Sète merveille du monde
Rémy Fière
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Rémy Fière
la france des coins tranquilles
« L’île singulière » accueille de nouveaux arrivants, séduits par son climat, son littoral et ses prix encore raisonnables. Une immigration en col blanc qui ne satisfait pas tout le monde.
« Regardez-moi ça, il n’y a que des bobos maintenant ! » grogne Philippe Fassanaro. Tandis que le moteur de la baleinière ronronne, l’homme désigne d’un hochement de tête réprobateur les petites maisons de pêcheurs de la Pointe Courte, l’un des quartiers emblématiques de la ville. Casquette de loup de mer, barbichette de flibustier, Philippe, 67 ans, a connu toutes les mers du monde avant de revenir à Sète. Depuis, il initie les apprentis-marins à l’art de barrer sa chaloupe ventrue. « Mais la ville n’est plus ce qu’elle était, elle a perdu de son âme », regrette-t-il alors qu’il embouque le canal qui, depuis l’étang de Thau, mène au centre-ville, puis à la Méditerranée.
Sète ©Gilles Coulon
L’ancien bourlingueur n’a pas tout à fait tort : depuis quelques années, Sète voit déferler une vague d’immigration nouvelle. Une population plutôt aisée qui semble découvrir un eldorado méconnu, béni par le soleil et la mer, dynamique et vivant, avec son théâtre et ses cinémas. En réalité, l’île Singulière a été façonnée par ces mélanges et ces mouvements d'intégration. « Sète a toujours été une ville d’immigration, des Aveyronnais tailleurs de pierres venus construire le port, aux Italiens pauvres du sud de l’Italie arrivés au XIXe siècle », rappelle François Liberti, attablé au Carafon, un bistrot joyeux du quartier Révolution, future proie probable des investisseurs. De sa voix chaude de tribun, l’ancien député-maire communiste énumère les mouvements de population qui ont modifié la sociologie de la ville au fil du temps : les Anglais venus faire commerce de vin, les Suisses qui installèrent un consulat lorsque Sète accepta de devenir le port de la Confédération, les Espagnols, pendant et après la guerre civile, les pieds-noirs et les rapatriés d’Algérie plus récemment. Jusqu’à ce dernier bouleversement, presque incongru. « C'est quasiment la première fois que les gens viennent s’installer ici, non pour fuir la misère ou la guerre, mais par choix, parce qu’ils en ont les moyens. »
Si l’homme déplore que cette attractivité ait peu d’effets sur la vie locale – il reste des logements insalubres, le chômage baisse peu, comme le nombre de sans-abri, et le Rassemblement National rôde –, et que la pression immobilière contraigne les jeunes Sétois à s’installer hors de la ville, il admet néanmoins que cette dynamique entraîne une renaissance urbaine déjà visible. Il suffit d’arpenter la Grand’Rue Mario Roustan, l’artère principale, encore sombre et triste il y a peu, et qui, avec son épicerie gourmande, son boucher à la viande maturée, sa fromagerie dont la devanture ressemble à une joaillerie, a retrouvé vie et couleurs. Un peu plus loin, du côté de la criée où les terrasses poussent sur les quais comme des champignons de mer, les entrées à plus de 30 euros témoignent de cette gentrification.
Sète ©Gilles Coulon
Même le fameux marché couvert, derrière la mairie, est devenu the place to be. Didier Faravoni y est installé depuis une vingtaine d’années. « J’ai ouvert mon bar au fond, à côté du tripier… » Au fil du temps, il s’est rapproché du centre névralgique, puis s’est agrandi. Désormais, on peut s’installer autour d’une de ses tables pour l’apéritif et commander son petit verre de blanc, ses huîtres, ses moules, ses couteaux. « On s’est adapté aux nouveaux comportements. Avant, on ouvrait tôt et on pliait vers midi. Maintenant, on ouvre plus tard, et il n’est pas rare de fermer en tout début d’après-midi… »
Emmanuel Jourdain, patron d’Immobook, une agence immobilière plutôt haut de gamme, confirme cet engouement. « Lorsqu’un bien se vend, je fais un heureux et dix malheureux », dit-il en égrenant ensuite quelques noms de personnalités qui ne jurent plus que par Sète et cherchent désespérément à acheter sur le Mont Saint-Clair, la colline qui surplombe la ville et offre des points de vue sublimes. Désormais, le moindre appartement se dispute, une maison bien située s’arrache. Finie l’image de la ville sale et trop populaire. Les « prix non communiqué » que l’on peut lire parfois sur les brochures d’agences immobilières cachent des montants pouvant atteindre deux millions d’euros !
Sète ©Gilles Coulon
Un ancien premier ministre de François Mitterrand chercherait à acquérir un bien, un couple de l’audiovisuel des années 1980-1990 aurait visité quatre-vingts maisons avant de trouver la bonne... La liste des célébrités néo-sétoises s’allonge et l’on peine à croire ces deux habitantes qui nous affirment que Chrissie Hynde, la chanteuse américaine du groupe culte The Pretenders aurait acquis une maison et un appartement entre la colline et les canaux… Si la grande transhumance s’arrête ici pour prendre ses quartiers d’été, c’est peut-être à François Commeinhes que la ville le doit. Le maire, qui attaque son quatrième mandat – sous la bannière de La République En Marche (désormais Renaissance), après avoir été de droite, puis au centre-droit –, revendique les fruits de sa politique, et notamment du développement culturel qu’il a initié. Cet ancien gynécologue a fait de Sète la ville des festivals. Photo, poésie, jazz, rap, musique latine, électro, une succession de rendez-vous, de l’Ascension jusqu’aux derniers feux de septembre, qui attirent les amateurs.
Certains locaux sont moins enthousiastes, déplorant que, comme à Biarritz ou à l’île de Ré, des catégories sociales au pouvoir d’achat supérieur achètent à tour de bras. Certains en profitent pourtant, qui peuvent vendre à prix d’or l’appartement des parents ou de la grand-mère. Ou ces autres qui transforment leur logement en location à la semaine, ou au week-end. Ce locataire du centre-ville a vu son immeuble se vider progressivement de ses habitants et n’entend plus désormais que des bruits de valises à roulettes, et des accents qui n’ont rien de méridionaux. Dans le centre-ville, on trouve cependant des appartements abordables dans de très beaux immeubles fin XIXe. Il y a par exemple des logements habitables à 1 500 euros le mètre carré qui intéressent notamment une population jeune, ou disposant de moyens limités, mais conquise par l’idée de trouver à se loger en bord de mer à bon compte. Didier Chappedelaine, ancien technicien de la RATP plus connu sous le nom de Didier Wampas, leader du groupe de rock homonyme, s’est acheté un appartement dans une rue piétonne, qui donne sur les quais.
Sète ©Gilles Coulon
L’été, la ville se remplit aussi d’une autre population. C’est l’effet « séries télé ». Un phénomène apparu il y a une dizaine d’années avec le tournage de Candice Renoir, une fiction diffusée sur France 2 et filmée dans la ville. Aujourd’hui, il est relancé par l’installation du plateau d’un soap diffusé sur TF1, avant le JT du soir. Alors que Marseille pleure à l’annonce de l’arrêt définitif de Plus belle la vie, Sète se réjouit et proclame sa foi en un avenir radieux : la série a pour titre Demain nous appartient…...
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