LA VIE DE CHÂTEAU

Anna Rousseau

En cinq ans, Vianney d’Alançon, 35 ans et surgi de nulle part, s’est offert deux châteaux pour y installer des parcs d’attractions sur le thème de « la France éternelle ». Celui de La Barben, en Provence, baptisé Rocher Mistral, divise la population et les politiques.

 

Vianney d’Alançon est un homme bien élevé. Élégant, fines lunettes, courte barbe soignée, chemise blanche et Richelieu bien cirées, il reste d’une impeccable courtoisie jusqu’à ce qu’il soit contrarié. Des bonnes intentions et des millions d’euros plein les poches, il est arrivé en Provence, fin 2019, afin d’y acheter le plus vieux château de la région, celui de La Barben, d’y embaucher des centaines de salariés et d’y attirer les touristes dans l’arrière-pays. Et, moins de deux ans plus tard, il se retrouve au tribunal, attaqué par les riverains, qui portent plainte contre lui pour nuisances, par les anciens propriétaires, qui l’accusent de les avoir diffamés et dénigrés dans la presse, par l’association France Nature Environnement, pour « perturbation intentionnelle d’espèces protégées, destruction et altération d’habitat d’espèces protégées et réalisation de travaux sans autorisation d’urbanisme », enfin par Anticor, pour détournement de subventions publiques. La presse le questionne obstinément sur la portée idéologique de son projet culturel, sur ses relations politiques et religieuses, pointe avec insistance le nombre de travaux effectués sans autorisation. Lui parle de harcèlement, d’acharnement, se plaint de ces « attaques 

permanentes, blessantes et mensongères », parce que « cela devient insupportable, désespérant et usant » (La Provence, juillet 2021). Le néo-châtelain est donc extrêmement contrarié. 

En apparence, pourtant, son succès est magistral. Fin juin 2021, il a rebaptisé l’ancien château de la famille Forbin Rocher Mistral et y a inauguré un parc d’attractions qui propose à ses visiteurs de découvrir, entre Aix et Salon, « la Provence comme vous ne l’avez jamais vue », « une immersion provençale unique au monde ». En ce début d’été, le gratin s’était trans porté dans ce très tranquille coin de garrigue : le secrétaire d’État au Tourisme, JeanBaptiste Lemoyne, le président de la région PACA, Renaud Muselier, des patrons du CAC 40 et une myriade de notables des environs. La Patrouille de France a même survolé le château, le baptisant de ses fumigènes bleu-blanc-rouge. Certes, le maire du village, ulcéré que ses refus d’aménagement aient été délibérément ignorés, n’est pas venu, et les premiers articles un peu dubitatifs de la presse avaient déjà été publiés, mais la fête était belle. L’endroit est incontestablement spectaculaire : posé sur un éperon rocheux, ce château fort entouré de bois et contourné par une petite rivière, la Touloubre, s’élève de terrasse en terrasse jusqu’à toucher le ciel. Sur la tour la plus haute, flotte l’ancien drapeau sang et or de la Provence, quatre bandes rouges, cinq bandes jaunes. Ce n’est pas celui, officiel, de la Région sud, qui comporte aussi le dauphin d’azur du Dauphiné et l’aigle couronné de Nice. C’est celui des comtes de Provence, porté en étendard par le mouvement félibréen de défense de la langue d’oc et de ses traditions. De toute sa splendeur, le château annonce la couleur : ici, c’est la Provence, la vraie. 

