d’espèce végétales adaptées à des conditions hostiles, la nature reprend ses droits et favorise le développement d’espèces plus communes et utiles pour recréer une biodiversité constituée d’espèces locales.

 

Claude Grison est directrice du Laboratoire de chimie bio-inspirée et d’innovations écologiques, membre de l’Académie des sciences, de l’Académie nationale de pharmacie et de l’Académie européenne des sciences. Elle a obtenu le prix de l’inventeur européen 2022....

Préserver la qualité des sols est une priorité et les solutions inspirées de la nature sont devenues essentielles. L’exemple des espèces végétales est très inspirant. L’épuisement des ressources mondiales de minéraux primaires et stratégiques est devenu un problème critique, d’un point de vue économique et environnemental. Les techniques de recyclage restent peu développées et le maintien d’une demande forte en éléments métalliques laisse présager un épuisement à court terme des ressources actuelles de métaux tels que zinc, manganèse, cuivre, nickel, palladium, rhodium, etc., pourtant vitaux à de nombreux procédés industriels, notamment comme catalyseurs. Ces besoins conduisent les opérateurs miniers à étendre leurs exploitations et à utiliser de nouvelles techniques d’extraction, au prix d’importants impacts environnementaux : dégradation de milieux naturels, perte de biodiversité, pollution des écosystèmes terrestres et aquatiques… Au-delà des activités minières et métallurgiques, les activités industrielles et agricoles sont également à l’origine d’une forte pollution des sols. Il s’agit d’un problème très préoccupant, car le sol exerce des fonctions essentielles qui déterminent en grande partie la production des produits alimentaires et la qualité de l’eau. Les éléments métalliques font partie des composés polluants les plus nocifs et ils ne sont pas biodégradables. Non seulement les conséquences environnementales sont désastreuses, mais les risques sur la santé sont préoccupants : les atteintes des systèmes nerveux, rénal, pulmonaire ou des tissus osseux sont clairement établies. Des exemples de plombémies et de premier stade de saturnisme ont été mis en évidence chez des enfants habitant à proximité d’anciens sites miniers. L’actualité récente a rappelé…

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