Réveiller le courage

Blanche de Richemont

Aujourd’hui, tout le monde ne cesse de dire « Bon courage ! » Cette expression est tellement employée qu’elle remplace désormais nos « Au revoir ». Mais pourquoi ? Sommes-nous tous à ce point effondrés que nous devons convoquer le courage à chaque instant ? Ou bien sentons-nous inconsciemment qu’il est nécessaire d’appeler le courage si nous aspirons à nous dépasser ? Car rien de grand ne s’est fait sans courage. Et l’homme sent intimement qu’il est sur Terre pour réaliser ce qu’il y a de plus grand en lui.

Courage est un dérivé du mot cœur. Il vient donc du cœur et touche au cœur. Haut les cœurs ! C’est l’appel du courage. Mais comment faire pour le réveiller, le garder intact ? Comment faire pour ne pas se laisser éteindre dans des temps troublés, retournés ? Est-ce que nous lancer des « Bon courage » avec compassion suffit ? Non. Il a besoin d’être façonné, éduqué. Il a besoin d’être sans cesse nourri. Car avoir du courage, c’est avoir du cœur à l’ouvrage, donc de l’ardeur. Il est la mise en acte de notre feu. Un feu qui ne consume pas mais éclaire le monde. Il ouvre des voies, montre ce qu’un homme peut quand il écoute ce qu’il y a de plus fort en lui, son cœur.

Pour garder courage, il est donc nécessaire d’avoir une étoile qui guide et oriente son existence.

J’ai rencontré des hommes et des femmes qui ont voué leur vie à cette dimension, qui se sont engagés à donner le meilleur d’eux-mêmes envers et contre tout. J’ai alors compris que le courage n’était pas réservé aux héros mais qu’il avait sa place dans toutes les vies. Que ce soit une ermite qui vit dans la montagne seule depuis trente ans, un chirurgien, des mères courage, l’ancienne maire de Raqqa, un dirigeant du RAID, un présentateur télé très médiatisé, un scientifique, une personne en situation de handicap ou la femme du pressing en face de chez moi, tous convoquent chaque jour le courage pour que leur vie rayonne, pour qu’elle se donne. Mais comment font-ils pour ne jamais se laisser éteindre ? Leïla Mustapha, l’ancienne maire de Raqqa, m’a donné la réponse :

« Il est important de vouer sa vie à une cause juste et noble, sinon elle n’a pas de sens. » Pour garder courage, il est donc nécessaire d’avoir une étoile qui guide et oriente son existence.

Quand j’ai suivi une caravane de sel dans le désert monotone du Mali, il m’était beaucoup plus facile de marcher la nuit que le jour car, la nuit, les hommes m’avaient montré l’étoile qui indiquait la direction de Taoudeni, la mine de sel que nous visions. Avoir une étoile nous encourage, élève notre regard, nous pousse à viser plus loin, plus haut. Notre étoile peut être, comme pour Leïla Mustapha, la liberté, mais aussi l’amour, la terre, Dieu, la beauté. Peu importe le nom qu’on lui donne tant qu’elle nous élève et nous lève le matin. C’est la raison pour laquelle les personnes qui font des pèlerinages, des randonnées ou des expéditions en montagne aiment tant ces aventures, car ils savent pourquoi ils se lèvent chaque jour. Avoir une direction claire leur donne des ailes. Sénèque disait : « Il n’est pas de vent favorable pour celui qui ne sait pas où il va. » Avoir une étoile nous pousse donc à devenir des marcheurs et non plus des errants.

Les soldats, les pompiers, les hommes du RAID s’entraînent à vivre chaque jour des situations difficiles, extrêmes, mais auront-ils du courage dans leur vie privée ? Or le courage a aussi sa place dans nos foyers, pour éduquer nos enfants, accompagner, soutenir, donner et parfois même aussi, recevoir. Aimer demande aussi (surtout ?) du courage, puisqu’il est la voie du cœur. J’ai alors compris au fil de ma quête, qu’il s’agissait surtout d’une force d’être qui s’applique à chaque instant. Comment la façonner ? Nous ne cessons de répéter que notre époque est difficile, mais au regard de ce qu’ont vécu nos ancêtres, est-elle vraiment si terrible ou ne sommes-nous pas assez préparés à affronter les défis d’une époque en pleine mutation ? Peut-être gagnerions-nous à renouer avec l’épreuve initiatique. Les sociétés primitives les avaient toutes instaurées pour apprendre à leur jeunesse que l’épreuve est une initiation. Si Mandela a pu écrire ces mots si connus : « Je ne perds jamais, soit je gagne, soit j’apprends », c’est parce qu’il était inscrit dans son psychisme, de par son éducation, que l’épreuve est l’exploration des tous ces possibles qui nous attendent. Elle est l’occasion de se révéler.