À l’origine, l’endroit appartenait à la puissante famille des Forbin. En Provence, c’est un nom qui compte : au xve siècle, c’est un Forbin qui a négocié pour le compte de Louis XI le rattachement à la France. Le château de La Barben est la plus spectaculaire de leurs multiples demeures, disséminées un peu partout dans la région. Vianney d’Alançon l’a racheté en décembre 2019 et n’a pas tardé à attaquer les travaux. Selon Frédéric de Lanouvelle, l’un de ses fidèles seconds, il était temps : « Le toit fuyait, les gouttières étaient percées, l’eau s’était infiltrée partout. Les travaux ont été longs, mais le château est intégralement hors d’eau depuis la fin de l’hiver 2021. » Ancien journaliste à BFM, spécialisé dans les reportages extrêmes, ce motard athlétique monte deux par deux les marches des escaliers d’honneur – entièrement refaits à neuf – et indique d’un regard les murs restau rés. Tout en nous conduisant jusqu’au maître des lieux, il joue les guides, traversant les salles au pas de course. Lors de la déambulation proposée à l’intérieur du château, les visiteurs découvrent d’abord une reconstitution du bureau de Richelieu. En 1630, le cardinal, empêtré dans la guerre de Trente Ans, tenta de mettre la main sur l’argent des Aixois en réformant la collecte des impôts en Provence. Les bourgeois de la ville, qui n’avaient, déjà à l’époque, pas la moindre intention de partager leur prospérité (et pour suivent obstinément cette tradition d’indépendance au sein de la métro pole d’AixMarseille), n’apprécièrent pas la manœuvre. Gaspard de Forbin, commandant en Provence, entendit les faire obéir par la force. C’est ainsi qu’éclata la « révolte des grelots », ainsi nommée parce que les rebelles se reconnaissaient entre eux par des clochettes (cascavèu en provençal) cousues sur leurs habits. Le château où vivait Gaspard fut, diton, en partie incendié, ainsi que la forêt qui l’entoure. L’édit fut retiré. 

La visite continue. Les pièces sont pleines à craquer de matériel, de meubles d’époque et de cadres de carton-pâte dissimulant des écrans plats. On aperçoit le port de Marseille, avec ses barques de pêcheurs qui se balancent sur l’eau et ses poissons suspendus pour la criée, ou encore un spectacle vidéo présentant la Provence vue du ciel. Au détour d’un escalier, voilà le ventre d’une galère en route pour le royaume de Siam, où un autre Forbin, Claude, fut envoyé par Louis XIV pour une mission de diplomatie commerciale : à ce marin aguerri le soin de juger s’il pouvait être intéressant de coloniser l’endroit. « Sire, ce royaume ne produit rien ni ne consomme rien », déclara-t-il à son monarque pour lui signifier qu’il trouvait le projet idiot. Ce contemporain et rival de Jean Bart fait partie des figures historiques les plus connues de Provence : corsaire brillant et audacieux au caractère emporté, il se fit connaître par un duel meurtrier face au chevalier de Gourdon, qui le poussa à embrasser fissa la carrière maritime pour se faire oublier. 

Vianney Marie Audemard d’Alançon a abandonné l’école à 17 ans, en première, « sans autre diplôme qu’un permis de chasse », avant de créer une hasardeuse agence de communication l’année suivante. Celle-ci vite coulée, le jeune ambitieux se lance à 22 ans – l’âge de ce jeune noble mort la gorge transpercée par l’épée de Claude de Forbin – dans la joaillerie. En 2010, il fonde Laudate, une chaîne de bijouteries spécialisées dans les alliances et les médailles de baptême, puis 10 Royale, une collection de haute joaillerie avec Kenzo Takada... De nouveau, c’est la faillite. « L’avantage de commencer jeune, c’est que vous faites beaucoup d’erreurs et que vous vous en souvenez », philosophe le désormais trentenaire, installé dans un salon privé du Rocher Mistral donnant sur la terrasse principale, à laquelle mène un splendide escalier en fer à cheval. 