Pour renforcer notre jeunesse et notre société, nous pourrions donc devenir des alchimistes ou des poètes dans la lignée de Baudelaire qui écrivait : « Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or ». Face à une situation difficile, le courageux dit : « C’est comme ça, maintenant qu’est-ce qu’on fait ? » Il ne subit pas, il transforme. Il accepte puis agit sans jamais céder à la résignation. Mais comment faire pour garder cette force d’âme ? Nous pouvons devenir des guerriers en paix. C’est-à-dire, œuvrer dans l’esprit du samouraï où l’homme agit sans jamais perdre sa sérénité et son calme. Les samouraïs s’entraînaient depuis l’enfance pour que leur action soit l’écho de la paix, même dans le combat. Il est là le courage, ne jamais perdre l’axe du cœur, donc du centre. Comment faire ? Ne jamais oublier que la puissance est dans la détente. Et non la distraction. Se détendre profondément, apaiser sa vie, son corps, ses pensées pour revenir au centre. C’est la loi de la nature. La terre se met en hiver pour éclore et en jachère pour devenir fertile. La chrysalide passe par un état d’immobilité totale pour que ses ailes puissent surgir, le sage sort de l'agitation du monde pour l’éclairer. Sans l’apaisement profond, nous sommes en force, en apnée, en survie, mais non dans notre puissance. Or le guerrier en paix se recueille avant d’agir. Laozi parle du Wuwei qui signifie « ne rien faire ». Il va loin en écrivant :

Par le Non-Agir,

Il n’y a rien qui ne se fasse.

C’est en restant toujours dans le Non-faire

Que l’on gagne l’empire

Gagner un empire en ne faisant rien… C’est rester calme et n’agir que lorsque c’est nécessaire, ainsi l’action est portée par les forces de l’univers et elle colle parfaitement à la situation. Par l'apaisement, le courage ne faillit pas, ne s’épuise pas, toujours, il se ressource. Pour éduquer le courage, il s'agirait donc d’avoir une étoile, de faire de l’épreuve une initiation et de s’apaiser car l’homme épuisé perd ses ailes. S’apaiser n’est pas si simple alors que la vie est en évolution constante. Rien n’est jamais figé et nous devons sans cesse nous réinventer. Le poète Goethe a écrit ces mots initiatiques par excellence : « Meurs et deviens ». Meurs au connu pour naître à toi, sans cesse. Il est là le courage, savoir se rénover, se réinventer, être souple avec les événements, persévérer et non s’acharner. S’acharner, c’est recommencer toujours de la même manière. Persévérer, c’est recommencer autrement.

Rien n’est jamais figé et nous devons sans cesse nous réinventer.

Miyamoto Musashi, le samouraï légendaire du Japon né à la fin du XVe siècle, a insisté sur ce point dans Le Traité des cinq roues qu’il a écrit dans une grotte après une vie de combats qu’il a tous gagnés. On dit même qu’il serait venu seul à bout de soixante adversaires. Il écrit donc :

« Chaque fois que vous jugez qu’entre votre adversaire et vous tout grince, changez d’intention immédiatement et parvenez à la victoire en recherchant d’autres moyens avantageux pour vous. Il est très important de savoir se rénover. Ceux qui sont perspicaces dans la tactique peuvent juger facilement l’instant de cette rénovation. » Avoir le courage de sans cesse revoir toutes nos cartes car rien ne dure. Nous n’avons donc jamais du courage une bonne fois pour toutes. De même que nous n’aimons jamais une bonne fois pour toutes. Tout ce qui est essentiel se cultive. La nature nous montre tous les jours cette transformation nécessaire à la vie et à l'évolution. Nous sommes tous sur terre pour grandir, c’est-à-dire réaliser dans la matière ce que nous sommes, notre âme.
Elle est là, la plus grande des résistances : viser la joie envers et contre tout.
Et pour cela, Miyamoto Musashi nous donne un conseil précieux. Il nous propose de penser sans cesse au précepte « Tête de rat, tête de bovin », c’est-à-dire de remplacer nos idées petites (le rat) par des grandes (le bovin). L’idéal étant de conserver l’intelligence du rat. Il insiste sur le fait que l’on doit avoir ce précepte en tête dans notre vie quotidienne pour s’entraîner sans cesse à emprunter la voie des hauteurs et ne jamais s’enliser dans la médiocrité ou la bassesse.