L’homme a la réserve des gens bien nés : courtois, il ne sourit jamais avec les yeux et sait maintenir une fraîche distance avec ses interlocuteurs tant qu’il n’est pas assuré de leur complète adhésion à son projet. « Pourquoi j’ai échoué au début ? J’ai vu trop grand trop vite, assure-t-il, je n’avais pas de notion de marché ni de marketing. » S’il prétend à présent qu’il a ralenti le rythme depuis ses débuts dans la vie active, les faits le démentent : il n’avait que 29 ans quand il a acheté son premier château. C’était en 2016, à SaintVidal, en HauteLoire : une forteresse perdue au nord-est du territoire de la bête du Gévaudan, où il avait monté un spectacle son et lumière avec l’ambition affichée d’en faire la principale attraction touristique d’Auvergne. Il y a aussi essuyé ses premiers revers de porteur de projet culturel d’envergure, et déjà copieusement subventionné, en se heurtant violemment – là aussi – à ceux qui ne voulaient pas voir leur tranquillité brisée par un équivalent du Puy du Fou implanté à un quart d’heure du Puy en Velay, ainsi qu’aux élus de l’opposition à Laurent Wauquiez, président de la région AuvergneRhôneAlpes. Pneus crevés, serrures défoncées, insultes et menaces, toute la gamme de l’acharnement y est passée, mais Vianney d’Alançon, arcbouté et têtu, n’a répliqué qu’en boycottant les réunions de concertation publique. Un moyen efficace, à la fois pour se protéger et ne pas se justifier, qu’il applique de nouveau en Provence depuis quelques mois, ses voisins les plus proches n’ayant plus aucun contact direct ou indirect avec lui depuis leur dépôt de plainte collectif, en juillet 2021. Xavier Dau malin, membre de Bien Vivre à La Barben, l’association de riverains qui a porté plainte contre le Rocher Mistral, témoigne : « Avant cette date, il a arrêté ma femme alors qu’elle était en voiture et lui a expliqué de manière véhémente qu’elle se trompait de com bat ; il a fait pareil avec moi, m’accusant d’avoir alerté la presse. Il était très vindicatif, il devient agressif quand on s’oppose à lui. » Un autre habitant de la commune assure que le châtelain l’a menacé, insinuant qu’avec ses dizaines d’employés, il pouvait facilement « lui pourrir la vie ». Un autre parle de condescendance, de mépris. Mais l’avocat de Vianney d’Alançon, Me Alexis Chabert, qui a traité les habitants de La Barben de « procureurs au petit pied » lors d’une comparution au tribunal d’Aix, le 28 septembre dernier, dément formelle ment toute menace ou agressivité. « Il accepte la critique, mais pas que l’on dise qu’il menace les gens pour arriver à ses fins », rectifie l’avocat. 

C’est au moment du rachat de SaintVidal, en 2016, que le mystère Vianney Marie Audemard d’Alançon est né. L’entrepreneur n’a alors aucune expérience en gestion de projet culturel, se vante de ne même pas avoir le brevet des collèges et assure ne détenir aucune fortune patrimoniale. Tout cela est difficile à vérifier puisqu’il ne dépose pas les comptes de ses entre prises au greffe. Malgré son nom aristocratique, il ne semble pas lié aux plus grandes des familles françaises, même si celle de sa femme, née Braquilanges, est inscrite à la très traditionnelle ANF (Association d’entraide de la noblesse française). De toute façon, il revendique tout autant son appartenance à la grande famille du spectacle, circassienne du côté de sa grand-mère maternelle, qu’à la lignée de militaires dont il est issu par son père. Ce qui intrigue, c’est que cet inconnu sans diplôme et sans for tune semble n’avoir aucune difficulté à lever des fonds. Et pas qu’un peu : suffisamment d’argent pour acheter deux châteaux en cinq ans, les rénover et y lancer des projets ambitieux comportant, outre les spectacles historiques qu’il écrit lui-même, un hôtel et une brasserie à SaintVidal, une exploitation agricole et un restaurant de 150 couverts à La Barben. C’est pourquoi, dans le très petit monde des monuments historiques, des assureurs de châteaux et des agents immobiliers de prestige, Vianney d’Alançon fait beaucoup jaser. Ils trouvent sur prenant que, avant 2016 et le rachat de la forteresse de SaintVidal, son nom n’apparaisse nulle part dans leurs fichiers, qui contiennent pour tant toutes les branches, ou presque, de l’aristocratie française et de ceux de ses membres restés châtelains. Et plus surprenant encore, qu’il ne se soit pas contenté de restaurer un château, mais deux. La Barben a été négocié autour de 10,5 millions d’euros. À ce montant, il faut rajouter 20 millions d’euros d’investissements, dont 6 mil lions d’euros apportés par la Région et le Département au titre de la défense des monuments historiques. « C’est magnifique que de jeunes entrepreneurs se lancent dans la conservation et la défense du patrimoine national, mais enfin ! comment a-t-il fait ? » s’exclame l’un des experts les plus connus du secteur. La réponse, Vianney d’Alançon refuse de la donner, il n’aime pas parler d’argent, « surtout de fonds privés ». Mais investir à répétition donne des habitudes et permet de tracer des méthodes de travail. Déjà, 10 Royale avait été financée « en faisant le tour des relations », selon ses propres termes. Laudate aussi. Le carnet d’adresses du nouveau seigneur de La Barben lui donne visiblement accès aux fortunes françaises ; il a l’air de savoir convaincre ses proches, mais aussi les proches de ses proches. 

Si le silence est d’or 

Les balcons surannés
Jeux de dupe de miroir Poupées russes de l'espoir
Aux fenêtres fermées Théâtre à l'italienne Déserté et sans vie
Décors des joies anciennes Où es-tu, Goldoni ?
Belle au bois dormant Attendant sans relâche
Un auteur flamboyant Reliant nos attaches
Si le silence est d'or
Alors que vaut la vie ?
La lumière descend
Rigole en s'attardant
Aux balcons endormis Réveille l'arc en ciel 

- Agnès Jerlin 

Longue gloire éternelle Déposant sans effort
Un trésor ennemi
Si le silence est d'or Alors que vaut la vie ?
Le piano du voisin Doucement me parvient Les goélands moqueurs Narguent ma torpeur
Et puis je me souviens Chambre avec vue Soudain l'été dernier
La comtesse aux pieds nus Le film s'est arrêté 

Pause. Rewind. Avancer Revenir au jour d'après Si le silence est d'or Alors que vaut la vie ? 

Pour Saint Vidal, les montants ayant dépassé le million d’euros, il avait bien fallu donner des garanties de sérieux à ceux qui s’inquiétaient de ne pas connaître celui qui s’attaquait au patrimoine local. Deux familles d’investisseurs avaient alors été dévoilées, et pas n’importe lesquelles : les Michelin et MarieHélène Dassault, la fille de Serge. À La Barben, rebelote : on trouve dans le pacte d’actionnaires Benoît Habert, mari de MarieHélène Dassault, ainsi que Vincent Montagne, président de Mage Invest, la holding familiale des Michelin. Une autre famille apparaît à leurs côtés : les Deniau. D’eux, on ne saura rien, sinon qu’ils sont « très cultivés et attachés au patrimoine », selon Vincent Montagne. Les Michelin, les Dassault et Vianney d’Alançon ont en tout cas des points communs : ils sont libéraux, très conservateurs, attachés au patrimoine et à la discrétion. 