Car faire le mal n’arrange rien. Le courageux ne nourrit pas le mal, sinon il n’est plus dans le cœur : il est seulement téméraire, brave ou auda- cieux. Or le courage est au service de la lumière. Pour cela, il s’agirait donc de sortir du schéma : tyran/victime. Car toujours, le tyran a d’abord été une victime. Pour ne pas tomber dans ce penchant, on peut fuir la victimisation même quand la situation est terrible. Mandela, en prison pendant vingt-sept ans, ne s’est jamais posé en victime, il est resté un adversaire en aspirant à toujours apprendre et s’entraîner physiquement. Il a même planté un jardin potager dans sa prison de Robben Island, parvenant ainsi à semer de la vie dans le cauchemar. Dans la même lignée, l’ethnologue et résistante Germaine Tillion nous encourage à sortir du cycle des ennemis complémentaires. C’est un cercle vicieux. Quand tu me tapes, je te tape, donc tu me tapes… et ça ne s’arrête que pour recommencer plus tard, sans cesse. Il faut du courage pour sortir de cette spirale car spontanément dès que quelqu’un nous blesse, notre première réaction est de le blesser. Mais cette réaction n’est pas courageuse, elle est animale. Enfermée dans le camp de concentration de Ravensbrück, elle a choisi de ne pas devenir aussi sauvage que les nazis. Elle a donc décidé de rester intacte  en refusant de travailler pour eux et en écrivant en 1944 une opérette : Le Verfügbar aux Enfers pour faire rire les femmes aux corps et aux cœurs brisés. Où a-t-elle trouvé ce courage de rire et faire rire dans une telle misère ? Où a-t-elle puisé la force d’écrire :

Et l’on s’en fout

D’attraper des torgnoles

Et l’on s’en fout

Si l’on rigole

Un coup…

Elle a su accepter cette situation inhumaine sans jamais se résigner. Elle est là, la plus grande des résistances : viser la joie envers et contre tout. Germaine Tillion avait écrit un manifeste dans lequel elle revendique son intention de rire et de plaisanter car selon elle « la gaîté et l’humour constituent un climat intellectuel plus tonique que l’emphase larmoyante ». Avoir toujours le courage de rire quand même. Pour ne pas se laisser éteindre. Pour ne pas subir.

C’est ainsi que la voie du samouraï nous encourage à rester une âme debout quelles que soient les circonstances. Ne jamais tomber dans la médisance, l’apitoiement, le laisser aller, la paresse ou la bassesse. C’est l’exigence de l’être face aux événements de la vie. Même à terre, le courageux reste debout car une part de lui est intacte, droite, digne, lumineuse.

Le Yi Jing, oracle extraordinaire qui a inspiré Laozi et Confucius parle de rester lumineux à l’intérieur et flexible à l’extérieur. Dans l’analyse de ce texte, Richard Wilhelm explique que « même la plus dure adversité se laisse vaincre par une telle attitude. Il est vrai que l’on doit, dans certains cas, cacher sa lumière afin de faire triompher sa volonté malgré des difficultés dans l’entourage immédiat. La persévérance doit vivre au plus intime de la conscience et ne pas se manifester au-dehors. De cette manière seulement on peut maintenir sa volonté intacte au milieu des difficultés ". Ainsi, les âmes debout, à terre, cachent leur feu pour que leur lumière reste intacte, imprenable. Mais le jour venu, c’est elle qui les relèvera. Et ce jour-là, leur réponse à la douleur ne sera pas la haine ni la vengeance, mais la grandeur....

Aujourd’hui, tout le monde ne cesse de dire « Bon courage ! » Cette expression est tellement employée qu’elle remplace désormais nos « Au revoir ». Mais pourquoi ? Sommes-nous tous à ce point effondrés que nous devons convoquer le courage à chaque instant ? Ou bien sentons-nous inconsciemment qu’il est nécessaire d’appeler le courage si nous aspirons à nous dépasser ? Car rien de grand ne s’est fait sans courage. Et l’homme sent intimement qu’il est sur Terre pour réaliser ce qu’il y a de plus grand en lui. Courage est un dérivé du mot cœur. Il vient donc du cœur et touche au cœur. Haut les cœurs ! C’est l’appel du courage. Mais comment faire pour le réveiller, le garder intact ? Comment faire pour ne pas se laisser éteindre dans des temps troublés, retournés ? Est-ce que nous lancer des « Bon courage » avec compassion suffit ? Non. Il a besoin d’être façonné, éduqué. Il a besoin d’être sans cesse nourri. Car avoir du courage, c’est avoir du cœur à l’ouvrage, donc de l’ardeur. Il est la mise en acte de notre feu. Un feu qui ne consume pas mais éclaire le monde. Il ouvre des voies, montre ce qu’un homme peut quand il écoute ce qu’il y a de plus fort en lui, son cœur. Pour garder courage, il est donc nécessaire d’avoir une étoile qui guide et oriente son existence. J’ai rencontré des hommes et des femmes qui ont voué leur vie à cette…

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