Mais ces convergences ne répondent pas à la question principale : pourquoi des familles richissimes, dont deux sont milliardaires, se risquent-elles à soutenir les projets culturels d’un inconnu ? Par engagement écologiste, peut-être, dans le cas de MarieHélène Dassault. En effet, l’héritière est très favorable à l’agriculture biologique, et le château provençal était vendu avec un peu plus de 300 hectares de terres cultivables et non constructibles. Vianney d’Alançon a le projet d’y planter vignes, oliviers et pistachiers, et d’y installer des ruches pour y pro duire du miel, le tout dans le respect de l’environnement. « J’ai un fort rap port à la terre, à la nature, un grand respect pour la sagesse du monde agricole », assure-t-il, avant de raconter qu’à 12 ans, il a monté un élevage de moutons et de cochons qui l’intéressait beaucoup plus que l’école. Cependant, les agriculteurs du coin ne voient pas du tout où il pourrait planter quoi que ce soit sur ce sol tantôt caillouteux, tantôt boisé, ni comment, sans solution évidente d’irrigation. Peu importe apparemment à ces riches investisseurs qui, même s’ils ne dévoilent pas leur business plan, comptent bien sortir financièrement gagnants de l’aventure. Benoit Habert, le mari de MarieHélène Dassault, est « un bon investisseur qui voit loin et travaille étroitement avec nous au sein du comité stratégique », assure Vincent Montagne. Ce dernier, PDG de MediaParticipations, président du Syndicat national des éditeurs et de la fondation ParisDauphine, est le plus visible et le plus bavard des Michelin. Il refuse de détailler le montant des investissements des uns et des autres – « cela ne présente pas un grand intérêt à ce stade, le déploiement du projet n’étant que partiel » – et garde le silence sur les grandes lignes stratégiques du projet, « même si, naturellement, nous cherchons la rentabilité ». Il ne tarit pas d’éloges sur « le porteur de pro jet », désignant ainsi – peut-être involontairement – la place de Vianney d’Alançon non pas comme celle d’un propriétaire, mais bien d’un directeur opérationnel. « Il est exceptionnel, c’est rare de croiser une personnalité aussi rapide, puissante, énergique. Il a cet atavisme des autodidactes de ne pas perdre de temps ». 

Vincent Montagne a une autre idée forte : il souhaite promouvoir la culture, le « patrimoine matériel et immatériel français » et l’histoire, en particulier celle de la Provence où naquit son père, qui parlait le provençal. Mais quelle histoire, enfin ? La mémoire occitane, écrasée par le rouleau compresseur jacobin ? Ou l’histoire de la Provence blanche et catholique, en oubliant que la région s’est construite par vagues d’immigrations successives, dans la douleur et la violence, depuis les Grecs de Phocée jusqu’aux clandestins syriens aujourd’hui ? Vincent Montagne se défend de toute idéologie, rappelle qu’il est centriste, mais s’agace un peu de la question. « Il y a une fraction de gens qui ne veulent pas entendre parler de l’histoire, et veulent vivre unique ment au xxie siècle en gommant tout ce qui s’est passé avant, en particulier avant 1789. » De son côté, Vianney d’Alançon a passé des mois à assurer qu’il veut tout simplement donner la parole au territoire : « Nous avons 500 bénévoles inscrits qui veulent participer à l’expression de leur histoire, de leur mémoire. Je réponds à cette demande, je ne fais pas de politique », expliquait-il encore au printemps. Et puis, à l’automne dernier, il s’est révélé plus clairement dans un entre tien croisé avec Michel Onfray dans la revue souverainiste lancée par celui-ci, Front Populaire : « Les bistrots qui ouvrent encore en France contre la mode des fastfoods ou des kebabs sont à soutenir. Il faut redonner de la force au patrimoine matériel et immatériel qui fait vivre cette douce France et nous donne la fierté d’être français. » Michel Onfray le rejoint sur cette ligne conservatrice et identitaire. Râlant contre le slogan « Patrimoine pour tous » des 38e Journées européennes du patrimoine, il déclare, dans la même interview : « Un lieu commun de la gauche a opposé les acteurs de l’art contemporain aux vieux barbons défenseurs des vieilles pierres... En augure du politiquement correct, cette gauche oppose les progressistes, bien sûr situés du bon côté de l’Histoire, aux passéistes qui campent sur son mauvais côté. Le patrimoine, c’est l’Histoire, refuser le patrimoine, c’est tout bonnement refuser l’Histoire, ce qui est la ligne de force de l’idéologie woke et de la cancel culture. » 

Il est pourtant difficile de nier la dimension politique du projet de Vianney d’Alançon. Si lui se défend d’avoir un autre but que celui de divertir avec des danses arlésiennes au son du fifre et du tambourinaire, certains élus locaux, eux, auraient bien aimé pou voir revendiquer le Rocher Mistral comme un repère identitaire, que cela soit perçu comme attractif ou répulsif. Une première passe d’armes a déjà eu lieu à ce sujet. Le 15 avril 2021, une motion a été retirée en catastrophe de l’ordre du jour de la Métropole d’AixMarseille. Les Républicains devaient y présenter un « appel à l’ex pression d’une politique culturelle de l’enracinement et de l’amour de la France », en soutien au projet culturel de La Barben. Le texte, aux accents maurrassiens, parlait de la France, « la seule France, la vraie France, la France éternelle », recommandait de mettre en avant « les fondations d’une culture grécoromaine et chrétienne » et de faire la promotion d’une culture qui rassemble, « permet de faire corps et communion, protège et transmet à tous son patrimoine matériel et immatériel », contre « les adeptes de la culture woke, les indigénistes ou décoloniaux, tout comme les islamogauchistes [...] » Devant le tollé ahuri venu de la gauche et du propre rang des Républicains, le texte n’a jamais été débattu. Fin de l’épisode. Mais une semaine plus tard, le président de la Région, Renaud Muselier (LR), alors en campagne pour les élections régionales, fulminait encore. Il voyait dans cette motion un coup d’essai d’une partie de la droite attirée par la bascule extrême, et par lait en conférence de presse « d’une erreur majeure, une faute politique ». À La Barben, Vianney d’Alançon et ses associés juraient leurs grands dieux n’avoir jamais été mis au courant du projet de motion. Mais quelques mois plus tard, l’épisode continue à préoccuper les principaux élus locaux, qui prennent peu à peu leurs distances. Le Rocher Mistral commence à sentir le soufre. Le 24 septembre, lors de l’élection de la nouvelle maire d’Aix en Provence, Sophie Joissains – qui succède à sa mère –, Renaud Muselier ne fait pas secret de ses doutes : « Les clignotants sont à l’orange, lance-t-il en fronçant les sourcils. Évidemment, je vais vérifier, mais s’il y a effectivement un problème, alors la Région se retirera immédiatement du projet. » Martine Vassal, présidente du Département et de la Métropole AixMarseille Provence, qui ont versé des subventions au projet, ne s’exprime plus sur La Barben : elle n’a pas assisté à l’inauguration et refuse de répondre à la presse quand il s’agit du Rocher Mistral. 

Peu importe : Vianney d’Alançon, lui, continue sa route. En quête d’un troisième château ? 

 

ILLUSTRATION GAZHOLE...

En cinq ans, Vianney d’Alançon, 35 ans et surgi de nulle part, s’est offert deux châteaux pour y installer des parcs d’attractions sur le thème de « la France éternelle ». Celui de La Barben, en Provence, baptisé Rocher Mistral, divise la population et les politiques.   Vianney d’Alançon est un homme bien élevé. Élégant, fines lunettes, courte barbe soignée, chemise blanche et Richelieu bien cirées, il reste d’une impeccable courtoisie jusqu’à ce qu’il soit contrarié. Des bonnes intentions et des millions d’euros plein les poches, il est arrivé en Provence, fin 2019, afin d’y acheter le plus vieux château de la région, celui de La Barben, d’y embaucher des centaines de salariés et d’y attirer les touristes dans l’arrière-pays. Et, moins de deux ans plus tard, il se retrouve au tribunal, attaqué par les riverains, qui portent plainte contre lui pour nuisances, par les anciens propriétaires, qui l’accusent de les avoir diffamés et dénigrés dans la presse, par l’association France Nature Environnement, pour « perturbation intentionnelle d’espèces protégées, destruction et altération d’habitat d’espèces protégées et réalisation de travaux sans autorisation d’urbanisme », enfin par Anticor, pour détournement de subventions publiques. La presse le questionne obstinément sur la portée idéologique de son projet culturel, sur ses relations politiques et religieuses, pointe avec insistance le nombre de travaux effectués sans autorisation. Lui parle de harcèlement, d’acharnement, se plaint de ces « attaques  permanentes, blessantes et mensongères », parce que « cela devient insupportable, désespérant et usant » (La Provence, juillet 2021). Le…

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